L'elfe bénie par Manwë

               Le regard perdu au loin Elenna se permettait une pause, voilà des jours qu'elle voyageait à travers la Terre du Milieu pour rejoindre au plus vite les siens. Enfin les « siens », ce n'était pas totalement vrai, ils n'étaient pas de la même race. Les nains d'Erebor étaient plutôt sa famille d'adoption suite à la destruction de l’ile d’Himling, sa ville natale. Un jour que l’elfe souhaitait ardemment oublier mais qui peuplait toujours nombreux de ses cauchemars. Il y a plusieurs dizaines d'années Smaug, la plus grande terreur de toutes les races s’abattit sur Himling telle une tornade infernale. Enfant à l'époque, ses souvenirs étaient flous, se demandant même comment elle avait fait pour survivre. Tout s'était passé tellement vite, les cries agonissant, l'odeur de la chair brûlée lui revint en mémoire… Elle les chassa d'un mouvement de tête frénétique et se concentra à nouveau sur son objectif.

Les nuages commençaient à se dissiper à l’horizon laissant apparaître la montagne solitaire, demeure de Thrór, roi sous la montagne. Sa richesse était légendaire, on y trouvait or, diamants, pierres précieuses en tout genre mais surtout l'Arkenstone, le joyau du Roi. Toute cette richesse n'attirait pas vraiment Elenna, contrairement aux autres races elle était plutôt insensible à ce genre de mal. De plus cela inquiétait grandement la jeune elfe, des rumeurs couraient sur le roi depuis quelques temps. Elle s'était absentée durant plusieurs mois et elle préférait vérifier ces dires par soi-même. L'immensité du trésor de Thrór le rendait fou selon certains, d'autres disaient même qu'il restait des heures enfermées dans la grande salle, contemplant d'un regard vitreux ses trésors. Malgré tout ce n’étaient pas ces rumeurs qui motivaient le plus Elenna à rentrer dans sa demeure, mais Thorin fils de Turin, fils de Thráin. Lorsque le roi accueillit la jeune fille Thorin avait environ le même âge qu'elle, il était comme un frère et leur entourage s'étonnait de leur grande complicité. Sur un champ de bataille ils étaient tous les deux redoutés comme la mort et coordonnés comme un seul être.

D’un mouvement las Elenna se redressa, étirant ses ailes, il était temps de reprendre la route, elle jeta un coup d’œil dans son sac de voyage et poussa un soupir, il ne lui restait rien à manger. La ville la plus proche d'ici était la demeure de Thranduil. Que penseraient les elfes s’ils apprenaient qu'elle n'était pas morte et qu'elle avait grandi parmi les nains ? Si elle partait maintenant elle arriverait sans problème avant le coucher de soleil. Un petit sourire en coin apparut sur le coin de ses lèvres. Et pourquoi pas ? D'un seul coup d'aile elle décolla, provoquant une énorme bourrasque, sentir le vent sur son visage était un vrai délice pour Elenna. Elle se laissa planer paresseusement en direction de la forêt. Observant celle-ci elle pensa qu'elle était bien avantagée de pouvoir voler, la végétation était tellement dense qu'il était très facile de s’y perdre par mégarde. Perdue dans ses pensées Elenna se demandait comment elle allait les aborder, les elfes de la forêt noirs étaient connus pour être assez farouche et fière, enfin selon les nains. En fait elle n’avait parlé à aucun elfe depuis la catastrophe qui avait touché son peuple, elle commençait à se demander si c’était vraiment une bonne idée. Elle avait entendu que du mal du roi Thranduil puisque celui-ci est en total désaccord avec Thrór.

La vue d’un arbre plus imposant que le reste de la forêt la fit sortir de ses songes. Elle se demandait si c’était là la demeure des elfes de la forêt noire. Lorsqu’elle fut assez proche pour être vue Elenna préféra atterrir, de peur de leur réaction. Que se passerait-t-il s’ils la prenaient pour un monstre quelconque ? Une slave de flèches sans doute… La nuit commençait à tomber et la jeune elfe n’avait aucune envie de dormir dans cette forêt. Elle semblait sordide et malade, elle portait bien son nom. Encore perdue dans ses pensées elle ne prêta pas attention aux toiles d’araignées ici et là qui l’entourait, suivant le sentier. Mais après quelques dizaines de minutes elle perdit sa trace, Elenna observait autour d’elle, pourtant elle était sûr de l’avoir suivi ! L’espace était trop restreint pour s’envoler directement alors elle décida de grimper aux arbres pour pouvoir s’orienter dans cette maudite forêt. En grimpant un mouvement dans son champ de vision attira son regard, elle eut juste le temps d’éviter des crochets acérés. Dans son élan elle perdit l’équilibre, tomba sur le sol et elle eut juste le temps de se relever. Une énorme araignée lui fit face et se jeta sur elle. Elenna dégaina immédiatement son épée pour tenter de repousser ses mâchoires. Elle ne rencontra aucune difficulté à l’esquiver une fois sur la terre ferme et lui trancha net la tête. Trop facile pensa-t-elle. Mais elle était étonnée de voir de telle créature aussi près du domaine du roi Thranduil, il ne faisait donc rien pour s’en débarrasser ?! Alors qu’elle pensait être enfin tranquille une dizaine d’araignées arrivèrent à sa hauteur, face à un tel nombre elle opta pour la fuite. Malheureusement elle ne trouvait aucun espace pour s’envoler et quitter cet enfer, elle n’avait pas d’autre choix que de continuer à courir en espérant atteindre rapidement le domaine des elfes noirs.

La jeune elfe courrait à s’en bruler les poumons, ses ailes était certes un avantage dans les cieux, mais sur terre elles l’encombraient terriblement… Dans l’action Elenna ne réalisa pas qu’elle s’éloignait de la ville, elle tentait de semer les araignées à travers la végétation dense. Mais les vibrations que provoquaient ses pas sur les toiles permettaient aux horribles arachnides de la repérer aisément. En pleine élan elle glissa au fond d’un profond fossé, alors elle déploya ses ailes. Des pattes velues apparurent de part et d’autre de la fosse, Elenna retint son souffle, elle était piégée. Mourir comme ça sérieusement ? Au fond d’un trou dégoutant avec ces créatures ? Elle baissa son regard vers le cor attaché à sa ceinture, présent de son ami Thorin.

N’oublie pas Elenna… Utilises le en cas de danger, si je suis à portée je viendrais te sauver…

L’elfe l’attrapa et souffla dedans de toutes ses forces, un bruit sourd retentit à travers la forêt noire.  Nullement impressionnées les araignées déferlèrent sur elle, Elenna tenta de les maintenir à distance du mieux qu’elle pouvait avec son épée. Elle en tua une, puis deux, mais rapidement elle se retrouva dépassée et à terre, retenant de ses mains les crochets qui essayaient sauvagement de la lacérer. La jeune elfe commençait à perdre espoir mais des bruits de pas léger attirèrent son attention. Elle allait appeler à l’aide lorsque qu’une rafale de flèches s’abattit sur les araignées, suivis de cris dans la langue Sindarin. Le chaos était total, un instant l’araignée profita de son étonnement pour planter ses chélicères dans la cuisse de sa victime. Elenna hurla de douleur, une silhouette s’interposa, plantant violement une dague dans le crâne de la créature.

- Est-ce que vous al…

L’elfe blond se figea en apercevant l’apparence d’Elenna, il la jaugea de haut en bas quelque peu déstabilisé, comme si elle était un drôle d’oiseau.

- Que se passe-t-il Legolas ?

Un autre elfe, très ressemblant au premier, glissa agilement dans la fosse et eut exactement la même réaction du dit Legolas. Elenna ressentit une pointe de vexation, mais ne leur en tint par trop vigueur, elle était tout sauf ordinaire comparée à eux. Elle observa les nouveaux venus, surtout le plus âgés, enfin il avait l’air aussi jeune que son compère mais une aura particulière se dégageait chez lui. Une magnifique couronne de fleurs des bois ornait son front, elle comprit immédiatement qu’elle était face au roi sylvain, Trandhuil. Il s’exprima, un air mélancolique le saisissant soudain :

- Une chevelure de feu… Des ailes semblables aux aigles… Pas de doute, vous êtes l’elfe bénie par Manwë. J’étais pourtant persuadé que les flammes du dragon avaient eu raison de vous. Où étiez-vous durant toutes ces années, fille d’Anoriel ?

Les yeux d’Elenna brillèrent un bref instant en entendant le nom elfique de sa mère, elle ne l’avait plus entendu depuis son ancienne vie, parmi son peuple… Elle s’apprêta à révéler la vérité mais se retint, les elfes de la forêt noire n’étaient pas tellement en bon terme avec les nains d’Erebor. Alors elle opta pour une réponse vague, n’étant pas douée en mensonges :

­- Eh bien… Le vent m’a porté ici et là en Terre du Milieu…

Elle se tut, abordant un fin sourire mystérieux à l’elfe, Legolas s’interposa, quelques peu agacé :

- Le roi Thranduil vous a posé une question, ne pouvez-vous donc pas être plus précise ?

Une profonde colère anima les yeux d’Elenna, elle déploya subitement ses ailes, provoquant un vent violent et s’apprêta à les planter là lorsque Thranduil intervint calmement :

- Veuillez excuser l’affront de mon fils, il n’a pas conscience à qui il s’adresse, Elenna, descendante de Maedhros. Je vous en prie, soyez mon invité le temps qu’il vous plaira, je serais honoré de vous accueillir en mon humble royaume.

La jeune elfe arqua un sourcil, Maedhros… Ce nom était totalement inconnu pour elle. Un ancêtre peut-être ? Les nains avaient été très vagues sur les questions de ses origines enfant et en grandissant elle n’en avait pas spécialement ressenti l’intérêt de chercher plus loin.

- Votre fils a surement raison d’agir ainsi, je n’ai aucun peuple, aucun pouvoir et mes ascendances me sont totalement étrangères. Je répondrais volontiers à votre invitation si vous acceptez de m’instruire sur tout cela.

Elenna s’adressait à eux avec un elfique imparfait, presque enfantin, Thrandruil devina aisément qu’elle n’avait fréquenté aucun elfe ces dernières longues années. D’un mouvement de tête amical il accepta sa proposition, à ses coté Legolas était plongé dans ses pensées, se sentant légèrement gauche d’avoir manqué d’élégance auprès de la nouvelle venue. Alors il tendit une main à Elenna, lui proposant poliment de l’aider à sortir du fossé. Eclatant d’un rire cristallin, la jeune elfe s’envola d’un coup d’aile et cria gaiement :

- Je ne suis pas une enfant empotée voyons !

Elle tomba agilement à côté de lui, sous les murmures ébahis des soldats qui les accompagnaient. Tranquillement les êtres sylvains se dirigèrent vers la capitale, Elenna observait, curieuse, la magnifique architecture elfique. Elle écoutait à moitié le roi Thranduil, qui lui présentait avec fierté sa demeure tandis qu’ils déambulaient dans ses quartiers.

- Voici votre chambre, je vais demander qu’on vous apporte tout ce qu’il vous faut. Je vous laisse, vous devez surement être éreintée après ce voyage, n’hésitez pas à nous rejoindre durant le banquet, si le cœur vous en dit.

Le roi s’éclipsa, après l’avoir salué d’un signe de tête solennel, Elenna resta là quelques peu hébétée, jamais avant on l’avait accueilli sous son titre royal. Mais elle apprécia que le souverain ne lui force pas à leur tenir compagnie ce soir, elle jeta un œil sur sa jambe blessée en grimaçant, cette saleté d’araignée ne l’avait pas loupé.

- Ma dame… souffla une voix hésitante.

Elenna se retourna en sursautant, se retrouvant nez à nez avec Legolas, qui eut la même réaction qu’elle. Il fit un pas en avant, tenant un bol rempli de quelques fioles et un linge propre. Devant son regard interrogateur, il continua :

- Je vous ai apporté de quoi désinfecter votre blessure après l’altercation avec les arachnides. Je vous laisse ça là.

Le jeune prince déposa les ustensiles et s’éclipsa sans un mot. Elle soupira, c’est exactement ce qu’elle désirait à l’instant, comment le remercier ? Elle profita du confort de sa chambre pour se purifier, nettoyer ses plaies et se prélasser dans les draps propres. Quel plaisir après des mois de voyage en bivouaquant cachée ! Rapidement elle somnola à moitié, profitant de cet instant de confort, parce qu’elle le savait, elle ne devait pas rester longtemps ici…

Les cris joyeux et la musique sortit Elenna de son sommeil, elle s’appuya sur ses coudes, il faisait déjà nuit ? Elle se pencha par la fenêtre de sa chambre, sous la lueur lunaire elle aperçut, les elfes chanter et danser autour d’un somptueux banquet. Un doux fumet vint chatouiller ses narines et son ventre ne tarda pas à se manifester bruyamment. D’un geste vif elle ferma les rideaux pour s’extraire de cette vision riche en convoitises. Non, non et non elle n’était pas là pour s’amuser ! Les voix des elfes prenaient de plus en plus de l’intensité et les paroles elfiques parvinrent à ses oreilles, telle une brise sur les arbres :

Sur l’ile isolée du Grand Est, loin, loin de nos forêts,

Manwe bénit notre monde par la naissance d’un miracle.

Une jeune elfe, la tête couronnée par les flammes et le regard dorée,

Vivait dans les cieux, parmi les descendants de Thorondor.

Elenna fille d’Anoriel, nous observe haut, si haut,

Au plus proche de Varda Elentári, dame des étoiles.

La revoilà ! La revoilà !

De retour des Cavernes de Mandos !

…

Elenna ne put retenir son sourire en entendant les elfes chanter ses louanges, si elle s’attendait à ça… Doucement, elle chantonna pour qu’elle seule l’entende :

Regarde O Smaug, tu n’es plus l’unique maitre de ce royaume.

Gare à toi si mes ailes me portent à toi,

Par ma lame je te transpercerais le cœur !

Elle entendit un mouvement sous sa fenêtre, jetant un regard en contrebas elle aperçut Legolas, un verre de vin à la main, chantonnant en échos ses paroles.

- Quel prince mal élevé ! taquina la jeune elfe, à trainer et écouter aux fenêtres !

- Sans vouloir vous vexer je suis ici chez moi, répondit-il à moitié sérieux.

Elenna se laissa planner à côté de lui, l’observant du coin de l’œil avec un sourire taquin. Inconsciemment Legolas se décala légèrement, quelques peu intimidé par le tempérament de leur invité. Son regard s’illumina, cela était sans doute lié à sa jeunesse. L’elfe avait selon ses calculs environ 27 ans, elle n’était même pas pubère même si son esprit était plus développé que les Hommes.

- Vous n’êtes pas un peu jeune pour voyager seule ainsi ? demanda-t-il inquiet.

Les yeux perçants d’Elenna le transperça soudain, il eut la sensation d’être une proie face à un aigle majestueux. Mais elle répondit, la voix légèrement tremblante :

- C’est vrai… Mais la perte de mon peuple m’a forcé à vite me débrouiller…

Legolas proposa rapidement à la jeune elfe de les rejoindre festoyer afin de lui changer les idées, elle craqua et finit par accepter, son ventre criant famine. Thranduil, richement habillé, l’accueillit chaleureusement, son engouement gagna les autres elfes qui se massèrent autour d’elle. Être ainsi le centre de l’attention était plutôt inhabituel pour Elenna, mais se laissa approcher, répondant poliment aux questions qui fusaient de toute part. Apres de longues minutes le roi sylvain intervint, tapotant dans ses mains il s’exprima :

- Voyons, voyons chers amis ! Laissons notre invité se restaurer et se reposer !

La jeune elfe se jeta alors sur le buffet, tellement de mets délicieux… Les nains n’étaient pas très friands des légumes et elle de la viande, ses repas étaient donc assez misérables en temps normal. Elenna s’apprêta à réclamer du vin mais se heurta aux refus des elfes, qui n’arrêtait pas de la taquiner sur son jeune âge. Alors elle finit par lâcher l’affaire, profita au mieux de la fête, dansant et chantant en leur compagnie à mesure que l’astre lunaire déclinait dans la voute céleste.

               Elenna était adossée à la fenêtre de sa chambre, réalisant soudain son égarement. Depuis son arrivée chez les elfes trois semaines s’étaient écoulées, emportée dans la joie de fréquenter ses pairs elle avait perdu conscience du temps présent. Le roi Thranduil avait pris à cœur de lui instruire l’histoire des Noldor, elle imaginait mal que cela avait était aussi sanglant, surtout concernant son grand-père. Elle ressentie beaucoup de peine et se promit au plus profond de son être de ne jamais lever son épée contre les elfes ou ses proches. Elenna le jura sur la lame elfique que le roi lui confia, vestige de son peuple. Elle l’observa admirative sous les reflets du soleil, les nains d’Erebor avaient beau faire de très belles œuvres, cette épée était de loin la plus magnifique qu’elle ait vue…

D’un mouvement assuré elle réajusta son sac de voyage, elle n’aimait pas se comporter ainsi mais elle comptait faire faux bonds aux elfes. Elenna se sentait vraiment honteuse de cette situation, de les traiter ainsi après leur hospitalité, mais elle craignait qu’ils tentent de la retenir. Um mouvement dans son dos attira son regard, elle se retrouva face à Legolas qui l’observait, soucieux, appuyé contre l’encadrement de la porte.

- Vous partez… souffla-t-il comme une affirmation.

- Je le crains oui, répondit-elle faiblement, je vous remercie vous et votre père pour tout ce que vous avez fait pour moi, mais je dois reprendre mon voyage.

- Où allez-vous ?

Elenna resta mutique face à l’interrogation de l’elfe, il le savait, elle ne lui donnera aucune information sur son voyage. Elle lui tendit cinq plumes qu’elle venait de s’arracher et les lui tendirent avec un large sourire.

- Je suis sûr qu’elles feront d’excellentes flèches pour un archer aguerri !

Legolas accepta humblement son présent, profondément touché par son attention, mais la jeune elfe prit son envol avant qu’il puisse la remercier, provoquant une bourrasque qui faillit le faire vaciller. Il garda un œil sur la silhouette d’Elenna qui rétrécissait progressivement à l’horizon, se dirigeant vers la montagne solitaire. Un instant il soupçonna une visite chez les nains, mais il trouva cette idée totalement saugrenue et abandonna cette pensée.