Le Royaume d'Orodreth

CHAPITRE 9

Devant les immenses portes de bois du palais de la Forêt Noire, un elfe prit en charge Fangorn. Legolas laissa les gardes emmener les nains en cellule, pour avoir le privilège d’accompagner lui-même Mina dans un petit salon.

La pièce où le jeune prince la conduisit était aménagée sous d'épaisses racines, dans le style architectural propre à Mirkwood. Une succession de trois petits bassins formaient une fontaine d'où ruisselait un filet d'eau très clair. Sur une table se trouvaient des verres et une carafe, rempli à moitié de vin rouge, ne demandant qu'à être consommé. Elle avait soif, mais comme il était un peu tôt pour du vin, elle se contenta de patienter.

— Je vais prévenir mon père, il vous rejoindra ici.

Elle acquiesça et rapidement l’héritier partit pour rejoindre la salle du trône. D’ici quelques minutes, elle allait revoir le seigneur qui animait son cœur. Une multitude de questions lui tournaient dans la tête, mais la principale était aussi une inquiétude : ressentait-il toujours la même chose pour elle ?

Plus haut dans le palais, au niveau du trône, Thorin faisait déjà face au seigneur des lieux. Celui-ci semblait peu ravi que les nains aient osé pénétrer sur ses terres sans son accord. Il se doutait aussi que s’ils avaient couru le risque de traverser sa forêt, c'était uniquement pour reprendre possession de leur royaume. Le seigneur elfe tourna plusieurs fois autour du nain avant de se poster devant lui, les mains dans le dos. 

— De quel droit avez-vous pénétré sur mes terres ? Imaginiez-vous vraiment que votre présence passerait inaperçue ? commença-t-il d’un ton dédaigneux.

Pas le moins du monde impressionné, le nain  continuait de le fixer, affichant un air agacé. Malgré l’insolence du prisonnier, Thranduil poursuivit.

— Vous avez découvert comment entrer dans la montagne et récupérer votre précieux Arkenstone !

Thorin baissa les yeux, comme pris en faute. L'elfe avait vu juste et il n'aimait pas cela.

— Votre liberté ne tient qu’à votre bonne volonté.Ecu-de-chêne savait qu’il ne sortirait pas facilement du Royaume des Forêts car sa liberté et celle de sa compagnie avaient un prix. Aussi était-ce utile de tourner plus longtemps autour du pot.

— Que voulez-vous ?

— Je souhaite récupérer les gemmes qui me reviennent de droit, répondit le seigneur elfe d’un ton un peu plus sévère.

Le nain afficha un sourire en coin, car il se doutait que c'était ce que désirait l’elfe. Donc il fit mine de réfléchir quelques minutes, puis son faible rictus se transforma en un large sourire narquois, ce qui ne présageait rien de bon. 

— Pourquoi devrais-je coopérer avec vous ? Un jour, mon peuple est venu quémander votre aide et vous n'avez rien fait... Vous les avez laissés à leur triste sort et MOURIR ! s'énerva le nain.  

Le seigneur elfe n’apprécia pas cet outrage, mais ne se démonta pas face à son ennemi.

— Vous ne pouvez reprocher ce malheur qu'à vous-même ! J'avais prévenu votre grand-père que cet or n'apporterait rien de bon à son royaume, mais il a ignoré ma mise en garde... Maintenant vous en payez le prix !

Malgré la stature du roi elfe, le nain ne se dégonfla pas et riposta. 

— Tout ceci ne serait pas arrivé sans l'avidité d'une reine incapable de contrôler ses dragons ! reprocha-t-il avec fureur. 

Thranduil serra les dents et se crispa. De quel droit ce nain rejetait-il la faute sur la reine d'Orodreth ? Même si son cœur et son cerveau bouillonnaient de colère, il tâcha de rester calme pour répondre. 

— C'est toujours plus facile de blâmer autrui pour ne pas assumer ses propres erreurs… souffla-t-il. Vous n'êtes pas près de revoir votre montagne, conclut-il. 

D'un léger geste de la main, il fit signe à ses gardes de reconduire le petit roi en cellule. Ce dernier ne se laissa pas faire, mais les elfes étaient bien plus nombreux que lui et ne lui laissèrent pas le choix.

Legolas, qui attendait en retrait depuis le début de l’entrevue, s'écarta pour les laisser passer avant de monter les quelques marches qui le séparaient de son père. Ce dernier était assis sur son trône et se massait les tempes avec des mouvements circulaires. 

— Père ?

Thranduil leva les yeux vers son fils et le laissa poursuivre. 

— Voudriez-vous me suivre un instant ?

— Pour aller où ?

— Quelqu'un vous attend, répondit-il sans donner plus de détails. 

Intrigué, le roi elfe se leva et prit la suite de son fils. Pendant le trajet, il se demandait bien qui pouvait être cette personne, pour que son fils reste si mystérieux. Quoi qu’il en soit, tant que ce n’était pas un nain…

Lorsqu'ils arrivèrent devant le passage menant au salon, Legolas se plaça sur le côté et indiqua d'un geste l’étroit couloir, pour inciter son père à avancer. Celui-ci fronça les sourcils. Qu'est-ce que son fils lui cachait ? Après un échange de regards, il s’avança.

Il arriva dans le salon rapidement et à peine eut-il descendu la dernière marche qu'il s'arrêta net.

Devant lui, se trouvait une elfe lui tournant le dos, à la chevelure noire comme le charbon. Les bras croisés, elle patientait et attendait sa venue.

— Mina ? appela-t-il dans un murmure. 

Grâce à son ouïe fine, elle avait bien entendu que quelqu’un était entré, mais elle avait préféré rester stoïque. Le son de sa voix suave, la réjouit puis elle se retourna lentement. En le voyant, son cœur rata un battement : il n'avait pas changé durant toutes ces années. Quant à lui, il n'en croyait pas ses yeux, elle était vraiment là, devant lui, à quelques mètres.

— Bonjour Thranduil. 

Son salut était accompagné d’un sourire timide. Le roi s’empressa de parcourir les quelques mètres qui les séparaient. Il tendit doucement une main vers la joue de son invitée pour s'assurer qu'il n'était pas en train de rêver. Son soulagement fut immense lorsque ses doigts rentrèrent en contact avec la peau veloutée de la reine d'Orodreth qui appréciait cela. Il y avait toujours eu une certaine alchimie entre eux, mais qu'ils s'étaient refusés à développer, ayant chacun un royaume à gérer. N'y tenant plus, le roi de Mirkwood enlaça tendrement la reine elfe qui se cala avec plaisir contre son torse, tout en rabattant ses bras dans son dos.

A l’entrée du salon, Legolas assistait à la scène. Il y avait bien trop longtemps que son père et la reine des Terres de Feu avaient été séparés. Satisfait, il les laissa pour aller retrouver les gardes et plus précisément Tauriel, la capitaine des gardes avec laquelle il s'entendait particulièrement bien.

Les elfes royaux étaient encore étroitement enlacés. Mina s'écarta et plongea ses yeux dans ceux du roi où elle y décela une grande émotion.

— J'ai cru ne jamais vous revoir, avoua-t-il doucement. 

Thranduil pouvait avoir mauvais caractère, pourtant avec elle, il était complètement différent : attentionné, agréable et respectueux. 

— Maintenant je suis bien là et je n'ai plus l'intention de me laisser abattre, assura-t-elle. 

Cette réponse satisfit le roi qui sourit. Il porta à nouveau une main sur la joue de la reine qui posa une main par dessus la sienne et ferma les yeux quelques secondes pour profiter de ce moment de tendresse.

Au bout de quelques minutes, ils se séparèrent, sans beaucoup s’éloigner.

— Vous avez rencontré Écu-de-chêne ? 

— Oui... Puisqu’il a refusé ma proposition, il a rejoint ses camarades en cellule. 

Que ce soit le roi elfe ou le roi nain, tous deux étaient bien trop fiers et obstinés pour céder, donc la réaction du seigneur n’étonnait pas Mina.

— Vous étiez avec eux ?

— Nous nous sommes croisés, c'est tout... répondit-elle. J'avais de l'avance quand je les ai entendus appeler à l'aide, ils étaient attaqués par des araignées géantes, expliqua-t-elle. D'ailleurs, j'ai connu cette forêt bien plus accueillante, le taquina-t-elle.

— Je sais... Ces créatures sont un véritable fléau, reconnut Thranduil. Mes gardes font ce qu'ils peuvent pour nous en débarrasser.

La reine acquiesça alors que le seigneur de Mirkwood ne pouvait s'empêcher de la dévisager. Même s’il devait avoir l'air un peu idiot à la regarder, il s'en fichait. Son doux visage lui avait trop manqué. 

— Comptez-vous rester un peu ?

Elle tarda à répondre. Elle devait s'occuper de Smaug et atteindre la montagne avant les nains. Mais ces derniers étant prisonniers, ils n'iraient pas bien loin, donc rien ne la pressait. Et le dragon n'avait pas bougé depuis toutes ces années, il n'allait sûrement pas abandonner son or aujourd’hui.

— Ce sera avec grand plaisir, accepta-t-elle.

— Je vais demander que l'on vous conduise à vos quartiers.  

Ils quittèrent ensemble le petit salon pour rejoindre la salle du trône. Là-bas, Thranduil fit venir une jeune servante aux longs cheveux roux, vêtue d’une simple robe vert émeraude et d’un tablier blanc. Elle s'inclina devant son seigneur et attendit ses ordres.

— Veuillez mener la Reine Mina aux appartements Caladhiel.

La jeune femme elfe acquiesça puis se mit en retrait pour attendre la reine. 

— L'Etoile Bleue, traduisit Mina. 

— Oui, si ma mémoire ne me fait pas défaut, il me semble que ce sont vos quartiers préférés. 

— C'est juste. 

— Je vous connais bien, Mina.

— Autant que je vous connais, sourit-elle. 

Puis se rappelant qu'ils n'étaient pas seuls, ils rompirent soudainement leur contact visuel. 

— Je viendrai vous chercher pour le dîner, ajouta-t-il.

Elle acquiesça et était maintenant disposée à suivre la jeune servante. Quand elles quittèrent la salle, le roi ne lâchait pas son invitée du regard. Son réveil était pour lui une merveilleuse nouvelle, car il croyait l'avoir perdue... La voir était une renaissance.

En chemin pour ses appartements temporaires, Mina repéra la passerelle menant aux cellules. Elle avait des questions à poser aux nains. 

— Veuillez m'attendre je vous prie, je ne serai pas longue, déclara-t-elle à l'attention de la servante.

L'elfe rousse n'eut pas le choix que de s'arrêter et attendre.  

La reine d'Orodreth s'avança jusqu'aux geôles où elle vit les nains assis ou allongés, à attendre que le temps passe. Thorin remarqua la présence de la reine  et aussitôt, se jeta contre la porte de sa cellule pour déverser sa haine. 

— Vous devez bien jubiler de nous voir enfermés ! cria-t-il avec colère. Mais ne vous avisez pas de pénétrer dans Erebor avant nous, sinon vous le paierez de votre vie ! 

La menace du nain fit esquisser un rictus à la reine.  

— Je n'ai pas peur de vous, Thorin, prévint-elle. Et si je veux me confronter à mon dragon, je n'ai pas à vous en demander l'autorisation ! 

— Cette montagne est à nous ! fulmina un autre nain depuis une cellule voisine.

— Je n'ai rien à faire de votre montagne, je veux simplement en finir avec Smaug et…

— Tout comme nous ! la coupa le seigneur nain. 

— Je n’en doute pas... Mais croyez-vous que treize nains viendront à bout d'un dragon ! railla-t-elle. 

— Et croyez-vous qu'une elfe seule y parviendra plus facilement ? répliqua-t-il aussitôt. 

— Contrairement à vous, je connais Smaug. Ce n'est pas parce que je n'ai pas réussi à le dresser jadis que j'ignore tout de lui. 

— Vous allez mourir, rien de plus... en proie aux flammes, comme vos semblables, cracha-t-il avec méchanceté.

Touchée, la reine en resta bouche bée. Soudain, elle vit Legolas passer devant elle et attraper le nain par le col à travers les barreaux. Le prince se saisit d’une de ses dagues qu'il plaça sous la gorge du prisonnier. 

— Dois-je vous rappeler que vous vous adressez à une reine ? Vous lui devez le respect ! 

— Je ne lui dois rien ! s’entêta le nain. 

Mina savait que Legolas était capable de le tuer alors elle jugea bon d'intervenir. 

— Legolas ! Cessez je vous prie, il n'en vaut pas la peine... 

Le prince se tourna vers la reine sans lâcher Thorin. Elle hocha la tête, alors il rangea sa lame et lâcha l’impudent en le poussant.

— Ne t'avise plus de l'importuner, prévint-il. 

Sur ces mots, il tourna le dos et quitta les lieux après un dernier regard pour la reine. Cette dernière avait toujours des questions à poser aux nains. Mais comme Thorin l'avait directement agressée à son arrivée, elle n'avait pas eu le temps de les poser. Elle se rapprocha des cellules et reprit la parole calmement.  

— Où sont passés Mithrandir et le semi-homme ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? maugréa Thorin. 

Mina ferma les yeux et laissa échapper un léger soupir, l'entêtement d’Ecu-de-chêne était désespérant. 

— Pour l'amour du ciel, Thorin ! s'exclama l'un de ses camarades. Réponds-lui ! 

— Leur est-il arrivé quelque chose ? s'inquiéta-t-elle. 

Le roi sous la montagne se mura dans le silence et s'éloigna de la porte de sa cellule. L'elfe comprit qu'elle n'aurait aucune réponse de sa part, ce qui la désola. Elle recula de deux pas et écarta les bras en signe d'incompréhension. 

— Alors aucun de vous ne veut me répondre?

— Thorin ! insista le plus sage de la compagnie. 

Mais leur roi persistait à se taire, c'est donc le vieux nain qui se chargea de répondre. 

— Gandalf nous a laissés à l'orée de la forêt. Il doit nous rejoindre plus tard, devant Erebor. Quant au hobbit... euh... nous l'avons perdu dans les bois. 

— Donc il est seul avec ces araignées qui rôdent !

— J'en ai bien peur...

— Je serais vous, je ne m'en ferais pas pour lui. Il s'est déjà sorti de situations bien plus délicates, ajouta un nain plus éloigné. 

— Une elfe qui se soucie d'autrui, on aura tout vu ! se moqua Thorin. 

Mina l'ignora et s'adressa de nouveau au vieux nain aux cheveux blancs.

— Si vous me le demandez, j'irai le chercher.

— Pourquoi feriez-vous cela ?

— Parce que vous avez besoin de lui... Ce n'est pas pour rien que Gandalf l'a incité à quitter la Comté.

— Et que voudrez-vous en retour ? interrogea Thorin. 

— Le droit d'entrer dans Erebor.

— Je m'en doutais... C'est non ! Occupez-vous de vos affaires ! 

— Justement, Smaug est mon affaire ! rétorqua-t-elle. 

— Thorin, commença Balin. Si elle dit qu'elle peut retrouver Bilbon et en plus nous débarrasser du dragon, pourquoi ne pas la laisser faire ? Une fois que le dragon aura déserté les lieux, nous n'aurons plus qu'à entrer pour chercher l'Arkenstone, souligna-t-il avec bon sens.

— Nous ne pouvons pas faire confiance aux elfes, rappela Thorin. 

Cette fois, même le vieux nain laissa tomber et soupira devant le caractère buté de son roi. 

— Dans ce cas, comme vous voudrez ! Je vais faire à ma guise que cela vous plaise ou non ! trancha-t-elle. 

Les nains prévenus, elle rejoignit la servante qui patientait et elles se remirent en route pour les quartiers de Caladhiel.