Jeux de Nains

Chapitre 3 : Séparation

Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/12/2012 11:42

Sandor arriva par la suite, avec dans ses bas un panier de petits pains aux raisins et aux fruits secs, deux bouteilles de vin, et de la viande sur un plateau. Il posa tout cela près du feu ; les nains n'osèrent y toucher, heureux de se voir invités à la table d'un fermier aussi aimable.

« Nous vous remercions tous pour votre bon coeur. »

« C'est pas moi, c'est ma fille. Quand je suis rentré, elle m'a passé un savon sur le fait de laisser entrer tous les étrangers dans ma ferme. En fait, il y a quelques mois, j'ai invité à notre table trois jeunes gens qui se disaient des aventuriers. Ils ont abusé de nous : j'ai été frappé et ma fille s'est défendue, assez bien pour se faire rosser pire que moi. Ils ont volé des poules, des cochons, nos deux chevaux, tous ce que nous possédions. Alors, depuis, Lenka est méfiante. Excusez son comportement. Mais elle doit bien vous aimer : elle m'a dit de partager tout ça avec vous, que c'était trop pour nous deux et qu'il vallait mieux que cela ne se perde pas. »

Le fermier rayonnait de fierté devant la générosité de sa fille ; les nains hochèrent la tête. Beaucoup de comprirent pas ce revirement de situation mais l'acceptèrent avec simplicité. La nourriture et le vin se mirent à tourner et le dîner commença. Tous se restaurèrent, et Bilbo fut heureux de ne pas se voir exclu du souper. Il avait craint que Lenka ne mette à excécution son idée ; avait-elle rennoncé ou Sandor le fermier ignorait-il son ordre ? Il n'en savait rien, et en bon hobbit, fit honneur à la nourriture simple et bonne du fermier.

Quand ils furent tous repus, il ne restait plus grand chose des vivres ; quelques miches de pain et une tranche de viande. Le vin avait été à moitié bu et chacun digérait avec bonne humeur. Thorin avait prit garde à ne pas trop boire, puis se pencha, posant ses coudes sur ses genoux, pour se tourner vers Sandor.

« Voudriez-vous répondre à mes questions, à présent ? »

Le fermier hocha la tête, un peu intimidé devant la soudaine prestance du nain. Ainsi éclairé par le feu, sa barbe et ses cheveux noirs semblaient ondoyer comme des serpents. Ses yeux bleus et durs étaient comme deux éclats de glace qui vous observaient, aussi froids que l'acier dans lequel ils semblaient trempés.

« Racontez moi comment Lenka est arrivée chez vous. »

C'était une question simple, et pourtant, Sandor rougit comme si il avait du mal à y réfléchir. Il gratta tout d'abord le chaume de ses joues, puis son front, et enfin, posa ses mains sur ses genoux, comme pour s'aggriper à quelque chose de concret alors qu'il avait besoin d'un soutien.

« Ca date, voyez-vous, monsieur le roi. Je peux vous appeler comme ça ? Bien. Quand j'étais plus jeune, je m'occupais de cette ferme, déjà. J'étais parti près de la forêt, car à cette époque, je savais me servir d'un arc comme persone, bien avant que mes articulations ne commencent à me jouer des tours. Je me déplaçais sans bruit dans les branches quand j'entendis du bruit. Je m'avançais vers l'origine et trouvais une naine, en train de dorloter un bébé. Elle leva la tête, le visage serein, et posa la main sur son marteau à côté d'elle. C'était direct : si j'étais une menace pour sa fille, je ne vivrais pas une seconde de plus. Je posais donc mon arc pour lui montrer que j'étais loin d'en vouloir à leurs vies. Alors, elle me sourit et se leva. Elle m'examina avec minutie puis s'exclama que je n'étais pas si mal, que je devais la conduire chez moi. J'étais, je pense, trop choquée par ma rencontre pour refuser. Je l'amenais chez moi, et elle m'explique qu'elle avait été chassée de chez elle. Qu'un dragon avait détruit sa cité, et qu'elle s'était enfuie. Plus loin que personne d'autre, qu'elle était perdue, qu'elle cherchait refuge pour elle et sa fille. Je lui proposais de dormir chez moi ; je n'avais pas le coeur assez dur pour leur refuser mon toit. Puis, la nuit se transforma en une semaine, puis en mois, puis en années. Nous avons toujours eu un respect mutuel, et j'ai élevé sa fille comme la mienne. Hélas, Menril - c'était son nom - mourru quand Lenka avait à peine une dizaine d'années. J'ai donc élevé ma fille seul. »

« Et voilà le résultat. »

Thorin n'avait pas voulu paraître désobligeant ; le fermier baissa cependant le cou comme si on l'avait frappé, comme sous le coup d'une réprimande. Il prit un air égaré et dit à voix basse :

« Je suis navré, mon seigneur, si mon travail de père a été mal fait. J'avais toujours vécu seul avant Lenka et  sa mère. Mais j'ai toujours su aussi que leurs plces n'étaient pas ici. Si vous désirez reprendre ma fille, et si elle désire elle aussi vous suivre, je vous accordre ma bénédiction. »

« Prendre votre fille dans notre compagnie ? Monsieur, non ! Nous allons abattre le dragon Smaug, à Erebor, la cité des nains ! Ce n'est pas la place d'une jeune fille ! Ce sera bien trop dangereux pour elle ! Vous risqueriez de la perdre ! Je suis sûr qu'elle est très bien là où elle est » continua Bilbo en hésitant soudain - n'avait-il pas été bien, lui aussi, dans sa chaumine avant de vivre ces aventures ? Il allait continuer quand un voix surgit du haut de la grange.

« Si j'étais vous, monsieur le hobbit, je ne déciderai pas pour les autres. Ni vous, ni personne. Je déteste qu'on m'ordonne quoi que ce soit, mais ce que je déteste le plus encore, c'est bien qu'on ne me laisse pas le choix. »

Lenka sauta du promontoire de bois, et atterit dans la paille dans un coin. Habillée de frais, elle portait une tenue en daim, bordée de fourrure de loup ; douillette et élégante, cette tenue renforçait son allure trapue de naine. Chaussée de bottes de cuir et portant un pantalon - chose rare chez une femme - elle avait l'air masculine et sûre d'elle. Thorin sentit une émotion bouillonnante se soulever dans son coeur : non seulement, elle réprimandait Bilbo mais elle écoutait aux portes ! Ou plutôt aux étages de grange !

« J'aurais parfaitement ma place dans votre équipe si j'en avais envie. Mais ce n'est pas le cas. Mon père compte sur moi, et je lui suis redevable mille fois de ce qu'il a fait pour moi. Je connais bien peu de personne qui aurait accueilli une créature d'une autre race sous son toit. »

« Surtout si cette créature se révéle être une naine curieuse qui écoute aux portes et juge les gens au premier regard. »

« Ca vous va tellement bien, de dire ça. Que faites-vous en ce moment même à mon égard, monsieur le prince ? » répliqua t-elle d'un ton mordant. « Papa, tu as révélé assez de secrets comme ça ce soir. Allons nous coucher. »

Lenka prit la main de son père, le fit lever de force et le traîna dans la ferme. La grande se retrouva soudain dans le silence, puis un brouhaha assourdissant s'éleva : chaque nain discutait avec ses voisins de cette situation si étrange. Une naine chez un fermier ! Mais le sommeil les gagna, et ils finirent par s'endormir.

Thorin fut réveillé par des cris. Il crût que c'était son imagination, mais il se releva alors qu'un second hurlement était poussé. Féminin, aigue, c'était un cri non pas de douleur ou de demande à l'aide, mais un hurlement de rage. Il se redressa et réveilla chaque nain ; Gandalf était déjà prêt, son bâton à sa main. Bilbo suivit lui aussi. Une fois dans la cour, ils remarquèrent des chevaux accrochés plus loin ; des intrus ? La porte de la maison s'ouvrit soudain et révéla trois silhouettes : Lenka, et deux autres hommes. Ils la tenaient par ses cheveux et les bras, et la tiraient comme on tire un animal. Ils la poussèrent dans la poussière de la cour et eurent des rires gras.

« Vous osez nous voler alors que, le mois dernière, papa et moi vous avons offert un poule ! Vous n'êtes que des sales voleurs ! » s'écria t-elle, et s'ensuivit une liste d'insultes tout à fait appropriées. L'un des homme prit un caillou et lui lança au visage. Lenka se tut quand il lui frappa le front dans un bruit mat. Alors, un second retentit, et elle crut qu'un autre caillou l'avait frappé. Mais non ; nul éclair de douleur. Rouvrant les yeux, elle vit Thorin devant elle, un poignard à la main. Les deux hommes étaient au sol. L'un d'eux, la gorge ouverte ; l'autre, une flèche plantée dans le ventre. Lenka ne fit pas de manières, elle se redressa, fit signe aux nains de la suivre et s'avança vers la porte, non sans donner une ou deux coups de pieds bien placés aux cadavres ; ça ne servait à rien mais ça faisait du bien.

Hélas, quand elle pénétra dans la maison avec Thorin derrière elle, ils virent que le troisième larron avait tout vu. C'est un Sandor mort qui s'écroula au sol, tandis qu'une silhouette s'enfuyait dans la nuit, passée par la fenêtre de la masure. Lenka, la main sur son poignard, voulut le suivre, mais Thorin la retint : de la fumée montait du toit. Ils avaient mit le feu à la ferme ! Des nains virent d'autres foyers d'incendie. L'ampleur du feu prit rapidement, et rien ne pouvait être sauvé. Lenka réussit à récupérer quelques affaires avant que la ferme ne soit totalement sous les flammes. Les larmes traçèrent des sillons sur ses joues noires de suie. Son front était rouge, couvert de bleus et de sang.

« On a frappé à la porte  j'ai cru que c'était l'un de vous. J'ai ouvert ; un poignard m'a frôlé. J'ai cru un instant encore que c'était vous, et ma rage envers votre équipe a prit un tel degré que j'ai frappé sans réfléchir. Mais ce n'était pas vous ; mon poing visant la hauteur d'une tête de nain n'a frappé qu'un estomac. Ils étaient nos voisins ; nous les avions aidé il y a peu car leur ferme avait subi des dommages à cause d'un orage ... Ils auront alors pu prendre la mesure de nos possessions ... Mais pourquoi avoir tué mon père ?! »

Lenka porta ses mains à son visages et ravala un sanglot. Les nains essayèrent de la réconforter. Ils regardèrent jusqu'au matin la ferme brûler, puis, quand l'aube se leva, ils s'en allèrent avec leurs affaires, emmenant avec eux la naine inconsolable.

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