Retour à l'océan

Chapitre 12 : L'enquête de Grimsby

2999 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/05/2022 21:40

Sur le chemin de retour vers le palais, Mélodie sentait l'amertume chez sa mère jusque dans la force avec laquelle elle lui tenait la main. Ainsi que dans son regard. Et son silence.

En fait, elle l'avait sentie pendant qu'ils étaient dans la grotte à se fritter avec les parents de Calypso.

Ce n'était pas souvent qu'elle voyait sa mère dans cet état, habituellement guillerette et décontractée. Mais elle savait d'instinct qu'il fallait la prendre avec des pincettes dès lors qu'elle était indisposée. Qu'elle fut sirène ou humaine, Ariel était connue pour sa fougue.

Ce fut donc avec précaution qu'elle lui demanda :

— Tu es fâchée, maman ?

Ariel hésita avant de répondre.

Certes, elle était en colère. Mélodie avait vu juste.

Mais ce n'était pas seulement contre sa fille qu'elle était fâchée. Ni contre Polochon pour l'avoir déçu. Ou même contre ses odieux parents qui s'était permis de lui faire la leçon, de traiter Mélodie de tous les noms ou de mettre la pression sur Polochon pour qu'il leur mangeât dans la main. C'était contre le monde qu'elle était en colère.

Quand elle avait épousé, elle pensait vivre un conte de fée comme on disait à la surface. Mais depuis son décès, elle accumulait les prises de têtes et les tracas. Comme si le monde s'acharnait contre elle et voulait empêcher elle et sa fille d'être heureuse, ne fût-ce que deux jours d'affilée.

Évidemment, Ariel en avait connue d'autres dans sa jeunesse, bien avant d'épouser Éric. Mais indisciplinée, téméraire et obstinée comme elle était à l'époque, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'elle s'attirât des ennuis comme on attirait les mouches avec le miel à la surface. Mais elle s'était assagie avec le temps. Et pourtant, le sort s'acharnait plus sur elle que quand elle était confrontée à l'intolérance de son père ou à la tromperie d'Ursula.

Cependant, elle n'osait exprimer sa colère en présence de sa fille, de peur de la heurter. Elle tenait à tout prix à de ne pas reproduire la même erreur que son père et de s'emporter pour un oui ou un non. Sachant que ce fut cette erreur qui avait jadis conduit la jeune sirène à accepter le marché de cette horrible sorcière. Et à la mort d'Éric, elle s'était jurée de se montrer forte pour sa fille, quoi qu'il arrivât.

Mais était-elle pour autant en mesure de tenir aussi longtemps émotionnellement ? Avec tous les soucis qui s'abattent sur elle et sa fille depuis la perte d'Éric ?

— Maman ? insista timidement Mélodie, soucieuse du silence de sa mère.

Ariel prit alors une grande respiration avant de finalement reprendre la parole en tentant de garder son calme :

— Écoute, chérie, je me doute que tu es des problèmes avec cette Calypso. Et... Pour avoir fait la connaissance de ses parents, je me doute qu'elle ne soit pas non plus... facile à vivre. Mais de là à avoir recours à la violence... Qu'est-ce qui t'es passée par la tête.

— Je... Je n'ai pas pu me contrôler, s'expliqua Mélodie. Je sais, je n'aurais pas dû mais...

— Mais ?

Mélodie se tut. Elle n'osait rapporter à sa mère ce que Calypso avait dit et qui l'avait mis en colère, ces choses horribles sur sa famille. Elle craignit que cela incommoderait sa mère, plus qu'elle ne l'était déjà. Comme si elles n'avaient pas déjà eu leur lot d'émotions pour la journée.

— Rien, répondit-elle finalement.

— Mélodie, tu te souviens de mon histoire avec la sorcière des mers que je t'ai raconté, l'autre soir ? lui demanda Ariel. Tu te souviens de comment ça a mal tourné et comment ça aurait pu mal se finir ? Et tu souviens quel leçon j'ai tiré de cette mésaventure ?

— "Nos actions ont des conséquences", récita Mélodie.

— Exactement. Et j'estime que tu devrais aussi appliquer cette leçon. Crois-moi, je n'éprouve aucun plaisir à te faire la morale ainsi mais... C'est pour ton bien. Il ne faut pas que ce genre d'incident se reproduise. Autrement je serais très malheureuse pour toi. Ai-je été assez clair ?

Pour toute réponse, Mélodie se contenta de hocher de la tête. Mais Ariel sentit dans son regard qu'elle n'en était pas encore convaincue pour autant.

— Bon, l'essentiel que tu reconnaisses ton erreur, reprit Ariel en tentant de relativiser. C'est déjà un bon début. "Faute avouée à moitié pardonnée".

— Est-ce que... Est-ce que ça veut dire que ma punition sera réduite de moitié ? se risqua de demander Mélodie.


*****


À la surface, Grimsby profitait dans son jour de congé pour enquêter sur la disparition du testament d'Éric destiné au notaire.

Le vieux conseiller se souvenait très bien l'avoir envoyé au lendemain du décès d'Éric. Il se souvenait même avoir dû mettre le bureau du prince sens dessus dessous pour mettre la main sur le document, le prince ayant eu de son vivant un sens de l'organisation qui lui était propre. Il avait même pris soin de lire et relire le papier écrit et signé de la main du regretté prince, certifiant que toute sa fortune, ses biens et sa demeure reviendrait à sa femme et à sa fille en cas de décès. Et ce avant de mettre le document dans une enveloppe, le cacheter avec le sceau royal et le confier à un coursier pour qu'il le remit au notaire.

Et ce coursier qui apparemment avait manqué à son devoir, Grimsby le trouva dans un pub et s'empressa de l'interroger.

Selon ses dires, le coursier avait parfaitement accompli sa tâche et s'était ce jour là rendu sans détour rendu chez le notaire lui remettre l'enveloppe. Il lui confia cependant que le notaire n'était pas encore à son bureau quand il y était arrivé ce jour-là et avait par conséquent dû le remettre à son secrétaire.

Grimsby s'en alla donc au bureau du notaire vérifier les dires du coursier. À son arrivé, le notaire était sans surprise absent. Ce fut donc un jeune secrétaire qui reçut le vieux conseiller.

Il lui certifia que le lendemain de l'annonce de la mort d'Éric, il avait effectivement reçu l'enveloppe correspondant à la description du conseiller de la main du coursier et avait attendu le retour de son patron pour le lui remettre en main en propre.

— Et il est arrivé, ce jour-là ? demanda Grimsby.

— Pas tout-à-fait, répondit le secrétaire. Il avait un empêchement ce jour-là. Il n'est venu au bureau que le lendemain.

De suite, Grimsby trouva cette histoire plutôt louche. Que diable pouvait faire le notaire si ce n'était pas à son travail alors qu'il avait suffit d'une journée pour la nouvelle sur le décès d'Éric se répandit tel une traînée de poudre et mis tout le royaume en émoi ?

— Et à son arrivée, vous lui avez bien remis l'enveloppe en main propre, n'est-ce pas ? questionna Grimsby.

— Tout-à-fait, mon seigneur, répondit le secrétaire. Avec le reste du courrier reçu ce jour-là.

— C'est étrange... L'autre jour, quand il est venu parler de succession, il avait certifié qu'il n'avait jamais reçu le document.

— Pourtant, j'ai pris soin de mettre votre enveloppe au dessus de la pile. Un document avec le sceau royal en provenance du palais, ça devait être de la plus haute importance. Et je pensais que ça devait avoir lien avec le prince dont on venait d'apprendre le décès. Alors il n'a pas pu le rater. Ça ne lui ressemble pas.

Le notaire aurait donc menti ? Dans ce cas, où était ce document qu'il affirmait n'avoir jamais reçu ? Est-ce que le notaire l'avait toujours ? Sur lui ou dans son bureau ? Un doute s'empara de Grimsby.

— Dites, qu'à fait votre patron une fois avoir récupéré son courrier ? demanda-t-il anxieux.

— Et bien, comme à son habitude, il s'est enfermé dans son bureau pour le consulter au calme, répondit le secrétaire.

— Et vous n'avez rien remarquer d'anormal ?

— Non, rien de spécial. Si ce n'est qu'il regardait avec beaucoup d'insistance votre précieux enveloppe. Comme quoi, il n'a pas pu passer à côté.

— Mais est-ce que vous pouvez me dire s'il a bel et bien lu et conseyrve le document contenu dans l'enveloppe, demanda Grimsby avec insistance.

— Désolé, mon seigneur, mais je n'ai pas la capacité de voir à travers les murs. Et dès lors que mon patron est dans son bureau, je retourne à ma propre paperasserie.

— Est-il possible de jeter un œil à son bureau ? Je dois vérifier quelque chose...

— En son absence ? Vous voulez rire ? En sa présence, moi-même je ne peux y entrer que lorsqu'il m'y convoque. Seule sa domestique est autorisée à y entrer en son absence essentiellement pour faire le ménage.

— Sa domestique ?

— Oui, monseigneur. Elle vient y faire le ménage une fois par semaine.

— Et... cette domestique, il y a un moyen de la contacter ?

— Pour sûr, vous la trouverez à son domicile.

À la demande du vieux conseiller, le secrétaire lui fournit l'adresse de son patron.

— Merci, dit Grimsby quant il prit congé.


Il se rendit à l'adresse indiquée par le secrétaire, dans l'un des quartier les plus aisés de la ville. Bien que peu fréquenté et d'un calme plat en cette heure de la journée.

Il reconnut aisément la demeure du notaire à sa façade très austère. Là où les voisins faisant en sorte de soigner l'apparence de leur domicile pour témoigner de leur élégance (et de leur fortune), celui du notaire semblait plus démontrer son avarice.

Il frappa à la porte.

Une jeune servante lui ouvrit. À vue de nez, elle devait avoir la vingtaine tout au plus et était d'apparence très frêle. Pas un cheveu ne dépassait de son bonnet.

— Que puis-je pour vous, monsieur ? demanda-t-elle d'une voix mal assurée.

— Bonjour, mademoiselle, est-ce que par hasard votre maître est à son domicile ? questionna Grimsby poliment.

— Non, désolée, répondit la jeune servante. Il a quitté la maison il y a tout juste une heure.

— Ça ne fait rien, c'est justement avec vous que je souhaiterais m'entretenir.

— C'est que... Je regrette, monsieur, mais je ne dois pas laisser entrer quiconque en l'absence de mon maître...

— Mais où sont mes bonnes manières ?! Je me suis pas présenté ! Permettez...

Les yeux d'un bleu éclatant de la servante s'écarquillèrent quand Grimsby lui révéla son nom et sa fonction. Elle ne lui laissa pas le temps d'indiquer la raison de sa venue qu'elle exhorta à entrer au plus vite avant que sa présence ne fût remarquée.

Elle conduit hâtivement le vieux conseiller à sa chambre mansardée, en lui faisant passer par l'escalier de service.

Une fois arrivée à la chambre qui ne payait pas de mine, la servante s'empressa de fermer les volets avant d'éclairer la pièce avec des bougies avant de finalement parler :

— Vous êtes ici à cause du testament de notre regretté prince Éric ?

— En effet, répondit Grimsby. Votre maître assure n'avoir jamais reçu le document. Or il me semble le lui avoir envoyé via un coursier. Et d'après le secrétaire de votre maître, il serait bien arrivé à destination.

— Il... il dit la vérité, confessa la servante. Le secrétaire. Mon maître a bien reçu le testament. Je... J'ai vu le papier. Et l'enveloppe. J'ai reconnu le sceau royal.

Grimsby fut au bord de l'exultation. Quelle bonne idée il avait eu de se renseigner auprès de la servante. Si son maître l'engageait pour faire le ménage à son lieu de travail en plus de son domicile toutes les semaines, il y avait une chance qu'elle ait ne serait-ce qu'aperçu le papier trainer sur le bureau. Et il le savait d'expérience, avec toutes les domestiques qui travaillaient au château et qui avaient cette fâcheuse tendance à jeter des coups d'œil indiscrets à tout ce qui dépassait du tiroir en faisant le ménage.

— À la bonne heure ! s'écria-t-il en frappant dans ses mains. Je savais que ce vieux débris cachait ce satanée document quelque part.

— Dans sa poêle à bois, confessa la servante.

— De quoi ???

— C'est en retirant à sa demande les cendres de la poêle que j'ai trouvé ce qui restait du document. Et je dois avoué être étonnée qu'il s'en était servi en cette période de l'année. J'ai conservé ce qui n'avait pas brûlé dans cette boîte.

La servante présenta alors une boîte à tabac contenant les restes du fameux testament. Il était clair que le document était en trop mauvais pour avoir une validité juridique. Mais en examinant les morceaux de papier brûlés, Grimsby reconnut entre mille l'écriture d'Éric.

Il y avait également les résidu de l'enveloppe avec le sceau. La cire avait évidemment fondu mais Grimsby en avait reconnu la couleur, ainsi que le bas relief bien que déformé.


Le vieux conseiller en tomba des nues. Comment avait-on pu oser et au sens littéral balancer au feu les dernières volontés de celui qu'il considérait de son vivant comme un fils ?

Il en tremblait de fureur tant il fut scandalisé.

Cela ne pouvait être que du sabotage. Pire, de la trahison.

Mais pour quelle raison ? Dans quelle but ?

— Qui vous a permis d'entrer dans ma maison ? s'écria une voix âpre.

C'était le notaire qui venait d'entrer en trombe dans la chambre de la servante. Celle-ci ne put s'empêcher de lâcher un cri perçant en voyant son patron pointer un mousquet sur Grimsby.

— Monsieur est déjà entré ? demanda la servante en feignant l'innocence sans succès.

— Ah vous ! maugréa le notaire en pointant l'arme sur la pauvre servante. Si c'est vous qui avez laissé entrer cet individu, ce sera retenu sur votre salaire.

— Laissez cette pauvre fille tranquille ! gronda Grimsby avec audace.

— De quel droit vous me dites comment je dois traiter mon personnel ? s'énerva le notaire en pointant à nouveau son arme sur le vieux conseiller.

— Et vous ? De quel droit avez vous jeté le testament d'Éric dans le feu ? demanda Grimsby en désignant le papier brûlé. N'avez vous donc aucune déontologie ?

— Ne me parlez pas de déontologie ! s'énerva de plus bel le notaire dont le bras qui tenait le mousquet commençait à trembler. Jamais je n'aurais pu tolérer la décision de ce prince d'opérette...

— Mais de quoi parlez vous ?

— Léguer tout l'héritage de sa lignée à un de ces... Démons aquatiques dépravés et à peine humains... Ainsi qu'à un hybride... Au fruit de sa liaison contre-nature avec un de ces démons de l'océan... Ce serait le déshonneur pour le royaume... Le début du déclin de notre civilisation... De l'humanité...

— Ne me dites pas que vous éprouvez une haine envers le peuple de la mer ? Mais voyons mon cher, pourquoi ? On croyait ce peuple n'être qu'un mythe il y a douze ans. Moi-même je ne croyais pas en leur existence jusqu'à ce que cette jeune Ariel nous a été présentée.

— C'est ce qu'ils auraient dû être, dit le notaire qui faiblissait à vue d'œil. Un mythe... De dépravation...

— Pourquoi dites vous ça ? Ces gens se sont révélés être un peuple pacifique et inoffensif depuis qu'ils ont fait surface...

— Non ! Pas des gens !... Des démons...


Soudain, le notaire est pris de malaise et s'écroula de tout son long sur le sol.

— Grand Dieu ! s'exclama Grimsby tandis que la servante se précipita sur le corps de son maître pour l'ausculter. Mais que lui arrive-t-il ?

— C'est son cœur ! dit la servante au bord de la panique. Il fait une attaque ! Allez chercher un médecin, vite !

— J'y vais de ce pas ! dit Grimsby en sortant de la chambre et descendant quatre à quatre l'escalier de service.

Il connaissait l'adresse d'un bon médecin à qui il avait à maintes reprise fait appel à ses services. Il savait qu'il logeait dans ce même quartier. Il espérait arriver à temps avant que son propre cœur, qui n'était plus tout jeune non plus, ne lâchât à son tour.

Mais quand il arriva au rez-de-chaussée, il fut arrêté dans sa course par une troupe de soldats aux ordres du prince Ulrich, l'attendant de pied ferme sur le perron.

Sous l'émotion, Grimsby ne prit pas le temps de demander la raison de leur présence.

— Vous tombez à pic ! s'exclama Grimsby essoufflé. Il y a un homme là-haut qui fait un malaise ! Il a besoin d'un médecin...

— Saisissez-vous de cette homme ! ordonna soudain un des soldats.

Sans qu'il eut le temps de comprendre pourquoi, Grimsby se retrouva agrippé par deux soldats qui lui passèrent les menottes et le traînèrent de force hors de la maison. Le conseiller était trop vieux et essoufflé pour résister ou tenter de se libérer ou même s'échapper.

— Qu'est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il pris au dépourvue. Savez vous qui je suis ? Pourquoi m'arrêtez-vous ? De quoi m'accuse-t-on ?

— Vous posez trop de questions, mon vieux ! répondit une voix avec un ton suffisant.

Grimsby vit alors Ulrich se tenant aux côtés de la porte, regardant avec un air satisfait et sournois le vieux conseiller se faire embarquer de force.

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