Confusions des genres
Chapitre deux
Retour au bercail… ou presque !
Tout ce temps absent…
Bien sûr, ç’avait été pour suivre Oscar, et au-delà de cela, pour veiller sur elle. Alors évidemment… Oui, il avait ses priorités. Et Elle, ses combats, son bien-être, son bonheur, sa sécurité, sa vie, passeraient toujours avant tout le reste. Il en avait fait le serment depuis l’enfance.
Toutefois, il en avait manqué, des choses. Car les choses, justement, ne l’avaient pas attendu et avaient avancé leur bonhomme de chemin.
Et notamment elles attiraient de plus en plus. Il avait été surpris de constater à quel point, ce soir là. L’idée semblait faire son chemin. L’audace, aussi, allait crescendo. On osait plus, et plus fort. Ce qui avant n’était qu’esquissé était maintenant plus ouvertement clamé.
Enfin, ouvertement… Ouvertement entre eux, du moins. Il fallait tout de même encore et toujours se cacher, prendre garde à n’éveiller aucun soupçon parmi ceux qui avaient le pouvoir de mettre fin à tout cela, comme la lame du barbier tranche net la mèche de cheveux rebelle à se plier à ses exigences. Se méfier des mouchards qui iraient relater leurs rendez-vous.
Mais malgré tout ce temps passé au plus près d’Oscar, à poursuivre la sœur de leur chère Rosalie, ça lui avait manqué, et il était content d’être de retour pour pouvoir reprendre ces soirées à la fois enrichissantes et exaltantes.
Et même si Oscar et lui avaient, alors enfants, fait le vœu de tout partager, même s’il s’y était jusque là toujours tenu, il savait qu’Oscar avait de son côté déjà donné quelques coups de canifs à leur vœu pieux. Fersen, par exemple. Il avait bien deviné, allez, que l’affection qu’elle lui portait n’avait plus rien de la virile amitié teintée de mutuelle admiration que celui-ci éprouvait pour elle. Mais elle ne lui avait rien dit à lui, son autre elle-même, son ombre, son... son quoi, au fait ? Qu’était-il pour elle ?
Quelle que fut la réponse à cette question, elle ne le satisfaisait jamais.
Son frère ? Il n’avait pas, il n’avait plus envie de l’être, depuis bien longtemps. Eprouver cela pour son frère, pour sa sœur, serait damner son âme à coup sûr. Et André se voulait bon chrétien.
Son ami ? Comme il aurait voulu être bien plus qu’un simple ami pour elle… Et puis ce mot était maintenant beaucoup trop galvaudé. Girodelle n’était-il pas aussi son ami ? Et Fersen ? Encore lui…
Son domestique ? Il n’y voulait pas même penser…
Son aide de camp ? Pas mieux…
Il était celui qui aurait donné sa vie pour elle, qui avait tout partagé avec elle, qui l’avait toujours devinée, elle, et à qui elle ne s’était pas même ouverte de ses sentiments nouveaux.
Non qu’il aurait eu tellement envie de l’entendre à longueur de journée déclamer son trouble pour le suédois, vanter sa beauté, sa droiture, ses talents, sa générosité, et soupirer son désespoir de pouvoir jamais toucher son cœur, bref, tout ce que l’Autre faisait auprès d’elle, totalement ignorant, que dis-je, aveugle ou pire, indifférent,quant à ce que pouvait ressentir son interlocutrice. Non, vraiment non.
Mais tout de même, être ainsi tenu à distance de son âme, sentir qu’elle ne lui accordait pas suffisamment sa confiance pour se livrer au moins un peu… Cela le blessait, lui qui pensait jusqu’ici qu’ils partageaient en quelque sorte une seule et même âme…
Alors oui, il avait bien le droit d’avoir quelque chose rien qu’à lui.
Ainsi perdu dans ses réflexions sur le chemin du retour, il avait tout de même fini par arriver à Jarjayes. Décidément, se dit-il alors, même quand je veux penser à quelque chose rien qu’à moi, Oscar s’invite toujours dans les chemins tortueux de mes réflexions. De mon âme. Quelle ironie.
"L’histoire de ma vie…" songea-t-il avec un demi-sourire, plein de dérision et d’une pointe d’amertume.
Il ressortit des écuries, gagna le château et poussa la porte principale. Celle-ci résista.
Tiens ? Il insista. Pas mieux.
Bien, il passerait par les communs.
Fermés à clé également !
Etrange…
Eh bien il ne restait plus qu’à se faire ouvrir.
Il ne fit pas sonner la cloche, pour ne pas réveiller toute la maisonnée à… quelle heure pouvait-il bien être ? Il tira sa montre-gousset – magnifique cadeau d’Oscar – et lut l’heure à la lumière du clair de lune.
Ah oui, tout de même ! Il était donc parti tout ce temps… Il fallait bien dire qu’il ne voyait vraiment pas les heures passer, ces soirs-là.
Hors de question de réveiller tout le monde. Mais Oscar se couchait souvent tard et Grand-Mère dormait de moins en moins, l’âge avançant. Avec un peu de chance, l’une des deux serait encore éveillée. Il imaginait déjà Oscar lisant à la lumière des chandelles dans sa chambre, comme souvent.
Il fit le tour du château jusqu’à se placer sous ses fenêtres, recula pour aviser les volets clos de sa chambre. Rien. Pas un rai de lumière. C’était bien sa veine. Le long voyage de retour depuis Saverne avait dû la fatiguer suffisamment pour qu’elle se couche plus tôt.
Allons bon ! Restait Grand-Mère.
Il grimaça légèrement, anticipant les remontrances qu’elle n’allait pas manquer de lui faire – Où étais-tu donc, vaurien ? A-t-on idée de courir par monts et par vaux en pleine nuit pendant que ma petite Oscar…
Sauf que la petite Oscar en question n’était plus petite du tout, et ne craignait absolument rien bien au chaud dans son lit douillet. Il avait bien le droit d’avoir une vie un soir de temps en temps entre neuf heures et… oui, bon, d’accord, il était très très tard, mais enfin quoi, il n’était plus un enfant, que diable !
Quelle déveine ! La chambre de sa grand-mère aussi semblait plongée dans l’obscurité ! Malgré tout, cela arracha un sourire attendri à André : pour une fois, sa grand-mère semblait faire une nuit de sommeil presque complète. Il serait vraiment le dernier des petits-fils s’il osait la réveiller en jetant des cailloux contre son volet, comme il avait imaginé le faire pour l’alerter discrètement sur sa présence… Non, il veillerait à ce que sa grand-mère profite d’un sommeil réparateur, si nécessaire en empêchant que quiconque la réveille le lendemain matin. Enfin, si elle n’était pas déjà debout lorsque lui se réveillerait…
D‘ici là, une seule solution s’imposait à lui pour trouver où passer la nuit. Du moins pour ce qu’il restait de la nuit.
D’un pas résolu, il s’en retourna vers les écuries.