Confusions des genres
CONFUSIONS DES GENRES
Chapitre un
Prologue
– Eh bien, Grand-Mère, qu’avez-vous donc à tout boucler à double tour ce soir ?
La gouvernante des Jarjayes était en effet occupée à faire le tour de toutes les ouvertures du château afin de faire clore tous les volets, barrer toutes les fenêtres et fermer à clef toutes les portes donnant sur l’extérieur.
– Ah, on voit bien que vous n’étiez pas là ces derniers temps ! Toujours par monts et par vaux, à risquer de vous faire tuer, ce n’est pas une vie pour une jeune femme du monde, vraiment je maintiens que Monsieur votre père…
Sentant venir la sempiternelle diatribe qu’Oscar connaissait par cœur pour l’avoir entendue un nombre incommensurable de fois et qui la fatiguait chaque fois un peu plus, elle l’interrompit d’un péremptoire :
– Eh bien voilà qui tombe très bien, puisque je ne suis PAS une jeune femme. Et cela ne me dit toujours pas pourquoi vous nous enfermez comme si Jarjayes était soudain devenu une place fortifiée se préparant à un siège. Seriez-vous dernièrement devenue général en chef dans une guerre dont je n’aurais ouï parler ?
À bien y réfléchir, Grand-Mère avait toujours plus ou moins été le général en chef en cette maisonnée, sous l’autorité déléguée par le véritable général de Jarjayes, bien sûr. Du moins est-ce ce que se dit alors Oscar. Il était toutefois heureux que l’autorité de la gouvernante ne dépassât point celle de son père, sans quoi Oscar se serait vue obligée de porter des robes et interdite d’approcher une épée ou de monter à cheval autrement qu’en amazone. Quant à passer toutes ses journées en compagnie d’André ou bien jurer lorsque l’exaspération s’emparait d’elle, il n’y aurait fallu pas même songer !
– Oh, vous pouvez vous moquer, mais tandis que vous et André étiez à Saverne en train d’essayer de vous faire tuer ou estropier, figurez-vous qu’ici un bandit a décidé de s’attaquer aux riches demeures pour y dérober argent et valeurs. Et comme si cela ne suffisait pas, il ne recule pas même devant le fait de dévaliser les personnes elles-mêmes, les délestant des bijoux, bourses et objets précieux qu’elles portent sur elles. De leurs pistolets, aussi.
– Bien entendu ! s’exclama Oscar. Si j’attaquais quelqu’un, je ne serais pas assez stupide pour lui laisser une arme qu’il pourrait utiliser sur moi dans ma fuite !
– Oh mais le plus inquiétant est qu’il dérobe également des armes lors des cambriolages, lorsque les demeures sont vides ou que tous les occupants dorment !
– C’est en effet préoccupant…, répondit Oscar, songeuse. Je n’ose imaginer ce qu’il compte en faire. On dérobe rarement une arme pour ne pas s’en servir, ajouta-t-elle comme pour elle-même. Et personne ne l’a encore arrêté ? Nul ne l’a reconnu ? N’a-t-on point fait afficher des portraits de cet homme dans Paris ?
– Mais c’est que ce bandit porte un masque lui dissimulant une bonne moitié du visage. Il est vêtu tout de noir d’après ses victimes, souliers, bas, culotte, veste et cape, et jusqu’à son masque ! On l’a d’ailleurs surnommé le Masque Noir.
– Le Masque Noir ? C’est parfaitement ridicule ! dit Oscar en s’esclaffant.
– C’est peut-être parfaitement ridicule, mais il n’en est pas moins que chaque noble demeure craint désormais sa visite, et lorsqu’un bal se donne chez quelque gentilhomme, la hantise est qu’il ne vienne dévaliser les invités, comme il l’a d’ailleurs déjà fait, répondit la gouvernante en vérifiant la porte-fenêtre du grand salon. Oh, et le plus étonnant de tout, ajouta-t-elle alors, est qu’il semble être plutôt… disons… sélectif, dans le choix de ses victimes : seules les demeures des nobles sont visées, il n’a à ma connaissance jamais encore "visité" de riche maison bourgeoise, regorgerait-elle de toutes les richesses de l’Orient.
– En êtes-vous certaine ? interrogea Oscar. J’avoue que je ne sais qu’en penser, marmonna-t-elle ensuite.
Elle suivit sa vieille nourrice à travers les corridors. Cette histoire était plutôt étrange. Et également un peu inquiétante, elle devait bien le reconnaître. Un bandit armé attaquant les châteaux, ce n’était évidemment pas pour rassurer la vieille femme, et Oscar se sentit un instant un peu honteuse d’avoir "déserté" les siens pour courir à l’autre bout du royaume après Madame de la Motte. Mais enfin, il s’agissait là aussi d’arrêter des malfaiteurs, et de plus c’était là son devoir. Elle en avait même très clairement reçu l’ordre. D’en haut. De très haut. Il eut été impensable, et même déshonorant de ne pas obéir.
Le Devoir avant tout. Et puis, après tout, si la situation avait été si inquiétante, son père lui en aurait parlé dès leur retour d’Alsace. Non, vraiment, qu’elle était idiote de se laisser gagner par l’inquiétude irraisonnée de Grand-Mère. André se moquerait d’elle s’il était là !
Tiens mais au fait, où donc était-il passé ?