Retour à l'océan
Chapitre 18 : Les regrets du roi des mers
2685 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 19/12/2022 00:36
Ariel n'avait pas fermé l'œil de la nuit et avait à peine bougé de sa chambre.
Elle était encore sous le choc de la manière dont s'était conclue sa discussion avec Mélodie.
Et la présence de Max à ses côtés ne fit rien pour lui remonter le moral.
Depuis sa naissance, elle s'était évertuée à être une mère exemplaire, bienveillante, prévenante patiente, n'élevant jamais la voix sur sa fille si ce n'était pour la rappeler à l'ordre tout en restant à son écoute et surtout ne jamais laver la main sur elle. Elle voulait éviter de reproduire les erreurs de son père, de s'emporter et d'exploser de rage comme il avait l'habitude de faire à la moindre désobéissance ou divergence d'opinion.
Et en dépit de tous ses efforts, elle venait de franchir la ligne qu'elle s'était jurée de ne jamais franchir.
Elle ne pouvait se permettre de rejeter la faute à sa fille pour l'avoir désobéi, manqué de respect et poussé à bout. Car dans le fond, Mélodie n'avait pas tout-à-fait tort à son sujet.
Ariel avait beau s'être évertuée à rendre sa fille heureuse et l'aider à surmonter la mort de son père, elle n'avait pas assuré en tant que mère. Elle lui avait caché la vérité concernant la vraie raison de son déménagement, elle l'avait contrainte à d'intégrer via une bande de jeunes sirènes mal-élevées ou un centre de loisirs qui n'avait fait qu'empirer les choses, s'était mise à la punir pour ses récentes mauvaises conduites et elle n'avait pas su être suffisamment présente pour elle à cause de ce foutue défilé qui pour ne rien arrangé s'était conclue par les fiançailles de sa sœur aînée avec un hommes-requin auxquelles elle était moralement opposée.
Elle n'avait même pas su garder son sang-froid dans les moments les plus tendues.
Elle qui dans sa jeunesse se plaignait des accès de colère de son père, elle en vint à la conclusion qu'elle ne valait peut-être pas mieux que lui. Que ce fut en tant que parent ou en tant qu'adulte.
Pour cette raison, elle n'osait plus se regarder dans le miroir, de peur de voir l'image d'une sirène qu'elle ne reconnaissait plus et ressemblait un peu trop à Triton dans ses plus mauvais moments.
Elle ne savait plus quoi faire. Rien qui ne pouvait ne pas aggraver son cas.
— Ariel ?
C'était la voix de Sébastien qui arracha Ariel de ses pensées moroses et eut sur elle l'effet d'une décharge électrique, malgré le ton timide du crabe.
— Mazette, que tu as une mauvaise mine ! s'exclama ce dernier. Je veux dire... Le roi Triton m'envoie... Il voudrait te parler en privé... Dans ses appartements..
— Cela ne peut pas attendre demain matin ? rétorqua Ariel. Je ne suis pas d'humeur...
— Mais Ariel... C'est le matin ! lui fit remarquer le crabe.
Il disait vrai. La sirène s'était tellement noyé dans ses pensées qu'elle n'avait pas prêté attention au temps qui passait. Elle se rendit seulement maintenant compte qu'elle n'avait pas dormi de la nuit. Et à en croire la remarque de Sébastien, elle devait avoir une trop mauvaise mine pour se présenter devant son père malade.
— Et je crains que ça ne peut pas attendre ! s'empressa d'ajouter le crabe. Vu son état, il vaut mieux lui parler tout de suite tant qu'il est éveillé.
Désemparée, Ariel daigna finalement à suivre le crabe jusqu'aux appartements de son père.
— Son état ne s'est toujours pas amélioré ? demanda-t-elle.
— Je crains que non, mon cœur, lui répondit Sébastien.
— Les médecins ne peuvent vraiment rien faire ?
— À les entendre, je crois que ça fait un bout de temps qu'ils ont lâché l'affaire. Même le roi Triton pense que ce n'est qu'une perte de temps, leur visite et tout leur traitement.
— Alors pourquoi continue-t-il de faire appel à eux ?
— Pour sauver les apparences, j'imagine. Pour pas qu'on sache qu'il est incurable...
— De quoi ? Incurable ?
— Oups ! J'en ai trop dit...
— Attends, Sébastien... Père serait incurable ? demanda Ariel hors d'elle. Il n'y a donc rien pour le sauver ?
— D'après les médecins... Non.
— Et il en a encore pour combien de temps ?
— Ah ça, même les médecins l'ignorent, répondit le crabe. Je te jure c'est la vérité ! Je leur ai posé la question !
— Qui est au courant ? demanda Ariel avec sévérité. Depuis quand ?
— Et bien, pour ma défense, je ne l'ai appris que récemment, se défendit Sébastien. Juste après ton arrivée. Les médecins, le roi et les six autres princesses l'ont su bien avant, il me semble. Et peut-être est-ce là où j'aurais du me taire... Hé, attends Ariel !
La sirène venait de filer à toutes allures vers la chambre du roi furieuse, envoyant valdinguer le crabe à coup de nageoire.
Comme si elle n'avait pas eu assez de problèmes familiaux comme ça, entre le décès d'Éric, le mariage arrangé d'Aquata et la prise de bec avec Mélodie ayant amené à la fugue de cette dernière, il fallait qu'elle apprît que la maladie dont son père souffrait était incurable, qu'il était probablement en phase terminale, que tout le monde dans son entourage le savait et s'était gardé de l'en informer.
Et pile au moment où son père le convoquait.
Ariel comptait en profiter pour lui toucher deux mots à ce sujet.
Pourquoi lui avait-on ainsi cacher la vérité au sujet de la santé du Roi Triton ? Pourquoi tout le monde dans sa propre famille l'avait tenu à l'écart d'une information aussi capitale ? Et ce même depuis son retour ?
Arrivé à la porte, elle fut sur le point de frapper quand elle se rendit compte... Que c'était exactement ce que lui reprochait Mélodie. Et qu'elle avait déjà les réponses à ces questions.
"Qu'elle idiote je fais !" pensa-t-elle.
Se rappelant que son père n'était pas dans un état pour supporter sa méchante humeur, elle prit une grande inspiration, passa rapidement ses mains dans les cheveux et se tapota les joues avant de frapper à la porte.
— Entrez...
La voix du Roi Triton sonna plus faible et fatiguée qu'à l'accoutumé.
Ariel reprit une grosse bouffée d'eau frais avant de pousser les battants de la porte.
Le Roi Triton était toujours allongé dans son lit, paraissant plus vieux et fatigué de jour en jour. Mais toujours aussi lucide.
Pourvu que ce fût bon signe...
Triton fit signe à sa fille de s'assoir auprès de lui et Ariel s'exécuta bien qu'appréhendant la possibilité d'aborder sa maladie.
Ce fut finalement Triton qui ouvrit la conversation :
— J'ai cru comprendre que tu avais eu une journée difficile hier.
— Vous savez ...?
— Ariel, cela s'est ébruité jusque dans mes appartements.
— Je... Je suis tellement confuse, tenta de s'excuser Ariel sans savoir à quoi son père faisait allusion.
— C'est ton droit de ne pas approuver la décision de ta sœur aînée, reprit Triton. Mais n'oublie pas qu'Aquata est la reine héritière, qu'elle prendra définitivement ma place quand mon heure viendra. Durant toute son enfance elle a dû se préparer psychologiquement à cette perspective. C'est encore plus dure pour elle que n'importe quelle autre de tes sœurs de prendre les bonnes décisions pour le bien de son royaume. Et ça ne l'est que davantage pour elle d'assumer les conséquences. C'est pour cette raison qu'elle aura besoin de votre soutien à toutes six. D'autant que gouverner un royaume est loin d'être une chose aisée et on est jamais à l'abri d'un faux pas. J'en sais quelque chose, malheureusement.
— Je... Je comprends père.
— Voilà qui est réglé ! Maintenant, concernant ta fille...
Ce fut à ce moment là qu'Ariel éclata en sanglots devant son père malade... Et que Sébastien entra en trombe dans la chambre, essoufflé d'avoir tenté de rattraper la sirène sur ses petites pattes.
— Je suis désolé... Majesté... Je n'ai rien voulu lui dire mais...
— Sébastien, de quoi tu parles ? l'interrogea Triton.
— Heu... Ça dépend, de quoi vous parliez ? tenta de se rattraper le crabe en feignant l'ignorance.
— Tout va bien, Sébastien, le rassura Ariel. On parlait seulement de Mélodie et de sa fugue.
— Ah oui ! C'est exactement de ça dont je voulais parler ! clama Sébastien. Et peut-être devrais-je vous laisser seul à seul...
Le crabe finit par se retirer et Triton, faisant comme son interruption n'avait jamais eu lieu, attendit que sa fille se calma dans ses sanglots pour reprendre la conversation
— J'ai échoué, père, confessa-t-elle finalement. J'ai fais de mon possible pour être une bonne mère... Et j'ai tout raté.
— Ma chérie, ce que j'ai dis à l'instant sur le fait de gouverner un royaume s'applique aussi à l'éducation de ses enfants, le rassura Triton. On fait tous de notre mieux pour qu'ils soient heureux et en bonne santé, mais hélas on est jamais à l'abri d'un faux pas. Là aussi, j'en sais quelque chose. Et tu es certainement la mieux placée pour le savoir...
" Mais je reste convaincue que tu fais un excellent travail. Après tout je te connais, tu as toujours été opiniâtre et assidue dés lors que tu avais une idée en tête.
— C'est bien gentil de dire ça, commenta Ariel qui ne se souvenait pas d'avoir été complimenté à ce sujet mais plutôt d'avoir été vivement critiquée.
— Et puis ta fille et toi êtes juste en train de passer une mauvaise passe. Ça aussi je sais ce que c'est... Tu ne dois peut-être pas t'en souvenir, tu n'étais encore qu'un bébé à l'époque, mais quand ta mère nous a quitté, j'étais complètement désemparé. Pire, j'étais noyé par le regret. Il ne se passait pas un jour en je repensais à ce jour maudit, où ta mère fut prise dans un filet et faite capturée par les humains et à chaque fois je me disais que j'aurais dû faire quelque chose. Qu'elle serait encore parmi nous et que tout aurait été pour le mieux. Mais sur le moment, je ne pouvais rien faire qui ne mettrait en danger ta mère, prisonnière sur ce maudit bateau... avec ce drapeau noir à tête de mort.
" Mais bref, j'étais tellement meurtri suite à ce drame que j'ai perdu le goût de vivre. Je ne pouvais apprécié les festivals, les jeux ou les concerts organisé par notre Sébastien. Parce que pour moi, à l'époque, vivre en étant privé d'Athéna n'avait plus aucun sens. Et de ce fait, plus rien ne pouvait procurer de joie. Du moins, jusqu'à ce j'entende un don qui me fit sortir de ma torpeur et m'a redonné goût à la vie. Et tu devineras jamais ce qu'a été ce son.
— Quel était-ce ?
— Un rire. Un rire de bébé sirène. Qui respirait la joie de vivre. Puis avec le temps ce rire avait fait place à des mots, des phrases et enfin un chant. Un très jolie chant. Avec la plus belle voix qu'ait connu Atlantica depuis ma douce Athéna. Et la joie que me procurait d'entendre cette voix avec ses rires et ses chants n'en a été plus grande.
" Mais en grandissant, cette jeune sirène se révélait de plus en plus aventureuse et en quête d'indépendance. Et moi, par égoïsme et par peur de la perdre à son tour, je l'obligeais à entrer dans le moule selon mes propres exigences alors que j'aurais dû être plus à l'écoute de ses besoins et me soucier de son bonheur plus que du mien, comme tout bon père.
En écoutant son père raconter sa vie et lui faire part de ses regrets, Ariel ne put s'empêcher de remarquer que ses yeux étaient larmoyants.
— Vous n'avez pas à vous justifier, père, tenta de le rassurer Ariel profondément touchée par ses paroles. Avec le recul, je reconnais ne pas avoir été une fille facile. Et de m'être montrée stupide à certains moments...
— Mais toi tu avais l'excuse d'être jeune ! rétorqua Triton. Tu avais encore toute la vie devant toi et tu ne demandais qu'à l'expérimenter, à apprendre, à explorer quitte à t'aventurer hors des sentiers battus tandis que moi, déjà dans la fleur de l'âge à l'époque, je faisais tout pour t'en empêcher. Et j'avais tort. Mes méthodes pour garder ma précieuse fille en sécurité étaient vains. Ou bien ils avaient fait plus de mal que de bien. Le pire étant que j'ai mis du temps à m'en rendre compte.
" Puis un certain crabe m'a fait comprendre qu'à un certain moment, il faut laisser nos enfants vivre leur propre vie. La décision que j'ai prise à cet instant n'a certes été pas la plus facile, mais certainement la meilleure que j'ai pu prendre en tant que père. Celle pour laquelle je n'ai aucun regret. Il me suffit de voir ce qu'est devenue entre-temps cette jeune sirène pleine de vie que je chéri tant.
" Tout ça pour dire que j'ai pleinement conscience de ce que ta fille et toi êtes en train d'endurer mais je reste convaincue que tout finira par s'arranger. Que toutes les deux vous allez remonter la pente. Que tu trouveras un moyen. Comme tu l'as toujours fait. Mieux que je n'ai jamais fais...
Les paroles du Roi Triton avaient tant touchée Ariel qu'elle s'était empressait de l'enlacer. Très fort. Les yeux larmoyant. Comme si elle ne voulait pas le lâcher par peur de le perdre. Comme si elle se doutait que cette enlacement sera peut-être le dernier, maintenant qu'elle savait la vérité sur son état de santé.
Elle se résout même à fermer les yeux sur cette affaire quand elle relâcha son étreinte.
— Je vous aime, père, lui avoua-t-elle. Je vous ai toujours aimé. Même dans vos moments...
— Je ne sais si je le mérite, lui confessa Triton. Mais bon, ça va mieux maintenant ?
— Oui, merci, père.
— À la bonne heure ! Rien ne me fait plus plaisir que de te rendre le sourire...
— Merci pour tout, dit Ariel soudainement déterminée. Je sais à présent ce qui me reste à faire...
Elle tourna les nageoires et se dirigea vers la porte qu'elle s'apprêtait à ouvrir quand Triton l'interpella :
— Si je puis me permettre, tu auras certainement besoin de mobiliser toute la garde pour la retrouver...
— Non, père, objecta Ariel en ouvrant la porte. Pas de garde, pas de domestique, rien. Cela ne regarde qu'une mère et sa fille. Je vais retrouver Mélodie et arranger les choses, seule, par mes propres moyens.
— Bravo ! approuva Sébastien resté derrière la porte, applaudissant de ses pinces. Ça s'est parler en adulte responsable !
Des aboiements retentirent soudain dans tout le couloir quand Ariel quitta la chambre.
C'était Max.
Ariel ignorait quelle mouche ou quel oursin l'avait piqué mais il semblait bien agité.
Elle le retrouva à l'autre bout du couloir, aboyant et s'agitant comme un forcené pour des raisons qui lui échappait.
— Max, qu'est-ce qui te prend ? lui demanda-t-elle. Et veux tu cesser d'aboyer ? Père a besoin de calme...
Le chien se saisit soudain de la main de la sirène avec ses dents, manquant de la mordre jusqu'au sang et la traîna en dehors du palais, en direction de la ville.
— Mais enfin, où est-ce que tu m'emmènes ?
Elle eu alors un déclic.
— Tu sais où se cache Mélodie, n'est-ce pas ?... Et elle a des ennuis ?... Vite, conduis-moi à elle !
Aussitôt, le vieux chien relâcha la main de la sirène et la guida à travers la ville, à toute allure.