Le Royaume d'Orodreth
CHAPITRE 11
Hébété, Thranduil la regarda s'avancer prés d'une fontaine. Il hésita, essayant de comprendre sa réaction, mais ne trouvant nulle raison qui l'expliquerait, il la rejoignit. Avec des gestes doux, il posa ses mains sur ses épaules et parla d'une voix tendre.
— Mina, qu'avez-vous ?
Sa voix trahissait son incompréhension. Il fallait qu'elle lui explique la raison de son refus. Qu'elle lui parle du but de son voyage et s'il ne lui avait pas coupé la parole, ce serait déjà fait
— Je ne vous ai pas tout dit...
Intrigué, le roi la contourna pour se placer devant elle. Honteuse d'avoir menti, elle gardait la tête baissée.
— Qu'avez-vous omis de me dire?
Lorsqu'elle releva la tête, elle dévoila ses yeux baignés de larmes, elle s'en voulait tellement. Une profonde inspiration devança sa prise de parole.
— Je dois me rendre à Erebor pour combattre Smaug.
Devant cette révélation, Thranduil recula d'un pas tout en la regardant interloqué. Ceci expliquait sa rencontre avec les nains et sa présence dans Vert Bois.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit ?
— J'étais si heureuse de vous revoir, je ne voulais pas gâcher nos retrouvailles.
— C'est pourtant ce que vous faites !
Choquée qu'il la désapprouve aussi spontanément, elle resta bouche bée et des larmes s'échappèrent de ses yeux. Il avait conscience de lui faire du mal, mais il n'arrivait pas à croire qu'elle lui avait caché la vérité.
— Quand comptez-vous partir ?
— Demain, ce sera le mieux... plus tôt j'aurai tué Smaug, plus tôt je pourrai rebâtir mon royaume.
Le roi assimila les informations. Il ne se faisait pas à l'idée de ce combat qui n'était absolument pas équitable. La tension était palpable entre les deux elfes et chacun espérait une réaction de l'autre. Un silence de plomb s'était installé dans les jardins.
— Je ne peux vous laisser faire ! déclara soudainement Thranduil.
— Excusez-moi ?
— Je ne vous laisserai pas partir vers une mort certaine.
— Ce n'est pas à vous de décider ! se défendit-elle, un soupçon irritée en essuyant ses yeux humides.
— C'est moi qui donne les ordres ici !
Il essayait d'user de son autorité contre elle, mais bien qu'elle soit chez lui, elle n'avait aucunement l'intention de lui obéir.
— Comment comptez-vous m'en empêcher ? En m'enfermant dans une cellule ?
— Oui… Si ça peut vous évitez de vous faire tuer.
Blessée par ses propos, elle eut un rire nerveux et quitta précipitamment l'endroit, laissant le roi seul avec lui-même. Elle regagna immédiatement ses quartiers.
Elle le détestait d'avoir réagi ainsi, s'il croyait pouvoir la garder enfermée, c'était vraiment mal la connaître ! Mais elle reconnaissait être responsable de la situation, si elle ne lui avait pas menti, ils n'en seraient pas arrivés là.
De son côté, toujours dans les jardins, Thranduil regrettait sa réaction et ses paroles. Après réflexion, il se doutait que cette décision de combattre le dragon était mûrement pesée, ce n'était pas dans les habitudes de Mina d'agir sous le coup d'une impulsion. Il resta un moment seul avant de rentrer lui-même dans ses quartiers en faisant un détour par l'armurerie. Une soirée qui avait si bien commencé se terminait malheureusement en un conflit royal.
Le lendemain, Mina ne quitta pas sa chambre, ne souhaitant voir personne. Ce n'est qu'en fin d'après-midi qu'elle fut attirée dehors par l'agitation régnant dans le palais. Des gardes courraient en direction de la porte principale et d'autres vers la sortie Est. Au détour d'un couloir, elle croisa Elenwë, les bras chargés d'un panier rempli de légumes.
— Elenwë, attendez !
La jeune elfe interrompit subitement sa marche et prêta une oreille attentive à la reine.
— Que se passe-t-il ?
— Tous les gardes sont appelés au niveau de la rivière, les nains se sont échappés.
La nouvelle étonnait Mina car les cellules de Mirkwood était réputées inviolables. C'était donc impossible d'en sortir, à moins d'avoir la clé. Une révélation soudaine frappa la reine, il y avait peu de personnes capables de passer inaperçues dans ce palais et la seule qu'elle en pensait capable était le Hobbit. Ça ne pouvait être que lui qui avait réussi à entrer, à dérober la clé et à libérer ses amis nains.
— Depuis quand ? s'enquit la reine.
— Il y a quelques heures, nous avons également été attaqués par un groupe d'orcs, ajouta la servante.
— Merci Elenwë.
Sans chercher à en savoir davantage, Mina rebroussa chemin pour retourner dans sa chambre. Les nains avaient maintenant de l'avance sur elle, et elle devait absolument les rattraper avant qu'ils ne pénètrent dans la montagne. Dans sa salle de bains, elle passa sa tenue de route et sa cape. Avec empressement, elle récupéra ses armes. Elle s'apprêtait à quitter le palais et suite à leur dispute, elle doutait que Thranduil souhaite la voir avant son départ. Allait-elle survivre à ce combat contre Smaug ? Peu importait... Elle ne savait pas lire l'avenir donc impossible de savoir où cet affrontement la mènerait. Une chose était sûre, cet endroit allait lui manquer et c'est avec beaucoup de mélancolie qu'elle ferma la porte de sa chambre derrière elle.
Avec hâte, elle se précipita vers la porte principale. A peine fut-elle arrivée devant, qu'un garde lui barra la route.
— Reine Mina vous ne pouvez quitter le palais ! signala-t-il en lui barrant l'accès de sa lance inclinée.
Elle n'y croyait pas, Thranduil avait osé…
— Je ne reviendrai pas ! Laissez-moi sortir !
— Je regrette, personne n'entre ou ne sort du palais, ordres du roi !
D'un signe de tête, elle acquiesça et se détourna.
C'est d'un pas rapide et assuré qu'elle se présenta à la salle du trône. Le roi était bien là, lui tournant le dos, un corps d'orc décapité gisant à ses pieds. Pendant quelques secondes, son attention fut attirée par ce cadavre, d'où s'écoulait un sang noir, épais et visqueux.
— Thranduil !
Il se tourna et l'observa de haut en bas. Il devinait à sa tenue, pourquoi elle venait le voir.
— Je ne peux vous laisser sortir...
La reine tâcha de rester calme et le seigneur poursuivit.
— Les nains se sont enfuis j'ignore comment... Ils vont réveiller la bête et tous se faire massacrer... je ne tiens pas à ce que vous connaissiez le même sort.
— Ce n'est pas à vous d'en décider, dit-elle calmement.
Il contourna le cadavre et se dirigea vers son trône. Pour lui, la conversation était terminée, mais pour Mina, elle ne faisait que commencer. En vitesse, elle le dépassa et le stoppa dans sa marche, se plaçant entre lui et son siège.
— Mina... soupira-t-il doucement en évitant son regard.
— Thranduil, je vous en prie…
La reine s'efforçait de rester calme, cela ne servait à rien de hausser le ton, même si son regard trahissait son énervement.
— Je n'ai pas envie de vous perdre...
C'est dans un murmure à peine audible qu'il avait fait cet aveu. Le regard de l'elfe brune s'adoucit soudainement. L'idée de sa mort le terrifiait, elle le sentait. Écoutant son cœur et ignorant les convenances, elle se jeta à son cou, l'enlaça fortement et calant sa tête contre la sienne. Surpris par ce soudain débordement de tendresse, le roi mit quelques minutes avant de l'étreindre à son tour.
— Vous ne me perdrez pas... Je reviendrai, je vous le promets.
— Vous n'avez pas le droit de me promettre une telle chose sans être certaine que vous y parviendrez.
— Je sens, au fond de mon cœur que nous ne serons pas séparés, répliqua-t-elle aussitôt.
Bien sûr, elle lui mentait, elle savait que c'était mal, mais elle devait à tout prix sortir du palais. Le roi la serra plus fortement et huma le parfum floral s'élevant de ses cheveux. Comme si c'était la dernière fois qu'il la voyait et pouvait la tenir contre lui.
— Avant de partir, vous devez me suivre.
Surprise, elle s'écarta légèrement. Cela voulait-il dire qu'il acceptait de la laisser aller ? Alors que des gardes investirent la salle pour débarrasser le corps de l'orc, ils se séparèrent.
Mina suivait le roi en silence. Ils arrivèrent jusqu'à l'armurerie où Thranduil se posta devant une simple armoire en bois clair.
— Ce qu'il y a là-dedans est pour vous, mes forgerons ont travaillé toute la nuit.
D'un signe de main, il l'invita à l'ouvrir. Elle ouvrit complètement les portes, dévoilant son contenu. Les forgerons avaient confectionné un plastron uni à une protection dorsale, taillé et façonné dans le plus solide des métaux argentés et finement décoré dans le style du Royaume des Forêts. Des gantelets et des coques à mettre à partir des genoux au-dessus des bottes étaient assortis à cette armure. Ce présent signifiait que Thranduil acceptait sa décision et ce dès la veille soir.
Son admiration passée, elle se tourna vers lui et constata qu'un masque de tristesse s'était abattu sur son visage. Il avait l'impression de l'envoyer lui-même à la mort en lui offrant ceci.
— Je vais vous accompagner une partie du chemin, j'ai encore une chose à vous montrer.
Il l'aida à s'équiper avant de poursuivre leur route. La voir ainsi, prête au combat lui serrait le cœur : il était habité par le mauvais pressentiment qu'il ne la reverrait jamais.
Dans la forêt, chacun sur sa monture, ils avançaient en silence tout en s'éloignant du chemin principal. Au bout de longues minutes, Thranduil stoppa son cerf et Mina fit de même avec son cheval. Devant eux, se trouvait un rocher immense au milieu d'une zone broussailleuse.
— Qu'y a-t-il ici ? interrogea-t-elle avec étonnement.
— Vous ne voyez rien ? dit-il étonné.
Intriguée, elle observa attentivement le paysage. Il lui fallut un moment pour comprendre ce qu'il voulait qu'elle voit.
— Ce n'est pas possible... murmura-t-elle.
Accompagnée d'un léger bruit de métal, elle sauta de cheval et s'approcha du rocher, donnant des coups d'épée pour se frayer un passage entre les ronces. Ce n'était pas perceptible au premier coup d'œil et c'était d'ailleurs le but de ce camouflage, mais sous cet aspect rocheux, se trouvait un dragon. Un dragon qui s'était plongé dans un profond sommeil, produisant une carapace dure comme la pierre qui le recouvrait du nez jusqu'au bout de la queue. Elle caressa la tête de l'animal et se tourna vers le roi, resté sur sa monture.
— Depuis quand est-il ici ?
— Il est apparu immédiatement après la chute de votre royaume.
Mina empoigna son épée des deux mains.
— Que faites-vous ?
— Je vais le réveiller, vous devriez reculer...
Thranduil attrapa les rênes de Fangorn et s'écarta. Elle leva son épée au dessus de sa tête et l'abattit de toutes ses forces sur la tête en pierre. A part des étincelles, rien ne se produisit, mais elle s'éloigna de plusieurs pas. Un long silence régna dans la forêt jusqu'à ce que le rocher commence à trembler. S'en suivirent plusieurs craquements étouffés jusqu'à ce que toute la carapace de pierre se fissure et s'effondre.
Le dragon que ce cocon renfermait, se dressa sur ses pattes postérieures et étendit ses ailes pour les assouplir et les débarrasser de la poussière. Mina le reconnut immédiatement, il s'agissait d'une femelle prénommée Aela. Elle avait le museau long avec deux longues cornes sur le front. Une crête parcourait son dos de son cou, jusqu'au bout de sa queue, laquelle se terminait par une pointe aiguisée. Ses ailes faisaient toute la longueur de son corps. Ses écailles étaient vert foncé, sur lesquelles le soleil faisait chatoyer quelques reflets marron et même noirs à certains endroits. La dragonne cligna des yeux et les riva en premier lieu sur le roi.
— AELA ! appela Mina les bras levés.
L'animal baissa la tête.Lorsqu'il aperçut la reine, il s'inclina, rabattant son crâne contre son poitrail et laissa l'elfe s'approcher. Les événements ne se déroulaient pas dans l'ordre qu'elle avait prévu, mais Mina était vraiment trop heureuse de retrouver son dragon, et ne comptait pas se montrer trop rigide là-dessus. Elle caressa le rostre de sa bête qui ferma les yeux pour savourer cet instant de retrouvailles.
— Majesté, c'est un réel plaisir de vous voir en vie ! déclara la dragonne.
— Il en va de même pour moi Aela... J'ignorais lequel d'entre vous avait échappé au massacre.
— Ça peut paraître lâche, mais j'ai préféré m'enfuir pour sauver quelques œufs, révéla l'animal.
Le regard de Mina s'illumina, avait-elle bien entendu ? Aela avait sauvé des œufs ?
— Combien en as-tu sauvés ?
— Cinq.
— Où sont-ils ?
— Ici, répondit-elle en s'écartant de l'endroit où elle avait dormi toutes ces années.
De sa lourde patte elle gratta le sol jusqu'à révéler cinq œufs maculés de terre. Immédiatement, l'elfe brune s'avança pour les examiner. Au premier coup d'œil, ils semblaient tous en bon état.Derrière elle, Thranduil s'approcha doucement.
— Mina ?
La reine se redressa et se tourna vers lui.
— Comment comptez-vous agir ?
— Les dragons ont deux failles, une à l'arrière de leur crâne, l'autre sous leur antérieur gauche. J'espère donc réussir à grimper sur son dos ou avoir accés à sa patte pour pouvoir le tuer, expliqua-t-elle.
— Avec votre dragon, vos chances de réussite sont augmentées, déclara-t-il la gorge serrée.
Elle savait qu'il redoutait le moment de son départ et ce qu'il pouvait ressentir, donc elle se détourna du nid improvisé pour le rejoindre. Le seigneur plongea ses yeux dans les siens. Il avait le regard brillant et la mâchoire crispée.
— N'ayez pas peur, mon roi... Je reviendrai... murmura-t-elle.
Elle lui donna un rapide et furtif baiser sur la joue avant de planter à nouveau son regard dans le sien. Leur échange intense dura quelques secondes puis elle alla récupérer sa monture. La dragonne avait rebouché le trou où se trouvaient les œufs et attendait les ordres de sa maîtresse. Celle-ci revint sur le dos de Fangorn, après un dernier signe de tête au roi elle disparut dans la forêt, son dragon la suivant au sol à sa demande, pour ne pas se faire repérer.