La Quatrième Dimension: Voyages inédits

Chapitre 4 : Episode 4 : Service indisponible

4006 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/12/2021 16:44

La Quatrième Dimension

Episode 4 : Service indisponible

 

« Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d’esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination, un voyage au bout des ténèbres où il n’y a qu’une destination : la Quatrième Dimension.

Le monde moderne est une jungle étonnante, un être à la fois partial et injuste, qui peut accorder ses faveurs les plus folles, comme les retirer en un battement de cil.

Dans ce monde, Carrie et Eddie Bronson ont tout du couple modèle : un professeur des écoles dynamique et investi, une infirmière dévouée et honorable.

Les Bronson sont à l’affût des moindres nouveautés, grâce aux applications qui se bousculent sur leurs écrans. Tous leurs souhaits semblent pouvoir s’exaucer en un clin d’œil. Jusqu’au jour où ce vieux fantasme se réalise enfin, grâce à l’intervention d’une petite erreur dans le système, d’un grain de sable dans l’engrenage venu des vastes plages de… la Quatrième Dimension. »


La soirée télé du vendredi soir était devenu leur petit moment de partage et de détente. Quand ils avaient vingt ans, Carrie et Eddie préféraient inviter leurs amis, sortir, boire un verre. Mais avec la trentaine qui se profilait à l’horizon, leurs habitudes avaient pris un sacré virage : le vendredi soir, c’était détente ; le samedi soir, c’était sortie.

Ce soir-là, Carrie, lovée en boule contre le dossier de son sofa avec son plaid au-dessus d’elle, ne prêtait pas vraiment attention à la télévision. Eddie, en revanche, était absorbé par le petit écran plat qui illuminait leur salon. Les informations prévoyaient une grosse tempête de neige qui devait frapper le Maine dans les jours à venir. Avec un peu de chance, cela ne l’empêcherait pas d’aller travailler, pensait-il.

Carrie était obnubilée par son téléphone. Après avoir scrollé pendant une dizaine de minutes sur ses réseaux sociaux, elle se rappela soudainement qu’elle avait une commande à faire sur Amazing, l’application qui se vantait de pouvoir vous livrer n’importe quoi à n’importe quel moment.

« Hey, demanda Eddie, ça ne t’intéresse pas ? »

Carrie leva les yeux de son téléphone, jeta rapidement un œil à la télévision qu’elle n’écoutait que d’une oreille, avant de se replonger dans ses achats en répondant d’un air dédaigneux.

« Chaque année, c’est la même chose, Ed. Il faudra juste être prévoyant, voilà tout.

— Ils disent que ce sera quand même la plus grande tempête du siècle.

— Ils disent toujours ça. L’audimat, l’audimat, encore l’audimat. »

Eddie bougonna une réplique incompréhensible, avant de zapper pour trouver quelque chose qui détournerait le regard de sa femme de son téléphone. Eddie adorait son téléphone lui aussi, mais le vendredi soir, c’était sacré. Il ne l’avait même pas sorti de la poche de son portable en rentrant de l’école. Si c’était pour voir les dizaines de prises de rendez-vous qui s’entassaient avec les parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants, Eddie se disait qu’il ne fallait mieux pas prendre cette peine.

Alors que Carrie s’apprêtait à commander les nouvelles guirlandes pour leur prochain sapin de Noël, des glitchs envahirent soudainement l’écran, déformant l’interface, la rendant méconnaissable. Ils jouèrent avec l’application durant une ou deux secondes, avant qu’elle ne s’arrête complètement, renvoyant Carrie à l’écran d’accueil de son téléphone.

« Qu’est-ce que… ? maugréa Carrie.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— L’appli’ a carrément buggé. Faut vraiment qu’ils pensent à faire une mise à jour. »

Carrie patienta quelques minutes avant de réitérer l’expérience, en prenant enfin le temps de regarder la série qu’Eddie avait commencée. Lorsqu’elle rappuya sur l’icône de son téléphone, un message d’accueil lui annonça que l’application était en train d’être mise à jour.

« C’est pas trop tôt, murmura Carrie ».

Encore deux minutes de plus à attendre, jusqu’à ce qu’une notification l’informe que la mise à jour était enfin terminée. Le logo souriant d’Amazing apparut sur un fond blanc, avant de la laisser accéder à l’application. Carrie retourna dans son panier, chercha les guirlandes pour passer commande, mais remarqua immédiatement qu’un détail différait de la dernière fois.

Le prix avait disparu. A vrai dire, tous les prix de ses articles n’apparaissaient plus.

Carrie fronça les sourcils. La mise à jour n’avait pas fonctionné comme elle l’espérait. Peut-être n’était-ce qu’un état passager ? Peut-être n’était-ce qu’un autre bug ? En soufflant, elle décida de rééteindre l’application et de tout recommencer depuis le début. Mais si les guirlandes apparaissaient toujours, elles ne valaient plus rien. Pas un centime.

Eddie lui demanda ce qui n’allait pas. Il tenta de regarder l’application, mais ne vit rien de particulier, hormis le léger détail du prix.

« Il faut en profiter ! Si ça se trouve, tu auras des guirlandes gratuites !

— Ne sois pas bête, ils ne me laisseraient pas commander quelque chose gratuitement.

— Qui ne tente rien n’a rien ! »

Eddie avait raison. Après tout, la chance l’avait peut-être choisie, pour une fois. Avec la bouche en coin, elle rappuya sur le bouton de commande. L’application ne lui demanda pas le numéro de sa carte bancaire, contrairement à d’habitude, et lui informa que sa commande était en cours de livraison.

« Tu vois ? lui dit-il. Gra-tos ! »

Elle acquiesça d’un signe de tête, toujours un peu perplexe. Soudain, le bruit de la sonnette retentit dans leur petite maison, perdue dans la campagne du Maine. Le couple se regarda un instant, décontenancé par cette visite tardive. Carrie se décida à aller ouvrir. La lourde porte en bois s’ouvrit, ne révélant rien d’autre que la lune et les étoiles qui recouvraient le ciel noir, derrière les grands arbres de l’autre côté de la route.

Carrie pencha la tête à droite, puis à gauche. Personne. Elle pensa alors à un canular. Elle s’apprêtait à refermer la porte, lorsqu’en baissant les yeux, elle vit quelque chose qui lui glaça le sang. Un colis. Un simple carton rectangulaire, posé sur le tapis d’entrée de leur maison. A la manière d’un enfant qui touche une méduse échouée sur la plage du bout de son bâton, elle posa l’index sur le carton avec délicatesse, prête à voir surgir n’importe quoi. Rien. Le paquet semblait tout à fait normal. Pourtant, il n’était pas là par hasard.

Avec toute la précaution du monde, elle le rapporta à l’intérieur pour le montrer à Eddie et lui demander son avis. Il fixa le paquet avec de grands yeux. Un silence pesant s’installa. Le couple se renvoyait des regards soucieux et inquiets, sans qu’aucun d’entre eux ne se décide à ouvrir la boîte posée sur la table basse.

Finalement, Carrie décida d’y jeter un œil. Pleins de scénarii différents lui traversaient l’esprit, des plus ridicules au plus terrifiants. Ses mains tremblaient tandis qu’elle soulevait lentement les bords du carton. Mais la réalité se révéla bien plus décevante.

A l’intérieur du paquet flanqué du logo d’Amazing se trouvaient les jolies guirlandes rouges et blanches que Carrie venait à peine de commander.

« C’est impossible, marmonna-t-elle. »

Eddie jeta un coup d’œil à l’horloge qui trônait au-dessus de la cheminée. Le colis avait été livré en moins d’une minute, sans que personne ne soit là pour le leur donner. C’est comme s’il était apparu de nulle part ; un cadeau de la nuit glaciale qui fixait le paysage à cet instant précis.

S’ils eussent été moins fatigués, Carrie et Eddie auraient sans doute cherché à démystifier cette étrange énigme. Mais la peur qui s’était emparé d’eux à l’instant où ils avaient reçu le paquet les poussaient à ignorer le problème en faisant l’autruche. Sans même terminer la série qu’ils avaient commencé, ils partirent se coucher.

Le lendemain, Carrie se leva la première. La vision du colis toujours ouvert sur la table lui filait des frissons. Tandis qu’elle préparait son petit-déjeuner, elle ne pouvait détourner son regard du carton qui l’obsédait. Avant d’avaler ses œufs au plat, elle se décida à retourner sur l’application pour voir si les choses avaient bougé.

Mais dès qu’elle ouvrit son panier, elle réalisa que rien n’avait changé depuis la veille. Plus aucun prix ne s’affichait. Ce qui signifiait que tout était gratuit.

Lentement, un grand sourire se dessina sur son visage. L’excitation chatouillait son estomac, serrant sa gorge. Elle venait enfin de comprendre que cette défaillance était une chance inouïe pour eux. Il fallait absolument qu’elle partage l’astuce à tout le monde. Mais comment être sûr de pouvoir reproduire le bug ?

Pendant qu’elle réfléchissait à ce qu’elle pouvait écrire sur ses réseaux sociaux, Eddie se leva à son tour, affichant une mine affreuse. Lorsqu’il lui demanda ce qu’elle faisait, elle lui répondit honnêtement. Mais Eddie ne semblait pas du même avis. D’un geste sec, il lui arracha le téléphone des mains, tandis que le curseur clignotait encore sur le pavé blanc, attendant de futures instructions.

« Tu es folle ! On ne va pas révéler ça au monde entier. Imagine ce qui se passerait si Amazing corrigeait le bug.

— Mais on n’est pas obligés de le dire à tout le monde. On peut simplement en parler à nos amis.

— Pas question, Carrie. On doit garder ça pour nous, si on veut que les choses restent comme elles sont. »

Carrie était bien forcée d’admettre qu’Eddie était dans le vrai. S’ils pouvaient profiter d’une petite faille dans le système pour se faire plaisir, pourquoi s’en priver ? Dans le pire des cas, ils refourgueraient certaines de leurs trouvailles à leurs amis en second recours. Dans le meilleur des cas, ils pourraient simplement se taire.

A brûle-pourpoint, ils choisirent malgré tout de rallumer l’application et de tenter à nouveau l’expérience de la veille. Mais cette fois-ci, ils viseraient plus gros : ils allaient changer leur vieux matelas démodé pour un modèle neuf qu’ils avaient repéré dans un grand magasin. Après avoir retrouvé le modèle, Carrie et Eddie se regardèrent un instant en souriant, avant qu’elle n’appuie sur ce bouton. Moins d’une seconde plus tard, la sonnette se mit à retentir.

Eddie et Carrie allèrent ouvrir la porte. Mais il n’y avait personne, comme la dernière fois. Ils avaient beau regarder partout, il n’y avait pas âme qui vive à l’horizon. Aucune trace de pneu dans la pelouse devant leur maison, aucune trace de pas dans la terre humide. Seul leur nouveau matelas les attendait, bien emballé dans son sac plastique transparent, qui laissait deviner sa blancheur intense.

Sans un mot, Eddie et Carrie le trainèrent à l’intérieur. Ce n’est que lorsque Carrie referma la porte qu’ils éclatèrent de joie, en sautillant comme des lapins dans leur salon. C’est alors qu’avec un simple hochement de tête, il conclurent un pacte : désormais, ils devaient absolument éviter que quelqu’un découvre le pot-aux-roses. Ou ils seraient fichus.

*

*    *

Harvey Warden était un homme occupé : entre son jardin, ses petits-enfants et les services qu’il rendait à l’église de la ville, sa vie était bien remplie. Malgré l’entrée dans une retraite qu’il pensait paisible après sa longue carrière de shérif, il n’arrêtait pas une minute. Et pourtant, ce samedi-là, il avait décidé de se calmer un peu. Il faut dire que l’arthrose et les difficultés respiratoires ne faisaient rien pour lui faciliter la vie.

Assis sur sa terrasse, bien emmitouflé dans le manteau rembourré qu’il avait acheté après son service militaire, il prenait son café du matin, attendant patiemment que sa femme Joan se lève. D’aucuns l’auraient pris pour un fou : par cette froide matinée, il ne faisait pas bon sortir de chez soi, surtout pour boire un simple café. Mais c’est comme ça qu’il aimait le prendre, parce que le froid ambiant le faisait refroidir plus rapidement, disait-il.

Tandis qu’il végétait en admirant les arbres danser et les câbles électriques se trémousser au gré du vent de l’autre côté de la route, il entendit la porte de ses voisins s’ouvrir. Les Branson était un petit couple sympathique, qu’il avait rencontré à plus d’une occasion dans le centre-ville. Intrigué par le bruit, il tourna alors la tête à droite et posa son regard sur leur petite maison. Ils avaient reçu un grand matelas qu’ils se dépêchaient de rentrer chez eux. Harvey leva les sourcils. Il n’avait pas le souvenir d’avoir vu une seule voiture passer sur la petite route en face de chez lui depuis ce matin alors qu’il n’avait pas bougé d’un pouce. Comment auraient-ils pu recevoir ce matelas sans qu’il ne s’en aperçoive ?

Harvey haussa les épaules : après tout, il n’avait plus la mémoire aussi précise qu’avant. Cependant, la réaction des Branson lorsqu’ils rentrèrent chez eux confirmait ses soupçons : il se tramait quelque chose ici. Et Harvey et Joan Warden ne tarderaient pas à se rendre compte qu’ils avaient raison.

*

*    *

Le soir venu, Carrie et Eddie n’invitèrent personne et restèrent cloitrés dans leur maison. Comme ils l’avaient décidé, ils ne voulaient pas attirer l’attention sur eux. L’impression d’être des braqueurs de banque après un casse était déjà suffisamment angoissante.

Après avoir changé leur matelas, ils passèrent à la vitesse supérieure : une nouvelle télévision, un nouvel ordinateur, deux nouveaux portables, une nouvelle table de salle à manger… La liste se poursuivait à n’en plus finir. L’application leur proposait même de nouvelles choses au fil du temps, comme si elle savait ce qu’ils désiraient. Elle finit même par leur permettre de faire leurs courses sans sortir de chez eux. En quelques secondes, leur réserve se remplissait de conserves et de bocaux en tous genres. Quant à leur réfrigérateur, il débordait lui aussi de nourriture.

Carrie et Eddie étaient aux anges. Ils n’avaient rien dépensé de toute la journée, mais avait quand même garni leur maison de tout un tas de nouveautés excitantes. Des babioles, des meubles, des choses inutiles en somme, mais terriblement amusantes. Bien-sûr, la culpabilité leur donnait des sueurs froides et ils s’attendaient à tout instant à voir débarquer un inspecteur des impôts. Mais ils avaient enfin tout ce qu’ils n’avaient jamais pu s’offrir.

*

*    *

Quelques jours plus tard, la tempête que les météorologues redoutaient tant pointait enfin le bout de son nez. Au début, la température ne faisait que chuter inexorablement, mais rien de plus. Puis, les premières bourrasques se déchainèrent dans les rues. Dans le Maine et dans plusieurs autres Etats, de nombreuses coupures de courant étaient à déplorer. La tempête dépassait les espérances, bloquant les routes, allant parfois jusqu’à casser les vitres de certains bâtiments.

Bien au chaud dans leur maison, profitant du congé que leur offrait cette tourmente, Carrie et Eddie avaient préparé un petit plat appétissant pour cette journée un peu spéciale. Tout autour d’eux, les cartons s’entassaient tellement qu’il semblait difficile de voir ne serait-ce qu’un bout du parquet.

Avec un sourire étincelant, Carrie et Eddie trinquèrent à leur santé, en se regardant tendrement dans les yeux. La chanson Lonesome Town de Ricky Nelson jouait depuis la platine qu’ils venaient de s’offrir, embaumant la maison d’une chaleur bien plus puissante que celle de la cheminée.

La tempête se poursuivit durant des jours. Toute la petite ville de Kerry dans le Maine finit par être recouverte de neige jour et nuit. Les coupures s’intensifiaient et s’éternisaient. La seule épicerie du coin en fit d’ailleurs les frais : presque tous ses produits étaient bons à jeter. Les gens se ruaient donc sur les conserves, mais le fait est qu’il n’y en avait pas assez pour tout le monde. Une paranoïa générale commençait à s’installer dans cette petite communauté où tout le monde se connaissait. Chacun regardait son voisin avec la conviction qu’il possédait plus de réserves que l’autre.

Plus le temps passait, plus les ressources finissaient par manquer ; mais pas pour Carrie et Eddie. Même si le gouvernement ne faisait rien pour aider les habitants de cette pauvre petite ville, les Bronson ne semblaient pas avoir de problème avec ça tant qu’ils étaient chez eux et qu’ils se faisaient livrer des repas à domicile venus de nulle part.

Malheureusement pour eux, les voisins ne tardèrent pas à remarquer les commandes répétées et étranges, en particulier Harvey et Joan. Au bout de plusieurs jours, ils décidèrent d’en parler lors de la messe quotidienne, maintenue en dépit des conditions déplorables. A force, les habitants acquirent la certitude que les Bronson connaissaient un secret qu’ils ne souhaitaient pas révéler.

Un soir, lors d’une énième coupure de courant qui affectait la ville entière, les habitants se réunirent en centre-ville. Lorsque Harvey Warden remarqua que les Bronson n’y étaient pas, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Son sang ne fit qu’un tour et, avec toute la verve que la communauté lui connaissait, il convainquit tout le monde de se diriger vers la maison des Bronson. Harvey Warden avait déjà pris en chasse des criminels durant sa carrière, mais là c’était différent, et il le savait. Néanmoins la machine était en marche et il était trop tard pour l’arrêter.

*

*    *

Carrie et Eddie ne comprirent que trop tard ce qui allait leur arriver. Alors qu’ils se trouvaient dans leur salon, allongés sur leur nouveau canapé deux fois plus grand que le précédent, Carrie entendit des pas dans la neige qui encerclait leur nid. Au moment où elle allait en parler à Eddie, quelqu’un frappa à la porte en assénant de gros coups de poing.

Des dizaines de visages bien connus s’amassaient devant leurs fenêtres en tentant d’apercevoir les réserves de nourriture tant convoitées. La plupart d’entre eux étaient des gens sans histoire, comme ceux qu’ils s’apprêtaient à cambrioler, persuadés de récupérer leur dû. Mais la tempête qui rugissait depuis plus d’une semaine avait mis leurs nerfs à bout, emportant dans son sillage leur sens des convenances et de la dignité.

« Ouvrez la porte ! cria Harvey. Nous savons que vous êtes là. Nous savons aussi que vous avez des provisions. Nous voulons simplement vous parler et comprendre. »

Eddie laissa Carrie sur le canapé, se rapprocha de la porte et posa sa tête contre elle. La sueur qui coulait sur ses joues rendait le contact avec le bois très désagréable.

« Il n’y a rien à comprendre, monsieur Warden. Nous n’avons rien à nous reprocher ! »

L’ancien shérif commençait à sentir l’impatience des habitants qui trépignaient de savoir tout autant que lui. Poussé par la clameur de la foule, les dents serrées, il se mit à frapper avec plus de force contre la porte, faisant sursauter Eddie. Le martelage continu se fit de plus en fort à mesure que la communauté morcelée se joignait à lui. Tout ce bruit devenait insupportable.

Soudain, Carrie fit ce qu’Eddie n’avait pas le courage de faire : elle décida de tout avouer aux habitants. Elle courut vers la porte et l’ouvrit en l’entrebâillant.

« Attendez, je vous en prie ! On va tout vous dire ! »

Les coups violents s’arrêtèrent brusquement. Planté sur le pas de la porte, Harvey contempla Carrie avec étonnement en penchant la tête. Aussitôt, Carrie s’empressa de sortir son téléphone. Elle commença par tout leur expliquer, depuis le bug survenu depuis des semaines, jusqu’au commandes incessantes. Elle finit son exposé en mettant en marche l’application. En le faisant, elle pensait enfin se libérer du poids de la culpabilité qui l’avait empoisonnée petit à petit sans qu’elle ne s’en rende compte.  

Mais son visage se tendit tout à coup lorsqu’elle comprit la triste vérité, lorsqu’elle réalisa avec horreur qu’elle ne pourrait rien prouver du tout, et qu’elle ne pourrait plus aider aucun habitant de Kerry comme elle aurait dû le faire depuis le début.

Car au lieu de tomber sur l’interface habituelle, Carrie ne fut accueillie que par un message d’erreur glacial qui résonnerait dans sa tête durant des jours :

SERVICE INDISPONIBLE

Tout son corps se mit à trembler tandis qu’elle fondait en larmes. L’ironie avait un goût cruel et leur chance venait malheureusement de tourner. Désespérés, Carrie et Eddie ne pouvaient qu’accepter l’inévitable. N’ayant plus la force de résister, désormais convaincus qu’ils avaient le devoir de partager leur chance avec les autres, ils laissèrent les habitants entrer dans leur maison pour récupérer toutes les ressources dont ils auraient besoin. Car après tout, ces ressources n’étaient pas non plus les leurs.  

Assis contre un mur, Carrie et Eddie plongeaient leurs yeux dans l’écran du téléphone pendant que les habitants se servaient en s’emparant de tout ce qui pourrait leur servir. Le logo d’Amazing sous le message d’erreur leur souriait tendrement.


« Carrie et Eddie Branson ont fait l’expérience cruelle du monde moderne. En se reposant sur une application pour vivre et survivre, ils croyaient être à l’abri du besoin à jamais. Mais c’était sans compter sur la nature, violente et sauvage, qui a façonné une petite communauté à son image pour reprendre ses droits.

Les Bronson ont ainsi appris bien des leçons durant ces quelques semaines mouvementées, grâce à une défaillance malvenue et une tempête de neige chaotique en provenance directe de… la Quatrième Dimension. »

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