Confusions des genres

Chapitre 4 : Miroir, mon laid miroir

Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/12/2012 07:25

Chapitre 4

Miroir, mon laid miroir

 

Et voilà que cela recommençait comme quelques jours auparavant. André était introuvable.

– Et il ne vous a pas dit qu’il sortait ?

– Non ma petite. Ce petit vaurien a encore disparu sans prévenir, juste après qu’il eût fini ses corvées. Dire qu’il vous a abandonnée comme ça sans rien dire…

– Il ne faut rien exagérer Grand-Mère, je ne suis pas abandonnée, je suis ici, et chez moi. C’est juste que je me demandais où il était, voilà tout.

– Oooh, mais comptez sur moi pour le lui demander demain dès que je le verrai. A-t-on idée de partir comme ça sans prévenir, et puis, il pourrait lui arriver n’importe quoi, mon petit seul sur les chemins en pleine nuit…

– Rassurez-vous, Grand-mère. Premièrement, André aura beau être toujours votre petit, il n’est plus un petit garçon. Et deuxièmement, il sait très bien se battre, je suis bien placée pour le savoir, répliqua Oscar en passant la main gauche sur l’estafilade qu’il lui avait infligée quelques jours plus tôt.

Bon d’accord, elle n’y était pas allée de main morte non plus ce matin-là, il avait bien fallu qu’il redouble de vigueur pour tâcher d’être à sa hauteur. Et oui, il était vraiment doué. À se demander s’il n’avait pas retenu ses coups jusqu’ici, se contentant de parer ses attaques. Mais non, elle restait meilleure escrimeuse que lui. Maigre consolation, car pour le reste, la nature avait fait son œuvre et André avait bien plus de force qu’elle. Course, lutte à mains nues, même bras de fer… il la surpassait dans tous ces domaines depuis bien des années.

Brrrr ! Oscar chassa cette déplaisante idée de son esprit. Oui, même si sa conscience se refusait à le reconnaître, elle était jalouse d’André. Lui parvenait à soulever des charges deux fois plus lourdes en fournissant deux fois moins d’efforts qu’elle. Lui courait plus vite sans s’essouffler autant qu’elle. Certes, il fallait reconnaître que lui n’avait pas besoin de s’enserrer le torse dans un bandage si serré qu’il bridait ses mouvements respiratoires.

Contrairement à elle, lui avait un buste plat, donc aucun poids mort inutile à trainer… Toute à ses amères et jalouses réflexions, elle avait atteint sa chambre à coucher et se préparait pour la nuit.

Aucun poids mort inutile à trainer, un torse plat, et une carrure autrement plus large que la sienne, se dit-elle amèrement en apercevant son maigre reflet dans la psyché. Ôtant sa chemise de jour et libérant son buste, elle observa d’un air peu amène le corps de l’être étrange qui lui faisait face dans le miroir.

Sans les épaulettes de l’uniforme, les épaules étaient tombantes au lieu d’être carrées. La silhouette était frêle et peu imposante. La carrure trop fine, les muscles trop peu saillants enrobaient à peine les os sous la peau. Même chose pour les jambes que l’on devinait efflanquées bien qu’enveloppées de bas et de culottes. Rien à voir avec les hommes qu’elle côtoyait quotidiennement. La seule chose qu’elle avait pour elle était sa taille. Elle dépassait largement la plupart des femmes, et, se consola-t-elle alors, c’était au moins cela. Mais elle n’avait pas hérité des traits virils de son père, elle n’avait pas la même puissance que Girodelle – seule sa technique et sa rapidité lui avaient permis de sortir vainqueur de leur première rencontre, il y avait déjà si longtemps… – elle n’avait pas la même force qu’André dans ses bras, et elle n’avait pas la large carrure de Fersen…

Fersen.

Non, il n’y fallait pas penser. Au lieu de cela, elle fit descendre son regard vers son buste, et bien qu’avec réticence, se força à regarder. Dieu qu’elle détestait cela ! La meilleure preuve qui soit que, quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle pense, elle n’aurait jamais un corps d’homme. Ces… monstruosités, sans aucun muscle, sans aucun maintien… ces difformités qui disgraciaient son torse, là où il n’aurait du y avoir que muscles plats et fermes ! Oh, muscles il y avait, mais débouchant sur… sur ces…

Serrant les poings, pinçant les lèvres de dégout, elle détourna son regard. Et il n’y avait rien à faire contre cela ! Oh, elle avait bien sûr lu les récits antiques évoquant ces guerrières mythiques qui se tranchaient un sein pour mieux tirer à l’arc, mais d’une part, ce n’était que mythologie, et d’autre part, la simple idée de… C’était effroyablement barbare, et les infortunées dont l’état de santé était si désespéré qu’elles devaient se résoudre à passer entre les mains des médecins ou des chirurgiens pour combattre la maladie mourraient généralement plus vite des suites de l’intervention que du mal qui les rongeait de l’intérieur.

Elle releva encore le regard vers ces grosseurs molles qui semblaient la narguer. Un pauvre sourire aux lèvres, elle se dit qu’elle avait au moins la chance que la nature ne l’ait que peu dotée à ce niveau. Anticipation de ce que son destin ferait d’elle ? Peut-être. Comment faisaient donc celles que la nature avait dotées d’une gorge plus… habituelle chez une femme ? Comment supportaient-elles de se voir dans une glace ? Etait-il possible que les hommes chérissent ceci ? Elle, en tout cas, n’éprouvait que répulsion pour cela. Etait-ce là un autre signe que jamais elle ne serait pleinement homme, même en esprit ?

Elle, ne rêvait que de buste plat, de larges épaules, d’un torse tel qu’elle devinait être celui de…

Non ! Elle avait déjà dit qu’elle ne voulait pas songer à Lui !

Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. Qu’aimait-il, lui ? Les gorges opulentes, révélées par les corsages serrés des robes à la dernière mode ? Certainement. Et après-tout, n’était-ce pas ce qu’Elle portait ? N’était-Elle pas réputée pour la grâce et la perfection de ses charmes ?

Les images de la Reine, si féminine et toute en courbes dans ses robes de cour passèrent fugacement dans l’esprit d’Oscar… qui regarda encore une fois vers sa psyché. Non, vraiment, personne ne pourrait un jour être attiré par ce qu’elle y voyait. Il n’y avait pas une once de féminité dans ce corps trop grand et trop maigre pour attirer l’œil d’un homme, sans même parler de sa caresse. Ce corps trop plat et trop musclé pour être celui d’une femme, mais pas suffisamment pour être celui d’un homme…

Osseuse, anguleuse jusque dans son visage… Non, il n’y avait rien de féminin en elle, et pire encore, il n’y avait en ce corps rien de viril non plus.

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