Retour à l'océan
— Je peux savoir ce qui t'es passé par la tête ? demanda sévèrement Ariel à sa fille aussitôt qu'elles furent rentrée au palais.
Elles étaient seules dans leur chambre commune pour plus d'intimité. Même Max, ayant flairé qu'il y allait avoir du grabuge, s'était senti obligé de quitter la pièce.
— Maman, c'est bon ! tenta de relativiser Mélodie malgré son estomac noué (et se grattait nerveusement l'épaule, là la méduse l'avait piqué). Il n'y a pas eu mort d'homme. Et puis tu sais que ce n'est pas la première que je sors en douce...
— Oui et jusqu'à présent j'avais fermé les yeux, reprit Ariel toujours hors d'elle. Mais là, tu viens de dépasser les bornes !
— En quoi ?
— Tu es sortie du palais alors que tu étais punie. Tu n'as même pas fait l'effort d'attendre que ta punition soit levée.
" Que tu désobéisses pour t'aventurer je ne sais où passe encore, que tu mettes tes tantes et moi même dans l'embarras en agissant de la sorte, ça ne va plus du tout. Mais le pire, c'est que tu t'es mise, toi ainsi que Morgane et Polochon en danger.
— Pour ma défense, c'est eux qui ont insisté pour m'accompagner. Je ne leur ai rien demandé...
— Là n'est pas la question ! Vous auriez pu vous faire tués ! Comment peux tu prendre cela à la légère ?
— Ben on se demande de qui je tiens...
La remarque de Mélodie dite sur un ton insolant n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd et venait de jeter un froid dans la pièce, si ce n'était dans tout le palais.
Ariel inspira profondément avant de reprendre avec un ton ferme :
— Je m'étais promise d'être juste et clémente à ton égard, mais si tu ne t'excuses pas rapidement, je crains devoir alourdir ta punition...
— Ah parce que c'est moi qui te dois tes excuses ? rétorqua Mélodie de plus en plus insolente. Alors qu'on en serait pas là si tu n'avais pas menti !
— Mais de quoi tu parles ?
— Le château de papa ! Qui appartient maintenant au cousin Ulrich ! Je t'ai entendu l'autre soir quand t'étais avec grand-père ! Pourquoi ne m'as tu pas dit qu'on nous a chassé de notre maison ?
— Mélodie... Je... Ne sais quoi dire...
— Tu veux savoir pourquoi j'ai fais le mur alors que j'étais puni ? Quand on a quitté le château pour nous installer ici sous la mer... Quand nous avons fait nos adieux à Grimsby, Carlotta et les autres... Je ne savais que ce serait pour de bon... Alors je voulais... Je voulais simplement... Faire mes adieux comme il se doit...
Voyant sa fille au bord des larmes, Ariel tenta alors une approche plus délicate :
— Ma chérie... Si ce n'était que ça, il fallait me le dire...
— Alors pourquoi ne m'as tu rien dit ? lui demanda Mélodie avec un ton de reproche.
— Je... Je ne voulais pas t'infliger davantage d'émotions difficiles, tenta de s'expliquer Ariel. Pas après le décès de ton père.
— Oh, tu t'inquiétais pour mes émotions ? rétorqua Mélodie avec à nouveau un ton insolent et sarcastique. C'est bien gentil de ta part !
— Ah, ne me parles pas ce ton là ! la gronda à nouveau Ariel. Je te signale que j'ai du faire de gros efforts pour que tu sois heureuse après ce qui nous est arrivé !
— Et je devrais te remercier peut-être ? Parce qu'entre tes mensonges et le forcer à être amie avec cette Calypso, ça n'a pas été une réussite !
— Bon, ça suffit ! Tu veux que j'alourdisse ta punition ? Très bien ! Privée de sortie et de visite pendant une semaine à compté de ce jour !
— Tu ne peux pas me faire ça ! Tu n'as pas le droit !
— Je suis ta mère ! J'en ai le droit !
— Ah ouais ? Et bien tu sais quoi ? Je m'en cogne que tu me punisses pour une semaine, un mois ou un an ! Parce que je quitte cette maison !
— Tu n'en feras rien !
— Ah ouais ? Tu ne t'es pas gênée de le faire, toi !
— TU VEUX UNE CLAQUE ?
Elle n'eut nullement besoin de le faire. La simple suggestion, le fait qu'elle ait esquissé le geste et élevé la voix avaient suffit. Et devant le regard à la fois surprise et terrifiée, Ariel avait compris qu'elle était allé trop loin. Qu'elle venait de franchir la ligne qu'elle s'était juré de ne jamais dépasser.
— Oh... Excuse-moi, ma chérie... Je ne voulais pas.
Mais c'était trop tard. Pour Mélodie, le mal était fait. Pour elle, le simple fait de lui suggérer une gifle était aussi douloureuse si ce n'était plus que la gifle en elle-même.
Fuyant sa mère du regard, elle tourna des nageoires et se tira de la chambre à toute allure.
Ariel tenta de la retenir, lui criant son nom et la suppliant de revenir mais en vain.
En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Mélodie était déjà sortie du palais et partie nulle ne savait où, laissant sa mère seule avec ses regrets.
*****
Le lendemain à l'aube, à la surface, Grimsby escorté par des gardes et les menottes au poing était conduit sur le bateau princier, après avoir passé deux jours et trois nuits dans un cachot suite à son arrestation chez le notaire.
Aussi bref fut le séjour au cachot, l'humidité et l'obscurité ambiantes de la cellule ainsi que la proximité des rats avaient tôt fait de fragiliser la santé du vieille homme.
Et alors qu'il retrouvait à peine l'usage de ses jambes et s'habituait à nouveau à la lumière du jour, le voilà à bord du navire princier — fort heureusement toujours à quai, mais qui prenait des allures de corsaire.
Il remarqua également sur le chemin qu'ils préparaient toute une armada.
Grimsby demeurait méfiant vis à vis des corsaires et de leur présence sur ce bâtiment. À ses yeux, ils n'étaient guère différents des pirates si ce n'était leur loyauté envers un gouvernement et il n'y avait rien de plus dégradant pour un noble que de faire appel à des bandits pour faire le sale boulot.
Que diable pouvait bien mijoter Ulrich pour ainsi engager des corsaire ?
Ce fut précisément auprès de l'actuel prince, dans sa cabine qu'il fut finalement conduit.
Comme à l'accoutumée, Ulrich accueillit le vieux conseiller depuis le fauteuil sur lequel il était avachi, les pieds sur le bureau.
— Mon cher Grimsby, j'espère que vous n'avez pas trop souffert dans votre petit séjour au cachot ! Je me sentais si mal que je n'arrivais plus à fermer l'œil. C'est pourquoi je vous offre un bol d'air marin pour que vous puissiez vous requinquer et ainsi me pardonner.
— Vous étiez de mèche avec le notaire, n'est-ce pas ? dit Grimsby le ton plein de reproche. Vous vous êtes arrangé avec lui pour vous accaparer le château de votre cousin.
— Je n'avais pas à faire grand chose, à vrai dire, vous savez, confessa le prince. Ce vieux schnock éprouvait une sainte horreur pour tout ce qui provenait de la mer.
— Vous admettez donc...
— Il avait juste fallu lui rappeler que notre regretté prince Éric avait épousé une sirène, intervint une troisième voix qui ressemblait à s'y méprendre à celle d'Ariel et fit sursauté Grimsby. Ce type était persuadée que ces créatures attiraient les marins vers leur mort par le fond.
Il vit alors le denommée Vénus sortir d'un coin de la pièce avec une démarche aussi aguicheuse et venir s'installer sur les genoux de son compagnon.
— Vous aussi étiez dans le coup ? demanda Grimsby interloqué. Comment... Pourquoi ?
— Soyez réalistes, mon cher ! lui répondit Ulrich qui caressa distraitement les cheveux noirs de jais de sa conjointe. De quoi aurait l'air le royaume si on l'a laissait sous la gouvernance d'une femme à moitié poisson de naissance ? Qui dit-on a conclu un pacte avec une sorcière pour vivre sur terre ?
— Et qui se peigne les cheveux avec une fourchette ! ajouta Venus avant de glousser. Non mais quelle gourde !
— Donc vous aurez agi pour le "bien de notre royaume" ? récapitula Grimsby sceptique. Admettons, mais que signifient ces corsaires ? Et cette armada ?
— Ceci, mon cher, est l'étape suivante de mon projet, lui répondit Ulrich.
— Quoi donc ? Une guerre ?
— Tout de suite les grands mots ! Non, pas vraiment une guerre. Plutôt une chasse aux trésors... Sous-marines.
— De quoi... Comment ?
— Réfléchissez, vieil homme ! intervint Vénus avec insolence. Songez à toute les richesses que votre race... Je veux dire que l'humanité a accumulé au fil des siècles et qui ont été perdu en mer au gré des tempêtes, des guerres maritimes et autres regrettables naufrages. Toutes ces richesses qui reposent au fond des mers, inaccessibles pour l'homme. Et puis il y a de cela douze ans, on apprend l'existence d'un peuple qui habitent les fonds marins depuis des temps immémoriaux. Un peuple qui s'est sûrement accaparé toutes ses richesses perdues et en font la leur comme de vulgaires fouilleurs de poubelles.
— Avouez qu'il fallait y penser ! approuva Ulrich.
— Si je comprends bien, vous préparez une armada et engager des corsaires... pour piller le peuple de la mer ? tenta de récapituler Grimsby qui tombaient des nues.
— Les piller ? répéta Ulrich. Voyons, Grimsby ! Nous ne pillons personne ! Nous venons juste reprendre ce qui nous revient de droit !
— Il s'agit de nos richesses, après tout ! approuva Vénus. Collectés à la sueur de nos fronts durant des siècles ! C'est à eux de nous rendre ce qui nous ont pour ainsi dire volé !
— ... Admettons... Et qu'attendez vous de moi au juste ? osa demander Grimsby.
— Simplement votre coopération, en tant que conseiller du prince, lui répondit Ulrich. Après tout, vous avez eu l'audace de vous fourrer votre nez dans mes affaires, autant que vous soyez de la partie. Et ainsi, je pourrais éventuellement fermer les yeux sur votre récente ingérence. Vous voyez comme je suis magnanime.
Grimsby n'y entendait goutte. Un tel projet était tout simplement de la pure folie.
Toutefois, un détail avait retenu son attention.
— Dites moi, très chère Vénus, comment savez vous que le peuple de la mer ont amassé toutes nos richesses perdus en mer ? demanda-t-il à l'intéressée. D'où détenait vous une tel affirmation ?
— Simple déduction, lui répondit tout bonnement Vénus.
— Et une fort belle déduction, mon mie, approuva Ulrich en lui caressant les pommettes.
— De la déduction ? répéta le vieux conseiller de plus en plus soupçonneux. Ou bien vous venez vous-même du fond des océans ?
Pour toute réponse, la dénommée Vénus lui lança un regard glacial comme il n'en avait jamais vu auparavant. Il en mettrait sa main à coupé que la femme qui se tenait devant elle et celle à laquelle il pensait formaient une seule et même personne. Et au vu de sa réaction, il n'était peut-être pas loin de la vérité, aussi improbable fut-elle. Du moins il avait atteint un point sensible.
— Mmh... Je crains avoir manqué un chapitre mais... Par hasard, vous vous connaissez ? demanda Ulrich légèrement perplexe.
— Que nenni, mon cher et tendre ! répondit Vénus. C'est la première fois de la vie que je vois cette homme !
Elle venait de se piéger toute seule !
— Vous m'aviez pourtant saluer lors de votre arrivée au château, l'autre jour ! lui fit remarquer Grimsby.
— Ah mais bien sûr, je voulais dire avant mon arrivée ! tenta de se rattraper Vénus.
— Cela va de soi ! approuva Ulrich pour qui la réponse semblait le satisfaire.
Grimsby en fut plus que jamais persuadé. Il ignorait comment cela pouvait-il être possible mais il fut plus que jamais persuadé quant à la réelle identité de cette femme. Et il se devait d'agir.
— Prince Ulrich, écoutez moi ! supplia-t-il en se précipitant sur le bureau. Il ne faut que vous écoutez cette femme ! Elle vous mène en bateau ! Elle vous manipule !
— Mais enfin de quoi vous parlez ? s'indigna Ulrich. Et qu'est ce qui vous prend ?
— Vous êtes loin d'être la première victime, croyez moi ! insista le vieux conseiller. J'ignore ce que votre fiancée a en tête mais cela vous mènera a votre perte ! Notre perte à tous !
— Alors je vous fais sortir du cachot, vous offre un bol d'air comme compensation, vous propose de fermer les yeux sur votre indiscrétion en échange de votre coopération et vous ne trouvez rien de moi que manquer de respect à ma fiancée ? s'offusque Ulrich.
— D'ailleurs, d'où tenez vous une telle information, vieux débris ? la questionna Vénus sur un ton de défi. D'une certaine... "petite sirène" ?
Il n'y avait plus l'ombre d'un doute pour Grimsby.
— Prince Ulrich, je vous prie de m'écouter ! insista le vieux conseiller. Cette femme n'est pas ce qu'elle prétend être ! Elle vous mène en bateau ! Elle nous mène tous en bateau, je vous dis ! Elle est le Diable incarnée.
— Et en plus vous aggravez votre cas ! lui rétorqua Ulrich toujours offusqué tandis que sa compagne émit un gloussement peu discret.
— Mais ouvrez les yeux, bon sang de bois !
— Je ne vois que la plus belle femme du monde ! Comment un si jolie minois et de si jolie formes pourraient dissimuler l'incarnation du Mal comme vous dites ?
À tous les coups cette femme avait ensorcelé l'actuel prince, songea Grimsby. Tout comme elle l'avait avec son prédécesseur, douze annees auparavant.
— Prince Ulrich, vous vous souvenez vous de mes petits enfants ? demanda soudain Grimsby. Hans, Christian et Andersen ? Vous savez combien ils vous vénèrent et vous...
— Mais vous n'avez pas de petits enfants, mon pauvre vieux ! rétorqua Ulrich dans un éclat de rire. Vous n'avez même pas d'enfants ! Ni même de femme !
— Comme c'est triste ! commenta Vénus faussement désolée. Je n'en savais rien !
Évidemment que les petits enfants imaginaires de Grimsby étaient bidons. C'était une ruse pour s'assurer si oui ou non l'actuel prince était sous l'influence de la femme qui prétendait être son aimée. Le conseiller se doutait que cette créature ne le connaissait pas aussi bien qu'Ulrich ou son défunt cousin le connaissait. Malheureusement, il venait d'avoir la confirmation que l'actuel prince avait toujours toute sa conscience. Et donc il avait toujours son libre arbitre et était de parfait connivence avec cette sorcière. Même s'il n'avait probablement aucune idée de sa vraie nature ou de ses réelles intentions.
— Bien, nous avons assez ri ! reprit soudain Ulrich cette fois autoritaire.
Il claqua des doigts et fit venir deux orsaires baraqués qui empoignèrent fermement le vieux conseiller désemparé.
— Je vous ai promis que vous profiterez de l'air marin malgré tout, lui dit Ulrich qui maintenant lui tournait le dos et faisait face aux fenêtres. Estimez-vous heureux que je tienne mes promesses ! Ainsi vous ne douterez plus de la magnanimité. Emmenez le à la cale ! Et dites au capitaine de lever l'ancre dès que possible !
Les deux marins embarquèrent Grimsby de force mais au moment de franchir la porte, ils furent stoppés par Vénus qui se pencha à l'oreille du vieux conseiller.
— Votre imbécile de prince n'a pas entièrement tort ! lui susurra-t-elle méchamment. Si cela ne tenait qu'à moi, soit vous iriez croupir en prison pour de bon. À moins qu'on ne vous jeté par dessus bord une fois que nous aurons pris le large.
— Qu'est ce que vous mijotez, diablesse ? lui demanda Grimsby avec rancœur.
— Cela ne vous regarde pas, lui répondit Vénus. Vous n'aurez jamais dû vous en mêler.