Retour à l'océan
Mélodie avait passé toute la nuit à errer dans les rues d'Atlantica sans savoir où aller ainsi qu'à pleurer toutes les larmes de son corps.
Jamais elle n'avait de dispute aussi violente avec sa mère, pourtant d'un naturel calme et compréhensif. Ce fut pourtant la dispute de trop pour elle. L'espace d'un instant, elle n'avait plus du tout reconnu sa mère. Ce qu'elle avait entrevu à la place avait suffit pour l'inciter à s'enfuir.
Et pour ne rien arranger, l'épaule où la méduse l'avait piqué lui démangeait de plus en plus. Pourtant, passé la piqûre, la douleur s'était rapidement calmé. Mais cela continuait de la démanger telle une ortie.
Mais Mélodie n'avait pas la tête à consulter un docteur.
Ce dont elle avait besoin c'était une personne de confiance, quelqu'un à qui elle pouvait se confier, une épaule sur laquelle pleurer.
Quand vint le matin, elle se surprit à errer une fois de plus dans le cimetière d'épaves qui s'avérait servir de quartier pauvre à Atlantica.
Les résidents dudit quartier commençaient à sortir de leur logement et scrutèrent non sans stupéfaction la jeune sirène qui s'arrangeait pour ne pas croiser leur regard ni entendre leur commérages.
Elle repéra soudain Morgane occupée à retirer non sans difficulté les coquillages collés à la coque de l'épave qui devait lui servir de maison.
Le cœur de Mélodie fit un bond dans sa poitrine à la vue de son amie au teint basanée. Ce fut exactement la personne qu'elle recherchait.
Elle tenta de l'interpeller en criant son nom et en lui faisant signe de la main. Mais à peine avait-elle capté l'attention de Morgane, celle-ci lui détourna la tête avec dédain et retourna à ses coquillages.
Mélodie sentit alors son cœur se fissurer.
Elle fit néanmoins une nouvelle tentative.
— Morgane, c'est moi !... Mélo !...
— Laisse-moi ! lui rétorqua violemment Morgane. J'ai eu assez d'ennuis hier à cause de toi, hier.
— Mais de quoi tu parles ?
— Va-t-en ! Je ne devrais même pas te parler. Ni même te voir.
— Allons bon, qu'est-ce qui se passe ? demanda soudain Marius qui venait de sortir de sa maison.
Morgane réagit comme si son père venait de la prendre en flagrant délit :
— Ce n'est pas ma faute, papa ! Ce n'est pas moi qui l'ait invité ! Je ne sais même pas ce qu'elle fait là ! Moi, je ne fais que détartrer la coque...
Mélodie perplexe scruta alternativement sa copine qui s'affairait sur la coque de l'épave et le père de cette dernière qui prenait un air inhabituellement grave.
— Je m'en occupe, dit enfin Marius. Mélodie, viens avec moi. Morgane est un peu occupée en ce moment.
— Vous pourrez m'expliquer ce qui se passe ? demanda Mélodie de plus en plus perplexe tandis que Marius l'entraîna un peu plus loin.
— Il ne faut pas en vouloir à Morgane, lui expliqua finalement Marius. Elle est un peu remontée après ce qui s'est passé hier avec les hommes-requins... Et que j'ai du la punir pour son imprudence.
— Mais c'est quoi votre problème, vous les adultes ? s'indigna Mélodie. Qu'est-ce que vous avez à punir vos enfants juste parce qu'ils ne font pas ce que vous voulez qu'ils fassent ? C'est un jeu entre vous ou bien... ?
— On dirait que t'as aussi eu droit à une prise de bec avec ta mère, je le trompe ? fit remarquer Marius imperturbable. Et j'imagine que c'est la raison de ta présence ici.
Mélodie refusa de répondre. Elle peinait à trouver les mots pour expliquer ce qui s'était passé ou ce qu'elle ressentait. Mais son silence suffisait à Marius pour comprendre le problème.
— Écoute, Mélodie, j'ignore ce qui s'est passé entre ta mère et toi et rien ne t'oblige à m'en parler, lui dit finalement Marius d'un ton plus que compréhensif. Cela ne regarde certainement que ta mère et toi. Mais je ne te laisserai pas dire que c'est par plaisir que nous les adultes soyons aussi stricts envers nos enfants. Loin de là.
— Alors pourquoi vous le faites quand-même ?
— Parce qu'il y a des moments où l'on s'y sent obligé et on doit les rappeler à l'ordre. Ne serait-ce que pour les faire comprendre qu'ils ont mal agi et ne doivent plus recommencer. Et aussi par amour pour nos enfants...
— "Par amour" ? Ben vous avez une drôle façon de le montrer...
— Laisse moi terminer ! Je disais donc que c'est justement parce qu'on aime nos enfants qu'on veut leur éviter des problème et qu'on est obligé de les réprimander quand ils s'en attirent. À plus fortes raisons pour des problèmes que nous avons connu à votre âge.
— Et c'est ça qui vous donne le droit d'être aussi sévères ? Même quand c'est totalement injuste ? Quand vous même faites des bêtises de votre côté ?
— Encore une fois, j'ignore ce qui s'est passé entre ta mère et toi pour que tu sois dans cette situation mais... Il est vrai qu'ils nous arrivent aussi de faire des erreurs. Parce que personne n'est parfait ... et que même les adultes ont besoin d'apprendre et de progresser. Et que c'est primordial pour nos enfants d'en faire de même.
" Ce que j'essaie de te dire c'est qui peut nous arriver de faire des erreurs mais que ce n'est en aucun cas contre vous qu'on est aussi sévère, bien au contraire.
Seulement à moitié convaincue par les paroles de Marius, Mélodie demeura sceptique.
Leur conversation furent interrompue par des aboiements qui retentirent au loin. Des aboiements que Mélodie connaissait que trop bien. Et qui furent bientôt accompagné par une voix appelant Mélodie par son nom.
Le sang de la concernée ne fit qu'un tour.
— On dirait que ta maman te cherche ! fit remarquer Marius. Tu devrais peut-être la retrouver et la rassurer...
— Pas question que je rentre au palais ! protesta Mélodie qui tenta de s'enfuir.
— Mais enfin pourquoi ? demanda Marius de plus en plus perplexe. Dis moi au moins ce qui se passe !
— Je ne peux pas vous expliquer ! lui rétorqua Mélodie qui céda à la panique. Tout ce que je veux c'est rentré chez moi. Mon VRAI chez moi. Et...
Elle fut interrompue dans sa phrase par une douleur lancinante à l'épaule qui la fit se recroqueviller, pile à l'endroit où la méduse l'avait piqué. Ce fut comme si elle s'était à nouveau faite piquer mais cette fois la douleur fut plus violente et ne faisait que s'amplifier. Comme si son épaule prenait feu.
— Mélodie ? Qu'est ce qu'il t'a ? demanda Marius inquiet.
Elle ne répondit pas. La douleur l'avait plongé dans un état second.
— Papa ? Qu'est ce qui se passe avec Mélo ? demanda Morgane qui venait d'abandonner sa corvée, alertée par les cris de sa copine.
Le corps recroquevillé de Mélodie se mit soudain à luire puis à scintiller.
— Je ne sais pas mais je n'aime pas du tout ça, répondit Marius. Garde un œil sur elle, je vais prévenir sa mère.
Morgane ne se le fit pas dire deux fois et surveilla son amie visiblement en transe et scintillant anormalement le temps pour son père d'avertir Ariel et de revenir avec elle ainsi qu'avec Max.
— J'ignore absolument ce qui lui arrive, tenta de se justifier Marius. On était là, tranquille, on discutait et d'un seul coup...
Ariel se figea en voyant le corps scintillant de sa fille en transe qui se mit à se tordre dans tout les sens. Comme elle était en train de...
Ariel eut aussitôt un flash. Elle se revoit dans cette horrible grotte... Avec cette non moins horrible sorcière. En train de lui jeter un sort, ce même sorr qui l'avait transformé en humaine. Elle pouvait encore entendre le rire sardonique de Ursula tandis que son corps tout entier se métamophosait non sans douleur ou autres désagrément et avait manqué de se noyer une fois la transformation achevé sans l'intervention de Sébastien et de Polochon.
Et en cet instant, elle ne sut comment mais sa fille était en train de subir le même traitement. Elle en eut la confirmation en voyant la queue de poisson de Mélodie se divisait en deux et formait des jambes humaines.
Elle allait se noyer ! songea-t-elle effarée.
Ni une ni deux, elle agrippa Mélodie par le torse avant même qu'elle eut fini de scintiller et la tira à toute vitesse vers la surface. Max, Morgane et son père lui emboitèrent aussitôt la nage, sans pour autant comprendre ce qui se passait.
Elles n'étaient encore qu'à mi-chemin vers la surface que Mélodie reprit conscience et ne pouvant désormais plus respirer sous l'eau commençait à se débattre de terreur.
— Tiens bon, la chérie ! lui souffla Ariel tandis qu'elle accélérait la nage du mieux qu'elle pouvait.
Pour elle, pas question de la perdre ! Pas sa propre fille ! Pas cette fois !
Elle pouvait la sauver, songea-t-elle. Elle l'avait déjà fait avec Eric.
Elles finirent finalement par atteindre la surface, permettant à Mélodie de respirer (bruyamment) et de cracher l'eau qu'elle avait dans les poumons, tandis qu'Ariel, épuisée par l'effort, s'assurait qu'elle gardait la tête hors de l'eau.
Elles furent vite rejointes par leur chien ainsi que Morgane et son père, toujours décontenancés par ce qui venait de se produire.
— Par la barbe de Neptune ! s'exclama Morgane.
— S'il-te-plaît, Morgane, ne sois pas grossière ! la réprimande Marius.
— Qu'est-ce... *tousse* Qu'est-ce qui m'arrive ? demanda Mélodie tout aussi decontenancée et en proie à la panique.
— C'est bien ce qu'on se demande ! lui rétorqua Morgane en haussant les épaules.
"Et surtout comment c'est arrivé " songea Ariel de plus en plus concernée.
— Il y a une minute j'étais encore une sirène et maintenant...
Mélodie regarda autour d'elle. Ils étaient au beau milieu de l'océan. Pas l'ombre d'un bateau à l'horizon, ni d'une terre ou d'un rocher sur lequel se poser. Pas même l'ombre d'une mouette indiquant la proximité d'une terre. Ce fut le désert océanique.
— JE VAIS MOURIR ! s'écria Mélodie cédant à la panique. JE VAIS MOURIR NOYÉE ! JE VAIS MOURIR AU BEAU MILIEU DE L'OCÉAN !
— Mélodie, écoute moi ! tenta de rassurer Ariel. ÉCOUTE MOI !
Mais rien n'y fit. Mélodie criait et se débattait de plus bel.
À contrecœur, Ariel se résout à lui donner une claque pour la calmer. Et dire que c'était en esquivant le geste qu'elle avait provoqué la fugue de sa fille.
— Écoute moi et regarde moi dans les yeux, lui ordonna Ariel d'une voix calme. Tu ne vas pas mourir. Et encore moins te noyer. Tu as toujours était une excellente nageuse avant d'être sirène. Tu savais nager avant même de savoir marcher.
— Mais maman, c'était différent ! protesta Mélodie qui se massait la joue. C'était la plage ! On est en plein océan, là ! On ne sait pas où est la terre ferme la plus proche !
— Il y en a forcément une, répliqua Ariel qui faisait de son mieux pour garder son calme. Une île ou un récif, où tu pourra poser le pied.
Elle réfléchit de toutes ses forces, cherchant dans sa mémoire un lieu correspondant à sa description. Elle avait tant exploré l'océan dans sa jeunesse qu'elle devait le connaître comme le dos de sa main. Y compris les îles et les récifs à fleur d'eau. Seulement elle avait quitté l'océan pour se marier avec Éric et donner naissance à Mélodie. Elle s'était ainsi absentée pendant douze ans. Sa mémoire n'était peut-être plus ce qu'elle était à l'époque et la topographie de l'océan aurait pu changé durant ce laps de temps.
Et il était hors de question de la ramener à leur ancien royaume terrestre, où elles vivaient du temps où Éric était encore en vie. De toutes façons, même si elle le voulait, cela aurait été impossible pour la sirène et sa fille de s'en approcher sans risque avec tous ses bateaux qui s'agglutinaient sur les côté, comme si le royaume d'Éric subissait un embargo... Ou qu'il s'y préparait une armada. D'autant qu'il y avait une raison pour laquelle les deux princesses avaient dû déménager et laisser le château d'Éric au cousin d'Ulrich. Et qu'Ariel n'était plus du tout en bon terme avec lui depuis cette histoire d'héritage. Les chances pour que le cousin leur accorde l'asile le temps d'etudier le problème étaient minces.
Elle songea dans un premier temps sur lequel se tenait régulièrement Eurêka et où Ariel lui avait montré ses récentes trouvailles pour la dernière fois. Elle se souvenait de son emplacement mais craignit qu'il fut trop petit pour Mélodie. D'autant qu'elle n'était pas sûre si le rocher était toujours intacte ou s'il n'avait pas fini submergé sous l'océan.
Puis elle se rappela d'un îlot situé plus au sud, où elle avait rencontré le goéland pour la première fois, peu de temps qu'il lui ait chapardé une autre de ses trouvailles et qu'elle avait dû le poursuivre pour le réclamer. L'île était cependant plus éloignée mais semblait être un lieu plus adéquat pour Mélodie... Du moins dans ces souvenirs.
— Dites, elle existe toujours, l'île aux palmiers qui est là bas, au sud ? demanda Ariel à Marius et Morgane.
— Il y a une, il me semble, répondit Morgane. On la surnomme "l'île du goéland fou".
— C'est parfait ! s'exclama Ariel. C'est exactement ce qu'il nous faut !
— Souhaitez qu'on vous y accompagné ? demanda Marius.
— Non, ce ne sera pas nécessaire, lui répondit Ariel. Je trouverai le chemin. Cela dit, si vous voulez nous aidé, alors prévenez mes sœurs ainsi que Polochon et Sébastien et dites leur de me retrouver sur cet île.
— Entendu ! répondit Marius avant de plonger.
Morgane cependant, encore bouleversée par ce qui venait de se passer, fut plus réticente à l'idée de laisser son amie dans une telle situation.
— Mélo, si tu savais comme je suis désolée pour... Pour ce qui t'arrive.
— Pourquoi "ça" m'arrive ? demanda Mélodie désemparée. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi moi ? Pourquoi pas maman et Max ?
Elle venait de faire une remarque pertinente. Mélodie était redevenue humaine mais Ariel était restée sirène et Max était toujours mi-chien mi-phoque. Et c'était pourtant le même sort qui les avait changé en créatures marines. Cette dé-transformation soudaine n'était pas normale.
— En attendant, il faut qu'on te ramène à la terre ferme, tenta de rassurer Ariel. D'ici là, on aura tout le loisir de réfléchir à ce mystère.
— Princesse Ariel ! tenta d'intervenir Morgane. Si je puis faire quoi que ce soit ...
— Ça ira, merci, Morgane, lui répondit Ariel. Va plutôt rejoindre ton père. Tu nous seras plus utile avec lui. Ne t'en fais pas pour nous. On gère...
Morgane hésita un moment avant de plonger et de rejoindre son père, non sans lancer un regard désolée à Mélodie.
Ariel prit alors la direction de l'île en question, tenant toujours sa fille par le torse et maintenant sa tête hors de l'eau, suivie de Max.
Elle proposa à Mélodie de s'accrocher à son dos mais celle-ci préféra s'agripper aux poils long de Max. Ariel ne fit aucune objection, du moment que le chien la gardait émergée. Elle se doutait que sa fille lui en voulait encore pour leur dispute. Ou pour la gifle.
Néanmoins, la sirène et le chien transportant la fille sur son dos prirent la direction du sud, nageant inlassablement vers l'île où ils espéraient la mettre en sûreté.
Il l'eurent fallut une bonne heure de nage pour apercevoir une mouette à l'horizon, signe qu'ils approchaient de la terre ferme.