Le destin des Ackerman - Tome 1
Chapitre 52 : Chapitre 51 - 62e expédition extra-muros, trahisons
4094 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 28/05/2020 22:45
Un cri parvient aux oreilles du Caporal-Chef de l'escouade tactique dans la direction où, quelques minutes plus tôt, un éclair — signifiant la transformation en titan d'un humain — fendit les airs à la plus grande surprise des officiers du bataillon d'exploration, juste après qu'ils aient signalé la position d'un lieu plus ou moins sûr où se rassembler pour contre-attaquer.
Lui a cru qu'il s'agissait d'Eren, qui avait forcément dû être poussé dans ses retranchements au point de devoir se déchaîner. Jean, Conny et Sasha arrivèrent suite à cette lumière aussi vive que soudaine, rapportant que Mikasa — qui les suivait — a décidé d'aller en direction de la transformation pour s'assurer que Eren va bien.
C'est quand Judith fit irruption dans le périmètre et atterrit en catastrophe, une bonne minute plus tard, qu'ils comprirent que quelque chose se passait. Il fallut une poignée de secondes au soldat Stern pour reprendre son souffle.
— Annie s'est transformée ! S'écria-t-elle, toute paniquée et tremblante.
Livaï vit rouge. Tous avaient décidé d'accorder une relative confiance à une jeune femme qui les avait déjà trahis par le passé et voilà le résultat. Mais il ne pouvait que la féliciter d'avoir su être patiente pour bien choisir son moment. Leurs troupes encore éparpillées et le chaos régnant aux alentours... C'était la situation idéale pour s'éclipser.
— Où est Eren ?! Demanda-t-il en balayant rapidement les alentours des yeux.
Tous l'imitèrent rapidement et il ne leur fallut qu'un instant pour constater que le jeune Jäger n'était pas là. Alors tout fit sens dans l'esprit de l'officier : si Eren n'est pas ici et qu'Annie est bien sous sa forme titanesque, ça ne veut dire qu'une seule chose.
Il activa sans hésiter son équipement tridimensionnel et s'envola dans l'instant. Allant aussi vite qu'il le peut pour se diriger vers l'origine approximative de la transformation.
Lorsqu'il entendit un cri déchirant se situant près de ce même endroit où Annie a été vue pour la dernière fois, il s'y précipita.
Quand l'officier se pose dans cette petite clairière c'est un choc.
Livaï aperçoit d'abord Julia qui est agenouillée, absente et immobile avec un bandage imbibé de sang à un mollet, le regard fixé sur un corps étendu au sol autour duquel une impressionnante flaque de sang s'est formée. Il reconnait ensuite Mikasa, grâce à ses cheveux et son écharpe, penchée sur le corps inerte. Nul besoin de s'approcher pour l'entendre pleurer à chaudes larmes, implorant le pauvre malheureux de ne pas lâcher prise pour rester avec elle.
Trois personnes seulement peuvent mettre la jeune femme dans cet état mais une seule ne possède pas de formidables capacités permettant de survivre à des blessures mortelles pour un humain lambda.
Le caporal approche lentement en espérant, jusqu'au dernier moment avant de voir le visage du condamné, qu'il ne s'agit pas de la personne qu'il croit. Il arrive à la hauteur des trois soldats et reconnaît Thomas, qui est aux portes de la mort.
Son cœur rate un battement.
Le jeune homme a beau être un Ackerman, ces blessures là le condamnent : seul un détenteur du pouvoir des titans pourrait s'en remettre.
— Thomas tu... Tu n'as pas le droit de m'abandonner... Supplie encore Mikasa qui a ses mains autour du visage du jeune homme, le front reposant contre son torse.
Le doyen des Ackerman est subjugué et impuissant. Malgré le fait qu'il n'ait jamais été proche de Thomas, celui-ci est sans doute l'une des personnes qu'il souhaitait le moins voir dans cet état.
Lorsqu'il apprit que le petit frère de Petra avait intégré le bataillon, il se jura de ne pas répéter ses erreurs avec lui, de se racheter auprès de celle qu'il aimait en veillant sur son petit frère qui si précieux pour elle, son "petit prince" comme elle l'appelait. Là, en cet instant, il fait face à son échec en tant qu'officier, en tant que parent et en tant qu'homme.
Mais il ne fait que payer son obstination à vouloir protéger alors qu'il a la preuve sous les yeux qu'il n'est vraiment pas doué pour ça. Tant qu'il s'agissait de l'empêcher de prendre de l'importance pour trop s'exposer, par exemple en réfrénant les ardeurs d'Erwin à son sujet, il n'y avait pas de problème mais sur le terrain c'est toujours différent, notamment extra-muros ou tant de choses peuvent mal tourner et échapper à leur contrôle.
Les yeux sombres du caporal Ackerman fixent ces deux morceaux de lames qui ont pénétré profondément dans la chair de ce jeune homme qu'il avait apprit à apprécier. Quelle ironie qu'il chute au moment où il était le plus fort et le plus équilibré dans sa vie, après tant de temps passé à n'être que l'ombre de lui-même. Après tout, peut-il vraiment le blâmer pour ses erreurs et ses démons qui l'ont longtemps empêché de prouver sa valeur ? Il était jeune, Thomas apprenait encore à vivre, à aimer, à faire la part des choses, à chercher sa place dans ce monde...
Petra aurait été si fière de lui et de ce qu'il était devenu...
Mais si avec le temps et l'expérience Livaï sait que finalement il n'existe sûrement pas de belle fin, puisque toute mort est absurde, il ne peut que ressentir plus de colère encore en constatant que ce n'est pas un titan qui est responsable de ce drame.
Livaï secoue la tête pour se ressaisir parce qu'il se rend compte qu'il parle déjà du jeune Ackerman au passé alors qu'il n'a pas encore expiré le dernier souffle de sa jeune vie. Il s'accroupit près de Mikasa et pause sa main sur son épaule.
— Mikasa...
Aucune réaction de sa part, elle continue de pleurer à chaudes larmes, complètement inconsolable.
Le caporal soupire.
— Annie s'est transformée et Eren est introuvable, il faut les retrouver au plus vite. Ajoute-t-il.
— Je me fiche d'Eren ! Lâche-t-elle entre deux sanglots, de façon bien trop spontanée et colérique pour mettre en doute sa sincérité.
Livaï reste bouche-bée. Il doit être celui qui a le plus souvent vu dérailler Mikasa lorsque Eren était en danger et le caporal pensait que le titan assaillant resterait quoiqu'il arrive la priorité de la jeune femme. Étant lui-même un Ackerman et sachant ce que c'est que décider sciemment d'aller à l'encontre de son instinct envers la personne qu'ils ont choisi, il ne peut que mesurer à présent comme un lien puissant s'est tissé entre ces deux là.
Malheureusement ce monde est bien trop cruel, violent et injuste...
— Caporal vous devez sauver Thomas ! Hurle-t-elle encore avec une voix porteuse de toute son impuissance et sa détresse.
Elle s'accroche à l'espoir qu'il y a encore une chance de le sauver, peu importe le moyen, peu importe le temps qu'il lui faudra pour récupérer de ses blessures, peu importe qu'il ne puisse plus jamais se battre à ses côtés et peu importe que tout ce qui existe en ce monde brûle dans la seconde parce qu'elle demande juste que ce cœur continue de battre pour que son détenteur tienne ses promesses d'avenir qui lui ont mis tant de rêves et d'espoir dans la tête.
Livaï serre les dents, le regard alternant entre Mikasa et Thomas, avant de prendre sur lui parce qu'il doivent tout de même s'inquiéter de la sécurité de Eren, avant tout.
— Il est trop tard pour lui, je suis désolé... Mais on ne peut pas en dire autant pour ceux qui sont responsables de ça. Il faut les rattraper et le leur faire payer.
La jeune femme tressaille, décontenancée par ces propos au réalisme imparable. Une puissante migraine s'est saisie de son crâne à partir du moment où elle a conspué son frère adoptif et, malgré tout le mal qu'elle a à être objective dans ce genre de moment, elle ne peut que se rendre compte que Thomas n'a pas les même capacités régénératrices qu'Eren, qu'il est condamné.
Mikasa a été habituée à ce que la cause ne soit jamais perdue quand le jeune Jäger est en danger, quelque soit la gravité de la situation. Mais celui qu'elle aime de tout son cœur n'est qu'un être humain, fragile et mortel.
A ses yeux marqués par cette violente désillusion, Thomas lui apparaît comme un ange déchu dont le corps a été brisé suite à sa chute, sans retour possible, et dont toute la lumière s'échappe, instant après instant.
— Le temps presse Mikasa. Prononce Livaï avec plus d'autorité.
Mais toujours pas de véritable réaction. Il l'attrape alors par l'épaule et la tire d'un coup sec pour qu'elle se tourne vers lui.
— Tu veux vraiment tout perdre aujourd'hui ? Si Eren ET Thomas te sont arrachés, qu'est-ce qu'il te restera ?
Ses mots la transpercent, lui faisant ouvrir grand les yeux avec la prise de conscience qu'ils provoquent.
Son regard se baisse et Livaï la relâche. Mikasa se retourne vers son compagnon à l'agonie : celui-ci a les yeux vitreux et larmoyants, une nouvelle toux le fait se tordre tout en crachant du sang. Dans un dernier effort il ouvre les yeux à moitié, forçant aussi ses lèvres à former un léger sourire. Elle saisit cette expression, elle comprend la lueur de son regard, elle entend trois mots résonner dans son esprit prêt à céder et imploser sous le poids de ce désastre.
La jeune femme se penche alors et dépose délicatement ses lèvres sur celles de Thomas, un baiser sanguinolent ayant le goût d'un adieu résigné. Après quoi elle se lève, renifle bruyamment puis se saisit des poignées de son matériel pour s'envoler sans rien ajouter.
Au moment de pénétrer de nouveau parmi les rangées d'arbres gigantesques elle lance un regard en direction du lieutenant de l'escouade Arlelt. La dernière image qu'elle aura de cette clairière est celle de Livaï qui a saisit Julia par les épaules pour lui dire quelque chose.
Des pas rapides et lourds résonnent dans cette dense forêt d'arbres géants. La terre tremble, les cailloux et petits rochers décollent du sol, le gibier s’agite et fuit, les oiseaux s'envolent : un titan de quatorze mètres court aussi vite qu'il le peut.
Devant lui un soldat du bataillon d'exploration essaye de le semer par tous les moyens mais se fait inéluctablement rattraper.
Soudain, ils aperçoivent un halo de lumière qui passe entre les troncs : ils arrivent à l'orée de cette forêt et l'humain va être obligé de faire demi-tour s'il veut avoir une chance.
Quand l'homme à la cape verte sur laquelle figure le blason du bataillon se retourne, le titan se prépare à le réceptionner mais l'instant suivant un éclair jaune apparaît. Prit de court et n'ayant pas eut le temps de voir si c'est la personne qu'elle poursuit qui se transforme, le titan féminin ouvre grand les yeux quand les premières caractéristiques physiques se dévoilent.
Elle reste figée un instant sur ce qu'elle voit, sur le visage de ce titan primordial qui lui fait face et qu'elle connaît bien.
L'humain qu'elle poursuivait se pose sur l'épaule du titan cuirassé et abaisse sa capuche. Elle reconnait cet agent Mahr qui lui avait raconté le plan quelques jours plus tôt. Le jeune homme porte les traces de son combat contre Thomas : du sang a coulé le long de son cou suite à l'oreille qui lui a été coupée et ses couches de vêtements sont tranchées d'une épaule à l'autre.
La jeune femme ne comprend pas, celui qu'elle pourchassait avait été transpercé par une lame de Thomas après l'avoir poignardé dans le dos avec son sabre comme un lâche, elle l'a vu recevoir ce coup fatal et tout son sang s'écouler alors qu'il décollait. Elle sait que cet espion Mahr infiltré dans le bataillon n'est pas l'hôte d'un titan, il est donc impossible qu'il se régénère et de toute façon ses vêtements devraient porter la marque de la blessure.
Elle saisit alors qu'il a un complice quelque part et il leur aurait fallut un seul instant au détour d'un tronc particulièrement imposant pour qu'ils se relaient sans qu'elle ne s'en doute. Ils étaient donc trois espions encore infiltrés dans les murs en comptant celui qu'a abattu Thomas avant qu'elle n'arrive.
Le vice-capitaine de l'unité des guerriers, Reiner Braun, ne se montre pas hostile et se contente de l'observer.
— Annie, c'est maintenant ou jamais pour retourner à Mahr ! S'écrie l'espion.
Le titan féminin se sent acculé. Rien n'indique que le groupe d'agents infiltrés ne comptait que trois hommes ni que Reiner est le seul de leur unité à être présent. Elle regarde rapidement en coin et tend l'oreille, restant sur ses gardes.
Subitement le titan cuirassé s'agenouille puis de la vapeur commence à s'échapper de sa nuque : son hôte s'apprête à sortir.
A une centaine de mètres de là, une personne encapuchonnée se pose sur une haute branche d'un arbre géant. Une épaisse vapeur se dégage de son abdomen où une blessure verticale et nette se referme lentement, du sang séché ayant souillé la chemise blanche de son uniforme. Il retire sa capuche en observant ce qu'il se passe plus loin.
Reiner s'extirpe de la chair brûlante et encore fumante de son titan puis monte sur la tête de cette carcasse.
— Je suis heureux de te revoir, on te pensait tous morte et enterrée depuis longtemps. Lance-t-il avec son air arrogant et fier qu'elle déteste tant.
— Plaisir non partagé... Pense-t-elle puisqu'elle n'est pas capable de parler sous sa forme titanesque contrairement à Sieg ou Ymir.
— J'ai eu du mal à croire Lukas quand il m'a prévenu, par lettre, que tu avais refait surface. Ajoute-t-il.
Elle ne répond pas ni ne bouge. C'est évident que Lukas l'a amenée jusqu'ici pour rencontrer Reiner.
— T'es toujours aussi bavarde hein ? Bon, c'est rien... Il nous a fallu un peu de temps pour venir te chercher mais nous voilà. Continue le traître, très confiant.
Annie baisse un peu sa garde parce qu'elle saisit tout à coup. Lukas l'a testée en lui révélant le plan, sûrement parce que lui et ses partenaires en avaient un autre en réserve si jamais elle avait changé d'allégeance puis décidé de tout révéler aux eldiens des murs.
Reiner se tourne vers celui qui avait réussi à infiltrer l'escouade tactique mais elle ne perçoit pas ce qui se dit. Par contre le vice-capitaine a une expression déçue et préoccupée suite à la réponse de l'espion et finit par acquiescer.
— Un bateau nous attend sur la côte, allons-y avant qu'on ait le bataillon d'exploration aux trousses. Dit monsieur Braun en direction du titan féminin.
En voyant qu'elle ne réagit pas, il se saisit des poignées de son équipement tridimensionnel et se dirige jusqu'à elle pour se poser sur l'une de ses épaules.
— Annie, ton père t'attend.
Ces mots suffisent à provoquer une réaction mais certainement pas celle qu'attendait Reiner. La gigantesque main du titan se dirige rapidement vers lui et l'attrape pour le serrer entre ses doigts. Pas assez fort pour le blesser mais suffisamment pour l'immobiliser et l'empêcher d'utiliser son matériel.
Elle l'amène devant son visage et le fixe de ses grands yeux bleus devant lesquels des mèches blondes tombent. Annie a une occasion en or devant elle. Reiner a été bien imprudent de lui faire totalement confiance et de s'approcher aussi près.
Vu l'expression effrayée qui s'affiche sur son visage il doit penser qu'elle va le dévorer pour s'approprier ses pouvoirs mais en réalité l'idée qui fait son chemin dans sa tête est toute autre. L'image de Thomas, mourant, se superpose à son regard et elle se dit qu'il suffirait de lui faire une injection puis de lui donner cet homme ignoble - qu'elle tient dans sa main - en pâture afin qu'il puisse survivre.
— Annie, qu'est-ce que tu fais ?! S'écrie-t-il, paniqué.
Lukas, qui s'attend au pire, s'élance vers le titan féminin pour libérer son supérieur mais son attaque est trop prévisible. Elle l'attrape en plein vol avec sa main libre dans un réflexe fulgurant puis l'écrase dans sa paume, du sang giclant à profusion aux alentours. Lorsqu'elle écarte ses doigts, un ensemble difforme d'os, de chair et de sang tombe lentement et s'écrase dix mètres plus bas.
— Annie, réfléchis ! L'île du paradis sera tôt ou tard prise d'assaut. Que ce soit dans six mois, un an, cinq ou dix... Ça n'a pas d'importance. Le retard technologique du peuple des murs et trop important, même si tous les titans primordiaux se mettaient de leur côté on ne seraient pas certains de remporter la victoire. Je sais que tu veux revoir ton père alors n'agis pas sans réfléchir. Je sais que tu ne t'es jamais sentie chez toi à Mahr, mais ici tu as fait trop de dégâts pour être pleinement acceptée un jour. Il faut se mettre du côté des gagnants si on veut survivre !
Elle ne peut pas nier le fait que ses paroles sont pleines de sens et qu'il ne fait qu'énoncer une vérité tristement avérée. Pourtant, il est possible que livrer le titan cuirassé soit une preuve qu'elle s'est rangée du côté du peuple des murs.
— Annie... Annie ! Entend-elle dans sa tête. Il est trop tard pour te demander pardon... Mais promet-moi que tu reviendras un jour...
Ses yeux s'ouvrent en grand, la voix de son père torture son esprit. Livrer Reiner serait dilapider la dernière chance qu'il lui reste de respecter sa promesse.
C'est une hésitation si profonde et difficile que c'est un véritable conflit intérieur qui se livre. Il y a comme deux personnes en elle qui ont des intérêts complètement opposés mais aucune ne parvient à prendre le dessus. La première souhaite courir aussi vite que possible vers Thomas afin qu'il survive en ingérant ce traître mais la seconde souhaite retourner à Mahr pour revoir celui qui l'a élevée.
— Je ne vais pas te dire que tu as eu de la chance, mais au moins ton père s'est occupé de toi, même si c'était d'une mauvaise façon, je crois... Entend-elle à présent, une voix différente qui vient de souvenirs beaucoup plus récents. Le mien m'a toujours traité comme une merde, un incapable, j'ai toujours vu du dédain et du dégoût dans ses yeux. Le tien au moins il t'a permit d'être forte et de pouvoir te défendre, c'est en partie grâce à lui que tu es en vie aujourd'hui...
Elle se souvient d'un coucher de soleil où, après un entraînement, Thomas et elle étaient seuls à discuter. Il était assis sur la clôture du pré où les chevaux pouvaient brouter et se dégourdir les jambes. Elle était debout et adossée à cette même structure en bois, de profil par rapport à lui.
— ...Mais c'est mon père et malgré tout je l'aimais et je crois qu'à sa manière horrible il m'aimait lui aussi. C'est après avoir perdu des proches qu'on se rend compte qu'on ne profite jamais assez du temps en commun qu'il nous est donné de passer avec eux. La vie est mal faite...
Annie sent sa gorge se serrer et son cœur commence à être rongé par une douleur étrange.
— Tu sais, même si tu nous trahis pour retourner chez toi, je ne t'en voudrai pas. L'image de son sourire lui revient tout comme la sensation de réconfort que cela lui avait apporté. Je veux juste qu'un jour tu puisses être en paix avec toi-même, même si ça ne doit durer qu'un instant. Je serai toujours prêt à t'aider pour ça.
C'est vrai, la vie est mal faite. Celui qui lui avait tendu la main et lui a permit de retrouver une relative liberté, qui a essayé d'être son ami envers et contre tout doit être mort à l'heure qu'il est; alors que l'homme à l'origine de la poursuite de cette opération, il y a six ans, et qui l'a catapultée dans une existence faite de remords et de cauchemars est là, dans sa main, en parfaite santé.
Voilà tout ce dont elle avait besoin : un ami. Toute sa vie elle a été guidée par la volonté d'autres qui n'ont jamais agit dans son intérêt, elle a toujours été un outil. L'ironie de sa vie est que cet ami est l'une des personnes dont le quotidien a été bouleversé par ses actes.
Le fil de ses pensées est soudainement interrompu par le son d'un équipement tridimensionnel qui approche très rapidement. Son premier réflexe est de protéger sa nuque avec sa main libre mais elle n'a pas le temps de la solidifier. L'instant suivant, deux lames s'abattent à cet endroit précis et l'entaillent profondément.
Mikasa tournoie autour du titan féminin, le regard noir de rage et de rancœur. Après une manœuvre acrobatique elle se retrouve en face d'Annie et remarque que la personne emprisonnée dans ses doigts n'est pas Eren. Mais elle n'aura pas le temps de voir qui est ce blond, deux soldats du bataillon se ruent sur le titan féminin.
Croyant d'abord que ce sont des renforts, elle déchante vite en voyant qu'ils profitent du moment d'inattention d'Annie pour lui trancher la main qui détient l'inconnu, récupèrent celui-ci puis fuient en direction de l'orée de la forêt. Tout se passe très vite et le soldat Leonhart se retrouve privé de la solution à tous ses problèmes.
Reiner envolé, il n'est plus possible de sauver Thomas ni de faire ses preuves auprès d'Hanji.
Le titan s'affaisse sur un genou et pose son poing restant à terre. Trente secondes plus tard elle sort de cette enveloppe titanesque et Mikasa la regarde, sans comprendre.
Aujourd'hui, rien ne fait sens. Pourquoi des soldats de leur corps d'armée s'enfuient ? Où est Eren ? Pourquoi Annie s'est transformée si ce n'est pas pour les trahir ?
Mikasa atterrit sur la terre ferme et regarde trois de ses camarades s'éloigner. Elle tombe à genoux, les bras lâches le long de son corps, laissant tomber ses crosses. Ses yeux tombent sur le bracelet autour du poignet de sa main gauche et les larmes lui viennent : même le venger, elle en a été incapable.
Annie la rejoint et l'observe en étant debout face à elle. L'espace de quelques secondes elle hésite.
Finalement, elle se laisse tomber sur ses genoux après que Mikasa ait laissé tout son poids tomber en arrière pour s'assoir. La blonde pose sa main sur l'épaule de la jeune Ackerman.
— Désolée... Dit-elle avec sincérité mais peu d'assurance.
La brune attrape la veste d'uniforme d'Annie et plaque son front contre elle pour laisser aller ses sanglots. Cette jeune femme qu'Annie voyait comme une bête sauvage obsédée par son frère, une machine à tuer qui passe son temps à s'entraîner et une taciturne peu commode se révèle être une personne aussi fragile, émotive et humaine que les autres, en fin de compte. Mademoiselle Leonhart comprend que derrière cette armure et ce paraître durs et froids se cachent démons, blessures et remords : comme tout à chacun.
Voir Mikasa aussi abattue et désespérée la touche parce qu'elles partagent cette perte. Elle joint ses mains sur le haut du dos de cette personne en pleurs et la regarde tristement, sans prononcer un seul mot de plus.