Retour à l'océan

Chapitre 11 : L'éviction

2820 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/05/2022 21:40

Loin de se douter des ennuis dans lesquels sa fille venait de se mettre, Ariel était tranquillement en train de déjeuner et de discuter avec son nouveau copain, Marius, tous deux assis autour d'une table sur une terrasse.

— Alors dites-moi, sans vouloir être indiscrète, qu'est ce qui vous a conduit à marchander avec Ursula ? demanda Ariel curieuse.

— C'est une longue histoire, répondit Marius. Voyez-vous, ma femme et moi... Enfin, ma défunte femme et moi...

— Oh ! Mes condoléances ! Je suis désolée !

— Ça ne fait rien. Donc je disais, ma défunte femme et moi-même ne sommes pas originaires d'Atlantica. Nous venons de Méditerranéa et c'est là bas que nous nous sommes rencontrés. Nous nous aimions d'un amour fou mais nos familles respectives étaient rivaux et donc désapprouvaient notre amour. Ils refusaient même qu'on se voit ou qu'on se parle.

— Ça n'a pas dû être facile, j'imagine, commenta Ariel compatissante.

— Hélas ! répondit Marius. Et sans compter que même chez nous, nos familles n'avaient pas pour réputation d'être très affectueuses. Si tant est qu'on pouvait parler de famille. Notre seule solution étaient de nous enfuir, nous marier et nous installer à Atlantica. À l'époque, le royaume faisait rêver rien qu'à son nom. Nous avions même prévu de fonder une famille. Et histoire de donner une leçon à nos parents, nous avons mis un point d'honneur d'y arriver à nos seuls dépens. Mais une fois arrivés, ce fut un vrai désenchantement.

" À l'époque, les étrangers et provinciaux tels que nous n'étaient guère appréciés et donc il nous fut impossible pour nous de trouver du travail ou un logement convenable. Et pour ne rien arranger, le peu qu'on gagnait servait à payer le loyer. Nous n'étions pas dans les bonnes conditions pour fonder une famille. Au bout d'un moment, nous n'avions plus qu'à plier baggage et à retourner chez nous bredouilles, à revenir à notre point de départ.

" Et puis, elle est venue à nous. Cette sorcière. Ursula.

— Mais elle a été bannie d'Atlantica quand je n'étais encore qu'un nourrisson, fit remarquer Ariel. Elle est vraiment venue à vous physiquement ou bien...

— Non, pas tout à fait ! Ce sont ces deux horribles murènes qui nous ont contactés et conduits à leur maîtresses.

Ariel s'en souvint. Flotsam et Jetsam. Les deux murènes d'Ursula. Ses larbins et espions. Elles aussi étaient venu voir Ariel juste après que son père, dans un accès de rage, eût détruit sa précieuse collection en apprenant qu'elle avait sauvé Éric de la noyade. Elles avaient fait mine de la consoler uniquement pour la conduire à leur maîtresse.

— Mais toujours est-il qu'Ursula s'est proposée de nous aider avec un sort de bonne fortune qui s'avérait sacrément efficace. Tous ce que nous entreprenions était couronné de succès. Si bien qu'en une année, nous étions passé de sans-le-sou à châtelain. Ça doit vous paraître insensé mais je peux vous assurer que dans notre situation nous pouvions pas refuser une telle offre.

— Oh, vous savez, je ne suis pas la mieux placée pour vous juger. Mais comment vous a-t-elle berné, au final ?

— Les effets du sort s'estompaient au bout d'un an, après quoi elle réclamerait son dû pour renouveler le sort. Sans quoi, la chance faisais place à la malchance et nous perdions tout ce que nous avions gagné entretemps. C'était dans le contrat.

— Et qu'elle était son "dû" ?

— Le "fruit de notre bonne fortune" qu'elle avait dit. Sur le moment, on pensait qu'elle parlait de sa part du trésor ou qu'on la loge dans notre manoir. Mais il s'avérait que ce qu'elle voulait était notre premier enfant. Et ma femme venait justement enceinte de notre petite Morgane.

— Par Neptune ! Elle voulait vous prendre votre enfant ?

— Sans doute pour en faire son apprentie. Je ne vois pas d'autres explications.

— Mais vous avez refusez, j'espère ?

— Ma femme s'y était fermement opposée pour tout l'or du monde. Moi... Disons que j'étais un peu lâche à l'époque et que je n'aimais pas avoir des dettes, alors j'ai tenté de trouver un compromis. Mais ma femme a su trouver les mots qu'il fallait pour me convaincre à prendre parti.

— Et ça n'a pas plu à Ursula, j'imagine ?

— Non contente retirer ce qu'elle nous avait donné, elle a décrété que si elle ne pouvait avoir notre enfant, personne ne devait l'avoir. Et c'est là qu'elle nous a changé en polype.

— Et ce malgré la condition de votre femme ? Ça a dû être... risqué !

— Rassurez-vous, notre petite Morgane a vu le jour peu de temps après que nous ayons retrouvé notre apparence sirènienne. Et elle n'a eu aucun séquelle. C'est comme si cette transformation n'a jamais eu lieu.

Ariel en déduit alors que Morgane devait avoir un an de plus que Mélodie.

— Et vous n'avez pas eu de difficulté à reprendre votre vie d'avant après cette mésaventure ? demanda-t-elle. Vous avez pu récupérer ce qu'Ursula vous avez repris ?

— Hélas non mais ce n'était pas bien grave. Comme le disait mon épouse, paix à son âme, "le vrai trésor sont notre famille, ceux qui nous sont chers". Et suite à cette mésaventure, le Roi Triton s'était montré très affable vis à vis des victimes d'Ursula et a dû faire des pieds et des mains pour nous dédommager.

En entendant cela, Ariel fut empli d'admiration concernant son père. C'était à croire que le roi des océans s'était adouci et assagi suite à cette mésaventure.

— Alors au final, vous vous en êtes pas trop mal sorti ? demanda la princesse sirène.

— On peut aller ! répondit modestement Marius. Notre famille a largement grandi, depuis. On ne nage pas encore sur de l'or mais on se débrouille. Du moins jusqu'à l'an dernier où ma chère et tendre nous a quitté.

Ariel se sentit tellement désolée pour son nouvel ami qu'elle dût insister pour payer le repas. Elle songea même à discuter avec ses sœurs quand à la situation des roturiers et comment elles pouvaient l'améliorer. Cela ne ferait pas de mal à leur sujets ! se dit-elle.

— Au fait qu'est-il arrivé à votre femme ? demanda Ariel.

Marius n'eut pas le temps de répondre que la crevette assistant Polochon fit irruption.

— Princesse Ariel, vous êtes convoquée par Monsieur Polochon à son bureau, lui dit la crevette. Ça concerne votre fille.

— Par Neptune ! s'exclama Ariel catastrophée. Que lui est-il arrivée ?

— Pas le temps de vous expliquer ! répondit sèchement la crevette. Mais vous le saurez sur place.

— Il a dû lui arriver un accident. J'y vais tout de suite !

— Vous pouvez nous accompagner, si vous le souhaitez, monsieur Marius, reprit la crevette. Votre fille à vous vous attend.


Le "bureau" de Polochon se tenait dans une petite grotte à peine plus grande que celle qu'Ariel utilisait jadis pour conserver ses découvertes.

Morgane attendait à l'entrée, en train de se ronger les sangs, quand son père fit son apparition en compagnie d'Ariel et de la crevette. En les voyant arriver, elle se releva d'un bond et se précipita vers les deux adulte en criant :

— Papa ! Princesse Ariel ! Ce n'est pas sa faute ! Calypso l'a provoqué ! Je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher...

— Allons, du calme, ma chérie ! tenta de la calmer son Marius. Respire un bon coup.

La simple mention de Calypso mit la puce à l'oreille d'Ariel. Elle savait que Mélodie avait eu des soucis avec cette dernière le jour elles avaient passé la journée ensemble et de ce que sa fille lui avait raconté, elle en avait déduit qu'elle n'était pas une sirène très fréquentable. Quelle misère avait-elle donc encore infligé à sa fille ?

Elle n'eut pas le temps demander davantage à Morgane que la crevette la pressa d'entrer dans la grotte et de ne pas faire attendre ses résidents. Elle demanda cependant à ce que Morgane et son père restassent à l'extérieur, sous prétexte que cela ne les concernait pas directement.

Lorsqu'elle entra dans la grotte, seule, elle vit Polochon, l'air grave, flottant au dessus d'un petit bureau composé de corail, Mélodie assise dans un coin évitant tout les regards et un couple de sirènes contre lesquelles la dénommée Calypso se blottissait. Sans doute ses parents. Tout deux avaient le regard autoritaire. L'homme arborait des cheveux poivre et sel soigneusement coiffés vers l'arrière ainsi qu'une moustache à la française et un monocle. La femme avait les cheveux blonds vénitiens coiffés de manière à ressembler à une coquille de bulot en plus d'arborer un collier et des bracelets de perle.

— Vous voilà enfin ! s'écria la mère de Calypso impatiente. Cela fait une heure qu'on vous attend !

— Vous n'avez pas changé, princesse ! commenta le père d'un air hautain en triturant sa moustache. Toujours aussi "ponctuelle" !

Ne voulant créer un scandale, surtout en présence des enfants, Ariel tenta de garder son calme et de ne pas réagir à la remarque cinglante de l'oncle au monocle.

— Que se passe-t-il ? se risqua-t-elle de demander.

— Il se passe que votre sauvageonne de fille a agressé notre précieuse Calypso ! s'indigna la femme aux cheveux en bulot. Alors que c'est son premier jour au club !

Ariel ne sut quoi répondre tant elle n'y entendait goutte. Entre l'idée que Mélodie put s'en prendre aussi agressivement à une sirène de son âge et le fait d'apprendre que Calypso venait d'être inscrite au même club que sa fille, sachant qu'elle serait comme chien et chat.

— Vous... Vous pourriez reprendre depuis le début ? demanda-t-elle perplexe.

Sa demande suscita un roulement des yeux exaspéré de la part de l'homme au monocle.

— Il se trouve que les parents de Calypso ici-présents ont demandé hier... Non sans insistance... À inscrire leur fille, expliqua Polochon légèrement mal à l'aise. Ils espéraient qu'elle change ses... fréquentations se fasse de nouveaux amis de cette manière... Et qu'elle ait de bonnes occupations. Alors tout se passait bien pendant un moment... Les enfants faisaient un jeu de pistes...

— Et c'est là que votre vaurienne de fille s'en est violemment pris à ma précieuse Calypso ! intervint la mère a bout de patience.

— Je ne vous permet pas de traiter la fille de la sorte ! s'indigna Ariel en serrant le poing, ayant aussi du mal à garder son calme. Mélodie ne faudrait jamais une chose pareille ! Elle ne ferait jamais de mal à une mouche ! (elle se tourna vers sa fille en quête de confirmation) N'est-ce pas ?

Mélodie, les lèvres tressautant, la tête rentrée dans les épaules et fuyant sa mère de regard, n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit pour donner raison à ses détracteurs. Au grand dam d'Ariel, sa fille venait de se dénoncer par son silence gênant.

— Ma chérie, je t'en prie, dis moi la vérité ! demanda Ariel au bord de l'affolement. Dis moi que tu n'as pas...

Le visage de Mélodie se crispa en tentant de retenir ses larmes. Mais rien n'y fit.

Ariel reporta alors son attention sur Polochon qui d'un regard désolée et avec haussement de nageoire lui répondit :

— Navré, Ariel, mais j'ai vu la scène. Les parents de Calypso disent vrai.

Cette réponse laissa la sirène sans voix. Sa propre fille, la chair de sa chair, capable d'une telle chose. D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, elle n'avait jamais vu ni même entendu dire Mélodie se comporter ainsi jusqu'à maintenant.

— Remarquez, quand on connaît les antécédents de ses parents et grands-parents, cela n'a rien de surprenant ! lâcha avec mépris le père de Calypso. Après tout, les poissons-chats ne font pas des poissons-chiens.

Ariel dût réprimer une folle envie de coller une gifle à cet homme méprisant. De quel droit se permettait-il de juger sa famille de la sorte ?

— Messieurs-dames, un peu de calme ! ordonna Polochon comme s'il avait lu dans les pensées de sa vieille amie. Évitons d'accabler nos enfants de la sorte. Ils ont déjà eu assez pour aujourd'hui.

— Allez vous au moins prendre des mesures contre cette petite effrontée ? exigea la mère de Calypso qui elle refusait de se calmer. Qu'elle ne soit plus une menace pour ma fille ni pour aucun autre enfant ?

— Ma fille, une menace ? s'indigna derechef Ariel. Polochon, comment peux-tu laisser ces gens...?

— Encore désolé, Ariel, mais je n'ai pas le choix, lui répondit tristement le poisson jaune. Elle a enfreint le règlement, en s'attaquant à une camarade.

— Règlement que vous avez signé, dois-je vous rappeler ! intervint la crevette en désignant le papier en question.

Ariel songea qu'elle devait décidément avoir la guigne concernant la paperasserie. Dés lors qu'elle avait signé un document, il fallait que ça se retourne contre elle. Elle aurait pourtant dû savoir depuis le temps ce qu'il en coûtait de poser son nom sur un contrat. Que ce n'était pas un acte à prendre à la légère.

— J'exige que la punition soit à la hauteur de ce qu'elle a fait ! reprit la mère de Calypso. Qu'elle soit radiée à vie du club !

— Madame, sauf votre respect, il s'agit de MON club ! la rappela à l'ordre Polochon. C'est donc moi qui décide de la punition qui convient dans ce genre de situation...

— Alors il est de VOTRE intérêt de prendre la bonne décision si vous ne voulez pas subir de mauvaise pub, l'interrompit le père d'un ton menaçant. Vous n'êtes pas sans savoir combien les parents se préoccupent du bien-être et de la sécurité de leurs enfants. Surtout quand ceux-ci sont compromis. Il serait donc regrettable qu'ils décident tous en cas de risques de désincrire leurs enfants. Ou pire, de faire fermer votre club si cher à votre cœur.

"Mais qui étaient ces gens ?" songea Ariel indignée. Elle pouvait comprendre qu'ils en avaient après elle et sa fille à cause de l'incident, mais voilà qu'ils mettaient la pression sur ce pauvre Polochon pour qu'il prit la décision qui serait à leur convenance. Si elle s'écotlait, elle leur lâcherait des propos indigne d'une princesse ou d'une mère de famille.

Et puis soudain :

— Désinscrivez-moi !

Ce fut Mélodie, vers qui tous les regards se tournèrent étonnés, elle qui jusque là n'avait pas prononcé un mot depuis qu'elle était entrée dans le bureau.

— T-tout est de ma faute ! reprit-elle d'une voix tremblante. Je... Je mérite d'être radiée. Désinscrivez-moi, s'il-vous-plaît.

— En voilà une qui est raisonnable ! commenta fièrement le père.

— Dommage que ce soit celle à l'origine de ce remue-ménage, se plaignit la mère.

— Mélodie, non ! implora Ariel à sa fille. Ne te sacrifie pas comme ça ! Tu commençais à te plaire dans ce club ! Je suis sûre qu'on trouvera un arrangement...

Mais sa fille, les yeux en larmes, fit non de la tête.

— Je suis désolée, maman, gémit-elle.


Durant tout ce temps, Morgane était restée à l'extérieur avec son père et avait tout entendu. Plus d'une fois elle fut tentée d'intervenir pour défendre son amie mais son père l'en avait dissuader, prétextant que cela ne ferait qu'aggraver les choses.

Finalement, après ce qui avait semblé être une éternité, ils virent Calypso et ses parents sortir de la grotte l'air satisfait d'avoir en fin de compte obtenu gain de cause.

Ariel et Mélodie sortirent de la grotte peu de temps après, l'air beaucoup moins réjoui à cause de l'éviction de cette dernière.

Marius et Morgane s'empressèrent d'aller à leur rencontre.

— Princesse Ariel, si vous saviez comme je suis désolé pour votre fille, dit Marius.

— Pas autant que moi, rétorqua Ariel la voix maussade.

— C'est injuste c'est qui lui arrive ! s'indigna Morgane. C'est cette peste de Calypso qui l'a provoqué ! C'est elle qui a commencé ! C'est elle qui méritait d'être punie ! Et ses sales parents...

— Ils font leur devoir de parents, Morgane chérie, tenta de la calmer son père. Il est normal qu'ils se soucient de la sécurité de leur fille.

— Mais ce n'est pas une raison pour traiter les gens comme ils viennent de le faire ! s'indigna de plus bel Morgane. De quel droit est-ce qu'il... ?

— C'est bon, merci pour votre soutien, l'interrompit fermement Ariel avant de prendre congé et d'entraîner sa fille par la main vers le palais.

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