Retour à l'océan

Chapitre 20 : L'île du goéland fou

3080 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 27/01/2023 01:32

Au bout de deux heures de nage suite à la soudaine transformation de Mélodie, Ariel, sa fille et Max atteignirent enfin la susnommé "île du goéland fou" qui était bel et bien celle sur laquelle la sirène avait fait la connaissance d'Eurêka. Et malgré le temps, elle n'était pas si différente que dans ses souvenirs.

C'était toujours un îlot complètement désert, très éloigné des côtes, avec néanmoins une végétation très dense entouré d'une plage de sable fin. C'était suffisant pour qu'Ariel pût lettre sa fille en sûreté, le temps de comprendre la raison de sa soudaine transformation et de trouver la solution à ce problème.

Tous trois étaient épuisés par le trajet. Y compris Mélodie qui avait pourtant passé la moitié de la nage sur le dos de Max, s'accrochant à ses longs poils. Puis arrivée à mi-chemin, sentant que le vieux chien s'épuisait à la trimballer sur son dos tout en restant le plus proche de la surface pour lui éviter la noyade, la jeune fille avait consenti à changer de porteur à s'accrocher au dos de sa mère. Bien qu'Ariel n'avait à aucun moment rouspété tandis qu'elle devait supporté le poids de sa fille sur son dos, Mélodie ne put s'empêcher de se sentir comme un fardeau. À plus forte raison sans sa queue de poisson rose saumon qui lui manquait déjà.

Arrivés sur la plage, Ariel était à bout de souffle. De même que Max qui n'ayant plus que des palmes pour pattes se traînait sur le sable tel un vieux phoque.

Aussitôt qu'elle eut pied, Mélodie descendit de sa mère et sortit de l'eau en rampant tel un nourrisson, comme si elle avait déjà oublié comment se tenir sur ses jambes.

Elle partit se cacher derrière un palmier tandis qu'Ariel et Max demeurent sur la plage, reprenant leur souffle. Le vieux chien était tellement épuisé qu'il n'avait plus la force de lever la tête, tant et si bien que sa langue pendante touchait le sable.

— Tu as été formidable, mon chien, le félicita Ariel en caressant Max. Eric aurait été fier de toi.

L'espace d'un instant, la sirène crut voir un sourire se dessiner sur le visage du chien quand elle évoqua son regretté maître.

Elle ne pouvait que remercier Éric d'avoir adopté et élevé un chien aussi loyal et affectueux.


— Tiens ! Ariel ! Comment vas-tu, ma jolie ? Ça fait un bail qu'on ne s'est pas vu !

C'était Eurêka, le crâne toujours dégarni qui vint se poser sur Max comme s'il s'agissait d'un vulgaire rocher.

Ariel s'était douté que le vieux goéland résidait sur l'île pour qu'elle fût nommee d'après lui, d'autant que c'était sur cette même île qu'ils avaient fait connaissance. Seulement, elle n'était pas sûre de le trouver ici même pour autant. Néanmoins, elle fut contente de revoir le vieux goéland.

— Eurêka, on s'est vu il y a une semaine, le corrigea-t-elle.

— Tu plaisantes ? rétorqua le goéland incrédule. J'ai toujours toute ma tête, je te signale ! Je n'ai pas encore Alza... Aiza... Je n'ai pas encore des problèmes de mémoires !

Il n'avait décidément pas changé !

— Tu as quelque chose de changé depuis la dernière fois, reprit Eurêka. Non, ne me dis rien ! Laisse moi trouver ! ... Tu as changé de coiffure !... Non ?... Alors tu as... Changé de soutif...

— Je suis redevenu une sirène, si c'est ça que tu cherches, l'interrompit Ariel. Mais il semblerait que pour Mélodie, ça n'est pas... Mélodie ? Où es tu ?

— Je suis là, maman ! lui répondit sa fille depuis l'arbre derrière lequel elle se cachait.

— Ouf ! Ne me fais plus jamais une peur pareille... Tout va bien ? demanda Ariel en rampant sur le sable en direction de sa fille.

— Je vais bien, lui répondit Mélodie. Je... Je suis juste en train de... Me faire une jupe avec des feuilles de palmier. D'ailleurs... Ça m'arrangerait si... Vous regardiez ailleurs.

Ariel aurait dû songer à ce détail plus tôt. Aussitôt redevenue humaine, Mélodie avait dû se retrouver les fesses à l'air. Et la sirène se rappela que sa fille était du genre pudibond, à plus forte raison quand elle était hors de l'eau. Elle daigna donc à détourner le regard, accordant un peu d'intimité à sa fille le temps pour elle de confectionner son vêtement rudimentaire.

— L'important c'est que tu ailles bien, s'empressa tout de même d'ajouter Ariel. C'est que tu nous as fait une belle peur, tout-a-l'heure. Bien que je ne parviens pas à expliquer ce phénomène.

— Euh... À ce propos, maman, dit Mélodie d'un ton hésitant. Je... Je n'en pas tout-à-fait sûre mais... J'y ai réfléchi pendant la traversée et... Je pense avoir une théorie à ce sujet...

— Ah oui ? Dis m'en plus !

— Et bien... C'est que... Tu me promets de ne pas te mettre en colère ?

Rien qu'à ces mots, Ariel s'attendit au pire, à sortir de ses gonds comme jamais elle ne l'avait fait auparavant. Elle voulait éviter une nouvelle dispute mais de l'autre côté elle refusait de rester dans l'ignorance et tenait de ce fait à connaître la théorie de sa fille. Elle accepta de prendre sur elle et prit une grande respiration avant de répondre :

— Je peux te promettre de ne pas élever la voix.

— Alors... Tu te souviens de cette méduse violette qui a failli me piquer lors de mon premier jour ?... Tu as remarqué qu'il y en avait d'autres et qu'elles pullulaient dans tous l'océan ?... Et bien le jour où je me suis... Où je me suis attrapée par les hommes-requins avec Morgane et Polochon... L'une d'elles m'a piqué... À l'épaule.

Ariel ne sut quoi répondre. Après la vérité sur l'état de santé du roi Triton, cela faisait deux choses que ses proches lui cachaient. À croire qu'elle était la cible d'un complot visant à la punir pour avoir menti par omission à Mélodie quant à la raison de leur déménagement.

Elle n'eut cependant nullement besoin de dire quoi que ce soit. Mélodie devina son ressentiment de par son silence.

— T'es fâchée parce que je ne t'en ai pas parlé ? dit-elle timidement.

— Ben... Un peu que je suis fâchée, répondit Ariel en s'évertuant non sans difficulté de ne pas crier comme elle avait promis de le faire. Je veux dire... Je peux comprendre de t'avoir caché la vérité concernant le château de ton père mais là... Il s'agit de ta santé... T'aurais dû m'en parler en effet. On serait aller voir un médecin pour examiner ta blessure.

— C'est que... J'avais assez de problème comme ça, tenta de se justifier Mélodie. Et puis comme la douleur s'était calmée d'elle-même, je pensais que ce n'était pas si grave.

Ariel se rappela alors que le soir de leur dispute, Mélodie se grattait fréquemment l'épaule. Sur le moment elle n'y avait pas prêté attention, pensant qu'il ne s'agissait que d'un tic nerveux ou une distraction. Elle pensait jusqu'alors que sa fille se serait tordu de douleur si elle s'était faite piquée par une de ses méduses. À présent, elle s'en voulut de ne pas avoir remarqué plus tôt que Mélodie était en réalité blessée.

Elle se rapprocha alors de sa fille pour inspecter son épaule en prenant soin de ne pas regarder ses parties intimes. Elle dût cependant plisser les yeux et s'approcher de très près du dos de Mélodie pour réparer les fines traces de tentacules encore rouges mais à peine plus épais qu'un cheveux. Pas étonnant qu'elle ne l'eût pas remarqué plus tôt.

— T'es sûre que c'est bien une de ses méduses violettes qui t'a fait ça ? lui demanda-t-elle sceptique.

— Sûre et certaine, lui répondit Mélodie.

Ça devait être une petite.

— Et tu penses que ça aurait un rapport avec ta transformation ? demanda Ariel derechef.

— Ça je ne peux pas le confirmer, lui répondit Mélodie. Mais quand j'ai commencé à le transformer, j'ai ressenti cette douleur à l'épaule qui se relançait... Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé plus tôt. ... Et aussi pour tout le reste.

— Écoute, mon ange, oublions tout ça ! lui conseilla Ariel. L'important maintenant c'est de trouver une solution.


Les heures passèrent.

Ariel, gardant sa queue de poisson à proximité de l'eau et la laissant se faire asperger par les vagues pour lui éviter la déshydratation, surveilla scrupuleusement la mer, Max à ses côtés, à l'affût d'un signe de l'arrivée des renforts.

Elle réfléchissait à cette histoire de méduse qui la laissait dubitative. Serait-elle vraiment à l'origine de la transformation soudaine de Mélodie ? Si c'était le cas, cela ne pouvait être une méduse ordinaire. Encore moins si d'après Mélodie, la douleur provoqué par la piqûre s'était calmée d'elle même, sans l'intervention d'un médecin, pour se relancer le lendemain.

Mais dans ce cas, quel genre de méduse cela pouvait-il être pour qu'elle pût transformer une jeune sirène en humaine par sa simple piqûre ? Ou alors, vu que Mélodie était née humaine, peut-être avait elle simplement inversé le sort qui l'avait changé en sirène, voire l'avait annulé ? Mais est-ce qu'une simple méduse pouvait réellement contrer à elle-seule le pouvoir du trident ?

Ariel espéra voir arriver ses sœurs avec leur connaissance sur le trident pour avoir enfin des réponses. Car pour le moment, cette piste lui apportait plus de questions que de réponses.

Mélodie finit de finir sa robe en feuille de palmier fait main et rejoignit discrètement sa mère.

— Jolie ! lui complimenta Eurêka à son passage. On dirait une de ses danseuses des îles du Sud !

— Toujours rien à l'horizon ? demanda timidement Mélodie à sa mère sans tenir compte des commentaires du goéland.

— Non, lui répondit Ariel dont la voix trahissait l'amertume. Et je dois dire que ça ne me plaît pas du tout.

Marius et Morgane avait eu largement le temps de prévenir tout le monde. Pourquoi diable prenaient-ils autant de temps ?

Cela lui ramenait à la période où elle n'avait plus eu signe de vie de sa famille ni de ses amis pendant plus de dix ans pour des raisons qu'elle n'apprendra que bien plus tard et par pur hasard. Lui donnant l'impression d'être une fois de plus ignorée, oubliée, voir rejetée par ses pairs.

Cette fois, c'en fut trop pour Ariel qui décida de retourner à l'océan, estimant qu'elle avait assez attendu. Comme dirait Sébastien, "on n'est jamais mieux servi que par soi-même". D'autant qu'elle était toujours sirène, contrairement à la dernière fois où il lui avait fallu attendre dix ans pour voir de vieilles connaissances refaire surface.

Elle s'apprêta à plonger quand elle fut rattrapée par Mélodie inquiète :

— Maman, tu ne vas... Tu ne vas quand même pas m'abandonner sur cette île ?

— Voyons, quel idée ? lui répondit Ariel interloquée. Je pars juste chercher de l'aide ! Je serais revenu avant même que t'aies le temps de t'ennuyer.

Pourtant, elle sentit au regard apeuré de sa fille que non seulement elle n'était guère convaincue par la promesse de sa mère mais qu'elle appréhendait pas l'idée de rester coincée sur un île déserte, perdue au milieu de nulle part, livrée à elle-même pendant un temps indéterminé, avec pour seules compagnie son vieux chien toujours à moitié phoque et un goéland un peu dérangé... Du moins, plus qu'auparavant. Privée ainsi de tout contact humain pendant ce un pourrait être une éternité. Elle n'avait pas encore la force morale de supporter un tel isolement, nu fût-ce qu'une minute. Et même si elle n'osait pas l'avouer du haut de ses onze ans (bientôt douze), elle avait encore besoin de sa mère.

Ariel dût prendre une grande respiration avant de revenir auprès de sa fille et lui expliquer dans le plus grand des calmes :

— Écoute, mon cœur, je reconnais ne pas avoir été à la hauteur en tant que mère. Et je m'en excuse du fond du cœur. Mais jamais et en aucun cas je ne t'abandonnerai. Même si ma vie en dépendait, je préfèrerai encore m'arracher le cœur. En fait tu sais quoi ? S'il le fallait, je serais prête à renoncer à renoncer à mon titre de princesse ou sacrifier une nouvelle fois ma voix pour empêcher que cela n'arrive.

— Tu... T'es sérieuse ? demanda Mélodie stupéfaite. Tu ferais ça ?

— Sans la moindre hésitation, lui répondit sa mère plus sérieuse et sincère que jamais.

— Même ta... ta propre voix ?

— Tu veux que je te confie un secret ? Tout le monde n'arrête pas de complimenter ma voix. Même ton père en était tomber amoureux avant même de me connaître. Mais en ce qui me concerne, ça a toujours été le cadet de mes soucis, d'avoir la "plus belle voix du monde" ou pas. J'ai réussi à gagner le cœur de ton père et même à me faire comprendre par mon entourage en étant privé de voix pendant trois jours. Alors peut-être que ça va me manquer, mais je pense que je pourrais survivre toute une vie dans le mutisme s'il le fallait.

" Quant à mon titre de princesse... Idem, ça a toujours été le cadet de mes soucis. Toute mon enfance, je me suis toujours plus considérée comme une sirène ordinaire que comme la princesse des océans que père voulais que je sois. En plus, j'ai six sœurs pour succéder à mon père et elles sont toutes plus aptes à diriger le royaume que moi.

" Tout ça pour dire que quoi qu'il arrive, au grand jamais je ne te laisserai tomber. Pas pour tout l'or du monde. Et que s'il fallait renoncer à mon titre ou sacrifier une nouvelle fois ma voix pour cela, je le ferais sans hésiter ni regret.

La peur de se retrouver seule, abandonnée et livrée à elle-même se dissipa dans le regard de Mélodie, à mesure qu'elle écoutait sa mère, laissant place à une certaine admiration mêlée a de la gêne.

Quand Ariel eut fini son discours, alors qu'elle attendait une réaction de sa part indiquant qu'elle était rassurée, sa fille eut un moment d'hésitation puis enlaça sa mère comme jamais elle ne l'avait enlacé de sa vie.

Légèrement surprise, Ariel touchée la serra en retour dans ses bras avec douceur. Ce fut comme si leurs récentes embrouilles n'avaient jamais eu lieu.

— Maman, je peux te confier un secret ? demanda soudain Mélodie d'une voix hésitante. Avant que tu ne retournes sous l'eau ?

— Tout ce que tu veux, mon ange, lui répondit Ariel.

— Si jamais... Tu perdais à nouveau ta voix... Ben saches que... Elle va beaucoup me manquer... Je veux dire... Ne plus t'entendre chanter, écouter tes histoires ou me consoler...

Ariel fut plus que touchée par les mots de Mélodie qu'elle serra de plus en plus fort dans ses bras. Tellement qu'elle se retint de verser une larme. Elle qui toute sa vie s'était entendue dire avoir la plus belle voix au monde, venant de sa propre fille après lui avoir expliquer qu'elle était prête à s'en séparer pour elle, ce fut le plus beau compliment qu'on pût lui faire.

— Si cela peut vous dépanner, je pourrai compenser ! tenta de proposer Eureka s'immiscant dans ce moment intime. Admirez mes cordes vocales...

— NON MERCI, CE N'EST PAS LA PEINE ! s'empressa de l'interrompre Ariel, se rappelant que le goéland sonnait comme s'il était à l'agonie quand il se mettait à chanter.

Eureka s'en alla vexé se percher sur un des palmiers quand Ariel retourna sur sa fille :

— Rassurée maintenant ?... Bon. Je vais partir chercher de l'aide, je reviens dès que possible. Promets moi juste de ne pas t'affoler. Je sais que ce n'est pas facile ce qui t'arrive, mais t'es une grande fille à présenté. Il faut que tu sois forte. Que toutes les deux nous soyons fortes.

— Comme... Comme quand papa nous a quitté ?

— Exactement.

— ... Il me manque tellement !

— Je sais, ma chérie. À moi aussi il me manque.

— BATEAU ! BATEAU EN VUE !

C'était Eurêka qui du haut de son arbre venait de repérer un bateau à l'horizon.

Même Max l'avait remarqué et se mit à aboyer en direction du navire.


Ariel et Mélodie en virent bientôt plusieurs plus éloignés se profiler à l'horizon.

D'où venaient-ils ? Ou s'en allaient ils ? Et pourquoi étaient ils aussi nombreux ?

— Maman, tu crois que ce serait un des nôtres ? demanda Mélodie.

— Je ne sais pas, lui répondit sa mère. Je dois voir de plus près. Reste là avec Max et Eurêka, je reviens.

Ariel plongea alors et s'en alla inspecter les bateaux, laissant ainsi sa fille à moitié rassurée sur l'île.

Elle ne reconnut aucun bateau ayant appartenu à Eric lorsqu'elle approcha de cette étrange flotte.

Néanmoins, elle espéra tomber sur des marins suffisamment amicaux pour qu'elle leur expliquât son problème et pût leur confier sa fille en toute sécurité le temps de trouver une solution. Dans sa situation, c'était une issue plus qu'envisageable

Elle se hissa au navire le plus proche et arrivée au bastingage tenta poliment d'aborder les marins a son bord.

Elle se rendit vite compte cependant que les dits marins avaient d'ores et déjà remarqué sa présence.

Ils lui laissèrent à peine le temps d'ouvrir la bouche pour les saluer et se présenter qu'ils empoignèrent la sirène et la tirèrent violemment sur le pont.

Laisser un commentaire ?