Confusions des genres

Chapitre 12 : À lendemain difficile, réveil morose

Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 18:12

Oscar était d’une humeur exécrable ce matin-là, André n’avait guère tardé à le remarquer. Elle l’avait rabroué, ce dont il commençait à avoir l’habitude, mais avait même houspillé Grand-Mère, ce qu’il était déjà moins prêt à accepter. Il est vrai que celle-ci n’avait cessé de presser Oscar de questions et de remontrances au sujet d’il ne savait quel accroc à sa robe, dont celle-ci n’avait de toute évidence aucune envie de parler. Aujourd’hui elle était de repos et, se dit André, cela lui laisserait tout loisir de réfléchir aux conséquences de vouloir jouer les donzelles.

– André, tu vas me dresser la liste complète de tous les bals à venir, que ce soit à Versailles ou à Paris.

Enfer ! La soirée précédente lui aurait-elle au contraire donné gout à la vie de coquette ? Elle avait beau être bien plus femme qu’elle n’avait voulu l’admettre jusqu’ici, elle n’allait tout de même pas maintenant se transformer totalement en fille et abandonner tout ce qui avait fait sa vie, tout ce qui avait fait leur vie ensemble ? Elle n’allait tout de même pas cesser de porter la culotte pour adopter la robe comme tenue quotidienne ? Délaisserait-elle l’habit masculin, symbole de cette vie qu’elle avait jusqu’ici partagé avec lui, au profit de toilettes féminines qu’elle porterait au bénéfice d’autres hommes, en pensant à un autre homme ? Que t’arrive-t-il, Oscar ?

– Comment ? Tu ne vas tout de même pas porter des robes tous les jours ?

– André, triple buse, réfléchis à ce que tu dis ! Comment pourrais-je faire quoi que ce soit contre le Masque Noir en robe ? On ne peut pas courir trois pas sans tomber dans ce harnachement là ! Et où glisserais-je mon épée ?

Ouf ! Sa folie passagère semblait s’être dissipée. La soirée de la veille paraissait l’avoir convaincue de l’incommodité de ces tenues pour un colonel des gardes. Pourvu qu’elle l’ait également définitivement détournée de l’idée d’en user pour plaire à un homme.

En tous les cas, la chasse au Masque Noir semblait désormais être passée de marotte à véritable obsession chez Oscar. En un sens, il aurait du être heureux que cela vînt la détourner de son autre obsession du moment, à savoir Axel de Fersen, mais tout ceci inquiétait tout de même André. Il avait le sentiment que rien de bon pour eux ne pourrait sortir de cette histoire et aurait souhaité qu’un tout autre sujet vînt occuper l’esprit d’Oscar. Il en arrivait à regretter Madame de la Motte et ses intrigues vénéneuses, ou bien Madame de Polignac et son hostilité manifeste. Non, vraiment, cette lubie n’arrangeait pas les affaires d’André qui avait par ailleurs à faire à Paris l’après-midi-même.


Il lui avait échappé. La canaille avait osé essayer de s’en prendre à elle comme à une jouvencelle sans défense, et il lui avait échappé. Cette fois-ci, la coupe était pleine et Oscar se fit le serment de mettre fin à ses agissements. À présent qu’il s’était attaqué à elle-même c’était devenu un impératif. Sa priorité.

Il n’avait pas même tiré son épée contre elle, n’avait pas sorti son pistolet, la pensant une proie facile. Comme c’était humiliant pour Oscar ! Comme c’était insultant pour le colonel de Jarjayes ! Être ainsi tenue pour quantité négligeable, ou tout au moins comme ne présentant absolument aucun danger, elle, le terrible colonel des gardes qui menait des troupes armées et venait d’arrêter la criminelle la plus recherchée du royaume ! Elle qui s’était battue dans des tavernes contre des adversaires deux fois plus nombreux ! Tiens, comme le jour où elle avait revu ce Monsieur de Robespierre accompagné de son ami, ce pisse-copie qui lui avait manqué de respect. Certes, ce jour-là elle et André avaient pour cette fois été débordés par le nombre, mais au moins les combattants lui avaient fait la grâce de ne pas la sous-estimer et de ne pas retenir leurs coups. Étrangement, avec son corps meurtri et son visage tuméfié elle s’était sentie le lendemain de cette rixe moins défaite et moins humiliée qu’après cette première rencontre avec le Masque Noir. Oui, décidément et sans en avoir conscience, ce malandrin l’avait insultée. Et c’était là une grave erreur de sa part, qu’elle entendait bien lui faire amèrement regretter.

En attendant elle était rentrée la veille au soir dépitée, irritée, défaite, abattue et remontée tout à la fois, de sa tentative auprès de Fersen et de sa mésaventure avec cette fripouille, l’antagonisme de ces sentiments concomitants l’ayant épuisée mais maintenue éveillé jusque tard dans la nuit. Et il avait encore fallu que Grand-Mère – qui devait l’avoir attendue toute la soirée avec impatience – en rajoutât lorsqu’elle vit l’état dans lequel était rentrée Oscar : énervée, affligée, décoiffée, la robe déchirée sur un pied-du-roi de longueur au niveau du genou, le visage fermé.

Oscar aurait bien aimé la congédier en bougonnant un simple « bonne nuit » seulement voilà, elle aurait été incapable de se sortir seule de ces nippes. Il lui avait donc fallu endurer les questions sans fin de Grand-Mère sur ce qui l’avait mise dans cet état, entre deux lamentations au sujet d’André qui était encore sorti sans même prévenir. Tiens donc !

Elle ne desserra pas les dents et Grand-Mère finit par la laisser se coucher. Seulement elle était revenue à la charge dès le lendemain matin. Oscar, déjà de méchante humeur, finit par lui parler un peu vertement et vit du coin de l’œil la désapprobation d’André. Elle en fut un peu honteuse, et plutôt que de présenter des excuses, chose pour laquelle elle se savait n’avoir décidément aucun talent inné et qu’elle ne savait faire avec grâce, elle détourna au plus vite la conversation sur un sujet qu’elle savait maîtriser : un plan de bataille.

Et puis, il fallait bien que quelqu’un arrêtât ce maudit Masque Noir, tudieu ! Le bruit courrait qu’il avait gagné en popularité auprès des petites gens en leur distribuant partie du produit de ses rapines. Morbleu, l’homme était habile ! Même André semblait conquis, à en croire ce qu’il lui avait dit la veille ! Mais quelle forfaiture : acheter ainsi sa popularité auprès des plus humbles, des esprits les plus simples, monnayer ainsi sa réputation, se racheter une conduite à coup d’oboles ! Quoique si même André paraissait être gagné par une certaine... mansuétude à l’égard de cette crapule, le mal était sans doute plus profond encore, car les personnes telles qu’André n’étaient pas des naïfs vite éblouis par un peu de poudre aux yeux, mais des gens instruits et au fait des choses de ce monde. Et si le Masque Noir parvenait à abuser même ces gens-là…

Non, André n’était pas naïf, mais il était décidément trop bon. Certains voient le mal partout, lui c’était le contraire. Il avait envie de croire que quelqu’un pouvait faire quelque chose pour aider les plus humbles, et soudain un mystérieux et autoproclamé justicier leur distribuait or et argent. André était trop idéaliste, voilà tout, et comme souvent chez ces gens-là, le cœur gouvernait la raison et il croyait à ce en quoi il avait envie de croire pourvu que le rêve fût suffisamment beau. Ce ne pouvait qu’être là la raison de son apparente indulgence envers ce brigand, n’est-ce pas ? Celle-ci ne pouvait être due à des motifs plus… terre à terre et égoïstes, non.

Non, André était un doux rêveur, et pour ces gens-là, plus noble paraissait le rêve et plus douloureux et violent était le réveil. Et en bon ami, en bon frère qu’elle était, elle se devait d’au plus tôt le faire revenir à la conscience des dures réalités afin que cette souffrance en fût la moins grande possible.

Oui, décidément, il était de son devoir de le protéger de lui-même, même si elle devait le faire à son insu.

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