[LGDC] fanfiction Le Temps des Brumes
De retour au camp, Pelage de Brume et le Lieutenant Griffe Noire s'étaient empressés de trouver leur Chef, pour le mettre au courant de ce qu'ils avaient découvert. Les deux chats, en essayant de remonter la piste des intrus n'avaient rien trouvé de probant, si ce n'est d'autres traces similaires, confirmant que les guerriers des Neiges avaient fait bien plus que de laisser simplement glisser une patte sur le bord de la frontière. Ils avaient délibérément et consciemment franchit les limites, à leurs risques et périls....
Étoile Farouche qui, prévenu plus tôt par Pelage de Nuit, les attendait de pied ferme, prit comme première mesure de dépêcher deux de ses meilleurs Pisteurs pour aller fouiller la zone. En revenant de leur mission, ils n'auraient croisé aucuns chats ennemis, mais purent affirmer que leur passage fut répété et datait pour le plus récent de cinq ou six jours. La situation était préoccupante, et bien que l'acte soit, de mémoire, exceptionnel de la part du Clan des Neiges, il n'était en aucun cas anodin et ne pouvait être prit à la légère.
L'Assemblée des Clans, qui se déroulait à chaque Demi-Lune, ayant justement lieu dans deux jours, Étoile Farouche prit la décision, dans un premier temps, de ne pas informer son Clan de cette intrusion. Et de profiter de la grande réunion mensuelle pour en discuter directement avec la Cheffe du Clan des Neiges. Afin d'entendre ce qu'elle avait à dire pour justifier la violation du territoire du Feu, avant de l'incriminer auprès de ses guerriers et d'échauffer les esprits inutilement. Il fut donc intimé l'ordre à tous les membres au courant de la situation, de ne communiquer aucune information à ce sujet, jusqu'à nouvel ordre.
La vie au camp du Feu se poursuivait donc dans la plus sereine agitation. La cérémonie d'élévation des apprentis Nuage de Poussière et Nuage de Prêle venait d'avoir lieu, pour le plus grand bonheur de tous. L'accueil de nouveaux guerriers constituait toujours un moment mémorable et triomphant pour le Clan. Les cœurs étaient légers et fiers, le temps était aux réjouissances. Après une longue délibération avec leurs mentors pour cerner au mieux les tempéraments et les capacités que les apprentis avaient déployé et développé tout au long de leur apprentissage ; ainsi qu'avec la Guérisseuse pour s'assurer que le Clan des Étoiles ne leur avait pas déjà destiné un nom, Étoile Farouche leur avait révélé celui qui avait été choisit pour eux. Et c'est ainsi que Brin de Prêle et Poussière Volante avaient rejoint les rangs des valeureux Guerriers du Feu. Ils étaient maintenant partit accomplir leur longue et solennelle Veillée devant l'entrée du camp, qui durerait toute la nuit et leur ferait symboliquement protéger le Clan des dangers de la forêt et de l'avenir.
Dès que les premiers rayons de l'aube cisèleront le ciel, les jeunes guerriers devront s'élancer seuls à travers les bois, chacun de son côté. Et ils ne pourront revenir que lorsqu'ils auront un trophée à offrir au Clan, qu'ils auront traqué et tué eux-mêmes, se voulant le plus honorifique possible. Après quoi seulement ils auront gagné et mérité leur premier repos au sein de la glorieuse tanière des Guerriers où ils dormiront à compté de ce jour et jusqu'à leur retraite dans l'antre des Anciens.
Après la cérémonie, Pelage de Brume qui avait ressenti l'envie de quitter l'agitation festive qui régnait pour se retrouver un peu seule, était allée s'installer sur un promontoire de roche se trouvant sur l'autre versant du volumineux Rocher. Elle aimait cette cachette, qui l'isolait du camp, pour sa tranquillité. Et le promontoire du Rocher donnant sur une petite cuvette en contrebas, disposait d'une vue dégagée et surplombante sur les bois avoisinants, qui se prêtait parfaitement à la contemplation et la méditation.
Cœur de Cendre ne mit pas longtemps à la rejoindre.
« La cérémonie a été très émouvante, affirma t-il en s'asseyant avec elle au bord de la roche pour l'accompagner dans son appréciation du paysage nocturne. On n'a jamais vu leur mère aussi fière et émue. Quelle tristesse que leur père n'ait pu vivre assez longtemps pour voir ça... »
Pelage de Brume se rapprocha de lui pour le réchauffer de sa fourrure et de son ronronnement compatissant. Elle savait que durant son apprentissage, la plus grande peur de Cœur de Cendre fut que sa mère, alors déjà très âgée, ne rejoigne le Clan des Étoiles avant de pouvoir assister à son élévation de Guerrier.
- Je suis sûre que... qu'il les observe depuis les Plaines Célestes et que... que son cœur est rempli de fierté pour ses enfants. » Voulu le réconforter la guerrière, en prononçant maladroitement cette phrase pleine de platitude. S'énervant intérieurement contre elle-même de ne jamais savoir trouver les bons mots.
Il ronronna à son tour et appuya sa tête contre l'épaule tigrée de blanc et de gris clair de son amie.
- C'est une bonne chose que le Clan puisse profiter de ces réjouissances. Car les prochains jours s'annoncent compliqués, avec cette histoire d'intrusion du Clan des Neiges. Décréta il, pensif. Étoile Farouche a encore prit une sage décision en choisissant d'attendre pour nous en parler. Certains des nôtres, quand ils l'apprendront, auront le sang qui ne fera qu'un tour, c'est sûr...
- En effet, confirma Pelage de Brume, des accusations de violation de territoire, mêmes véridiques, ce n'est pas rien ! On ne peut pas se permettre d'incriminer un autre Clan à la légère, surtout quand ce Clan est celui d'Étoile Blanche ! On sait à quel point la Cheffe des Neiges peut se montrer virulente et réactive... Malgré les précautions que notre Chef a prit, je doute que l'on puisse échapper à des échauffourées....
- L'Assemblée de demain s'annonce mémorable. Espérons que ce soit dans le bon sens du terme... prononça t-il comme une prière.
- Ce qui est déroutant, avoua t-elle, c'est que nous n'avions pas subit de violation de nos frontières depuis des lustres, et d'autant plus de la part du Clan des Neiges. Je crois bien qu'il s'est écoulées plusieurs générations depuis la dernière affaire d'intrusion les concernant... Alors pourquoi maintenant ? Et pour quelles raisons ?
- Il s'agit peut être d'une patrouille égarée ?
- Non, pas avec les traces qu'ils ont laissé derrière eux. Réfuta la guerrière.
- Alors, peut être qu'il s'agit d'un acte isolé et indépendant de la part de quelques uns de leurs guerriers ?
- Possible....mais cela me surprendrait de la part de chats des Neiges...
- Tu as raison, ils sont réputés pour être plus unis que les griffes d'une patte.... Reconnu Cœur de Cendre. Mais qui sait ce qu'il peut bien ce passer chez eux, tout là bas.... Ce Clan est si distant et renfermé sur lui-même. On a déjà de la chance qu'ils acceptent de participer aux Assemblées...
- Quoi qu'il en soit, demain soir leur Cheffe devra répondre de ses actes et de ceux de son Clan... et qui sait quelle tournure va prendre cette réunion. » Souffla Pelage de Brume en allant perdre son regard dans l'infinité du ciel scintillant.
- Je sais que... les Assemblées demeurent éprouvantes pour toi, mais tu as de la chance de pouvoir y assister, affirma Cœur de Cendre gentiment et empli d'une certaine admiration.
- Ce n'est pas surprenant, rétorqua t-elle modestement et réprimant un relent d'angoisse. Je fais partie de ceux que les circonstances ont mit au courant et qu'Étoile Farouche va envoyer en priorité.... En vérité, je n'ai aucun mérite particulier.
- C'est vrai que la majorité du Clan ne sait encore rien de ce qu'il ce passe.
- Non et j'espère vraiment que Nuage d'Ombre va tenir sa langue d'ici demain, décréta t-elle amèrement, surtout auprès des autres apprentis. C'est presque miraculeux qu'elle se soit tue jusque là !
- C'est vrai que cela ne doit pas être facile pour un jeune de résister à l'envie de mettre ses amis dans la confidence d'un événement pareil, se fit la réflexion Cœur de Cendre. J'espère qu'Étoile Farouche aura su lui faire comprendre les enjeux de cette responsabilité.
- Le Chef je ne sais pas... mais si c'est son mentor qui le lui a ordonné, alors nous somme tranquille. » Marmonna Pelage de Brume pour elle-même.
Cœur de Cendre pencha légèrement la tête de côté, ne comprenant pas vraiment ce qu'elle sous-entendait. Puis il déclara l'air amusé, un peu taquin :
- En tout cas, toi tu l'a bien fait : mettre ton ami dans la confidence... »
Elle redressa son visage surprit et déstabilisé vers lui, puis roula ses yeux en rétorquant avec évidence :
- Mais toi c'est différent. »
C'est vrai, elle n'avait pas hésité une seconde quand elle lui avait raconté ce qu'il s'était passé à la frontière, sachant que cela allait à l'encontre direct des ordres du Chef de Clan. Depuis toujours, elle partageait tout avec Cœur de Cendre, même si elle n'en avait pas vraiment le droit. De toute façon, il l'aurait apprit tôt ou tard, et Cœur de Cendre était plus honnête que l'ensemble des membres du Clan réunit. A qui faire confiance sinon à lui ?
Elle se mit alors à avoir des réflexions plus sombres. Et après un temps de silence où ne résonnait que le murmure lancinant du vent, elle demanda, penaude :
« Cœur de Cendre, tu penses que si on te confiait une responsabilité ou une information que tu n'aurais pas le droit de révéler... tu penses que tu m'en parlerais quand même ? »
Surprit par une telle question, il eut un peu rire naïf :
- Pourquoi me confierait-on un telle responsabilité ? Je ne suis qu'un simple chasseur, je ne suis pas assez important pour ce genre de chose ! Ha ha ! »
Pelage de Brume lui sourit, mais demeura pensive. Un peu triste.
Il eut alors un large bâillement sonore.
- Bon, je vais aller dormir un peu avant d'aller faire ma part de chasse. Demain j'ai une longue journée d'apprentissage à accomplir avec Nuage de Craie, je dois être en forme ! Tu viens te reposer un peu toi aussi ? »
Elle fit non de la tête.
- J'aimerai bien, mais je ne peux pas. Griffe Noire veut que je balise un maximum de territoire afin que le Chef ait le plus d'informations et de preuves possible à disposition pour étayer son inculpation de demain envers les Neiges. Je rentrerai sûrement après toi, alors ce ne sera pas la peine que tu m'attendes pour aller te coucher. »
Il lui sourit en acquiesçant et lui souhaita une bonne patrouille avant de partir à l'escalade du Rocher pour regagner le camp. Elle l'accompagna de son regard affectueux, sachant qu'il l'attendrait quand même.
*
Le groupe, en formation serrée, arriva enfin dans la clairière illuminée par la lune bien haute dans le ciel noir. Depuis l'autre coté des fourrés de buissons épineux et d'arbustes feuillus qui entouraient la petite étendue d'herbe circulaire, on pouvait déjà percevoir la multitude d'odeurs entremêlées de tous les chats qui y étaient rassemblés. Pelage de Brume traversa l'épais bosquet par l'une des embouchures formées par le passage régulier de félins, à la suite de son groupe conduit par Étoile Farouche. Après une longue heure de marche en direction du nord, accompagnés des lueurs du crépuscule, les voilà rejoignant enfin le centre de la Vallée : l'endroit où depuis toujours les Guerriers se réunissaient. Seul et unique territoire neutre et pacifique de la Vallée, où les affrontements étaient formellement prohibés. Le camp du Feu et le reste du Clan demeurait sous la responsabilité du Lieutenant, jusqu'à leur retour.
Les représentants des trois autres Clans avaient déjà investit les lieux. Une vingtaine de guerriers patientaient sous le sourire de l'astre lunaire, réparti au sein de cet abri de verdure qu'était la clairière exposée à ses rayons blancs. L'odeur de tous ces différents chats se mélangeaient dans l'air froid de la nuit pour former une nappe hétéroclite et étouffante d'informations olfactives, qui se liaient et se déliaient pour venir invertir et harceler les narines. Pour supporter ces bouffées suffocantes qui montaient à la tête, il fallait autant que possible en faire abstraction et ne pas se concentrer sur ce que l'on sentait. A leur entrée dans la clairière, certains des autres déjà présents se tournèrent vers eux, les observèrent du coin de l'œil, les saluèrent d'un hochement de tête, les dévisagèrent ou les ignorèrent, en fonction des inclinations et des ressentiments en vigueur ce soir là. Ici, lieux ancestral de trêve et de pourparlers, il était interdit d'apposer ses marquages territoriales, de prendre la parole pour s'adresser à l'assistance sans y avoir été autorisé et, bien entendu, d'avoir recourt à une quelconque forme de violence ou d'agressivité.
Étoile Farouche, escorté de deux de ses guerriers, se dirigea avec la prestance et la sévérité paisible que son titre imposait, vers l'estrade et tribune depuis laquelle les quatre Chefs de Clan prendraient la parole. Il s'agissait d'un énorme tronc de cèdre centenaire qui avait chuté en travers de la clairière il y a mille et une saisons, comme la légende le racontait. Le Chef du Feu passa, seul, de l'autre côté du gigantesque arbre couché, derrière lequel les trois autres meneurs de Clan étaient déjà en train de s'entretenir, l'intimité de leurs échanges hiérarchiques préservée par le colosse de bois déchu.
Pelage de Brume, restée figée à l'entrée de la clairière, les griffes enfoncées dans la terre, inspira puis expira profondément pour se donner du courage. Elle fit se mouvoir ses pattes rendues molles et parcourues de fourmillements par l'anxiété et se décida enfin à pénétrer dans la foule féline et bruyante. Les Assemblées constituaient la seule occasion pour les guerriers de différente allégeance de se rencontrer et de s'épier les uns les autres. Ils étaient tous là.
Les Neiges, immenses chats aux impressionnantes fourrures longues et épaisses, renfrognés et regroupés dans leur coin de la clairière, ne se mêlant jamais aux autres et, de leurs faciès aussi dignes qu'abrupts n'invitaient pas à se faire aborder.
Les gracieux chats du Lac aux sourires faux, dont les pelages lustrés luisaient sous la lumière lunaire, qui se glissaient sinueusement parmi les autres groupes, mielleux et moqueurs, avides de potins et de confidences susceptibles de flatter leur ego et leur suffisance.
Et enfin, les guerriers de la Lune... en retrait, serrés les uns près des autres sur leurs longues pattes faméliques, l'échine courbée, le regard bas, leurs corps minces et fragiles arborant cruellement les cicatrices et mutilations qui ponctuaient leurs silhouettes élancées de morbides marquages.
Le passé proche qui liait le Clan du Feu et le Clan de la Lune était maculé de sang et de violence. L'Affrontement qui eut lieu entre les deux camps fut terriblement sanglant et les conséquences pour les frêles, et d'ordinaire pacifiques, guerriers de la Lune furent désastreuses. Ces chats, dont les mœurs et les traditions se sont au fil des générations éloignées de la pratique du combat, face aux terribles guerriers du Feu, ont essuyé un véritable massacre. Ce fut une hécatombe. Le Clan du Feu ne faisait pourtant que se défendre. Et le jeune Chef qu'était Étoile Farouche à l'époque, qui venait tout juste de prendre la tête du Clan en succession, prouva ce jour là sa valeur de meneur comme bien rares sont les Chefs dans l'histoire à l'avoir fait au même âge, en protégeant les siens de la sournoise attaque du Clan de la Lune. Et bien que de nombreux soleils se soient succédaient dans le ciel depuis ce funeste jour de bataille et de mort, le souvenir demeure vif dans l'esprit des uns et des autres.
Pelage de Brume se fraya un chemin parmi les félins silencieux ou discutant avec leurs voisins. Elle se concentrait devant elle pour ne croiser les yeux de personne. Elle se crispa davantage, une boule de stress enserrant ses entrailles quand elle dut passer devant le groupe des guerriers de la Lune.
Elle ne savait toujours pas si cette impression n'avait de réalité que dans sa tête, mais quand elle était en vue des chats de la Lune elle avait systématiquement la désagréable sensation de recevoir leur terribles et venimeux regards de haine comme nul autre chat présent. Elle ne comprenait pas. Pourquoi elle plus qu'un autre ? Elle n'était même pas encore née lors de l'Affrontement entre les deux Clans. Alors pourquoi dirigeaient ils leur rancœur et leur ire contre elle en particulier, plutôt que sur l'un des nombreux guerriers du Feu qui avaient massacré les leurs, qui étaient les responsables directs de leurs blessures, et qu'ils devaient cruellement côtoyer à chaque Demi-Lune ? Était-elle tout simplement paranoïaque ?
Ou... ou bien... était-ce à cause de lui ? A cause de se qu'elle lui avait fait ? De ce qu'on croyait qu'elle lui avait fait ?
Elle déglutit péniblement.
Était-il là ce soir ?
Elle n'osait quitter le sol des yeux de peur de rencontrer les siens. Soudain, ses poils se dressèrent froidement sur son échine. Cette sensation... Il était bien là. Il la fixait de son regard de mort et de colère inouïe. Ce regard de pure haine. Ce regard qui la poursuivait dans ces cauchemars depuis plus de deux années. Elle n'avait pas besoin de lever les yeux pour le reconnaître, pour sentir qu'il était là, juste derrière elle.
Elle osa faire glisser ses prunelles dorées dans sa direction.
Il l'observait, ce jeune guerrier de la Lune à peine plus âgé qu'elle, dont la moitié du visage était écorchée et mutilée au point que son œil en était crevé et que son poil n'y repousserait plus jamais. Tout cela... engendré par ses griffes, ses griffes à elle.
Plus Patte de Jais la foudroyait de sa haine constante et viscérale, et plus ses griffes essayaient de s'enterrer dans la terre à chacune de ses foulées.
Enfin, elle avait rejoint son groupe, les siens, sa famille. Elle s'assit, les pattes avants très serrées l'une contre l'autre et sa queue venant entourer son corps avec vulnérabilité. Ses griffes, malgré elle, s'enfouissaient plus que jamais dans la froideur du sol. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'essayait plus de les en empêcher.
A sa droite, Brin de Prêle, qui hier encore devait être appelé Nuage de Prêle, se rapprocha d'elle pour être à portée de murmure. C'était sa toute première Assemblée. Malgré les airs détachés et un peu méprisants que ce jeune chat essayait constamment de se donner, on pouvait clairement lire sur ses traits l'intimidation qu'il devait éprouver. Il ne cessait de faire courir ses prunelles bleu-vert sur les chats alentours, si différents, si semblables. La première fois que l'on rencontrait enfin les autres Clans, que l'on avait tant fantasmé jusque là, était toujours un instant fort en curiosité, en désillusion et en surprise. A leur gauche se tenait Pelage de Nuit et Nuage d'Ombre qui avaient eux aussi été convié. Pelage de Brume s'impressionna de trouver la revêche apprentie aussi calme et bienséante. Cette dernière ne se privait tout de même pas de faire pleuvoir ses regards méprisants et hargneux sur tous ces exécrables étrangers.
La foule fut remuée de murmures achevés, de mouvements de têtes et d'oreilles orientées vers le tronc de l'arbre. Les quatre Chefs de Clans venaient de se hisser sur la mousse recouvrant le versant supérieur de son écorce, qui recevait les pluies du ciel lunes après lunes. Alignés face à l'assistance, se trouvaient fièrement assis de droite à gauche : Étoile Silencieuse le gros chat noir Chef du Lac ; Étoile Brillante Cheftaine de la Lune au poil roux pâle ; Étoile Farouche au beau pelage blanc et chocolat, Meneur du Feu ; et enfin Étoile Blanche Cheffe des Guerriers des Neiges, dont la soyeuse fourrure immaculée dansait dans la brise légère.
La clairière était parfaitement silencieuse. Et Pelage de Brume fit tous les efforts du monde pour oublier Patte de Jais, ne serait-ce d'un instant.
Étoile Farouche prit en premier la parole pour proclamer l'ouverture de l'Assemblée des quatre Clans de la Vallée. S'en suivit la traditionnelle énumération des événements de naissance, de baptême, d'élévation et de mort au sein des Clans, que les différents Chefs effectuèrent à tour de rôle. Rien de bien palpitant. Trois nouveaux apprentis chez les Lac. Deux naissances chez les Neiges. Pas de nouvelles morts chez les Lune.
Pelage de Brume se demandait si son Chef avait eut le temps de s'entretenir avec Étoile Blanche ou s'il comptait le faire juste après les annonces. Les meneurs poursuivaient leurs discours banals et conventionnels, rien ne semblait troubler la paix des différents Clans. Les choses seraient vite terminées. Mais soudain, une voix criarde s'égosilla à travers la clairière :
« Et que faites vous des guerriers des Neiges qui se sont introduits en territoire du Feu ?! »
Une chape de plomb s'abattit sur l'Assemblée. Tous les yeux s'étaient tournés vers Nuage d'Ombre, qui en retour les défiait de ses prunelles enflammées comme des braises.
Pelage de Brume crut que ses moustaches allaient tomber de ses babines. Elle ne pouvait pas y croire. C'était une catastrophe.
Des brouhahas confus commencèrent à émerger ça et là en réaction à cette phrase assassine qui, telle la foudre, avait frappé la clairière. Étoile Farouche réussit malgré tout à garder sa contenance, et s'éclaircit la gorge pour s'approprier de nouveau l'attention de tous :
- Tu n'avais pas la parole, Nuage de...
- Qu'est ce que cela veut dire ?! Vociféra Étoile Blanche partant au quart de tour et le coupant sans ménagement. Tu n'es plus capable de tenir tes chats maintenant, Étoile Farouche ?!
- Les guerriers des Neiges ont franchit nos frontières ! » Se remit à beugler l'apprentie.
Mais cette fois-ci son mentor Pelage de Nuit ne lui laissa pas la possibilité de poursuivre et la réprimanda de sa voix profonde et ferme. Pelage de Brume ne put même pas profiter de la déconfiture que provoqua les paroles de son mentor chez Nuage d'Ombre, tant elle était affolée par la situation. Les chuchotements des autres guerriers devinrent des marmonnements d'indignation de plus en plus forts.
- Qu'est ce que ces calomnies signifies ? Je ne laisserai pas mon Clan se faire insulter de la sorte ! Clama la Cheffe blanche de plus belle, sa fureur augmentant de seconde en seconde. Mes guerriers ont toujours scrupuleusement respecté les frontières !
- Et bien, commença alors à déclarer Étoile Brillante de sa voix calme et faiblarde. Le Clan de la Lune a lui aussi décelé dans traces d'intrusion du Clan des Neiges sur son territoire.»
L'Assemblée, sous la teneur de cette seconde révélation, fut cette fois-ci réellement secouée. On entendaient les chats choqués s'esclaffer et s'offusquer de toute part.
Pelage de Brume chercha les guerriers des Neiges. Ils s'étaient tous dressés sur leurs pattes. Certains avaient le cou tendu vers le promontoire où leur Cheffe était en train de défendre farouchement leur honneur, comme se préparant à intervenir pour elle à tout moment. Les autres défiaient des yeux quiconque osait les dévisager ou leur adresser des regards intrusifs et soupçonneux. S'en prendre à l'un d'entre eux, c'était s'en prendre à eux tous.
La queue touffue d'Étoile Blanche fouettait si furieusement l'air qu'on aurait dit qu'elle allait se décrocher. Étoile Farouche décida d'intervenir avant que la chatte blanche n'explose pour de bon :
- Nous avons des preuves irréfutables de votre passage sur nos territoires, Étoile Blanche. Tout ce que nous voulons, c'est comprendre quelles raisons vous ont poussé à commettre ces intrusions. Nous ne sommes pas là pour nous battre ! Seulement pour entendre ce que tu as à nous dire. »
Elle eut un miaulement dédaigneux, mais les mouvements colériques de sa queue semblèrent se calmer. Pelage de Brume retint son souffle. Elle sentait les guerriers d'Étoile Blanche de plus en plus tendus. Seul le Chef du Lac, fidèle à son nom, restait silencieux et ne prenait pas part au conflit. Il scrutait les trois autres meneurs avec intensité, ne ratant rien de ce qui était en train de se dire.
- Mon Clan n'a rien fait de mal ! Maugréa la chatte blanche, ses crocs luisants entre ses babines offensées. J'ai simplement ordonné à mes guerriers d'explorer les zones reculées de notre territoire, cela n'a rien de répréhensible ! »
Étoile Farouche fronça ses sourcils, pensif et grave.
- Explorer de nouvelles zones ? S'indigna un chat dans l'assistance, visiblement du Clan du Lac. Votre territoire n'est-il pas suffisamment vaste ? Vous êtes si imposants, vous chats des Neiges, qu'il vous en faut encore plus ?!
- Vous ne savez rien de nous ! Feula une guerrière des Neiges en réponse. Vous ne pourrez jamais comprendre notre vie ! Et surtout pas les gros tas de vase gras et mous que sont les chats du Lac !
- Répètes un peu ça, bouffeuse de charognes ! »
Le ton montait. Les crocs et les griffes étaient désormais sortis. Les guerriers des Neiges et du Lac se toisaient dangereusement. Il aurait suffit d'un battement d'oreille trop vif pour les voir se jeter les uns sur les autres et s'étriper. Les Neiges étaient certes craints pour leurs carrures de géants, mais les Lac eux, étaient réputés pour leur vivacité capable de faucher les poissons en pleine nage.
- Silence ! » Avait alors hurlé Étoile Blanche.
Ses guerriers se tournèrent vers elle et rentrèrent aussitôt les griffes, malgré les provocations perfides et silencieuses que les chats du Lac leurs adressaient toujours.
- La Cheffe des Neiges à raison ! Ne rendons pas nos Ancêtres honteux ce soir et respectons la solennité de ces lieux. » Ajouta Étoile Farouche avec autorité.
Puis il se retourna vers sa consœur.
« Il est temps, Étoile Blanche. Tu dois nous dire ce qui vous pousse à vous mettre en quête de nouveaux territoires, au point de bafouer celui des autres. »
La chatte rabattit ses oreilles en arrière, dans un silence fièrement réfractaire.
Tous les yeux étaient rivés sur elle. Tous étaient pendus à ses lèvres.
Comprenant, fatalement, au bout d'un temps qu'il n'y avait plus d'échappatoires possibles, elle fit résonner sa voix butée :
- J'ai donné ces ordres car.... »
Elle balaya la foule de ses yeux guerriers. Puis les lança vers la lune. Émit un soupir résigné. Et, acculée, révéla la dure vérité :
« J'ai donné ces ordres car nous sommes en train de mourir de faim. »