Jeux de Nains

Chapitre 9 : Vertu

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 09:56

Lenka se réveilla au bruit de cris et d'assiettes qu'on lavait. Un bruit d'eau. Des oiseaux aussi. Elle se redressa ; la chambre était vide. Bien sûr. Elle et Bilbo s'étaient quittés la veille au soir, et le hobbit avait été heureux de la voir tranquillisée au sujet de la chanteuse, même si aucun d'eux ne paraissait l'aimer. Lenka, avec l'instinct d'une femme, voyait en elle comme un livre ouvert. Ce n'était pas difficile : elle comptait s'en prendre aux nains, leur voler leurs coeurs, leurs corps, et leur or si c'était possible. Elle la dégoûtait. La naine se leva et après avoir fait une rapide toilette, s'habilla et descendit prendre son petit déjeuner. Gandalf avait laissé un mot disant qu'il partait voir quels objets vendait le marché un peu plus loin. Personne n'avait l'air d'être encore réveillé.

Elle but une chope de bière fade, sans autre goût que celui de l'orge, et mangea sans appétit le rôti froid et la tranche de pain qui lui furent servis. Elle se leva enfin et marcha jusqu'à la cour intérieur, où étaient élevés les poulets et les cochons de l'auberge, permettant de donner aux clients une viandes et des oeufs frais. Quelle ne fut pas sa surprise de voir, torse nu dans la cour, un Thorin en train de s'entraîner à l'épée ! Elle resta là, un instant, interdite, ne pouvant - ni ne souhaitant - bouger. Ses muscles sous sa peau formaient des vagues - même si son épaule semblait encore douloureuses à cause de la blessure mal cicatrisée - , alors que ses épaules massives soulevaient l'épée pour la faire s'écraser sur un ballot de paille, ne laissant aucune chance aux pauvres brins dorés. Sa barbe et ses cheveux étaient tressés pour ne pas le gêner, et il avait l'air très concentré. Son sourcils étaient froncés sous l'effort, mais son visage avait perdu de cet air bougon qu'il avait habituellement. Il avait l'air d'un nain en pleine forme, et cela fit plaisir à Lenka. Jusqu'au moment où elle songea qu'il avait peut-être passé la nuit avec la chanteuse. Ses joues rougirent et elle s'approcha d'un pas lourd.

Thorin faillit lui trancher le ventre d'un mouvement circulaire, mais il s'arrêta avant de lui faire mal, contrôlant son épée comme si c'était un extension de son bras. Il posa son regard sombre sur la naine et prit un air surpris, puis en colère.

« J'aurais pu vous blesser. »

« Vous ne l'avez pas fait. »

Lenka avait espéré autre chose comme début de conversation. Elle soupira et s'éloigna de quelques pas, sans pour autant sortir du champ de vision du nain. Elle s'assit sur un autre ballot un peu plus loin, déjà découpé en menus morceaux. Apparemment, il avait besoin de se défouler. Pourquoi ? La chanteuse lui avait dit non ?

« La nuit a été bonne ? » demanda t-elle, perfide, et elle rougit du ton de sa voix. Ca ne lui ressemblait pas d'être aussi mesquine, mais elle n'avait pu s'empêcher.

« Aussi bonne que la vôtre je suppose. » répliqua t-il sur le même ton.

Thorin avait été extrêmement jaloux de voir la naine monter avec le hobbit. Et il avait lui aussi commencé à s'imaginer des choses. Peut-être que ces deux-là menaient une histoire d'amour tambour battant ? Après tout, le Hobbit avait tout de suite été son ami, et ils avaient depuis sont arrivée été très proches. Il en voulait à ses deux amis, et surtout à Lenka. Il ne comprenait pas en quoi il lui en voulait, peut-être de le délaisser. Mais jamais il n'aurait fait allusion à ce sentiment, quand bien même on lui aurait mis un couteau sous la gorge. Il reprit son entraînement, sentant le froid l'engourdir alors qu'il s'était arrêté.

« Vous voulez dire que vous avez ... Enfin ... »

La naine ne savait comment formuler sa question, et se faisait l'effet d'une idiote. Elle inspira puis se redressa, comme si cela pouvait l'aider à prendre courage.

« Vous avez dormi avec les nains ? »

« Bien sûr. »

Thorin cessa d'abattre son épée et lui jeta un regard en coin. Que croyait-elle, exactement ? Oh. Il voyait. Elle pensait qu'il avait passé la nuit avec Mliwyn. C'est vrai que l'idée l'avait tenté, mais il n'avait pas pu. Pour bien des raisons, et à son grand dam, Lenka était l'une d'elle. En la voyant monter avec Bilbo, il avait eu envie de coucher avec la chanteuse. Pour faire du mal à la naine. Il voyait bien que, malgré leurs déboires et leurs disputes, ils s'étaient lié d'une façon ou d'une autre.

« Venez. Devant moi. »

Son ton était impérieux, et Lenka faillit protester. Mais lorsque son regard accrocha le sien, elle n'y vit aucune méchanceté, aucune colère. Elle n'y vit qu'une malice mal dissimulée. Curieuse, elle s'approcha.

« Retirez votre veste. »

Lenka le regarda, soupçonneuse, mais obtempéra. Elle déposa sa veste de cuir sur le ballot de paille où elle s'était assise, et se retrouva en pantalon, pardessus de cuir et chemise de lin sous le vent froid. Elle ne savait pas ce qu'il voulait.

« Maintenant vos bijoux. Et votre pardessus. »

Lenka grogna mais, docilement, fit ce qu'il demandait. Elle se redressa et le vit s'éloigner pour prendre quelque chose. Il lui lança une épée, de la taille d'un homme, gigantesque, aussi coupante qu'un couteau de boucher. Lenka n'eut pas vraiment de mal à la soulever, mais il n'y avait aucune grâce dans ses mouvements. Elle était habile à l'arc et au couteau, mais pas à l'épée. Les arts qui demandaient du doigté n'étaient pas pour elle ; elle n'était que force brute.

« Je vais vous apprendre à vous battre. »

« Je sais déjà me battre » dit-elle en souriant.

Mais elle leva son épée. Thorin lui montra comment tenir une garde, pour être capable d'enfoncer l'épée, de parer une attaque ou de se défendre de plusieurs assaillants. Lenka trouva rapidement la position à prendre, mais la suite fut plus difficile. Ses coups étaient désordonnés et manquaient de la souplesse et de la précision que demandaient certaines attaques. Thorin riait de la voir essayer de se dépêtrer dans ses mouvements, et elle-même riait de ses blagues, parfois il se montrait drôle, et doux, et il faisait un bon professeur, à son grand étonnement. Mais il remarqua avec embarras qu'elle était gênée par sa poitrine, qui gênait les mouvements de ses bras.

« Vous regardez quoi, là, exactement ? » demanda t-elle, mi-figue mi-raisin en le voyant observer sa poitrine. Devait-elle en être flattée ? Elle eut un large sourire en le voyant rougir et détourner le regard. Qu'imaginait-il exactement ? Elle s'approcha un peu, voulant savoir à quoi il pensait. Il se retourna, et ils se retrouvèrent nez à nez, leurs souffles se mêlant presque. La barbe de Thorin chatouillait le menton de Lenka, et ses cheveux effleuraient le nez du nain. Ils restèrent là, à se regarder ; elle pouvait voir les lueurs dans ses yeux sombres, les rougeurs sur ses joues, son front aux rides creusées. Il voulut détourner le visage, mais elle l'en empêcha. Elle se mit sur la pointe des pied, remarquant ainsi qu'il était un peu plus grand qu'elle, et dans un mouvement impulsif, approcha leurs lèvres.

« Thorin, je te cherchais ! Qu'est-ce que vous faites ?! »

Ils se séparèrent d'un bond, espérant peut-être qu'une grande distance effacerait ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Lenka fusilla du regard Mliwyn, sur le pas de la porte ; habillée d'une robe de dentelle bleue et de soie verte, elle ressemblait à une flaque d'eau, mais ses cheveux roux, ses lèvres pulpeuses, son visage sévère aux traits altiers. Tout chez elle la faisait se distinguer des autres femmes, mais pour Lenka, elle restait vulgaire.

La naine s'en alla, s'enfuit même. Elle ne courrait pas, mais presque ; elle lâcha son épée et ne récupéra pas ses affaires. Elle se sentait le coeur lourd ; elle alla s'asseoir à la table et frappa dans le bois avec force. Puis dans un soupir remonta pour se laver un peu mieux ; elle était couverte de sueur et sa chemise empestait. Ses cheveux étaient collés à son front.

Mliwyn s'approcha de Thorin qui avait détourné les yeux, le visage fermé. Elle vit bien qu'il n'était pas question de ce qu'elle avait vu, et tenta une approche.

« Il y a un bal masqué ce soir, et j'avais prévu de faire plus ample connaissance avec Lenka, peut-être en allant faire le marché avec elle, lui trouver une robe ... »

« Fais donc. »

Il n'en dirait pas plus ; Mliwyn soupira et s'en alla. Elle ne recroisa pas Lenka, et c'était tant mieux pour la naine. La chanteuse avait plus d'un tour dans son sac, et elle comptait bien prendre la place de cette rustre dans la troupe. Tous avaient l'air gentil, mais certains étaient carrément niais. Mais même si elle pouvait emballer les petits jeunes - les vieux ne l'intéresseraient que si ils avaient de quoi lui fournir vêtements et bijoux - celui qui l'intéressait était Thorin. Un roi nain ! Elle s'imaginait déjà reine. Bon, elle ferait peut-être tâche en étant trop grande, mais n'avait-elle pas les atouts qu'il fallait à une reine ? Plus que cette naine blonde, aux manières de sauvages. Elle retourna sur la scène, contente de les avoir interrompu avant qu'ils n'aillent plus loin.

Thorin resta immobile, même lorsqu'une pluie fine, froide, glacée, s'infiltrant partout, tomba. Il soupira, ferma les yeux, inspira profondément.

« Tu n'aurais pas pu plus mal tomber » prononça t-il à voix basse.

Puis il récupéra ses affaires et se rhabilla de sa chemise et de ses vestes de cuir et de fourrure. Une vague de chaleur s'empara de lui et de ses membres gourds. Il remarqua alors que le ballot de foin la chemise, les bijoux et la surveste de Lenka. Il est vrai qu'elle les avait laissé là. Elle s'était littéralement enfuie, même si elle avait essayé de sauver les apparences. Avait-il rêvé, ou c'était elle qui était venue à lui ? S'était-il penché ? Avait-il voulu ce baiser ? Ce presque baiser ? Il avait senti son souffle, vu ses grands yeux d'un vert sombre, rieurs. Il secoua la tête. Il était temps d'aller se laver.

Quand il se fut débarbouillé et habillés de vêtements propres, il rejoignit la confrérie qui déjeunait tranquillement. Lenka était parmi eux, en train de discuter avec Bilbo. Ils s'amusaient avec la confiture et Thorin soupira, mi-amusé mi-agacé. Il s'assit et partagea avec ses amis la nourriture. Gandalf arriva à la fin du repas, ramenant diverses fioles et herbes séchées. Il avait l'air content de lui.

« Thorin, je pourrais tenter une nouveau remède mais j'ai peur qu'il n'agisse pas tout de suite. Nous ... Oui ? »

Le magicien s'était tourné vers Mliwyn qui, avec d'autres jeunes femmes aux atours tout aussi séduisants, attendait de pouvoir prendre la parole. Fili et Kili se donnèrent des coups de coudes en observant les demoiselles aux jupes retroussées et aux cuisses dodues. Lenka eut un soupir, et Kili lui jeta un regard, puis se détourna.

« Ce soir, nous célébrerons le Roi Thorin avec un bal masqué où tout le monde participera. Nous aimerions donc emmener Lenka faire des emplettes. »

Silence. Mliwyn, prenant ses aises, s'approcha de la demoiselle et lui posa une main sur l'épaule. D'apparence gentil, ce geste était comme une marque de possession, et la naine sentit les ongles pointus s'enfoncer dans sa chair. Une harpie.

« Mais je n'ai pas ... ! » se mit-elle à protester mais Mliwyn la coupa, évitant aux autres de pouvoir protester à leur tour.

« Nous ne sommes pas riches, et nous faisons cela en votre honneur. Veuillez, s'il vous plaît, rester encore au moins ce soir. Ce sera très amusant, vous verrez ! »

Et avec un petit rire aigrelet, aussi acide qu'un citron, elle s'éloigna en faisant un geste vers Lenka. La naine se redressa, engloba tout le monde et dit d'un ton hargneux, le visage rouge de colère :

« Je vous déteste tous ! Bande de pourritures ! »

Elle n'avait pas le choix. Mliwyn essayait de faire sa gentille, et si elle refusait, elle serait celle qui avait refusé une main tendue. Elle se doutait bien que la demoiselle et ses amis complotaient quelque chose, mais quoi ?

Laisser un commentaire ?