L'automne d'une vie
-Aki.
-Aki…
-Aki!
La jeune fille ouvrit doucement les yeux.
-Allez bouge ton cul, on se barre dans une heure!
Levi marqua une pause pour la regarder.
-Je dois y aller, Aki. Hanji et Erwin m’attendent. On se reverra dans une heure. À tout à l’heure.
Le brun l’embrassa chastement et se dirigea vers la porte. Il était en train de l’ouvrir quand la jeune fille le rattrapa et l’enlaça tendrement.
-À tout à l’heure, Caporal.
Ils avaient toujours du mal à se séparer, et plus ils passaient du temps ensemble plus c’était ardu.
Mais ces séparations-là étaient faciles, comparées à celles qui allaient suivre.
***
-C’est la première expédition de beaucoup d’entre vous. Sachez qu’il est impossible d’être préparé à ce que vous allez vivre là-bas, en dehors des murs. Impossible. Tout défie la logique, l’entendement, la vraisemblance. Vous pourriez très bien mourir, à tout moment. Mais si c’est le cas, vous serez mort pour l’humanité, et ça demande tellement de courage. Tellement de force, de sacrifice de soi. Vous pouvez être fière de vous tenir à mes côtés aujourd'hui, car cela prouve que vous avez une force d’esprit incroyable.
Erwin prit une grande inspiration.
-Allons-y. Ne mourrez pas.
Toutes les recrues talonnèrent leurs montures et elles démarrèrent au quart de tour.
Aki tremblait. Elle aurait tellement voulu embrasser Levi une dernière fois, parce que il y a avait tellement de “Et si !”
Et si elle mourrait ?
Et si il mourrait ?
Et si ils mourraient tous les deux ?
Et si l’un deux perdait un membre ?
Et si, et si, et si ?
Tout ces doutes la rendait folle, et elle décida de se concentrer sur le son que produisaient les sabots de son cheval.
Clop clop clop clop.
Plus que quelques mètres, et ils seraient dehors. En-dehors de leur cage dorée.
Clop clop clop.
Elle aperçut les cheveux d’ébène de Levi, quelques mètres plus loin, et essaya d’imaginer sa vie sans lui.
Clop clop.
Impossible.
Clop.
Il tourna la tête vers elle et la regarda, ses yeux gris se fixant sur les siens, d’un bleu profond.
Aki venait de passer le mur Rose, et elle était désormais libre. Libre de mourir.
Un ciel d’un bleu pur s’étendait à perte de vue devant elle, accompagné du vert émeraude de la forêt à ses pieds. Des grands rapaces volaient à plusieurs mètres dans le ciel, poussant de temps à autre un cri perçant. Au loin se profilaient des ruines, vestiges des habitations qui avaient jadis été plantées ici. Peut-être allait-elle voir la sienne?
-Alors ?
Levi s’était rapproché d’elle sans qu’elle s’en aperçoive.
-C’est magnifique. Vraiment.
-Ça risque de l’être moins quand on verra des Titans, mais profite pour le moment.
Il la regarda quelques instants et continua :
-J’crois que j’me souviendrai toute ma vie de ma première sortie de ces batards de murs.
La petite blonde se mordit la lèvre. Ce n’était pas un bon souvenir pour lui. Est-ce que ça le serait pour elle?
Ils se fixèrent quelques instants et avant que l’un deux ne fasse quelque chose d’idiot, Levi brisa le silence.
-Je dois y aller, gamine. On se revoit ce soir.
-Au revoir, Caporal.
-Reviens en vie.
-Vous aussi.
-Tu me le promets?
-Promis.
Elle lui tendit son petit doigt et il y accrocha le sien.
-Ok. Ok. J’y vais.
Ils se séparèrent, malgré le coeur d’Aki qui lui hurlait de ne pas laisser Levi partir, et la blonde alla rejoindre son équipe.
Elle avait un mauvais pressentiment concernant cette expédition, elle sentait que quelque chose qui ne lui plairait pas allait arriver.
Je délire. Tout va bien se passer.
Elle talonna son cheval pour rejoindre son groupe, composé d’Hanji et de trois recrues qu’elle ne connaissait que de vue.
-Ça va, p’tite Aki? T’es pâle.
-Tout va bien.
Hanji remarqua le regard de la jeune blonde qui suivait le cheval de jais, comme les cheveux de son cavalier, au loin.
-T’inquiète pas pour lui. Il en a vu d’autres.
Aki détourna honteusement le regard, gênée que la scientifique ait vu si facilement à travers elle.
-Je sais.
Hanji lui fit un clin d’oeil et ils partirent.
***
Le mauvais pressentiment d’Aki se confirma quand elle vit une fusée du côté du groupe de Levi.
Un déviant.
Levi était le meilleur soldat de l’humanité, et comme Hanji l’avait mentionné plus tôt il en avait vu d’autres. Mais la jeune fille n’arrivait pas à sortir de sa tête ses craintes le concernant. Il était dans ses pensées à tout instant, elle ne pouvait s’empêcher de voir ses yeux dans la grisaille changeante du ciel orageux.
Elle avait à peine aperçut la fusée de la section d’Erwin, leur indiquant la nouvelle direction à suivre, qu’un épais rideaux de pluie commença à tomber et personne ne voyait à plus de dix mètres de ses pieds.
-Oh putain de merde ! Merde merde merde !
Elle ne distinguait même plus Hanji, cependant elle entendait distinctement sa voix injurieuse.
-Aki ? Aki ! On se regroupe. Pas question de se séparer !
La blonde guida son destrier jusqu'à la voix d’Hanji - celle-ci était arrêtée, et l’air soucieux qu’elle portait sur son visage inquiéta Aki, plus que la pluie, plus que la fusée du côté de Levi, plus que tout. Car si Hanji avait peur, ça ne pouvait qu’être mauvais présage. Très mauvais présage.
Ils talonnèrent leurs cheveux et partirent dans un trot rapide dans la direction indiquée plus tôt par Erwin.
-Okay. Aki, Elio, Ymir, Jean, on reste côte à côte. Je vous veux tous en vie et entier quand on rentre, c’est bien compris ? Ne paniquez pas, restez concentrés et attentifs. Tout va bien se passer, d’accord ?
-Ouais enfin j’pense que le taux de chance qu’on se fasse bouffer est quand même vachement haut, marmonna le dénommé Jean.
-Oh Jean, ferme-la pour une fois, grinça la brune à la queue de cheval basse, l’air pas commode -Ymir, apparement.
-On va avoir besoin d’une bonne entente dans l’équipe pour tuer les Titans, donc si vous pouviez éviter les disputes ce serait super, souligna Hanji sans leur jeter un coup d’oeil.
Un long silence s’ensuivit, durant lequel chacun tendait l’oreille pour tenter d’entendre quelqu’un, quelque chose, mais on aurait dit qu’il n’y avait pas âme qui vive.
-’Tain quelle purée de pois !, pesta Hanji, les sourcils froncés.
-C’est clair on y voit que dalle, soupira Jean.
-Tu sais où on va, Hanji, où… ?, questionna un brun aux cheveux bouclés, Elio.
-Ben pour être honnête, j’en ai pas la moindre idée. J’préfère qu’on soit bien clair.
-Gééénial, souffla Jean. ‘tain on est pas dans la merde.
-Ben écoute mon p’tit coco, si tu la fermais une bonne fois pour toute ce serait mieux pour nous tous, déclara Hanji, un air neutre sur le visage.
Cela réussit enfin à faire fermer son claquet au châtain.
Après quelques minutes - ou était-ce des heures ? Aki ne savais plus-, ils atteignirent une forêt si dense qu’ils ne sentaient presque plus la violente pluie qui s’échouait du ciel. Cependant le brouillard était toujours aussi présent, et leur visibilité n’en était pas améliorée.
-J’crois que c’est ici où ils avaient lancé une fusée indiquant un déviant, indiqua Elio, tout en regardant peureusement autour de lui. J’espère qu’ils l’ont achevé.
-C’était le groupe de Levi, laissa échapper Aki sans pouvoir s’en empêcher.
-Tout va bien alors. Il doit être mort mille fois au moins.
-Ouaip ouaip ouaip. Bon les enfants, je sais pas trop ce qu’on devrait faire là-
Elle fut coupée par un bruit de pas qui eut pour effet de tous les faire se tendre.
-Oh merde, chuchota la scientifique. Merde merde merde merde merde. Montez sur les arbres.
Ils obéirent et actionnèrent leurs harnais de façon à se propulser sur les puissantes branches d’un marron profond qui plafonnaient à quelques mètres au-dessus du sol.
Les quatres soldats gardèrent les yeux fixés sur Hanji, attendant le signal.
Celle-ci attendait visiblement que le Titan leur tourne le dos, pour qu’atteindre sa nuque soit plus facile sans doute.
Malheureusement, tout dérapa.
Alors qu’elle s’apprêtait à donner le signal aux jeune gens, le titan se tourna vers eux et les fixa de ses immenses iris globuleux.
-Merde merde merde ! Essayez de le tuer les jeunes et vous tuez pas vous !
La panique dans sa voix eut un effet digne d’une injection d’adrénaline: les quatres recrues démarrèrent à fond les ballons, Jean et Ymir se jetant sur le Titan pour faire diversion, laissant aux deux autres le soin de sectionner le bout de peau de sa nuque.
Aki prit environ deux secondes pour réfléchir à comment placer des lames, sur quelle arbre elle allait s’attacher, voir sa future trajectoire, calculer combien de temps il faudrait au Titan pour lever sa main et l’écraser comme un vulgaire moucheron.
Alors que Jean lâchait un triomphant “Ahah ! On fait moins le malin, hein, gros plein d’soupe ?”, la blonde s’élança, agrippa son harnais 3D aux branches d’un arbre environ deux mètres plus loin, et, en deux coups de lame parfaitement calculés, trancha nettement la nuque du Titan.
Il s’effondra comme au ralenti, puis Aki atterrit sur son dos, soupirant de soulagement.
-Eh mais z’êtes pas mauvais les jeunots !
-Ah évidemment t’es tombé sur la meilleure équipe Hanji !, fanfaronna Jean, la mine fière.
-Ouais enfin c’est bien beau tout ça, mais en attendant faut qu’on se bouge.
Ils se remirent en mouvement mais, rapidement, le brouillard s’épaissit encore plus et il devint impossible de distinguer des silhouettes, qu’elles soient près ou loin.
L’adolescente aux yeux bleus perdit vite de vue ses camarades et, la pluie battante ne s’atténuant pas le moins du monde, il lui était impossible de les retrouver grâce au bruit qu’ils faisaient, ceux-ci etant complètement obscurcis et bloqués.
Il lui était impossible de savoir où ils étaient, où ils allaient. Elle était seule, perdue dans cette forêt, livrée à elle même contre tout les Titans qui l’entouraient sans doute.
Se souvenant de ce qu’avait dit Elio plus tôt, elle décida alors de s’enfoncer plus loin dans la forêt, pour chercher des traces de l’équipe de Levi.
Elle réalisa brusquement quelque chose: Yuki et Haru étaient dans le même bataillon que lui.
Oh non, non, non, non, c’est pas possible, non, non, ils vont bien tous les trois c’est certains je m’inquiète pour rien, mais ils étaient quand même contre un déviant, même si Levi était là ces Titans-là ils ne pardonnent pas, non, non, dites-moi qu’ils vivent…
Tout ce temps, elle ne s’était pas inquiétée pour la bonne personne. Elle avait été tellement concentrée sur son copain qu’elle en avait oublié que d’autres de ses connaissances, de ses amis, se trouvaient aussi sur le champ de bataille, exposés au danger, au crachin si nocif, à la brume qui n’épargnait rien ni personne.
Et Eren? Elle ne s’inquiétait pas tant que ça pour lui, car ses aptitudes lui conféraient un statut assez protégé, mais la petite conversation qu’ils avaient eu au bal lui avait beaucoup réchauffé le coeur et elle espérait qu’ils en auraient d’autres. Le châtain devait vivre, il allait vivre, ce n’était pas son genre d’abandonner, et il allait se battre jusqu'à ne plus avoir aucune force, elle le savait.
Elle serra les dents en voyant les quelques traces de sang étalées sur les arbres, et chercha vainement un corps. Un haut-le-coeur la prit et elle sentit un goût de bile assez marqué remonter dans sa bouche.
Respire.
Elle décida de laisser sa monture à terre en faveur de la hauteur, et bientôt elle fut sur les immenses branches d’arbres, à chercher quelqu’un, quelque chose.
***
Elle avait aperçut de la couleur qui émergeait de tout le vert et le gris terne de la forêt. Du rose.
Non, ça ne peut pas être à Haru. Impossible.
Aki était tellement inquiète qu’elle avait du mal à s’empêcher de trembler, ce qui la fit mal atterrir. Son corps ressentit une violente douleur à la cheville, mais elle ne la remarqua même pas.
Elle avait atterri dans une grande clairière, charmante à première vue. Mais quand elle remarqua le sang qui maculait les arbres, elle se sentit frissonner. L’endroit n’avait plus une once de beauté.
Elle s’avança, boitant sans vraiment s’en rendre compte.
La première chose qu’elle vit fut un ruban couvert de sang, rose. Son ruban. Celui qu’elle avait vu depuis les branches des arbres.
Non. Non. Non. Non...
La jeune fille sentit son sang se glacer, avant de diriger son regard vers un amas de cheveux blonds… posés sur l’herbe?
Elle s’avança et put observer plus clairement: ce n’était pas seulement des cheveux.
C’était une tête. Tranchée. Séparée du reste.
Elle se sentit prise de nausée, mais inspira un grand coup en tentant de chasser ses larmes et s’approcha de la partie du corps sanglante.
Des cheveux blonds, relativement longs. Des yeux bruns. Une expression effrayée, absolument horrible.
Haru. Du moins, ce qu’il en restait.
Aki, cette fois, fut incapable de s’en empêcher: elle vomit sur l’herbe rouge de sang, ses larmes se mélangeant à la bile.
Le stress et l’adrénaline des combats disparurent de son corps, la laissant sans force ni courage. Sa volonté l’abandonna d’un coup, comme si les muscles qu’elle avait développé ces dernières années avaient soudain disparus en un claquement de doigts. Son corps lui semblait à peu près aussi solide que de l’eau, à peu près aussi ferme que de la guimauve
Elle ressentit soudain la blessure à la cheville qu’elle s’était faite à la suite de son mauvais atterissage, et s’effondra. Elle aurait facilement pu se faire ingurgiter par un Titan à cet instant.
Assise par terre, blessée, en état de choc donc totalement incapable de s’enfuir, complètement exposée aux innombrables dangers qui l’entourait. Aucune force en elle.
Elle s’assit contre le tronc d’un arbre, refusant de bouger.
Haru est morte. Haru est morte. Haru est morte. Je veux mourir. Tuez-moi. Tuez-moi, tuez-moi, tout est de ma faute, si j’avais été là, j’aurais pu la sauver, j’aurais pu la sauver, pourquoi elle et pas moi, pourquoi, pourquoi ?
Jusqu'à ce qu’un bruit surgisse des buissons. Elle ne réagit même pas.
Elle se fichait bien de mourir, à cet instant-là. Elle aurait souhaité s’éteindre et rejoindre son amie au ciel.
-Bordel de merde, gamine, j’ai croisé Hanji, t’es chiante à déserter comme ç-
Il s’interrompit en avisant les joues et les yeux rougis de la blonde. Examina minutieusement l’endroit, cherchant la raison des trop nombreuses larmes de la jeune fille. Et vit Haru, enfin ce qu’il restait d’elle.
Il décida donc de faire ce qu’il ne faisait que rarement, même si plus dernièrement: être doux avec elle. Il savait à quelle point la grande blonde comptait pour elle, il savait qu’elle avait déjà perdu sa famille et ne connaissait que trop bien la douleur de perdre sa seconde. Il savait à quel point Aki était sensible. Combien elle était fragile. Qu’elle pouvait voler en éclat rien que si il la touchait. Que son bonheur ne tenait qu’à un fil et qu’il serait si facile qu’elle bascule dans le vide.
Et plus que n’importe quoi d’autre, il voulait la voir sourire, être elle-même. Il voulait qu’elle soit heureuse.
-Oï, gamine…
Elle ne bougea pas d’un pouce. Elle l’ignora complètement. Si elle avait été n’importe quelle autre personne, il l’aurait secouée pour qu’elle se lève, il l’aurait engueulée pour ne pas lui avoir répondu.
Mais elle était elle. Et depuis qu’elle l’avait embrassé, le jour de leur fête d’anniversaire, il n’arrivait plus à l’extirper de son esprit. En vérité, ça faisait bien plus longtemps que ça.. Il l’avait eu en tête pendant toute l’expédition, ses grands yeux bleu lagon le fixant dans un coin de sa tête. Il s’était demandé comment elle allait maintes et maintes fois, il avait failli se barrer et tout laisser tomber pour aller la chercher. Et après avoir croisé Hanji qui lui avait dit qu’ils l’avaient paumé dans la forêt même où lui et Haru et Yuki s’étaient séparés -plutôt perdus de vue, à vrai dire, il avait craint le pire. Et pour une fois, il n’avait pas été loin d’avoir raison.
Il s’accroupit devant elle.
-Aki !
Elle ne réagit pas.
-Bordel, tu vas me répondre non ?!
Rien. Il soupira, il n’avait pas vraiment le choix. Il n’allait pas la laisser là.
Il passa une main sous ses cuisses et une dans son dos, et la souleva.
La blonde, pourtant si effrayée par les contacts physiques, ne fit rien. Elle se contenta de regarder le ciel, semblant le trouver incroyablement intéressant. Quoique. Elle ne semblait même pas le voir.
-Gamine… Je sais que ça fait mal, je sais que ça te tue, je sais crois-moi, mais… j’ai une mauvais nouvelle. Vaut mieux couper le cordon maintenant.
Il crut apercevoir une lumière s’allumer dans ses yeux, et il sut qu’elle l’écoutait.
Il rapprocha ses lèvres de son oreille et chuchota:
-Yuki… n’a pas survécu.
Les larmes de la jeune fille redoublèrent. Elle ferma les yeux, comme si elle souhaitait pouvoir clore les paupières, et ne plus jamais les rouvrir. Comme si elle voulait voir disparaître ce monde et son contenu jusqu'au plus infime grain de poussière. L'exorciser, le voir s’effacer sans laisser une seule trace.
Et c’est de cette façon que la seule famille qu’il lui restait, s’éteignit à tout jamais.
Adieu, Haru.
Adieu, Yuki.