Retour à l'océan

Chapitre 4 : Retour à l'océan

2892 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/10/2021 21:27

Mélodie s'impatientait sur le gaillard avant du bateau de feu son père qui voguait à travers l'océan. Depuis le bastingage et en compagnie du vieux chien Max, elle scrutait l'eau pourtant très calme, s'attendant à tout moment de voir surgir une sirène, maintenant qu'elle en savait l'existence.

Dire que peu de temps avant d'apprendre le décès de son père, elle n'y croyait pas et s'en était même persuadée qu'il ne s'agissait que d'un mythe, qu'elles ne pouvaient exister que dans ses rêves et son imagination. En tout cas elle avait dû s'en persuader quand elle avait commencé par fréquenter des enfants de son âge convaincus de leur non-existence de peur de passer pour quelqu'un de crédule et de ne jamais pouvoir s'intégrer. Et malgré cet effort, elle n'avait jamais su pleinement s'intégrer.

Cela ne l'avait pas empêcher de rêver qu'elle en était une et menait une vie épanouissante sous l'océan.

Mais voilà que récemment elle venait non seulement d'apprendre leur existence mais également que sa mère en était une par le passé et qu'elle allait bientôt en rencontrer d'autres, Qui étaient de la famille, qui plus est. Et étant donné que sa mère avait de décider de retourner vivre auprès d'elle avec sa fille, fort probable qu'elle allait en devenir une. C'était comme si un de ses rêves les plus secrets était sur le point de se réaliser.

— Il te faudra être patiente, petite ! vint l'aborder le capitaine qui l'avait rejoint sur la proue du bateau, un homme d'âge mûr et bedonnant à la barbe foisonnante. C'est qu'elles sont timides, les coquines ! Et leur royaume n'est que trop bien caché sous ses eaux.

Il pouvait paraitre imposant et rustre, mais Mélodie savait qu'elle n'avait rien craindre. C'était un ami de son père et il avait enseignée à la jeune princesse quelques rudiments de la navigation lors de leurs précédentes virées en bateau.

— De... De qui vous parlez ? demanda Mélodie dubitative.

— Des sirènes, pardi ! lui répondit le capitaine. C'est bien elles que nous sommes venus voir sur ordre de ta chère mère. En espérant qu'elles acceptent de se montrer cette fois. Cela va faire dix ans que je n'en ai pas vu une seule.

— Alors... Vous croyez en leur existence ? demanda à nouveau la jeune fille.

— Si j'y crois ? Ah ! Je sais ! Et je suis loin d'être le seul. D'ailleurs, ça me chagrine que de plus en plus de gens affirment que ce n'est qu'un mythe dans l'arrière-pays. 'Manquerait plus qu'ils affirment tous que la Terre est plate. Les gens sont vraiment bizarres avec leur croyances, j'te dis !


Au même moment sur le gaillard arrière, en compagnie de Grimsby et de Carlotta, Ariel fixait d'un regard mélancolique l'horizon dissimulant la côte qui autrefois la faisait rêver et qu'elle avait décidé de quitter à son tour. C'était la fin d'un rêve pour elle et le début d'un autre pour sa fille qui semblait impatiente de voir le peuple de la mer de là où elle se tenait. Les temps avaient changé et il en était de même pour l'ancienne sirène. Ses rêves de jeunesse étaient derrière elle désormais.

— Êtes vous bien sûre de votre décision, princesse ? lui demanda Grimsby. Je suis convaincu que tout rentrera dans l'ordre si je retrouvais ce maudit testament...

— Allons, ne vous donnez pas cette peine ! lui répondit Ariel compréhensive. Vous tous avez déjà fait beaucoup pour nous et je vous remercie du fond du cœur.

— Tout l'honneur est pour nous, princesse.

— Quoi qu'il en soit, oui, je suis sûre de ma décision, reprit l'ancienne sirène. Malgré ces merveilleuses années passées en votre compagnie, la terre n'a plus rien à offrir ni à la fille ni à moi. Et puis, il faut que je me rende à l'évidence, la paperasserie et moi, nous ne faisons pas bon ménage.

— Je tiens à ce que vous sachiez que quoi que dise ce goujat de duc, vous aurez toujours une place dans nos cœurs, ajouta Carlotta qui semblait au bord des larmes.

Dans un élan de compassion, Ariel serra la gouvernante dans ses bras, elle qui avait été pour elle comme une seconde mère pour elle.

Elle aurait dû prévoir que sa décision allait entraîner de douloureuses séparations.


Max se mit soudain à aboyer en se précipitant vers le pont principal. Il semblait avoir repéré quelque chose dans l'eau.

Mélodie fut la première à rejoindre le chien et à regarder en contrebas. Ariel ne tarda pas à les rejoindre, intriguée par le comportement de l'animal.

— Mais enfin, Max, ce n'est qu'un poisson ! dit Mélodie.

Ariel regarda à son tour ce qui émergeait en contrebas et vit effectivement un poisson. Jeune. Avec des rayures bleus.

— Polochon ?

— Ariel ! s'écria le poisson ! Tu es revenue ! Sébastien avait raison !

C'était bien Polochon. Il avait certes grandi entre-temps et avait même doublé de volume. C'était un adulte à présent. Mais Ariel l'avait reconnu entre mille. Et à en juger par ses paroles, le message était bien arrivé à destination cette fois.

— Je vais prévenir les autres que tu arrives ! prévint Polochon avant de replonger.

— Entendue ! répondit Ariel avant de se tourner vers le capitaine ! Demandez à vos hommes de jeter l'ancre et de replier les voiles ! Nous arrivons à notre destination.

Le capitaine ne se le fit pas dire deux fois et transmis les ordres aux matelots.

— Maman, tu connais aussi ce poisson ? demanda Mélodie.

— Si je le connais ! lui répondit sa mère. C'était mon meilleur ami quand je vivais sous l'océan.

— Ton meilleur ami... C'était un poisson ? tenta de récapituler la jeune fille avec un sourire moqueur.

— J'avais à peu près ton âge quand je l'ai rencontré, lui expliqua Ariel. C'était encore un bébé poisson tout peureux et perdu qui croyait que j'allais le manger alors que je voulais juste jouer avec lui. Je l'ai rassuré, puis je l'ai proposé de le ramener auprès des siens, nous avions sympathisé et depuis nous étions comme les arêtes de la nageoire.

Alors qu'Ariel se perdait dans ses souvenirs d'enfance, Mélodie ne put s'empêcher de sourire à l'idée que sa mère avait eu un poisson pour meilleur ami plutôt qu'une sirène de son âge. Puis elle songea qu'elle aussi pouvait peut-être se faire un ami parmi les poissons. Au cas où elle n'arriverait toujours pas à s'intégrer parmi les enfants sirènes de son âge.

— Au fait, maman, à propos de nos tenues, est-ce qu'on ne devrait pas être plus... élégante ? demanda la jeune fille.

Il était vrai que pour l'occasion, elles avaient laissées leur tenue d'apparat au chateau et portaient des robes plus décontractées. Et pas des neufs, qui plus est.

— Ne t'en fais pas, ma chérie ! la rassura Ariel. Ils ne verront pas la différence.


Bientôt, d'autres créatures marines émergèrent de l'eau, encerclant du navire à l'arrêt. Parmi elles des poissons en tout genre, des poulpes, des tortues de mer, des dauphins, des marsouins, quelques crustacés et bien sûr des sirènes de tout âges qui saluaient Ariel au loin.

En leur rendant leur salut, l'ancienne sirène fut emplie d'une vague à l'âme devant cette réunion. Cela faisait plus de dix ans qu'elle n'avait pas revu les siens et c'était précisément ce genre de réunion qu'elle espérait voir la dernière fois qu'elle avait voulu leur rendre visite. En fin de compte, ils ne l'avaient ni oublié ni ignoré. Elle les avait mal jugé.

De son côté, Mélodie était abasourdie de voir tant de sirènes en peu de temps et n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'elle partageait avec elles un lien de parenté. Cependant, elle comprit mieux où sa mère voulait en venir en lui disant de ne pas se soucier de leur tenues. Les hommes étaient tous torse-nus, les femmes n'étaient vêtues que de soutien gorge en coquillage. Du point de vue des sirènes, Ariel et Mélodie n'étaient que trop habillées.

Puis des poissons-trompettes vinrent sonner de leur trompe l'arrivée du Roi Triton — du moins, c'était ce qu'Ariel avait cru au son des trompettes. Au lieu du roi des océans, ce furent ses sœurs qui se présentèrent : Aquata, Andrina, Arista, Attina, Adella et Alana. En compagnie de Polochon et de Sébastien.

Elles avaient certes mûri avec le temps mais elles n'avaient pas des masses changé, elles portaient les mêmes coiffures et les mêmes ornement que douze ans auparavant. La seule à avoir un look différent fut l'aînée, Aquata, qui à la surprise d'Ariel, portait la couronne de son père et tenait également le Trident. Est-ce que cela voulait dire qu'Aquata était à présent la reine des océans ? Que le Roi Triton avait passé le relais en son absence ?

L'ancienne sirène fut alors prise d'inquiétude quant à l'absence de son père, et le fait que sa sœur aînée arborait sa couronne. Son état serait-il plus grave que ne lui avait dit Sébastien l'autre soir ?

— Nous te saluons, petite sœur ! dit Aquata d'un ton solennelle. Sébastien nous a annoncer que tu revenais parmi nous avec ta chère fille. Cette nouvelle nous honore et nous fait chaud au cœur. Nous attendions ce jour depuis tant d'années...

— Aquata, pardon de t'interrompre, mais où est père ? s'empressa de demander Ariel. Pourquoi n'est-il pas présent ?

— Il se repose au palais ! répondit Andrina. Il n'est plus très en forme, ces derniers temps.

— Mais il a été ravi d'apprendre ton retour, ajouta Alana. Il n'est peut-être pas présent physiquement mais il est de tout cœur avec nous.

Ariel crut voir Aquata lancer un regard assassin à ses deux sœurs, comme si elles leur en voulait d'avoir pris la parole à sa place. Puis elle reprit :

— Par conséquent, étant en possession du Trident, c'est à moi qu'il revient la tâche de te rendre ton apparence de sirène, ainsi que de faire de ta fille l'une des nôtres.

— Excuse-moi à nouveau, Aquata, mais... Es-tu vraiment capable de faire ça ? demanda à nouveau Ariel.

Au vue de la mine agacée d'Aquata ainsi que du malaise des autres sœurs et de Sébastien, l'ancienne sirène comprit qu'elle s'était aventuré en terrain miné avec cette question. Elle tenta de se rattraper :

— Je veux dire, est-ce qu'au moins tu connais et maîtrise le bon sort ? C'est que je voudrais éviter un imprévu à Mélodie, tu comprends ?

— Père m'a préparé et m'a appris à me servir du Trident pour le jour où je lui succéderai, répondit Aquata avec une pointe d'agacement dans la voix. Il m'a également appris le sort pour changer les humains en sirènes et vice versa dans l'éventualité de ton retour tant attendu. J'ai dû m'exercer sur tes sœurs pour le maîtriser.

Ariel vit Arista et Adella opiner de la tête l'air gêné. Apparemment, elles avaient été choisie pour servir de cobaye. Et elles ne devaient pas en garder de bons souvenirs.

— Alors si tu as encore de quoi remettre en doute mes aptitudes en tant que reine...

— D'accord-d'accord, j'ai compris ! dit Ariel en tentant de calmer sa sœur aînée. Laisse-nous juste le temps à ma fille et moi de faire nos adieux.

Elle était plus avenante dans ses souvenirs ! songea l'ancienne sirène désemparée.


— Et eux, maman, ils ne viennent pas ? demanda Mélodie en désignant leur domestique.

— Mélodie, on en a déjà parler, voulut répondre Ariel avant d'être interrompue par Carlotta.

— On aimerait bien rester avec vous, mais notre place est sur la terre ferme.

— Et puis, je n'ai jamais été tolérant avec l'eau de mer, ajouta Grimsby avant de se prendre un coup de coude de la gouvernante dans les côtes.

— Et Max ? demanda de nouveau Mélodie. Ne pourrait-on pas en faire un poisson-chien ?

Ariel avait complètement oublié ce détail : qu'allait-il advenir de Max ? Allait-il rester et devenir l'animal de compagnie du cousin Ulrich ? Serait-il bien traité au moins ? Est-ce qu'elles pouvaient l'emmener sous l'océan ? Après tout, le vieux chien était tout ce qui leur restait d'Éric. C'était comme si le prince décédé était encore avec sa famille via le chien.

— Et bien... Ce serait risqué avec son âge, répondit-elle dubitative. Mais peut-être que... Aquata, est-il possible de transformer un chien en créature marine ?

— Je ne peux pas le promettre ! lui répondit Aquata. Père ne m'a rien appris à ce sujet.

— Désolée, chérie, je sais combien tu es attaché à Max mais il vaut mieux pour lui qu'il reste sur la terre ferme, dit l'ancienne sirène chagrinée.

Elle sentie un gros pincement au cœur face à la mine abattue de sa fille devant se résoudre à se séparer du chien de son père. Elle se sentit coupable de ne pas avoir pensé à l'animal plus tôt.

Mélodie fit donc ses adieux à Max, puis à Grimsby, Carlotta, le capitaine et le reste de l'équipage.

— On se reverra, n'est-ce pas ? leur demanda-t-elle.

— Un jour, peut-être, répondit le conseiller. Après tout, ce n'est qu'un au revoir.

— Vous serez toujours les bienvenues chez nous si un jour vous changez d'avis, la rassura la gouvernante. Quoi que vous puissiez être par la suite et quoi que les gens diront.

Puis ce fut au tour d'Ariel de faire ses adieux à ceux qu'elle considérait comme sa famille d'accueil en les serrant dans ses bras.

— Encore une fois, merci pour tous, leur dit-elle.

— Prenez bien soin de vous, lui répondit Grimsby. Nous prendrons soin du château en votre absence.

— Prenez surtout soin de vous, leur souffla Ariel. On ne sait jamais avec le cousin Ulrich.


Les adieux passés et une fois prêtes pour le grand saut, l'ancienne sirène et sa fille se tinrent par la main et avancèrent vers le bastingage devant lequel elles se déchaussèrent avant de monter dessus, en équilibre.

— Nous sommes prêtes ! annonça Ariel à ses sœurs.

Aussitôt, Aquata fit illuminer le Trident et posa délicatement les pointes sur la surface de l'eau, créant ainsi un cercle scintillant à l'endroit où Ariel et Mélodie devaient plonger.

Elles comptèrent jusqu'à trois avant de sauter toutes les deux par dessus le bastingage, les yeux fermés.

Une fois immergée flottant dans les eaux fraîches et salées de l'océan, Ariel sentit aussitôt qu'elle était bel et bien de nouveau chez elle. Pour cause, elle n'avait plus aucun problème à respirer sous l'eau. Quand elle ouvrit les yeux, elle avait toujours sa robe bleu flottant dans l'eau mais vit rapidement que ses jambes humaines avaient céder leur place à sa queue de poisson verte habituelle. Et elle ne s'en était rendu compte de rien. C'était comme si elle ne s'était séparée de cette queue durant tout ce temps.

Mélodie quant à elle gardait les yeux fermées, sans se rendre compte qu'elle aussi avait été transformée en s'immergeant dans l'eau. Elle devait probablement attendre que la magie ait fini de faire son travail.

— Tu peux ouvrir les yeux, maintenant, Mélodie ! lui dit Ariel.

La jeune fille fut alors ébahie puis extatique à la vue de la queue de poisson rose saumon qui dépassait de sa robe jaune. Elle se mit aussitôt à faire des pirouettes — maladroites en raison de son manque de pratique et de la robe qui la gênait — en criant "JE SUIS UNE SIRÈNE !" à qui voulait l'entendre. Voir sa fille aussi débordante de joie réchauffait cœur d'Ariel.


Puis il se passa quelque chose à laquelle personne ne s'attendait.

Mélodie était tellement en extase qu'elle avait remonté à la surface pour montrer sa nouvelle queue de poisson aux gens restées sur le bateau. Puis Max, qui n'en finissait pas d'aboyer, s'était hissé sur le bastingage et sans laisser le temps à personne de réagir avait plongé dans le cercle magique encore scintillant à la surface. Une fois sous la surface de l'eau, il était devenu à la grande surprise de toute le monde une sorte de croisement entre un chien berger à poil long et un phoque. Un chien des mers. Et il n'avait pas l'air plus étonné que ça pour sa nouvelle apparence qu'il était déjà en train de jouer avec Mélodie à la fois surprise et heureuse qu'elle n'ait plus à se séparer du chien en fin de compte.

— On dirait que quelqu'un a lui aussi décidé de rejoindre l'océan ! commenta Ariel amusée et soulagée de voir ce problème résolue.

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