Jeux de Nains

Chapitre 18 : Nains

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:13

« Il nous faudra peut-être encore deux jours pour atteindre les ruines, puis un de plus pour arriver aux montagnes. De là, nous chercherons cette porte magique. Si on arrive à l'ouvrir, notre bon hobbit pénétrera dans la forteresse. Sinon, nous passeront au plan suivant : entrer par la grande porte et tenter de vaincre Smaug. »

Thorin était devenu de plus en plus autoritaire depuis qu'ils avaient quitté la forêt ; depuis qu'Erebor et Dale étaient en vue. Les nains paraissaient eux aussi impatients, comme si une sorte de rage animale palpitait en eux. Gandalf observait les alentours avec une inquiétude qu'il avait du mal à cacher. Il souffrait encore de sa jambe, bien que sa magie ait réussi à endiguer le danger de la cassure de l'os. Bilbo et Lenka, eux, restaient à part, laissant leurs petits amis à leur joie de revoir leur ancien chez eux. Ils comprenaient ce sentiment d'exaltation, également, à l'idée d'avoir bientôt fini leur quête si longue.

Ils reprirent la marche, d'un pas pressé. Thorin était en tête, seul, rapide ; il semblait qu'il n'atteindrait jamais assez vite l'antre du dragon. Balin lui-même avait l'air assez mécontent de son empressement. Le soir, ils s'arrêtèrent près d'une falaise et firent un feu pour y cuire les maigres restes de viande. Il n'y avait pas assez pour manger à leur faim, mais ils ne dirent rien là dessus. Bilbo soupira puis geignit, songeant tout haut à une bonne tasse de thé chaude ; Dwalin lui se mit à parler des bières d'Erebor, à la robe aussi blonde qu'un champ de blé, au goût frais, pétillant, aux flots agréables.

« Cela ne m'étonne pas, mon vieil ami, que ce que tu regrettes le plus d'Erebor soit son alcool ! » fit une voix toute proche.

Tous se tournèrent pour voir de qui il s'agissait ; de quoi il s'agissait. Une silhouette ramassée était assise sur un piton rocheux. Dwalin plissa les yeux tandis que Thorin et Balin se levaient, Bifur éclatant d'un petit rire incertain.

« Belos ? » fit enfin Dwalin, en passant une main sur son crâne, l'air embarrassé.

« J'ai cru que tu ne me reconnaîtrais pas. Ho, vous tous ! Sortez ! »

Alors que la silhouette tombait au milieu du camp, révélant un nain trapu, ventru, vêtu d'une cotte de maille, d'habits de cuir et d'une barbe fournie aux poils poivres et sel, d'autres silhouettes sortirent de divers trous de la falaise, révélant un groupe assez important de nains. Les douze nains se mirent à embrasser des cousins, des frères, des oncles qu'ils n'avaient pas revu depuis longtemps. Seul Thorin resta là à les regarder, interdit. Lenka eut un pincement au coeur. Il avait l'air perdu, triste ; avait-il espéré voir quelqu'un ?

« Est-ce moi que tu cherches, mon prince ? » fit une voix féminine.

Le roi se retourna et vit en face de lui une naine aux cheveux noirs et aux yeux bleus pétillants. Elle portait une robe étrange, à la fois tunique et atour féminin ; sa corpulence était opulente, à peu près de la taille de Bombur. Elle s'approcha du prince et s'inclina doucement ; tous purent voir à son front un cercle d'argent. Lenka l'observa avec surprise ; une naine, comme elle ? Mais l'étonnement passé laissa place à un sentiment de colère, de jalousie : elle et Thorin avaient l'air de se connaître. Quand elle vit le nain s'approcher d'elle et lui baiser la main avec des manières polies, elle crut que son coeur allait se briser. Il avait un sourire sincère, affectueux. Quand ils se serrèrent l'un contre l'autre, elle ne put résister et se leva pour s'en aller, mais on ne lui en laissa pas l'occasion.

« Qui est la petite nouvelle ? » demanda la voix du dénommé Belos, et la plupart des nouveaux venus se posèrent sur elle, intéressés. Lenka se sentit fière de ne pas rougir sous tous ces regards, et en croisa la plupart, le menton levé, la tête haute.

« Je m'appelle Lenka. »

Dwalin fit les présentations avec Belos, qui semblait être un nain important ; il se révéla être un noble d'un rang élevé. Lenka ne comprit pas tous les prénoms et les noms de clans qui furent cités, mais elle se sentit soulagée de ne plus voir Thorin et son amie.
 

Idra aussi fut présentée, et même si les nains étaient heureux de voir une nouvelle naine, elle fit plus d'impression que la naine blonde : sa race était devenue rare, car les Morragols les avaient mis en esclavage durant un temps. La soirée se passa en rires et souvenirs, puis Bélos s'approcha de Thorin et de la naine aux cheveux bruns.

« Nous nous sommes établis dans la falaise ; voulez-vous venir avec moi mon prince ? A  moins que ... Laissons ma fille lui montrer nos nouveaux lieux d'habitation » fit-il et beaucoup éclatèrent de rire ; tous sauf le groupe. Bilbo chercha à atteindre le regard de Lenka mais elle les gardait baissé sur ses pieds.

Ils suivirent les nombreux hôtes dans les falaises difficiles d'accès ; Lenka fuyait la compagnie de ses amis. Bilbo monta aux côtés de Gandalf, l'exaspérant plus que ne l'aidant, avec ses questions et ses bavardages.

« Thorin m'a l'air trop empressé de faire ce qu'il doit faire » grogna le magicien, tout derrière la troupe immense de nains.

« Il veut récupérer ce que le dragon lui a prit. »

« Je sens autre chose derrière cette impatience » fit Gandalf, et la discussion s'arrêta là, sur son ton inquiet.

Les nains leur montrèrent leur réseau dans les falaises ; ce n'était qu'une partie de l'iceberg. Ils avaient creusé profondément, mais pas trop, de peur d'attirer les foudres du dragon pas très loin de là. Tout avait été aménagé avec détail : les réseaux de boyaux menaient à des salles au plafond haut, l'atmosphère bien qu'un peu froide n'était pas humide, et des décorations étaient gravés dans les murs de pierre grise. Belos mena les nouveaux venus à la salle à manger, grand boyau bien éclairé. Une table accueillit tout le monde, et ils furent invités à manger. Lenka jeta un coup d'oeil autour et vit la naine brune prendre la main de Thorin et s'enfoncer avec lui dans les ténèbres d'un petit couloir. Le coeur de la naine s'arrêta, mais elle devait en être sûre ; sa curiosité fut plus forte que sa raison qui lui soufflait qu'il était assez grand pour faire ce qu'il avait envie, qu'elle n'avait pas à s'en mêler : discrètement, pendant que tous s'asseyaient autour de la grande table, elle les suivit.

Elle prenait garde à ne pas faire de bruit. Elle s'arrêta à un tournant en entendant du bruit ; elle s'avança doucement pour pouvoir les voir, faisant dépasser sa tête d'un piton de roche grise. De toute façon, ce couloir était éclairé de deux torches dont la lumière éclairaient de rayons pâles. Ils ne regardaient pas dans sa direction. Ils étaient assis sur un banc de bois, l'un contre l'autre. Thorin la tenait dans ses bras. Elle entendait mal ce qu'ils disaient et essayait de boucher les trous par son imagination.

« Tu m'as manqué, tu sais. Depuis la dernière fois que nous avons fouetté un chat. »

Lenka haussa les sourcils ; la distance lui faisait comprendre très mal des mots. Ils n'avaient pas pu fouetter un chat quand même.

« Toi aussi Béline. J''aurais tellement aimé que tu m'accompagnes quand les sous comme des fruits. »

Lenka grogna tout bas et s'approcha un peu plus, cachée comme elle pouvait. Elle voulait entendre ce qu'ils se disaient, même si c'était mal. Elle voulait être sûr de ce qu'elle pensait : Thorin était fiancé à elle. Elle était la fille de Bélos ; ce dernier avait accueilli Thorin comme son fil. Elle avait le coeur battant la chamade.

« Il y a eut tant de changements depuis la dernière fois. »

La voix de Thorin ; grave, basse, mélodieuse. Lenka avait envie de se lever et de les frapper tout les deux. Mais elle se retenait. Pour le moment.

« Tu as quelque chose de changé. Est-ce à cause de ce que je pense ? » fit la voix de Béline, et elle eut un rire gracieux, emporté, noble. Elle porta sa main sur son bras d'un air affecté et lui caressa la main.

« Je ne peux rien te cacher, bien sûr. Ce n'est pas pour rien, je suppose, que nous avons grandi ensemble. Ta présence m'a manqué, ma douce. J'aurais aimé que tu vienne avec moi quand je suis parti d'ici, mais tu voulais rester avec ton père ... Ce cher vieux fou ... »

Ils restèrent un moment ensemble, serrés, puis se levèrent, et Lenka se cacha derrière le mur. Et si ils décidaient de partir dans sa direction ? Elle pensait en avoir assez entendu ; elle allait partir, mais elle jeta un dernier coup d'oeil.

Thorin sourit, Béline murmura quelque chose, et ils s'embrassèrent. Il se pencha vers elle, caressa sa joue, et déposa ses lèvres sur celles de la naine, offertes.

Lenka se releva, se cogna le front. Elle retint un grognement mais c'était trop tard. Béline s'était décollée de Thorin et le nain lui lançait un regard acéré. Elle suffoquait, serra les poings, jura et se mit à courir en direction de la salle. Elle courut, esquivant les nains qui venaient dans ce sens. Elle dût se perdre, car elle se retrouva dans des boyaux plus sombres. Thorin criait derrière elle son prénom, mais elle ne voulait pas lui parler. Elle trouva un couloir étroit et s'y faufila, se fichant de ce qu'il y avait au fond.

Elle arriva à un endroit où les roches étaient trop serrées, elle ne pouvait plus bouger ; elle se recroquevilla et resta là, ignorant les appels de Thorin, puis de Béline, de Dwalin, des nains. Thorin leur expliqua la situation à grands cris, mais Lenka resta là, silencieuse, les ténèbres l'entourant comme une chape protectrice.

Tout devint calme, puis un bruit lui fit ouvrir les yeux. Elle s'était endormie. Bilbo se glissa jusqu'à elle, le plus apte à s'y faufiler. Il paraissait seul. Il se roula en boule près d'elle, et comprenant que rien de ce qu'il pourrait dire ne la réconforterait, lui offrit son épaule, la serrant contre lui. Elle ne pleura pas, restant le front collé sur la poitrine du hobbit, pendant qu'il chantonnait doucement, caressant ses cheveux. Elle s'endormit de nouveau au son d'une berceuse.

Quand elle se réveilla, elle était allongée dans un lit. Elle se redressa et grimaça ; elle s'était blessée en bougeant dans le boyau étroit ; des petits éclats de pierre lui étaient rentré dans la chair sans qu'elle s'en rende compte et lui faisait à présent mal. Elle soupira et sentit un regard sur elle : Thorin la regardait, assis sur une chaise, l'air désapprobateur. Il avait l'air fatigué. Lenka eut envie de lui cracher au visage, mais ne réussit qu'à montrer les dents comme un animal, le visage rouge de colère. Il s'était moqué d'elle, depuis tout ce temps. Il l'avait prise, puis il la jetait, comme un objet. Elle le haïssait du plus profond de son coeur. Elle aurait aimé le rouer de coups.

« Mange cela. »

Il lui tendit un bol de soupe chaude, fumante, aux odeurs alléchantes, épicées, mais la naine fit non de la tête ; quand il tenta de l'approcher plus près, elle renversa le bol en criant.

« Laisse moi tranquille ! »

Thorin plissa les paupières mais ne dit rien et ramassa le bol et la cuillère sur le sol ; la soupe était tombée par terre, et il l'essuya d'un chiffon, aussi bien qu'il pouvait. Il se rassit et resta là, immobile. Lenka se leva et se planta devant lui ; à sa grande gêne, elle était habillée d'une espèce de robe. Une chemise de nuit.

« Va t'en. Je ne veux plus te voir. »

Thorin se leva doucement et planta son regard acéré dans celui de la naine. Il avait l'air de vouloir dire quelque chose. Mais elle ne voulait pas le laisser s'expliquer. Elle lui tourna le dos et se rallongea, lui tourna le dos.

« On m'avait dit d'être gentil avec toi, mais tu es vraiment une tête de mule, hein ! » s'énerva t-il soudain.

Lenka se redressa, bouillonnante ; elle lui lança un regard furibond et se mit à crier elle aussi, les poings serrés.

« D'être gentil, hein ? J'ai pas besoin de toi ou de ta gentillesse ! »

« T'es vraiment bouchée, pour une naine ! Tu ne peux pas réfléchir un peu plutôt que de te fier à ce que tu vois, hein ? T'as la tête aussi vide que celle d'un elfe ! Je ne sais pas ce qui m'a pris de ... »

« De quoi hein ? Finis ta phrase ! De jouer avec moi ? Tu n'as qu'à retourner avec ta promise ! Oui, j'ai deviné ! » éructa t-elle, postillonnant même de rage en voyant l'air de Thorin se refermer doucement. Elle cessa de crier, essoufflée. Il soupira, secoua la tête.

« Je ne sais pas ce qui m'a pris de tomber amoureux de toi » lâcha t-il, avec dans la voix un sentiment indéfinissable.

Lenka resta un instant interdite, puis cracha à terre. Elle n'en croyait pas un mot ; pourtant, en elle s'était allumée la lumière de l'espoir. Elle s'efforça de l'étouffer, de marcher dessus, de renverser un tonneau d'eau sur les braises qu'il venait d'allumer méchamment. C'était cruel de faire naître cet espoir en elle.

« Tu dis n'importe quoi » souffla t-elle, sans réussir à y mettre la colère qu'elle avait espéré. Pourtant, il n'avait pas l'air de mentir. Elle ne l'avait jamais vu mentir ; savait-elle au moins l'air qu'il avait en proférant des mensonges ? Non. Sa raison essayait de reprendre le dessus sur son instinct.

« Si tu le dis. »

Thorin se referma et se leva. C'était peine perdu ; peut-être avait-il eu une chance avant qu'il ne dise adieu à son amie d'enfance. Oui, elle lui avait été promise, mais il n'avait pas été amoureux d'elle, au cours de toutes ces années. Il l'avait accepté, car elle était son amie et leurs pères étaient d'accord ; mieux valait un mariage avec deux jeunes gens qui s'apprécient, même si ils ne s'aiment pas. Mais à présent qu'il avait connu Lenka, il désirait la faire sienne, l'offrir au peuple en tant que reine. Mais il n'avait jamais été sûr de ce qu'elle avait pu ressentir, elle. Il soupira et s'éloigna à pas lourds.

Lenka l'étreignit par l'arrière, ses mains se serrant sur la poitrine de Thorin. Elle dit quelque chose, mais sa bouche était collée à son manteau. Il grogna.

« Je dis que je t'aime  moi aussi, espèce de gros ours bourru ! » cria t-elle en se décollant de lui et en faisant quelques pas en arrière.


Thorin se retourna vers elle. Leurs regards se croisèrent ; il avait l'impression qu'elle l'engueulait plus qu'elle ne lui déclarait son amour, et pourtant il flambait dans ses yeux verts. Elle se tenait droite, fière, rouge pivoine. Il sourit, puis éclata de rire. Le soulagement qu'il ressentit de savoir cela le laissa pantelant ; une voix cruelle dans sa tête lui rappela pourtant que sa quête était loin d'être finie. Mais il ne voulait pas y penser pour le moment. Du moins pas pour cette nuit. Il fit un pas dans la direction de Lenka. Mais elle recula d'un pas, farouchement résolue à savoir le fin mot de l'histoire.

« Pourquoi ce baiser, tout à l'heure, avec la naine ? »

« Nous étions promis avant qu'Erebor ne soit détruite. Nos pères étaient amis ; nous aussi. Nous avons grandi ensemble. Je l'aime, c'est vrai, mais comme ma soeur. Nous avons vécu trop longtemps ensemble pour avoir développé un amour autre que familial. »

Lenka fit la moue ; elle avait envie de ne pas le croire, mais en elle les braises rugirent sous un feu flamboyant. Elle s'approcha enfin et le bourra de petits coups de poing. Elle aurait voulu le tabasser à mort pour la douleur qu'elle avait enduré par sa faute. Elle inspira un grand coup, le laissa faire quand il se pencha et l'embrassa. Elle avait le sentiment que cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas embrassé ses lèvres. Elle se laissa happer par sa chaleur et sa tendresse bourrue.

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