Jeux de Nains

Chapitre 5 : Floraison

Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 08:01

« Ne bougez pas. »

Lenka retient un rire ; le prince ne cesse de bouger sous ses doigts depuis un moment. Il s'éloigne d'elle alors qu'elle tente de le soigner. Mais les plantes ne semblent pas faire de bien au nain : Gandalf avait déjà essayé les baies de Tige-Feu t les feuilles des Syrambotes. Rien n'y faisait, la blessure ne se refermait jamais complètement et persistait à se rouvrir, aussi douloureuse qu'au premier jour, rouge et brûlante au toucher. Lenka et le magicien n'y comprenaient goutte. La naine observait les effets des fleurs de framboisier, mais en vain.

« Je ne comprends pas. Elle ne s'infecte pas, mais elle ne se guérit pas. »

« Je me suis fait mordre par un warg. »

Lenka ne savait pas ce que c'était, mais même les blessures infligées par des créatures se devaient de guérir. C'était comme si quelque chose empêchait la plaie de se soigner. C'était bizarre. Elle refit la bande du nain et le laissa se rhabiller.

« Je pense qu'il faudrait une Larme-Bleue. »

Thorin lui jeta un regard agacé : il en avait marre qu'on triture son épaule en y versant des tisanes de plantes. Pourquoi ne pas la laisser faire son travail seule ? Son organisme était assez fort pour se rétablir seul. Mais non ! Il soupira, n'ayant aucune idée de ce qu'était une larme-bleue.

« Laissez tomber cette idée. »

Gandalf était apparu à côté d'eux. Lenka sursauta, rougit, et s'éloigna sans ajouter un mot. Gandalf la regarda et se tourna vers Thorin, son bâton dans la main, se caressant la barbe d'un air pensif.

« Les Larmes-Bleues sont des plantes très rares, qui poussent là où un être pur, sans défaut ni péché, est mort. De cette vie si douce s'éteignant est née cette fleue aux reflets turquoises et d'un bleu royal. Elle soigne tous les maux possibles et la légende veut qu'elle puisse aussi donner des pouvoirs temporaires tels que voir l'avenir ou lire les pensées. » Le vieil homme eut un soupir et son regard gris se durcit. « Thorin, cette plante n'est plus. Elle a peut-être existée, mais à présent, croyez-moi, elle n'est plus qu'un conte. Je pense qu'il vaut mieux laisser votre épaule tranquille. Peut-être guérira t-elle seule ? »

Mais son ton était loin d'être convaincu.

Les nains reprirent alors la route, et pour la première fois depuis plusieurs jours, firent bonne marche. Lenka et Bilbo marchèrent côte à côté, d'une foulée ample mais moyennement rapide. La naine portaient ses affaires comme si elles ne pesaient rien, et le hobbit était curieux de la voir aussi robuste et endurante qu'un mâle de son espèce.

« Avez-vous déjà ressenti l'appel de votre race ? »

Lenka lui lança un regard excédé ; quelle façon de parler ! Bilbo rougit et se reprit, avec des gestes embarrassés.

« Pardon. Je reformule : n'avez-vous jamais essayé de retrouver les vôtres, les nains ? »

La naine repoussa une mèche de cheveux pleine de sueur et réfléchit un instant. Elle se gratta pensivement le nez, et ses paupières se plissèrent.

« Je ne crois pas. Mon père m'a tout de suite dit qu'il n'était pas mon père. Il a été très franc avec moi dès le départ. Mais ce que j'avais me suffisait. »

Elle inspira un grand coup ; Bilbo détourna pudiquement le regard pour lui permettre de sécher ses larmes tranquillement. Quand il l'entendit grogner d'un ton excédé, il prit cela pour une invitation à reprendre la conversation. Ils se mirent donc à débattre d'un peu tout et n'importe quoi, tant et si bien que Balin à la longue barbe blanche se tourna vers eux, intrigué, mais les laissa bavarder.

Ils finirent leur route au crépuscule, à l'abri de plusieurs rochers de pierre grise qui dépassaient du sol caillouteux comme de gigantesques dents d'un monstre. Ils installèrent leur camp et firent un feu d'un peu de bois sec ramassé ici et là sur des buissons épineux. Les arbres et les plantes se faisaient rares. Leur repas fut frugal : les restes de la bête tuée la veille par Lenka et quelques baies. Ils se couchèrent tôt, n'ayant pas envie de parler tant le sommeil leur manquait.

Mais Lenka, quoique fatiguée, n'arrivait pas à dormir. Elle se releva au milieu de la nuit et alla se dégourdir les jambes. Elle suivit un sentier bien visible sous la lune pâle, à demi masquée par des nuages bas. La nuit était belle, tiède. L'air embaumait la chaleur du jour.

La naine se retrouva à marcher le long d'une bordée d'arbres aux branches cassées, aussi sec que le sol, et le sentier la mena dans une petite vallée. Elle commençait à se dire qu'elle ferait mieux de rentrer, car cela faisait quelques temps qu'elle marchait, quand elle remarqua une chose pâle allongée près d'un buisson. C'était une licorne, au flanc trouée d'une vilaine blessure.

« Oh ! »

Elle n'avait jamais vu de licorne, et ce qu'elle voyait la sidérait : jamais créature n'avait été plus belle, plus douce, plus innocente. D'une blancheur luisante, il émanait d'elle une lueur pâle, plus douce que la lumière de la lune. Lenka s'approcha, avec des larmes dans les yeux. La licorne mourrait doucement, ses grands yeux sombres aux lons cils regardant autour d'elle d'un air implorant. La naine s'approcha et posa sa main sur son encolure. Elle lui chuchota des mots doux, pour l'apaiser. Elle ne pouvait rien d'autre pour elle, et l'idée de lui épargner des douleurs en l'achevant lui était trop brutale, trop cruelle. C'était un acte ignoble, qui souillerait cette pureté.

La licorne finit par mourir. Elle n'émit aucun bruit, mais posa ses lèvres sur la main de celle qui l'avait réconfortée. Lenka vit la reconnaissance dans ses yeux sombres. Puis toute vie s'éteignit, et la grande bête se rallongea à jamais. La douce lueur qui émanait de son pelage d'argent blanchi s'éteignit. C'était une horreur, de voir une vie pareille s'éteindre, et Lenka aurait donné sa vie pour la voir renaître. Elle resta longtemps à pleurer, caressant son encolure, ses crins si doux, sa tête au port altier. Quand elle s'arrêta de pleurer, elle se sentit mieux, et comprit le cadeau que lui avait offert la licorne pour son soutien : elle avait fait s'envoler la tristesse. Sa propre mort avait effacé la douleur de la mort de son père. Lenka se sentait sereine, et se redressa doucement, le coeur battant à tout rompre. Il était temps de rentrer. Mais elle entendit du bruit derrière elle et se retourna.

Devant elle venaient d'apparaître trois Orcs. Ils plissèrent les yeux en la voyant et levèrent leurs armes d'un air aggressif, tandis que l'un d'eux sifflait d'une vois stridente et perverse :

« Tiens tiens. On a chassé le cheval à la corne, mais v'la qu'on tombe sur une naine. Elles étaient pas disparues, celles-là ? »

Et tous partirent d'un rire gras. Grands et verdâtres, ils étaient musculeux et couverts de boue, de sang et de sueur. Leurs gros yeux jaunâtres se posèrent sur Lenka et deux s'approchèrent. Le troisième, légèrement plus grand et avec l'air un millième de fois moins bête que les autres, devait être le chef. Lenka porta la main à sa ceinture et dégaine un couteau. Elle était parfaitement capable de tuer ces trois saletés.

« Regardez là. C'est-y pas mignon, de la voir, petit et toute costaude, avec son couteau de cuisine ? »

Et le troisième sortit de son dos une énorme hache de jet, au tranchant luisant sous la lune. C'était une arme superbe, et Lenka se demanda où il avait pu la trouver. Sûrement sur un cavadre. Les deux autres s'étaient approchés et la toisaient de haut, attendant un ordre.

« C'est vous qui l'avez attaquée ? » grogna la naine.

« Bien sûr. La corne d'une licorne vaut de l'or, mais il y a aussi son foir, ses reins ... Et surtout son coeur ... Il paraît qu'il donne l'immortalité. Et de plus, en mourrant, on pourra cueillir sur elle une fleur bleue. »

Lenka écarquilla les yeux, et ignorant les orcs près d'elle, se retourna. Entre les pattes de la licorne avait à présent poussé une plante à l'aspect souple, mais elle était encore en bourgeon. Etait-ce réellement une Larme-Bleue ? Les licornes étaient des êtres purs ... Mais la plante poussait comme ça ? Etait-ce à cause des larmes de Lenka ? Ou un autre cadeau de la bête ? La confusion régnait dans l'esprit de la naine, mais pas assez pour qu'elle ne remarque pas les gestes des orcs.

D'un bond, elle esquiva une attaque malhabile, et d'un geste de son poignard trancha une main. En virevoltant comme elle pouvait, elle trancha et coupa. Les deux orcs se reculèrent, avec dans les yeux de la colère, de la haine, l'envie de la tuer. La chef ricana, faisant jouer ses muscles et son arme.

« Je ne vous laisserai pas la toucher. Elle est un animal noble. Elle a le droit de mourir dignement. »

« C'est ce qu'on va voir ! »

« EXACTEMENT ! »

Dans un rugissement, Thorin et Bombur surgirent de derrière le versant de la vallée, armes aux poings. Bofur, Bifur et Dwalin suivaient, puis tous les autres. Les deux orcs n'avaient aucune chance ; ils se firent abattre sans scrupule, mais le chef réussit à atteindre Lenka et la licorne. Esquivant une flèche de Kili en la brisant sur la lame de son arme, il tenta d'arrache la corne de la licorne, manquant d'écraser la fleur. Lenka se rua sur lui pour l'en empêcher et il roulèrent dans les herbes sèches. Les nains n'osèrent pas s'en mêler - autant parce qu'ils ne voulaient pas toucher leur amie que parce qu'ils savaient pertinnemment qu'elle les enguelerait si ils venaient l'aider. L'orc réussit à enfoncer son arme dans le ventre et la hanche de la naine qui poussa un hurlement de douleur et roua de coups de poings l'orc. Elle se remit debout, protégeant la fleur et la licorne.

Kili envoya une flèche qui se planta dans le torse de l'orc, mais bondissant, il lança son arme qui se ficha dans le flanc de la licorne, répandant une éclaboussure de sang argenté. Le temps que les nains détournent le regard d'où la lame s'était figée, l'orc avait disparu. Les nains pestèrent, mais la nuit n'était pas leur amie ; et si il y avait d'autres orcs ? Thorin et Gandalf se portèrent immédiatement au chevet de Lenka.

Allongée à côté de la licorne, elle pressait son flanc d'où s'échappait du sang à gros bouillons. Son visage était déjà pâle et ses lèvres bleuissaient doucement.

« Faites quelque chose, Gandalf ! » s'écria Thorin d'une voix enragée, où se mêlaient colère et panique. « Je ne te laisserai pas mourir, espèce de sotte ! » rugit-il à l'attention de Lenka. Il pressa à sa place sur sa hanche quand il vit ses mains retomber mollement au sol.

« Regardez, Thorin. »

Bilbo leva la main et désigna du doigt le flanc de la licorne. Là où le sang de Lenka, d'un rouge vif, et celui de la licorne, d'un argent effacé, se rejoignaient, la fleur à la tige souple était en train d'éclore. Ses pétales jaillirent de son carcan vert, et en se déployant dans un torrent de bleus différents, émit comme un son cristallin.

« Vite ! » s'écrièrent Gandalf et Bilbo.

Mais ce fut Thorin qui ceuillit la fleur, plus proche qu'eux de la plante. Il prit entre ses doigts la base de la fleur et la tira doucement à lui. Elle ne fit aucune résistance, et ses pétales semblèrent tinter comme du verre. La fleur semblait si fragile ... Comme Lenka. Blanche, immobile, Thorin s'agenouilla et, écrasant la fleur dans ses doigts malhabiles, il pressa contre la blessure béante la purée de pétales bleus. Une fois fait, il pressa la hanche d'où le sang ne sourdait plus qu'en filet mince.

« Grands dieux ... »

Bilbo avait les mains sur la bouche, tremblant de peur, de froid, de colère. Chaque nain observait avec une froide colère, un ébahissement : cela ne pouvait être vrai. Et pourtant, Lenka ne bougeait plus, son visage immobile, ses cheveux d'or éparpillés sur les herbees du sol. Son sang imprégnait la terre, mêlé à celui de la licorne.

« Non ! Tu n'as pas le droit ! » cria Thorin en la secouant sans ménagement, la faisant baloter sans réaction.

« Mon ami, c'est fini. »

La voix de Gandalf était maîtrisée, mais à toutes les oreilles sonnait sa tristesse. Bilbo pleurait à chaudes larmes.

« Non ! Elle a fait ça pour moi ... Elle voulait à tout prix trouver cette satané fleur bleue ! Espèce d'idiote ! Tu n'avais pas à faire ça ! »

Comme il revenait sur ses paroles, ce prince aux grands airs ! Mais chaque nain sentait qu'il avait raison : elle n'aurait pas dû mourir. Elle avait apporté sa touche, son caractère. Elle était l'une des leur, même si le temps ne lui en avait pas donné la chance de s'en rendre compte. Il se leva, et resta debout, en espérant la voir se redresser. Mais elle ne bougea pas. Elle était morte.

« Vous avez fait tout ce que vous avez pu. »

Thorin se détourna. Son coeur était trop chamboulé pour qu'il puisse faire son deuil, il se refusait à rester là plus longtemps. Il se mit à marcher d'un pas déterminé. Il était convaincu qu'une fois éloigné de Lenka, il pourrait penser à nouveau. Il ne voulait plus affronter la mort de quiconque. Les nains et Gandalf le suivirent, et Bilbo fut le dernier à partir, après avoir embrassé le front de Lenka, déjà froid, si pâle déjà.

Il se leva et se détourna pour suivre le chemin de ses amis. Mais, sa peine était forte, et il se retourna pour regarder une dernière fois son amie. Il n'en revenait pas : il y avait encore quelques heures, ils se couchaient tranquillement. Pour une autre journée.

Et alors, il cria.

« REVENEZ ! Revenez ! Venez voir ! »

Et il eut envie de pleurer ; des larmes s'échappèrent de ses yeux sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Des larmes de joie.

Lenka était assise, l'air perdue. Sa peau était encore pâle, mais il émanait d'elle la même lumière douce, argentée, un peu blanche, que de la licorne. Sa blessure se refermait doucement, alors qu'elle y portait la main. Ses joues rougirent, et elle se redressa, manquant de tomber. Bilbo vint l'aider, tandis que des bruits venaient du sentier. Lenka s'aggripa au hobbit, faible, le souffle court.

Les nains formèrent un demi arc de cercle autour d'elle. Thorin et Gandalf s'arrêtèrent devant elle, interdits. Le nain fit quelques pas, hésitant, les yeux écarquillés.

« Je ne suis pas ... Idiote. »

Cette réplique, si simple et pourtant si chère à leurs yeux, les fit tous éclater d'un rire tonitruant. Leur soulagement passait pas ce rire gras, bas, grave. Ils étaient tous si heureux de la savoir vivante ! Thorin s'approcha d'elle et, d'un geste, Bilbo s'éloigna pour donner sa place au prince. Il aida la naine à se tenir debout et jeta un oeil à sa blessure : à travers son vêtement déchiré, il vit sa peau sans trace.

« Vous êtes vivante. »

« Quelle perspicacité ! Je boirais bien un peu de vin. » fit-elle en direction des nains, et l'on se dépêcha de lui lancer une gourde. Elle but une gorgée, et sa peau reprit des couleurs.

« La Larme-Bleue. » Gandalf la regarda et souriait, d'un air mi-figue mi-raisin. « Vous étiez venue la chercher pour Thorin. Sans cela, vous n'auriez pas eu besoin de l'utiliser sur vous. Vous avez été folle ! »

« Je suis tombée sur une licorne à l'agonie par hasard » se défendit la naine, qui avait regagné des forces. « Les orcs l'avaient blessée pour lui voler sa corne et son coeur. J'ai apaisé la belle créature, et je crois qu'elle m'a offert la Larme. Ou peut-être l'ai-je crée avec les miennes. Je ne sais pas ... Je voulais tellement vous la donner » fit-elle en direction du prince.

Thorin grogna.

« Cette fleur est le dernier de mes soucis. Vous êtes en vie. Venez, rentrond au camp, et je vous interdit de faire des efforts. Nous allons vous créer un traîneau, et vous resterez tranquille demain. Interdiction de refuser ! » tonna t-il, et dans sa voix se fit sentir toute l'inquiétude, toute la tristesse enragée qu'il avait eue, mais aussi le ton d'un roi, irréfutable. Lenka le regarda, immobile, ne sachant que dire, son corps vibrant devant cet air conquérant, puis elle haussa les épaules, grimaça de faiblesse, et ils rentèrent au camp, tandis que le soleil au loin rougissait les collines. Personne ne remarqua que, alors qu'ils passaient un tournant et disparraisait derrière eux la vallée, le cadavre de la licorne devenait transparant sous les rayons rougeoyants du soleil. Et qu'au final, son cavadre disparut totalement, ne laissant qu'une herbe verte et haute, et une tige d'où s'échappait une lumière douce. Ici poussera encore, à chaque printemps, la Larme-Bleue.

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