Jeux de Nains

Chapitre 7 : Roncépine

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:35

Elle s'était mise à courir. Depuis quand ? Aucune idée. Elle courrait, dans la plaine, sans endroit pour se cacher. La terre était grisâtre, les seules plantes étaient des buissons de ronces. Lenka finit par s'arrêter, le souffle court, le coeur battant à tout rompre. Que s'était-il passé ? Un regard en arrière lui permit de voir que personne ne la suivait. Tant mieux. Elle se laissa choir sur un bout de terre vaguement moussue et mit son visage dans ses mains.

Kili, son visage jeune, tout près du sien. Elle avait vu ses grands yeux innocents, si sombres, aux lueurs inquiétantes et hypnotisantes. Lenka avait le visage cramoisi, et sentait ses joues cuisantes. Elle avait senti son odeur, si personnelle, et sa sueur aussi. La naine inspira un grand coup ; elle avait toujours vécu dans sa ferme, et elle n'avait jamais vécu de telles situations. Maintenant, elle osait s'imaginer plein de choses : Kili avait-il voulu l'embrasser ? Leurs fronts se touchaient presque, leurs souffles se mêlaient, l'haleine du nain au parfum des fruits qu'il ramassait sur la route aux buissons épineux et qu'il dévorait avec une joie bonne enfant.

« Stop ! »

Sa propre voix la fit revenir à elle et son imagination puissante cessa de se débattre un instant. Elle voulait réfléchir, même si son cerveau et son corps semblaient vouloir revivre ce souvenir et le décortiquer pour y voir ... Y voir quoi ? Ce qu'elle avait envie ? Cela voulait dire qu'elle avait envie que Kili l'embrasse ? Mais c'était idiot ! Elle appréciait chaque nain, maintenant qu'elle les connaissait un peu mieux chacun. Elle s'entendait mieux avec Kili et Fili, car ils étaient jeunes et amusants, mais elle appréciait aussi Bofur, Ori, Gloin, Dwalin ... Tous avaient leur propre caractère, et c'était idiot de se dire qu'elle en préférait un. Même Thorin, à bien y penser, elle l'aimait bien. Quelle tête de mule celui-là ! Il ne lui avait pas adressé un seul mot depuis son sauvetage. Lui en voulait-il ? Il était vrai que la fleur ... Lenka secoua la tête : elle ne devait pas se perdre en conjectures et en « et si ». Sinon elle allait devenir folle devant tour ce qui pouvait être et tout ce qui aurait pu être.

Elle se leva, dépoussiéra ses vêtements, attendit encore un peu le temps de se calmer, et rejoignit le camp. Elle eut peur que tout le monde ne la dévisage, mais ce ne fut pas le cas. Bilbon était en train de ranger son paquet, en grande discussion avec Fili et Dori sur une certaine façon de conserver le fromage. Lenka ne put s'empêcher de sourire : les Hobbits devaient tenir plus à leur nourriture qu'à leur vie ! Elle observa autour d'elle et remarqua enfin les trois nains qu'elle cherchait : assis en coin autour d'un petit feu, ils restaient silencieux. Elle rougit encore, et manquant de courage, esquiva Kili. Elle ne voulait pas encore lui parler, lui demander des explications. Plus tard, quand il y aurait repensé.

Thorin la salua en passant devant elle, puis ils reprirent la route. Lenka marcha seule, volontairement, esquivant les questions, les discussions et la présence des autres. Même si elle tentait d'en faire abstractions, elle ne pouvait pas s'empêcher de regarder en direction de Kili, quelques mètres devant elle : il discutait comme si de rien n'était. Il ne se comportait pas bizarrement ; mais qu'est-ce qui lui avait pris alors ? Lenka grogna et râla toute la matinée. Alors que le midi arrivait, ils passèrent une petite colline et quelle ne fut pas leur surprise de tomber sur un petit village aux maisons de bois, plutôt joli, appelé Roncépine - sûrement tiré des buissons des environs, aux épines noires et aux fruits acidulés, oranges comme un coucher de soleil.

L'endroit était assez petit, ne contenant qu'une vingtaine de maisons basses, aux toits de chaume. Il y avait une auberge près d'une place dallée de pierres grises. Les nains y pénètèrent sous les regards inquisiteurs des habitants. L'auberge était un endroit sordide, aux lumières tamisées et à l'odeur de fumée très forte. Un feu ronflant dans une cheminée surchauffait l'endroit. Tous s'assirent à la table principale - la seule assez grande pour tous les accueillir - et commandèrent à boire et à manger. Gandalf avait apporté de l'argent et paya la transaction, tout en interrogeant le tenancier sur les environs. Thorin était assis au bout de la table, Balin à côté de lui, et il fut le premier à remarquer la scène cachée par un épais rideau de velours rouge.

Le tenancier, ayant fini sa discussion avec le magicien, remarqua son coup d'oeil et lui offrit un sourire de ses dents jaunes :

« Mon bon, vous devriez rester un peu, dans une demi-heure, la Mliwyn va donner son spectacle. »

Et il partit avec un rire plein de sous-entendus. Thorin, curieux et pensant qu'un peu de repos dans un endroit chaud, avec de la nourriture, leur permettrait de repartir de bon pied. Et ils étaient toujours là quand, une demi-heure environ après, le rideau se leva tandis que toutes les lumières baissaient. La scène était plongée dans le noir quand commença une chanson, entonnée par une voix douce, comme celle d'un oiseau, aux tons tendres, un peu coquins :

I was feeling done in, couldn't win
I'd only ever kissed before.
I thought there's no use getting into heavy petting
It only leads to trouble and seat wetting...

Now all I want to know is how to go
I've tasted blood and I want more
I'll put up no resistance, I want to stay the distance
I've got an itch to scratch, I need assistance:

 

A ce moment là, sans cesser de chanter, une femme apparut alors que des lumières s'allumaient pour éclairer fortement l'endroit. Sur la scène se mirent à danser des femmes en tenues osées, en soie et dentelle, ondulant de leurs corps aux formes épanouies. Devant elle chantait une femme de taille moyenne, le visage joli, aux lèvres rouges, aux yeux fardés et au corps mis en valeur par un corset et une jupe évasée, laissant deviner ses jambes. Elle entonna donc, avec un air coquin et grivois qui fit rire les hommes - très nombreux depuis une demi-heure - présents dans la salle. Elle fredonna le refrain :

Toucha toucha toucha touch me, I wanna be dirty
Thrill me chill me fulfil me
Creature of the night.

Tout en entonnant ce refrain, elle s'était approchée d'un homme sur le côté, et se plaqua contre lui, collant ses mains contre elle, contre ses seins charnus, ouvrant ses jambes pour que l'on admire ses cuisses pâles et son ventre plat. Les nains étaient subjugués, Bilbo avait la bouche ouverte et même Gandalf avait haussé les sourcils. Lenka fronça les siens : tout cela était vulgaire ! D'un vulgaire ! 

Then if anything grows while you pose
I'll oil you up and rub you down
And that's just one small fraction of the main attraction
You need a friendly hand and I need action...

Toucha toucha toucha touch me, I wanna be dirty
Thrill me chill me fulfil me
Creature of the night.
[1]

Elle finit sa chanson en remontant sa jupe, en improvisant une petit danse qui ravit les hommes de l'assistance. Beaucoup étaient rouges d'alcool et d'excitation, et Lenka remarqua d'un coup d'oeil suspiçieux les membres de son groupe qui avaient eux aussi rougi. Thorin avait les yeux écarquillés, ne pouvant détacher son regard de la chanteuse qui riait d'un rire aigrelet, faux, au nez de ses admirateurs mâles, au bas de la scène, qui l'abreuvaient de compliments. Le tenancier cria, à l'intention de Thorin :

« Voyez ? Vous le regettez pas, hein ? »

Les applaudissements retentirent enfin quand la demoiselle se pencha pour remercier, s'arrangeant pour serrer ses bras pour faire ressortir sa poitrine, l'air de rien.

« Vous aimez ce genre de chanson ? » demanda finalement Lenka au groupe entier, et elle remarqua avec satisfaction le détournement de Gandalf, avec l'air de celui qui sait que ce n'est plus de son âge de reluquer les demoiselles.

« Pourquoi ne devrions nous pas aimer ? C'est de l'art, de la chanson, et puis elle a une belle voix » répondit Thorin d'un ton vexé.

« Elle n'a pas que ça de joli, hein ? Honte sur vous, tous ! C'est ce genre de femme, si vulgaire, qui donne le sentiment que les femmes sont des objets ! »

« Peut-être devriez-vous essayer de faire mieux, hmm ? »

Une voix, mielleuse, s'infiltra jusqu'à Lenka, qui, tournée dos à la scène, n'avait pas vu la chanteuse arriver. Elle prit une siège et, s'asseyant face au dossier, jambes écartées de chaque côté, elle lui lança un regard à la fois venimeux et guoguenard. Elle se moquait d'elle ! Ses seins pressés contre le dossier semblaient rebondis, et Lenka vit avec colère les yeux des nains s'y plonger.

« C'est dur de chanter et danser en même temps » se plaignit la demoiselle, qui avait des cheveux d'un roux flamboyant, presque rouge, assorti à ses lèvres peintes. Elle était belle, aussi belle qu'un poison. Lenka ne pouvait rivaliser face à elle, avec son petit corps rebondi et son côté masculin. « Avez-vous aimé, Messieurs ? » demanda la rousse en leur faisant une oeillade qui les englobait tous.

Et tous de dire que oui. Leur brouhaha joyeux la fit rire de nouveau, de ce rire aigrelet, non pas critallin mais presque métallique. Lenka était sûre qu'elle devait être creuse, à l'intérieur, pour produire un tel son.

« Je m'apelle Mliwyn, pour vous servir. »

Tous se présentèrent, mais Lenka remarqua la lueur intéressée quand Thorin se présenta. Cet idiot donna son titre, et tout le tralala. Lenka avait bien vu comment tous se comportaient, et même si elle aimait encore le taquiner là-dessus, elle avait compris qu'il était bien le prince des nains. Mais Mliwyn, elle, ne devait voir qu'un bon parti. Et elle ne se trompait pas : se levant d'un air ingénu, elle s'approcha du prince et se mit à discuter avec lui :

« Votre altesse, quelle honneur de vous avoir dans notre humble boui-boui ! Comme je serai heureuse de chanter pour vous ! Quelque chose de plus soigné, de plus doux que cette chanson de pacotille. Oh, si j'avais su, j'aurais mis plus d'ardeur dans mes déhanchés » disait-elle en riant, en mimant sa danse, en trémoussant ses fesses. Et elle touchait sa main, se pressait contre la table, ne quittait pas son regard.

Le pire, c'est que Thorin devait se sentir flatté : les joues un peu rouges, il détournait le regard avec embarras, ne retirait pas sa main, et semblait boire ses paroles. Finalement, elle repartir dans les loges - à proprement parler, un endroit de l'auberge entouré par des paravents - et les nains restèrent silencieux, retenant leur souffle devant cette femme aussi attractive qu'un serpent.

« Ressaisissez-vous, bon sang ! C'est une pute, ni plus ni moins ! » Elle commençait à lui échauffer les oreilels, celle-là.

« C'est toi qui est vulgaire, là. »

Cette phrase, dite par un Kili au visage troublé, presque dégoûté, fut la goute d'eau. Lenka se leva, les dévisagea tous, et gronda. Elle sortit de l'auberge, et bien sûr il pleuvait. Avant que la porte ne se referme, elle vit Mliwyn faire dépasser sa tête de derrière le paravent ; elle avait tout entendu et le sourire triomphant qui se tenait sur ses lèvres avait à y voir, peut-être aussi à cause de la voix de Thorin qui déclarait d'un ton sans ambages :

« Prenons des chambres pour cette nuit ! »

Des chambres ... Ils allaient dormir ici ! La porte se referma dans un claquement sonore. Lenka leva le visage et ferma les yeux ; peut-être que si elle retsait assez longtemps sous la pluie, elle se sentirait moins souillée ? Mliwyn ... Elle était certaine que cette putain aux yeux de serpent allait essayer de faire sien Thorin - par appât du gain. Et il n'y avait qu'elle, pauvre cruche de fille, qui arrivait à voir clair dans son jeu. Fichus mâles ! Ils pensaient tous avec leur cerveau du bas !

[1] Il s'agit de la chanson Touch-A touch-A touche me du film The Rocky Horror Picture Show. Je trouve que ce film est culte, et même si c'est peut-être un peu déplacé de le mettre dans l'univers de Tolkien, je trouvais que les paroles collaient assez bien au personnage de Mliwyn.

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