[LGDC] fanfiction Le Temps des Brumes
« J'ai donné ces ordres car nous sommes en train de mourir de faim. »
Quelqu'un dans la foule eut un rire mauvais en s'esclaffant :
- Quoi ? Deux blaireaux et trois lièvres ne suffisent plus à rassasier un guerrier des Neiges, maintenant ? »
La pique était volontairement blessante, mais Pelage de Brume dut reconnaître qu'elle aussi demeurait surprise et dubitative face à cette révélation. Ils étaient si grand, si forts. Des géants de poils et de muscles. Comment croire qu'ils craignaient la faim ?
- Si eux sont amaigris, alors moi je suis un squelette sur pattes. » Murmura le menu et maniéré Brin de Prêle à son côté, en toisant les guerriers des Neiges avec sarcasme.
Le jeune chat n'était visiblement pas le seul à se faire cette réflexion, car de nombreuses messes-basses retentirent de nouveaux à travers la clairière. Et c'est sceptiques et soupçonneux que chacun prenaient la liberté d'inspecter des yeux les soient disant corps affamés.
Le groupe des chats des Neiges, accoudés comme un seul bloc dans la tempête, soutenait les œillades inquisitrices de l'assistance d'un regard qui semblait mordre.
- Laissez moi parler ! » Aboya alors Étoile Blanche.
On se remit à l'écouter.
« Notre territoire est certes vaste, mais depuis toujours nous devons nous battre contre les renards pour défendre notre gibier et obtenir notre pitance. Et depuis le début de la fonte des neiges, des hordes de ces charognards ont investit nos terres et nos forêts. Nous les avons traqué et chassé, bien sûr, mais ces parasites galeux et roublards ne nous on pas attendu pour copuler et se multiplier. Il en venait toujours plus ! Plus que jamais le Clan n'en avait affronté, de mémoire de Montagne ! Aujourd'hui nous sommes submergés. Le gibier manque. Ces vermines pleines de tiques sont partout et engloutissent tous. Nous nous affaiblissons. Et avec le temps des neiges qui approche...si nous ne trouvons pas bientôt de nouvelle réserve à gibier, de nouvelle source de subsistance, nous serons morts avant le dégel. »
L'aveu de leur position de faiblesse semblait provoquer chez les guerriers d'Étoile Blanche, bien plus de souffrance que la prétendue famine qu'ils essuyaient. Leurs regards graves et affligés fixaient le sol avec la douleur de l'impuissance et de l'humiliation.
Il passa un temps où chaque membre de l'Assemblée sembla se perdre dans sa réflexion. La lune dansait entre les nuages aussi sombres que le ciel lui même. Puis, un membre du Clan du Lac osa briser le silence :
- C'est bien beau, tout ça, mais je ne vois pas en quoi cela nous concerne ! »
La plupart des guerriers de son Clan acquiescèrent d'un commun avis. Il n'était pas commun de voir les chats du Lac si bien s'accorder.
- La période froide est difficile pour tout le monde ! Renchérit une chatte de la Lune aux accents bien trempés et dont le corps moucheté d'ocre était l'un des seuls à ne pas arborer de cicatrices. En quoi cela vous octroi t-il le droit d'outrepasser les frontières ? »
- Que savez vous des difficultés ? Rugit un imposant guerrier des Neiges. Tous, vous vous confortez dans vos facilités de vie, dans votre confort. Il est si facile de nous juger. Mais que savez vous de la faim ? De la vraie faim ? Celle qui vous tord les entrailles, celle qui vous prive de sommeil ! Celle qui vous harcèle et vous égare ! »
Pelage de Brume, qui ne savait plus où donner de la tête au milieu de ce capharnaüm querelleux, fut touchée à vif par ces paroles. Oui, elle jugeait. Mais elle n'avait jamais ressenti la faim. Pas cette faim là. Pas cette faim qu'elle ne connaissait qu'à travers ce qu'on lui en avait décrit et raconté. Cette sensation qui se tapissait en chacun telle une bête endormie, qui en se réveillant, dépossédait la chair et l'esprit de leurs volontés, pour ne devenir qu'un seul et même élan. Un élan qui poussait en avant, toujours plus en avant. Car, là bas, plus loin, il y avait peut être de quoi nourrir la bête, alors, il fallait vérifier, avancer. Avancer encore. Plus rien d'autre n'a d'importance. Pas mêmes les ancestrales frontières.
Tout ceci était-il donc vrai ? Se demanda Pelage de Brume.
- Vous égare ? Ne vous moquez pas de nous. Vous êtes si fiers de crapahuter sans cesse dans votre montagne, ô vous grands chats des Neiges ! Ne venez pas nous dire que vous vous êtes égarés ! Vous seriez capable de retrouver votre chemin dans le cul d'une martre ! » Asséna de sa voix éraillée Croc Brisé, un vétéran du Clan du Feu particulièrement inspiré.
Les vociférations allaient reprendre de plus belle quand Étoile Brillante, Cheftaine de la Lune, se dressa sur ses pattes sèches et foudroya l'assistance :
- Il suffit ! Soyez prévenu que le prochain qui s'appropriera la parole sans en avoir le droit devra en assumer les conséquences ! Cela vaut également pour toi, Poil de Silice. » Ajouta t-elle à l'intention de sa guerrière au pelage ocre qui avait aussi participé aux rixes verbales.
Étoile Brillante appuya de ses grands yeux jaunes et ternes comme si toute lumière les avait quitté il y a longtemps, son regard courroucé sur les différents membres de l'assistance pour leur intimer le silence et la discipline que les règles de l'Assemblée dictaient.
Pelage de Brume l'observa. Observa son corps grêle et dégingandé de chatte de la Lune, ses pattes interminablement longues striées de balafres, ses oreilles autrefois pointues crantées de déchirures, sa démarche un peu étrange mais incroyablement noble en dépit des doigts de pattes qui lui manquaient. Autant d'indélébiles et sinistres témoignages attestant qu'elle aussi fut présente durant l'Affrontement, et surtout, qu'elle y avait survécu. La chatte ne devait pas avoir plus de trois ans au moment de la bataille. Malgré les mutilations affligeant son corps, la grande beauté qui devait être celle d'Étoile Brillante par le passé se devinait toujours. Et cette beauté atteignait désormais la grandeur et la nostalgie des vestiges anciens, la beauté des toiles d'araignées éraflées par la pluie, des feuillages qui chutent pour ne jamais plus retrouver leur même splendeur d'autant, la beauté tragique de l'absence, de ce qui est perdu et qui ne nous reviendra jamais.
L'Affrontement entre les deux Clans fut l'engeance du précédent Chef de la Lune, Étoile Céleste. Ce chat très digne et moralisateur, était connu pour ses jugements de valeurs et ses remontrances à l'intention du comportement impie des autres Clans. Historiquement, le Clan de la Lune s'est toujours érigé en porte-à-faux dont le rôle était de veiller et de s'assurer que les chats de la Vallée ne s'éloignent pas de la noble Voie du Guerrier et respectent toujours les enseignements de leurs Ancêtres. Le Clan de la Lune, depuis l'époque du remembrements des Neuf Clans, s'est investit dans la pratique de rites et de chants cérémoniels voulant honorer le Clan des Étoiles, pour se désintéresser du combat et de la violence. Par le passé il était même coutume pour les guerriers de la Lune de recevoir des offrandes et de la nourriture de la part des autres Clans, notamment le Clan du Lac.
Mais vint un jour où Étoile Céleste laissa toute l'ambition et la soif de pouvoir qui était la sienne se dévoiler, en voulant s'attaquer au puissant Clan du Feu qui venait de nommer un nouveau et inexpérimenté meneur à sa tête. L'attaque, aussi fourbe fut elle, échoua et les guerriers de la Lune furent décimés. Après l'Affrontement un conseil d'urgence fut instauré entre les trois autres Chefs de l'époque, dont le jeune et victorieux Étoile Farouche. Le Clan de la Lune fut jugé pour ses actes, et le traître Étoile Céleste fut décrété post-mortem, parjure et coupable d'avoir attaqué le Clan du Feu, alors affaiblit par une épidémie de mal vert, dans la convoitise de s'emparer de son territoire. Étoile Céleste ayant été mit à mort durant la bataille par Étoile Farouche lui-même, au même titre que son Lieutenant et la plupart de ses guerriers, c'est le conseil qui s'assigna le pouvoir de désigner le nouveau meneur de la Lune, en la personne de Pelage Brillant, la propre fille du renégat Étoile Céleste. Et celle-ci dut courber l'échine pour prêter serment devant eux, qu'elle veillerait à partir de ce jour à remettre et garder son Clan déchu sur un sage et noble chemin et que, jamais plus, son Clan ne se rendra coupable de telles manigances et d'actes si vils.
Même si les chats de la Lune ne pouvaient en vouloir qu'à leur propre orgueil ou à leur aveuglement d'avoir suivit Étoile Céleste dans son ambition, le sort le leur avait si durement fait payer, qu'il était difficile de ne pas les prendre en pitié. Aujourd'hui encore leur Clan peinait à se remettre du carnage que fut cette bataille, plus de trois années plus tard.
Pelage de Brume savait bien tout cela. Leurs actes étaient impardonnables et son Clan, le Clan du Feu, aurait dans un autre scénario était décimé à la place de ceux que les vétérans s'amusaient à appeler les écorchés. Mais malgré tout, quand Pelage de Brume voyait Étoile Brillante et l'aplomb dont elle arrivait à faire preuve, elle songeait à comment cette chatte arrivait si noblement à assumer les responsabilités de la déchéance de son ancien Chef et parjure de père. De comment elle gardait la tête haute alors qu'elle devait répondre de ses actes à lui, qui l'avait très certainement élevé et aimé et qui pourtant avait finit par la trahir et l'abandonner dans la mort. Elle pensait à la force dont elle faisait preuve pour assurer la gouvernance et la subsistance de son Clan après avoir vu sa famille se faire massacrer sous ses yeux. Pelage de Brume ne pouvait réprimer la compassion qu'elle ressentait pour la Cheftaine, presque de l'admiration coupable. Le chemin de la rédemption était long, escarpé et cruel, et Étoile Brillante l'arpentait depuis tout ce temps avec plus de dignité et de courage que quiconque. Du moins, c'était ce qu'elle pensait. Bien que, bien sûr, elle ne pouvait faire l'affront, elle une guerrière du Feu, de l'avouer publiquement, pas même à Cœur de Cendre.
Étoile Brillante se tourna à l'adresse d'Étoile Blanche :
« Le Clan de la Lune comprend les difficultés que traverse le Clan des Neiges. Aussi, les actes d'intrusion dont le Clan des Neiges s'est rendu coupable seront pardonnés et oubliés, à la seule condition qu'à l'avenir, les frontières soient rigoureusement respectées et que ces incidents conservent leur statu d'exception.
- Je suis d'accord avec cela, ajouta Étoile Farouche. Les intrusions sur nos territoires doivent cesser. Nos Clans doivent eux aussi pouvoir se nourrir et se préparer à la période sans-feuilles, qui n'épargnera personne, gibier ou non. Renards ou non. »
Une partie de l'assistance sembla acquiescer en silence. Personne n'outrepassa de nouveau le droit de parole.
La Cheffe des Neiges, qui n'essayait plus de sauver les apparences, cracha dans sa barbe, plus dépitée que jamais :
- Il fallait bien s'y attendre. Allez y, partez ! Partez retrouver vos tanières chaudes et vos terres grouillant de gibier ! A quoi m'attendais-je ? Évidement ! Évidement que vous vous régalerez de nous voir crever la gueule ouverte, tous autant que vous êtes ! »
- Vous ne mourrez pas. »
Pelage de Brume, à l'instar de la plupart des autres chats présents, mit un certain temps avant de comprendre d'où venait cette voix. Enfin, elle suivit le regard incrédule qu'Étoile Blanche lançait à celui qui depuis le début des altercations n'avait soufflé mot : Étoile Silencieuse le corpulent et flegmatique chat noir Chef du Clan du Lac.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que pour un chat si discret, il déroutait tout le monde. Jeune Chef qui venait depuis peu de prendre la tête de son Clan après le long règne de son prédécesseur, on ne le connaissait que peu, et pour cause, on ne l'entendait pratiquement jamais prendre parole et il était si peu fréquent de le voir donner son avis. Les trois autres Clans n'avaient pas la moindre idée de ce que pouvaient bien être ses opinons.
L'aversion des chats des Neiges pour le Clan du Lac était connu de tous et ne datait pas d'hier, mais cette animosité culturelle avait toujours semblé décuplé chez Étoile Blanche. Celle-ci foudroya le Chef de couleur noir et le scruta avec plus d'aigreur qu'elle ne l'aurait fait d'un renard venant de lui voler sa prise, comme se préparant à une fourberie de sa part.
- Vous ne mourrez pas. Reprit t-il d'une voix surprenamment calme et douce pour un mâle de son gabarit. Ce sont les renards l'origine du problème. Et puisque leur grand nombre ne permet pas à un seul Clan de les chasser, les guerriers du Lac se joindront à vous pour traquer et faire fuir les prédateurs hors de la Vallée. »
L'Assemblée toute entière fut abasourdie par cette proposition absolument inattendue. Jamais on avait vu un Meneur mettre ses guerriers à la disposition d'un autre Clan. Et personne, n'aurait de surcroît put deviner qu'une telle chose puisse venir de la part du si secret Étoile Silencieuse, dont les prises de position étaient trop rares pour être prédites, même de la part de son propre Clan, dont les membres en présence ne cachaient pas leur effroi et leur contestation face à la décision de leur Chef. Cela ne renvoyait absolument pas une bonne image de ce dernier qui, à défaut d'être apprécié, voyait son autorité et son jugement de Chef se faire critiquer sans vergogne par son propre Clan en pleine Assemblée. Pelage de Brume ne connaissait pas le contexte dans lequel le gros chat noir avait prit la succession du Clan du Lac mais se demanda, un peu choquée par le manque de respect dont les siens faisaient preuve, si cette insubordination de la part des chats du Lac était commune ou adressée au jeune Étoile Silencieuse en particulier.
Mais, aussi négative que fut la réaction des guerriers du Lac dont l'aide venait d'être promise, cela ne fut rien en comparaison à la réaction d'Etoile Blanche. La chatte était restée un instant figée, incrédule, puis son visage était passé de l'incompréhension au mépris et enfin à la colère. Son rire nerveux résonna à travers l'air froid de la clairière :
- Ho ! Ho ! Ho ! Jamais ! Jamais vous m'entendez ! De mes neuf vies jamais, ne serait-ce qu'un seul chat du Clan du Lac ne posera sa patte sur mon territoire ! Jamais ! Je ne sais pas ce que ton esprit tordu et abject de mangeur de poissons prépare, et je ne veux pas le savoir ! Mais sache que toutes tes manigances et tes coup bas sont vains ! Tu entends ?! Le Clan des Étoiles m'en soit témoin, ma propre chaire servira de charnier aux renards avant que je n'accepte l'aide d'un Chef du Lac ! »
Il était rare d'entendre un chat des Neiges invoquer le Clan des Étoiles. Ses poils s'étaient gonflés tout au long de sa tirade hargneuse, qu'elle acheva en crachant à l'intention d'Etoile Silencieuse, qui lui, avait soutenu son regard durant tout le long, avec flegme et passivité. Il ne répondit rien.
Étoile Blanche n'attendit pas de connaître les réactions des autres, elle en avait assez dit et entendu pour ce soir. Elle sauta sans hésitation du grand tronc de cèdre et, de sa démarche puissante et de ses coups d'œil assassins fit s'écarter la foule de son chemin. Elle rejoignit ses guerriers. Tourna la tête vers le promontoire pour lancer un ultime regard défiant aux trois autres Chefs, et se mit en marche suivit fièrement des siens. Ils s'engagèrent les uns à la suite des autres d'un même élan à travers le bosquet entourant le clairière et disparurent, mettant ainsi un terme à l'Assemblée des Clans.
Bien sûr, dans la clairière, se fut un nouvel esclandre. Les uns se scandalisaient de l'improbable et déplacée proposition d'Étoile Silencieuse, les autres s'indignait de l'ingratitude de la fougueuse Cheffe des Neiges.
Étoile Farouche annonça plus décemment la fin de l'Assemblée et, puisqu'il n'y avait plus rien d'autre à faire, chaque meneur rassembla ses troupes pour reprendre le chemin de son camp.
Dans les chassés-croisés de la foule en mouvement, Pelage de Brume passa de nouveau à proximité des chats de la Lune. Avec tous ces rebondissements, cette Assemblée lui en avait paradoxalement presque fait oublier Patte de Jais. Il était pourtant toujours bien là, et son hideuse balafre ne l'avait pas quitté.
Étoile Brillante l'avait rejoint et dictait ses ordres pour le retour. La voix étiolée et plus morne qu'un ciel gris de la Cheftaine arriva jusqu'aux oreilles de Pelage de Brume :
« ...je vais prendre la tête du convoi, et le Lieutenant Patte de Jais fermera le marche... »
Le Lieutenant Patte de Jais....
Elle déglutit.
Patte de Jais était devenu Lieutenant.
Cela la glaça au plus profond d'elle même comme rien ne l'avait fait depuis des lunes. Un jour prochain, le chat qu'elle avait défiguré malgré elle et qui lui avait valut, à tort, la gloire au sein de son Clan, ce chat qui la haïssait plus que tout au monde, ce chat dans un avenir proche allait peut être devenir Chef du Clan de la Lune.
Sentant une vague d'angoisse l'assaillir de nouveau, elle se précipita pour se rapprocher au plus près de son groupe, ignorant autant que possible l'œil unique du nouveau Lieutenant de la Lune qui l'accompagna sinistrement de son regard acide.
Elle trotta jusqu'à l'avant du cortège en formation où le vieux Croc Brisé se plaignait des présents événements auprès d'Étoile Farouche qui demeurait fermé et introspectif. Quand Croc Brisé trouva en son fils Pelage de Nuit une meilleure oreille pour ses râleries et qu'il reprit au près de ce dernier sa litanie du début, comme tournant en boucle, Pelage de Brume alla à la rencontre de son Chef. Et, timidement, annonça sur un ton de conversation, afin qu'elle même puisse se tenir éloigné de ses propres réflexions :
- Cela faisait longtemps que...qu'une Assemblée ne fut aussi... mouvementée.... »
Le charismatique chat blanc et marron réagit à peine, toujours pensif. Pelage de Brume se hasarda à poursuivre :
« Et puis... cette offre d'alliance du Chef du Lac... Étoile Blanche a refusée, bien sûr... mais cela aurait été sans précédant... »
- C'est faux. Asséna alors Étoile Farouche. Il fut un temps, loin dans le passé, où les Neuf Clans s'allièrent pour combattre et repousser les Sans-Clans au-delà de la Vallée. Il fut un temps où les Clans étaient soudés. »
Pelage de Brume fut décontenancée par cette affirmation. Elle n'en avait pas la moindre idée. Ce temps là remontait à trop loin dans leur Histoire...
Le meneur du Feu demeura encore un moment comme perdu dans ses pensées. Puis il finit par se secouer légèrement la tête comme pour se remmener sur terre. Il leva enfin ses yeux gris sur Pelage de Brume et ordonna :
« Bien, en route. Nous avons encore du chemin.
- Oui, Père. » Répondit-elle.
Et l'escouade s'enfonça à travers bois, en direction du camp du Feu.
*
En arrivant au camp Pelage de Brume trouva, comme elle s'en doutait, Cœur de Cendre encore debout, qui l'attendait dans leur alcôve familière en compagnie d'Œil Perçant. Il semblait épuisé par sa journée de chasse et d'apprentissage. Pelage de Brume fut rarement aussi heureuse de le retrouver. Ils laissèrent Œil Perçant à ses occupations et allèrent se coucher s'en tarder. Là, réchauffés par la chaleur de la tanière des Guerriers, pelotonnés en boule, Pelage de Brume entreprit de lui résumer ce qu'il s'était passé et dit durant l'Assemblée. Et pour une fois, il y en avait des choses à raconter ! Cœur de Cendre en dépit de sa fatigue écouta du mieux qu'il put de son oreille sommeilleuse. Pelage de Brume lui apprit donc l'invasion de renards que le Clan des Neiges subissait, et qui les avait poussé à s'aventurer loin vers les frontières et même au-delà, poussés par la faim et le désespoir.
Puis l'inattendue et historique proposition d'entraide du Chef du Clan du Lac et le refus foudroyant et offensé de la terrible Étoile Blanche, ainsi que sa sortie fracassante de l'Assemblée. Mais surtout...ce qui ne quittait plus son esprit depuis qu'elle avait fuit la clairière :
« Pa...Patte de Jais était là bas...et... et il est devenu Lieutenant... Patte de Jais est Lieutenant de la Lune...je... je n'arrive même plus à penser... »
Elle leva des yeux vibrants d'angoisse vers le visage de Cœur de Cendre. Mais seule la respiration lente du chat gris lui répondit. Cœur de Cendre venait de s'endormir, la tête glissant contre le flanc clair de Pelage de Brume.
Elle ne lui en fit pas le reproche, même si se retrouver seule avec les effrayantes pensées qui affluaient et se heurtaient bientôt dans son esprit la terrorisa. Elle se blottit du mieux qu'elle put contre le corps rassurant et chaud de Cœur de Cendre et appela le sommeil, désespérément et de tout son cœur serré.
Mais rien à faire.
Son angoisse la clouait au sol, comme une souris prise entre les griffes d'une fouine. Son esprit s'agitait trop. Elle pensait à Patte de Jais. Qui d'autre ?
Elle pensait à ce fameux jour, il y a deux printemps, où sa route avait fatalement dut croiser celle de l'apprenti du Clan de la Lune. Combien elle regrettait que ce jour se soit levé sur la Vallée et sur sa vie. Elle revoyait le corps maigre et osseux de Nuage de Jais trembler de peur autant que son corps à elle tremblait de peur. Elle revoyait la terreur dans ses deux yeux exorbités se transformer en tristesse, se transformer en colère. Elle voyait les griffes, elle voyait ses poils voler en tous sens. Elle entendait Nuage de Jais lui hurler dessus. Elle entendait sa voix lui déchirer les tympans comme la foudre déchire le ciel. Elle sentait le poids de Nuage de Jais qui la maintenait sur le dos. Elle sentait le sang, elle le sentait encore, comme si elle y était toujours.
Et quand, enfin, le sommeil l'a gagna, sa psyché l'a plongea alors dans le plus terrible des cauchemars, celui de ses propres souvenirs.
Elle se retrouva deux ans plus tôt, Nuage de Jais la plaquant part terre, la griffant de toute part et lui hurlant frénétiquement les insanités sans queue ni tête qui s'étaient pourtant gravées dans son esprit et dont elle se souvenait encore :
« Soyez maudits ! Ta famille et toi tous maudits ! Ton père est un ignoble rat perfide ! Un ignoble gros rat ! Ta mère n'est qu'une immonde souillée qui a offert sa croupe ! Et toi tu n'es qu'une impure ! Une impure ! Tu entends ! Vous mourrez tous ! Vous mourez tous ! Les Étoiles feront pourrir vos maudits cadavres ! La colère du Grand Guerrier s'abattra sur vous ! Sa colère s'abattra sur vous ! S'abattra sur vous ! »