[LGDC] fanfiction Le Temps des Brumes
La combe encerclée de roches grises et de grands arbres qui commençaient tout juste à revêtir leurs parures vermeilles de l'automne, était particulièrement paisible. Nuage de Silex émergea de la tanière des apprentis. Il cligna ses yeux dans le soleil blanc et chaud de l'après midi. Il leva son museau, offrant sa truffe à la brise boisée et inspira profondément son air chargé de senteurs humides, écoutant le bruissement si doux des feuillages qui frissonnaient sous la main du vent. Que l'air était bon.
Il rouvrit ses yeux et aperçut un jeune chat noir au ventre blanc assis à proximité de l'entrée du camp. Pour le rejoindre Nuage de Silex s'élança sur ses pattes, affaiblies par trois lunes passées à garder le lit. Il était grand temps qu'il se refasse du muscle.
« Nuage de Prêle ! »
L'apprenti qui était âgé de quelques lunes de plus que lui, tourna ses yeux vert d'eau et mi-clos dans sa direction.
- Oh ! Silex... alors comme ça tu es de retour... »
Nuage de Prêle parlait d'une voix monocorde et économisée. Ses longues et très nombreuses moustaches blanches étaient ballottées par la brise légère qui circulait entre les roches du camp.
- Ou...oui, enfin ! J'avais hâte de pouvoir reprendre.... une vie normale... » Confia candidement et avec enthousiasme le jeune chat marbré de gris.
« J'ai appris que votre élévation de Guerrier approche! Ta sœur et toi vous devez êtres impatients, non ? » Demanda t-il en scrutant son ami plus âgé de ses prunelles timorées et pleines de louanges.
Nuage de Prêle dans des gestes maniérés, leva sa patte noire qu'il se mit à lécher de sa langue rose et rappeuse, avant de répondre :
- Hum... comme tout à chacun dans cette situation, je présume... Mais toi, tu....
- De quoi vous parlez ? » Hurla soudain une chatte au pelage moucheté de sable en bondissant sur eux, toutes pattes en avant, dans une détente incroyable. Tous les poils de Nuage de Prêle se dressèrent sur sa peau.
- Bon sang ! Poussière ! Je déteste quand tu fais ça ! » Aboya t-il, au comble de l'exaspération.
Sa sœur, aussi flexible et élastique qu'un rameau de l'année, se faufila entre les deux mâles qu'elle venait de bousculer et vint s'asseoir en face d'eux, l'air de rien. Ses oreilles agitées en tout sens se figèrent dans la direction de Nuage de Silex quand elle le reconnu.
- Eh ! Mais c'est toi Nuage de Silex ! Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je...Bonjour Nuage de Poussière, ça fait plaisir de te revoir... » Salua doucement l'apprenti gris en se redressant sur ses pattes déstabilisées après le passage de la tornade Poussière.
« En fait je reviens tout juste de... »
- Oh ! Mais tu as quelque chose dans le cou ! C'est une cicatrice ? » Le coupa la jeune chatte inarrêtable, en se précipitant en avant pour examiner le poitrail de ce dernier sous toutes les coutures.
- Mais oui, tête de souris ! Nuage de Silex a été mordu par un blaireau ! Tout le Clan ne parle plus que de ça depuis des lunes ! » Lui brama son frère Nuage de Prêle sans la moindre once de patience.
Nuage de Silex, le cou rentré dans ses épaules, figé dans une position de retrait, intimidé et désarmé par le regard intrusif et virevoltant de l'énergique apprentie, ne réussissait à ne rien articuler d'autre que des bégaiements.
- Ah ! C'est donc ça ! Conclu Nuage de Poussière en penchant sa tête de côté, avec dubitation. La marque se voit bien. Le blaireau n'a pas dû être loin de te briser la nuque.
- Poussière, le tact ! La subtilité ! Tu t'en souviens ? Combien de fois je te l'ai répété ?! » S'esclaffa son frère à bout de nerfs.
- Oui....le blaireau... c'était bien son intention... je crois... » Confirma Nuage de Silex avec un petit sourire crispé, mal à l'aise.
- Justement, je voulais te demander, commença Nuage de Prêle le visage encore froncé, puisque tu ne vas reprendre ton apprentissage que maintenant, comment vas tu faire pour rattraper ton retard ?
- Et bien... je vais poursuivre mon apprentissage là où j'ai dut l'arrêter... et cela prendra simplement plus de temps dans mon cas....
- Je vois...
- Si je comprend bien, s'écria Nuage de Poussière, cela veut dire que ta sœur de lait va devenir Guerrière avant toi ! »
Nuage de Silex acquiesça.
- Ah ! A ta place ça me friserait les moustaches que cette....de Nuage d'Ombre devienne Guerrière avant moi ! » Cracha Nuage de Prêle, méprisant au possible, et comme pour lui-même.
Nuage de Silex ne sachant trop quoi dire, se contenta de suivre des yeux les balancements compulsifs de Nuage de Poussière, pour qui le simple fait de rester assise immobile était compliqué.
Un chat apparu sur une des proéminences du Rocher et héla d'un miaulement les apprentis.
« Nos mentors nous réclament, décréta Nuage de Prêle. Sûrement à propos de notre cérémonie d'élévation. Viens, Poussière.
- A plus tard... » Leur lança gentiment Nuage de Silex. Mais ses amis s'éloignaient déjà, l'un reprochant à l'autre les petits bonds sautillants qu'elle faisait pour avancer.
Nuage de Silex demeura seul. Sa cicatrice, qui s'étendait de sa nuque jusque sur le coté droit de son poitrail, le démangeait terriblement et il lui était difficile de résister à l'envie de la gratter. Mais Fougère Dorée le lui avait strictement interdit et il s'était prit suffisamment de coups de patte sur la tête durant son séjour chez la Guérisseuse pour avoir perdu ce mauvais réflexe.
Quelqu'un surgit d'un bosquet adjacent et avança nonchalamment en direction de l'entrée du camp, où lui-même attendait. Quand elle leva enfin les yeux vers son frère, Nuage d'Ombre eut pour toute réaction un haussement de sourcil, et lui lâcha avec à la fois mépris et indifférence :
« Toujours pas mort? » Avant de se poser sur son postérieur à quelques foulées de lui.
Nuage de Silex ne prit pas la peine de répondre. Certaines choses n'avait pas changé. Il observa en coin sa sœur de lait, son corps musclé au poil roux vif recouvert presque intégralement de noir, qu'il n'avait pas revu depuis des jours et des jours. Évidemment, elle n'avait pas prit la peine de venir le voir pendant sa convalescence. Avait-elle au moins prit de ses nouvelles ? Il était sûr que non. En dépit de leur lien fraternel, ils n'avaient jamais été proche, puisque Nuage d'Ombre n'était proche de personne, ou presque... Sa sœur était loin d'être appréciée par le Clan, sans que cela n'ait jamais semblé lui poser problème. La détestait-il, lui aussi ? Il était incapable de le dire. Est-ce que leur relation fut toujours aussi mauvaise ? Ses souvenirs de leurs premiers temps dans la pouponnière demeurent plutôt flous. Cela lui semblait déjà si lointain.
Une présence ce fit soudain sentir tout à côté d'eux. Le frère et la sœur, malgré leurs manque d'affinité, sursautèrent à l'unisson quand ils découvrirent un apprenti au pelage uniformément gris, parcouru de reflets bleus, qui était assis derrière eux, très droit sur ses pattes. Nuage de Foudre ! S'écria intérieurement Nuage de Silex. Sa sœur, encore toute hérissée, dévisagea le chat qui venait d'apparaître sans un bruit, entre colère bourrue et frayeur malaisée. Quand elle se retourna avec dédain, oreilles en arrières, son regard croisa celui de Nuage de Silex qui put constater qu'elle se faisait la même réflexion que lui : depuis combien de temps était il là ? Avec très certainement quelques insultes bien trouvées en supplément pour la version de Nuage d'Ombre.
« Bon...bonjour Nuage de Foudre, articula t-il hésitant. Ça... fait longtemps... je crois.... »
Nuage de Foudre lui jeta un simple coup d'œil. Ses yeux bleus comme la glace n'exprimaient absolument rien, si se n'est de l'indifférence, de l'ennui ? Il resta ainsi, à le fixer de son regard vide et plus impénétrable que les eaux d'un lac gelé, ne prononçant le moindre mot et ne semblant ressentir la moindre émotion. Nuage de Silex qui très vite ne fut plus en mesure de soutenir ce regard glacé et silencieux, trop mal à l'aise, se remit à regarder devant lui. Essayant de se replacer sur ses pattes tendues de gêne, tandis qu'il sentait encore le regard mort et froid de Nuage de Foudre dans son dos.
Sa sœur émit un reniflement dédaigneux. Nuage de Silex se doutait bien qu'elle devait le prendre pour un faiblard pathétique, surtout depuis cette foutue histoire de blaireau, enfin, si elle possédait le moindre avis le concernant.
Griffe Noire le Lieutenant du Feu au poil brun rayé de noir, accompagné du guerrier Pelage de Nuit, apparu à son tour au pied du Rocher. Presque aussitôt, Nuage d'Ombre sauta sur ses pattes et, empressée, accourue les rejoindre, tous ses sens tendus vers eux, ou plutôt vers lui...
Ça y est, se dit Nuage de Silex, le monde venait de cesser d'exister. Pour sa sœur, à présent plus rien n'existait, plus rien n'avait d'importance que son mentor. Dès qu'ils se posaient sur Pelage de Nuit, les yeux de Nuage d'Ombre devenaient plus étoilés qu'une nuit sans lune. Cela non plus, ça n'avait pas changé.
Le Lieutenant se mit lui aussi à chercher du regard son apprenti. Quand il aperçut Nuage de Foudre, il lui fit signe de venir. Celui-ci se leva et traversa le camp très calmement pour aller se rasseoir aux côtés de Griffe Noire, le visage toujours aussi fermé, tel une âme égarée. Nuage de Silex eu un frisson. Ce chat était si étrange. On ne comptait plus les membres du Clan qu'il mettait mal à l'aise de son regard bleu et impassible, ou qu'il avait terrifié de sa présence fantomatique. Et Nuage de Silex ne se souvenait pas avoir jamais entendu le son de sa voix. Il avait du mal à se dire que ce spectre inexpressif et glacial était le petit frère d'Œil Perçant, un guerrier si jovial et démonstratif. Et encore plus de se dire que ce fut lui que Griffe Noire choisit pour apprenti lieutenant. Cela dit, il fallait bien reconnaître que Nuage de Foudre ne faisait jamais de vague, et qu'il semblait exécuter les ordres du Lieutenant avec une stricte discipline.
- Nuage de Silex ! » Appela soudain une voix douce et enjouée.
Il s'agissait de Plume Ardente, sa grande sœur attentionnée, et de Cœur de Cendre, un guerrier chaleureux et toujours accessible qu'il appréciait beaucoup.
« Tu es de retour parmi nous ! Félicitations !
- Cela fait plaisir de te retrouver, ajouta Cœur de Cendre en arrivant à sa hauteur. Comment te sens tu ?
- Ta blessure n'est pas douloureuse, au moins ? » Demanda Plume Ardente.
L'apprenti se sentit d'un coup envahit d'une chaleur plus réconfortante que tous les soleils d'été. Ses yeux sourirent de consolation et d'une timide reconnaissance.
- Non, je me sens bien, je n'ai pas mal du tout. Mê...même si ma peau me tire un peu quand je tourne la tête. Je... j'espère que cela ne va pas m'empêcher de reprendre correctement mon apprentissage, j'ai beaucoup de retard à rattraper...
- Ne t'inquiète pas, le rassura sa grande sœur. Tu devrais reprendre en douceur, et ne pas trop forcer. Tu as tout le temps qu'il te faut pour te remettre en forme, et retrouver de bons réflexes.
- Et tu sais, lui affirma de surcroît le guerrier gris. Moi, je n'ai jamais été aussi prompt et réactif que depuis le jour où je me suis fait mordre par une belette ! Mon corps réagit presque tout seul depuis lors. Je suis sûr que toi aussi tu vas te découvrir de nouvelles capacités !
- Tu le penses vraiment ? Demanda l'apprenti, admiratif mais penaud.
- Oui absolument, confirma Plume Ardente. Ce que tu as affronté et surmonté t'a enrichi et te rend plus fort, assurément. Tu as été très courageux, Nuage de Silex. Peu de guerriers du Clan peuvent se vanter d'avoir bravé une situation aussi dangereuse à ton âge. Il ne fait aucun doute que tu achèvera ton apprentissage très vite et que tu deviendra un excellent guerrier ! »
Cela faisait si longtemps qu'il attendait de tels mots. Pire que la douleur et la longueur interminable de la convalescence, le plus terrible durant ces trois lunes fut le sentiment d'échec et de faiblesse qui lui donnèrent l'impression d'être précipité au rang des moins que rien et des poids morts du Clan. Terrible sentiment qui lui enserrait le cœur depuis tout ce temps. Ces deux là ne pouvaient pas savoir à quel point cela lui faisait plaisir d'entendre ça ! Combien il en avait besoin !
« Merci. » Leur dit-il, tout émotionné.
Les deux guerriers échangèrent un regard bienveillant et Plume Ardente vint poser son museau sur le front marbré de son petit frère. Geste plutôt infantilisant, mais mut de la plus sincère des attentions.
« Oh fait, interrogea Cœur de Cendre, je ne vois toujours pas Nuage de Craie, ni Nuage de Fumée, tu ne saurais pas où ils sont passés ?
- Je crois que je les ai croisé dans la tanière des apprentis. Ils ne doivent pas avoir encore comprit qu'ils doivent vous attendre ici, répondit Nuage de Silex.
- Cela ne fait rien, s'amusa Plume Ardente. Nous allons les chercher, c'est leur premier jour d'apprentissage après tout.
- Encore bon courage ! » Lança Cœur de Cendre, avant de se diriger en direction de la tanière des apprentis avec elle.
Nuage de Silex les regarda s'éloigner. Il se sentait mieux, même si bien sûr, le chemin pour retrouver toute sa confiance en lui était encore long. Il inspira une nouvelle fois, avec détermination et optimisme. Il avait hâte. D'un instant à l'autre, Museau Cendré et son avenir allait venir le chercher et sa vie pourrait reprendre son court.
*
Pelage de Brume avançait, se frayant un chemin entre les lierres, les arbres, les ronces et les débris de la forêt, suivant de près les autres membres de la patrouille. L'odeur qu'exaltait la terre humide et l'humus embaumait tout le bois, et ses coussinets récoltaient un peu plus de boue et de sable à chaque foulée. Ses yeux auraient dû scruter le moindre moucheron voletant, ses oreilles entendre la moindre feuille qui craquelle et sa truffe percevoir le moindre spore de champignon dans l'air. Mais la guerrière était perdue dans ses pensées. En dépit des qualités de Patrouilleuse qu'on lui prêtait, elle n'était pas certaine d'y être véritablement apte. Quant au reste de ce qu'on s'imaginait sur elle et ses capacités, il valait mieux ne pas y penser....
Tout à l'heure, elle avait assisté au départ de Cœur de Cendre et de son apprenti pour leur première journée en tandem. Il l'avait salué de loin et, radieux comme un enfant, il s'était engagé en dehors du camp avec Plume Ardente, suivit de Nuage de Fumée bondissant d'excitation et de polissonnerie, et de Nuage de Craie ne quittant pas son mentor d'un semelle, tendu de stress et d'appréhension. Depuis le soir du baptême, Cœur de Cendre, qui avait encore du mal à réaliser, ne parlait plus que de son nouveau titre de mentor. Ce qui se comprenait. Et elle, Pelage de Brume, arrivait à peine à le regarder dans les yeux, lui son meilleur ami, tant elle avait le cœur lourd. Elle ne mentait pas. Non, elle était sincère quand elle le félicitait maladroitement et lui répondait par des sourires crispés. Mais... elle ne pouvait s'empêcher de ressentir du chagrin. Et elle s'en voulait terriblement de ne pas être capable de tout simplement se réjouir pour lui. Ce n'est pas qu'elle était jalouse, non. Elle n'avait jamais eut la prétention d'espérer devenir mentor un jour, et contrairement à Cœur de Cendre, cela lui était égal. Elle ne s'était jamais sentit particulièrement à l'aise avec les plus jeunes, tout comme avec les moins jeunes d'ailleurs... Mais rien à faire... impossible de faire abstraction de cette tristesse qui ne la quittait plus depuis la cérémonie, en dépit des couches de fierté et de réjouissance qu'elle essayait d'y apposer. Jusqu'à présent, elle avait tout vécu, tout apprit, tout découvert, le pire comme le meilleur, en compagnie de ce chat rond et gris. Se dire qu'il allait désormais vivre et expérimenter tant de nouvelles choses sans qu'elle ne puise être à son côté pour les partager avec lui, lui pinçait amèrement le cœur. Elle se sentait tellement honteuse de se laisser envahir comme ça par des sentiments aussi bas et égoïstes ! Et elle ne pouvait pas lui en vouloir non plus. Il n'y était pour rien. Et il était si enthousiaste et pressé de tisser des liens avec Nuage de Craie, comme il tissa des liens avec sa propre mentor. Poussait-elle ses ressentiments au point d'être jalouse de Nuage de Craie ? Bien sûr que non, comment le pourrait-elle ? Ce petit avait l'air encore plus perdu et désarçonné qu'elle ne l'était.
Elle émit un soupir long comme le vent d'hiver.
Si Cœur de Cendre apprenait de quoi son esprit était tourmenté... il serait si peiné et déçu...
Elle s'ébroua d'un coup, pour chasser toutes ses mauvaises pensées. Ce qui fit sursauter le reste de l'escouade.
A partir de maintenant elle devait aller de l'avant. Cœur de Cendre ne l'avait pas abonné, il ne le ferait jamais. Alors elle devait cesser ce caprice enfantin digne des mauvais jours de Pomme de Pin. Cœur de Cendre était heureux, c'est tout ce qui comptait. Et elle le serait aussi tant qu'il pourrait s'épanouir à travers ce rôle de mentor. Elle inspira une grande bouffée d'air frais, prête à en découdre avec elle-même.
Griffe Noire, qui avait prit la tête de la patrouille, les conduisait au plus près de la frontière ouest. Plus tôt, au moment de former l'escouade, le Lieutenant, avec qui elle était accoutumée à patrouiller, l'avait informé d'aujourd'hui Pelage de Nuit et son apprentie Nuage d'Ombre les accompagneraient. Il était temps pour Nuage d'Ombre d'apprendre à se déplacer en groupe, et cela constituait une bonne occasion de lui faire découvrir l'extrémité frontalière de leur territoire, les mentors et leurs apprentis ne s'en approchant jamais d'ordinaire, par mesure de précaution. Elle n'en dit rien, mais Pelage de Brume se serait bien passé de toute une journée de proximité avec Nuage d'Ombre, qui avait parfois la capacité de se montrer encore plus acerbe que leur chère Pomme de Pin, ce qui n'était pas rien. Malgré tout, la guerrière appréciait la compagnie de l'imposant guerrier Pelage de Nuit, dont le tempérament calme et la force tranquille en faisait une personne agréable et rassurante à côtoyer. La journée ne s'annonçait donc pas complètement gâchée. Et de toute façon, on ne remettait pas en question les décisions de son Lieutenant.
Ce dernier avait ordonné à son propre apprenti, qui était déjà coutumier des patrouilles, de rester au camp pour aider aux tâches journalières, leur groupe de quatre étant déjà conséquent pour aller baliser le territoire. Nuage de Foudre n'avait rien dit, pas même acquiescé aux ordres de son mentor et Lieutenant, mais Griffe Noire ne s'en était pas fait préjudices, ni même inquiété que ses directives aient été comprises. En tant que mentor il devait probablement être habitué au mutisme blasé de l'étrange apprenti. Quoi qu'il ne soit, Pelage de Brume ne regrettait pas d'échapper à la présence de l'insolite, et un peu effrayant, Nuage de Foudre.
L'escouade arriva à proximité de la frontière. Griffe Noire alla s'assurer que les marquages de la zone était encore suffisamment frais et odorant. Il renouvela l'un d'entre eux en faisant ses griffes sur l'écorce d'un vieux tronc de chêne déjà tailladé de griffures. En y passant à sa suite, les deux autres guerriers du Clan vinrent y frotter leur nuque, seules marques qu'ils étaient habilités à faire ici.
Pelage de Nuit expliqua à Nuage d'Ombre ce qu'elle avait à savoir sur la gestion de la frontière et sa surveillance, principalement par des patrouilles régulières, tandis qu'elle buvait ses paroles et le dévorait de ses yeux dorés, qui d'ailleurs ne le quittait presque jamais de vue.
Pelage de Brume l'observa. Comment cette gamine faisait-elle pour se montrer si acariâtre et déplaisante avec le monde entier, et à la fois si charmante et passionnée avec son mentor ?
Cette dernière décela le regard intrusif de la guerrière derrière elle et lui jeta alors par dessus son épaule une expression chargée d'un mépris et d'un dégoût, à la limite de l'insultant. Si bien que Pelage de Brume fut stupéfaite, en dehors de l'affront, par la capacité de son visage à passer d'un extrême émotif à son exact opposé. Une chose était sûr, cette chatte ne vivait ses émotions que dans leur intensité la plus pure.
Pelage de Brume fit frémir ses moustaches d'agacement. Et dire qu'un jour elle allait devenir guerrière du Clan...ça promettait....
La jeune chatte, qui s'était remise à faire courir son regard affectueux sur son merveilleux mentor, finit par trébucher sur une branche de hêtre jonchant la piste de patrouille. Elle s'étala avec lourdeur sur le matelas chamarré de feuilles et d'humus qui tapissait la forêt. A force de ne pas regarder devant elle, elle n'avait que ce qu'elle méritait. Pelage de Brume allait la contourner par la gauche quand l'apprentie s'écria à plein poumon :
- Il y a une marque de patte ici ! Elle est énorme ! »
Pelage de Brume, blasée, s'approcha pour lui apprendre à reconnaître une empreinte de renard ou de blaireau. Mais en observant la dite marque dans la terre, elle se rendit compte qu'il ne s'agissait pas de blaireau ou de renard, comme elle le pensait, mais bel et bien d'une empreinte de chat. De très gros chat. La marque était recouverte par des feuilles mortes fraîchement tombées, sans Nuage d'Ombre qui l'avait mise à nu en se relevant de sa chute, ils seraient passer à côté sans jamais la découvrir.
Griffe Noire et Pelage de Nuit interloqués, les rejoignirent.
- Regardez. » Désigna le Lieutenant soudainement tendu, en leur montrant une petite touffe de très longs poils clairs qui étaient restés accrochés à la branche qui venait de faire choir Nuage d'Ombre.
Les trois guerriers adultes échangèrent des regards équivoques.
- Que se passe t-il ?! » Brailla Nuage d'Ombre qui ne supportait pas de ne pas comprendre la situation et qui le fit savoir avec agressivité.
Griffe Noire eut un ton encore plus sombre et grave qu'à son accoutumé quand il fit résonner ces mots :
- Ce sont des traces de guerriers du Clan des Neiges. »
L'apprentie fronça son visage d'ordinaire déjà peu avenant, pour s'indigner de ce que les autres avaient depuis longtemps conclu :
- Des Neiges ? De ce côté ci ? Mais ça veut dire qu'ils ont violé la frontière ! »
- Oui, Nuage d'Ombre. Lui confirma calmement son mentor. Ils sont entrés sur notre territoire. »
Pelage de Brume imita le Lieutenant en se penchant pour humer l'empreinte de patte et surtout les poils. Odeur forte, piquante et rêche de bruyère, de résine de pin, de fougère et de craie. Caractéristique. Et puis il y avait la longueur des poils....pas de doute possible. Le parfum était frais, récent et provenant de plusieurs chats, mais Pelage de Brume était incapable de dire ni combien ni depuis quand. Son odorat n'était pas assez fin.
- C'est toi qui a le meilleur odorat parmi nous, Pelage de Nuit. » Indiqua Griffe Noire en levant ses yeux vers lui.
Le guerrier noir aux légères rayures sombres renifla à son tour, longuement et concentré. Il confirma l'impression de Pelage de Brume que plus d'un guerrier des Neiges était passé par ici. Mais il dut se résoudre à ne rien pourvoir leur apprendre de plus. Il leur fallait un Pisteur.
- Si les Neiges ont violé nos terres, s'insurgea Nuage d'Ombre, nous n'avons qu'à écorcher ces bouffeurs de corbeaux plein de tiques ! Et leur apprendre ce qu'il en coûte de provoquer les Guerriers du Feu ! »
Pelage de Brume ouvrit des yeux ronds. Où avait-elle apprit à clamer de telles insanités ? Même les vétérans les plus virulents ne parlaient plus comme ça, du moins pas devant le Lieutenant. Et ce qui la surprit encore plus, c'est que Pelage de Nuit ne la reprit pas. Ne lui fit pas même une petite remarque, ni ne lui signifia qu'on ne réglait certainement pas les conflits comme ça. Du moins qu'on évitait....
Griffe Noire, qui lui non plus ne releva pas l'insolence de l'apprentie, trop occupé à examiner les preuves, prit encore quelques secondes de réflexion. Puis, se redressa d'un coup, décidé :
- Pelage de Nuit, rentre au camp avec Nuage d'Ombre ! Pelage de Brume, avec moi ! Nous allons essayer de déterminer jusqu'où ils ont osé s'aventurer. » Ordonna t-il d'un ton autoritaire et pressant.
Le mentor et son apprentie détalèrent sur le champ à travers les fourrés, Nuage d'Ombre continuant de faire retentir ses jurons barbares à travers les bois. Pelage de Brume, elle, avait bandé tous ses muscles et mit tous ses sens en alerte, parée à répondre au moindre ordre et à réagir au moindre événement. Griffe Noire baissa des yeux luisants sur la marque de pas et les poils abandonnés.
« Nous devons prévenir le Chef, au plus vite. »