Jeux de Nains

Chapitre 17 : Forêt Noire

Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/02/2013 05:17

Ils marchaient sur un sentier, avec Idra comme guide. Elle avait apparemment vécu de longues années dans cette forêt, ramenant aux Mères des proies pour leur dîner, quand ce n'était pas les Morragols qui s'en chargeaient. Thorin marchait à ses côtés, curieux.

« Avant de partir, j'ai observé ces femelles ... Elles étaient comme changée en pierre. Qu'avez-vous fait ? »

« J'ai glissé dans ma mixture des herbes de mon peuple, qui servaient à apaiser les souffrance et à envoyer l'âme dans l'au-delà quand l'heure était venu. Je ne savais pas ce que cela leur ferait ; j'avais peur qu'elles n'aient pas d'âmes. Je ne sais pas pourquoi elles se sont ainsi figées. Mais tant mieux, hein. »

Elle était assez bavarde, mais cela ne dérangeait pas le nain qui appréciait sa compagnie. Elle les avait après tout sauvés. Et puis, quand il lui parlait, il oubliait la présence de Lenka. Mais il ne tenait pas à tomber dans le piège, et tenait cependant ses émotions à bride raccourcie. Il ne ferait pas l'erreur de tomber encore amoureux. Si tant est qu'il l'avait été, songea t-il en se reprenant.

Gandalf fermait la marche, s'appuyant sur son bâton pour éviter à sa jambe blessée de toucher le sol. Bilbo et la naine lui tenaient compagnie.

« Je serais heureux lorsque nous serons sortis de cette forêt » soupira Bilbo, et retirant de ses cheveux une feuille morte.

Lenka ne disait rien ; cette aventure lui avait semblé de trop. Comme une goutte d'eau qui ferait déborder le vase. Elle songeait qu'elle n'aurait pas dû venir. Cela lui avait semblé drôle, au début, et elle se disait qu'elle pourrait toujours se défendre. Mais elle n'avait aucune envie de mourir pour cette quête qui n'était pas la sienne. Elle les quitterait une fois sortie de la forêt. Elle ne supportait plus tout cela.

« Nous sommes vivants, voilà l'important » philosopha le hobbit, ce qui lui valut un petit rire du magicien.

« Pourquoi n'avons-nous pas fait demi-tour lorsque nous avons vu que cette forêt était hostile ? Pourquoi vouloir absolument aller en ligne droite, le dragon ne va pas se sauver » fit la naine, en regrettant son ton acerbe.

« Je pense qu'il faut toujours continuer sur la lancée que l'on se donne. Faire demi-tour aurait voulu dire que nous avions échoué. Nous avons déjà surmonté des épreuves ; je pense aussi que nos amis nains sont impatients de se retrouver chez eux. Et puis les nains ont soif d'aventures. Ils aiment se battre. Pourquoi leur refuser ce plaisir ? » grimaça t-il en évitant un rocher, la main sur sa jambe bandée.

Lenka ne répondit pas. Ils s'arrêtèrent et sortirent ce qu'ils avaient réussi à récupérer du camp des Morragols. Leurs propres affaires, quelques babioles, mais rien de prestigieux. Idra avait prit ses ustensiles de cuisine et alluma un feu, leur assurant qu'en brûlant une certaine sorte de bois, cela ne faisait que peu de fumée - d'une couleur translucide, d'ailleurs. Lenka sortit son arc et décida d'aller chasser. Elle aurait aimé y aller seule, mais Kili, Fili, Dwalin et Bifur lui interdirent d'y aller sans compagnie et vinrent avec elle.

« Vous avez la tête de quelqu'un qui a un pied dans la tombe » grogna Dwalin tandis qu'ils arpentaient la forêt, non sans laisser des traces derrière eux pour se retrouver. Lenka lui jeta un regard noir. Elle avait l'impression de ne plus être la même. Elle détestait ce sentiment. Elle inspira, et se força à relativiser.

« Ha les jeunes » soupira le nain avec un large sourire.

Lenka rougit un peu mais lui donna un coup de poing dans le bras ; il éclata d'un rire tonitruant qui résonna dans la forêt, puis il y eu un chahut dans les branches. Des oiseaux aux plumages tapageurs s'envolèrent, et Kili en profita pour en tuer quelques uns. Ils les ramassèrent et décidèrent de chasser un plus gros gibier ou d'autres proies, pour nourrir tout le monde à l'aise. Ils avaient tous besoin d'un bon repas.

« Regardez, des traces sur l'humus. »

Fili s'agenouilla avec Kili et ils inspectèrent les empreintes. Trois doigts bien écartés, profondément enfoncés dans la terre meuble. Cela ne ressemblait à rien qu'ils connaissaient ; Dwalin haussa les épaules.

« Sûrement un gros sanglier. Ou un lapin avec des sabots. »

Ils eurent un sourire narquois mais suivirent la piste. Ils s'arrêtèrent finalement là elle s'arrêtait : en plein milieu d'une sente. Ils regardèrent un peu partout ; nulle trace d'un animal. C'était étrange. Ils tombèrent sur deux bêtes ressemblant à des lièvres, et retournèrent au camp, ramenant quatre oiseaux aux plumages magnifique et deux lapins aux gueules garnies de crocs.

« Il semblerait que les créatures ici se soient adaptées à un environnement plus qu'hostile » fit remarquer Balin en dépeçant l'animal. Ils embrochèrent la viande et la firent cuire au dessus d'un feu qui dégageait une odeur de sapin ; Idra y avait jeté quelques épices pour donner du goût à la viande. La graisse se mit à fondre, et tandis que les gouttelettes grésillaient dans les flammes, une odeur alléchante se mit à onduler dans l'air, faisant résonner les estomacs affamés du groupe.

La viande fût enfin cuite et ils firent ripaille ; lorsqu'ils eurent fini leur part, Dwalin et Balin sortirent leurs instruments : deux belles flûtes taillées dans de l'os, sûrement un tibia d'un cerf. Ils se mirent à jouer de concert, et contre toute attente, les nains entamèrent une mélopée, un son rauque venant de leurs gorges. Ce n'était pas un chant, mais un rythme simple, entraînant. Lenka avait envie de se joindre à eux, mais n'était pas douée pour ça et se contenta d'écouter. Elle eut un frisson en entendant la voix basse de Thorin se mettre à chanter.

« Loin au-delà des montagnes froides et embrumées

Vers des cachots profonds et d'antiques cavernes

Il nous faut aller avant le lever du jour

En quête de l'or pâle et enchanté.

Les nains de jadis jetaient de puissants charmes

Quand les marteaux tombaient comme des cloches sonnantes

En des lieux profonds, où dorment les choses ténébreuses

Dans les salles caverneuses sous les montagnes.

Pour un antique roi et un seigneur lutin,

Là, maints amas dorés et miroitants

Ils façonnèrent et forgèrent, et la lumière ils attrapèrent

Pour la cacher dans les gemmes sur la garde de l'épée.

Sur des colliers d'argent ils enfilèrent

Les étoiles en fleur ; sur des couronnes ils accrochèrent

Le feu-dragon ; en fils torsadés ils maillèrent

La lumière de la lune et du soleil. » [1]

Lenka se rendit compte de l'atmosphère ; non pas mélancolique ou bon enfant, mais une sourde colère mêlée à une fierté sans nom. Elle se sentait elle aussi conquise non seulement par la voix de Thorin, mais par ce chant de nain. Elle était l'une des leur, et sa lâcheté de la journée lui fit monter le rouge aux joues. Elle ne pouvait pas les quitter comme cela ; cette quête était aussi la sienne. Elle était une naine, et elle se battrait, non pour ce peuple qu'elle n'avait jamais connu mais pour les nains qu'elle connaissait. Ne méritaient-ils pas, tous, qu'elle se batte à leurs côtés ? Et surtout, Thorin ne méritait-il pas de reprendre ce qui lui revenait de droit ? Il en avait le pouvoir. Il en avait le droit légitime. Elle sourit, le feu se rallumant dans ses yeux ; elle tenta de croiser le regard de Thorin mais celui-ci l'évita.

Le chant cessa enfin, les dernières notes résonnant. Un sentiment d'entière satisfaction rayonnait à travers les nains. Bilbo et Gandalf, ainsi que Idra, observèrent leurs amis ; ils avaient été touchés, eux aussi, par la musique, les paroles, mais ils n'avaient pas ressentis ce sentiment de plénitude à entendre parler des contrées nains. Ils n'avaient pas ressenti ce que Lenka avait pu ressentir, car ils n'étaient pas des nains.

Ils rangèrent leurs affaires et repartirent d'un pas plus assuré, plus vif, le courage au coeur. Balin et Dwalin jouèrent de la flûte tout le long de leur trajet dans la forêt ; ils répétaient que cela effraierait les animaux et que cela amènerait peut-être un peu de danger, de quoi combattre un bon coup ; ils avaient tous été frustrés devant leur vulnérabilité au camp des Morragols. Peut-être à cause de la mort des Morragols, ils échappèrent aux enchantements de la forêt. Ils n'y eut plus de dispute ni de coups. Et ils trouvèrent presque dommage de sortir de la forêt, sur une lande en plein soleil d'après-midi, les ruines de Dale en vue, Erebor juste derrière. Leurs coeurs se gonflèrent de plaisir. Ils y étaient presque. Sur le visage du roi nain se dessina un sourire carnassier. Ils étaient enfin sortis de la forêt ; ils arrivaient enfin chez eux.

[1] Pour ceux qui ont lu le Hobbit de Tolkien, oui j'ai repris un morceau du chant des nains du début :3

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