Le destin des Ackerman - Tome 1
Chapitre 29 : Chapitre 28 - Rencontre & promesses
6329 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 15/05/2020 14:18
Thomas sort de l'établissement et pose son regard sur son père et cette escorte armée — composée d'hommes de main de Zackley — qui l'emmène jusqu'à un chariot pénitentiaire.
Il soupire.
Dans une moindre mesure il comprend comme le rôle de Hanji doit être frustrant. A l'instar des recherches sur les titans, la vie du soldat Ralle n'est qu'un enchaînement de révélations qui posent plus de questions qu'elles ne résolvent de mystères. Le jeune homme ne sait pas si la vérité était bonne à découvrir.
Il se rend compte pourquoi les petites gens — dont il doit indéniablement faire partie — se complaisent dans l'ignorance et la simplicité d'une existence monotone. Certes, sa vie n'était pas rose mais il avait plus ou moins appris à l'apprivoiser et commençait à s'armer contre elle. Thomas pensait qu'apprendre qui il est vraiment et d'où il vient l'aiderait à prendre sa revanche, à avancer sans plus jamais regarder derrière lui mais il s'est certainement trompé.
L'ignorance avait du bon et était rassurante, à sa façon...
Nouveau soupire.
— S'il coopère on ne l'abîmera pas.
Thomas fait volte-face, brusquement tiré du fil de ses pensées par une voix familière. Il découvre le Caporal-Chef Livaï qui est adossé à la façade de l'auberge, près de la porte. Il porte un costume noir et en tient la veste par dessus son épaule droite, le bras replié contre lui. Non loin de lui un autre chariot — de transport celui-ci — et sur lequel quelques caisses de matériel sont présentes est entourés de trois soldats du bataillon. Parmi eux, et même si elle est de dos, une personne que Thomas reconnaîtrait entre mille termine de ranger son équipement tridimensionnel dans une malle prévue à cet effet.
Le jeune homme frappe sa poitrine de son poing par réflexe pour saluer son supérieur.
Le chef de l'escouade tactique pousse sur son pied posé à plat contre le mur et se redresse avant de faire deux pas vers le soldat.
— Ça va, détends-toi.
Monsieur Ralle prend une pose plus détendue.
— J'ai entendu une partie de votre conversation, j'espère que tu ne m'en veux pas. Ajoute l'officier.
Thomas hausse les épaules pour signifier que ça n'a pas d'importance.
— Tu as prouvé que tu tiens parole en nous apportant sa lettre et en nous permettant de lui mettre la main dessus. Erwin sera satisfait que tu aies respecté ton engagement mais je n'en doutais pas. Continue Livaï.
Le brun aux yeux bleus ne peut pas s'empêcher d'avoir un petit sourire de fierté en comprenant qu'il a répondu aux attentes de ses supérieurs. Il hoche ensuite la tête et le Caporal tourne les talons pour s'installer dans le véhicule en bois tiré par deux chevaux.
Mikasa referme la malle et la pousse plus loin pour éviter qu'elle ne tombe pendant le trajet. Elle se dirige ensuite vers le jeune homme et tous deux se sourient pour se saluer.
Livaï s'accoude à la parois en bois contre laquelle il est adossé pour regarder les deux soldats.
— J'ai un interrogatoire à mener mais pour vous l'affaire est close. Je compte sur vous pour aller faire un rapport à Hanji, au plus vite.
Les soldats Ackerman et Ralle acquiescent et le convoi se met en route l'instant suivant. Lorsqu'il tourne au détour d'un pâté de maisons et n'est plus visible, les deux amants se tournent l'un vers l'autre.
— Je ne savais pas que tu ferais partie des renforts. Dit Thomas avec un petit sourire.
Mikasa rend simplement son sourire et détaille rapidement son accoutrement de civil alors qu'elle a un uniforme sur le dos.
— Je voulais profiter d'être ici pour... Reprend-il.
La jeune femme acquiesce.
— Je viens avec toi. Prononce Mikasa qui a deviné la suite de la phrase.
En même temps il n'était pas difficile de deviner son attention alors qu'ils sont à une centaine de mètres seulement du lieu où se trouve la sépulture de Petra.
Thomas ne pose pas plus de questions sur la raison de sa présence ici et ce n'est pas forcément pour déplaire à la brune qui fait d'une pierre deux coups... Trois coups, même.
En effet, non content d'être la seule dans l'escouade tactique à être au courant de la plupart des détails de l'affaire Erik Müller — ce qui l'a immédiatement désignée pour accompagner les hommes de Zackley au cas où il aurait tenté de s'enfuir, elle en profite pour être auprès de son conjoint au cas où cette entrevue se révélait être une épreuve. Enfin, ce sera aussi l'occasion d'exprimer sa reconnaissance à Petra.
Ils se mettent donc en marche vers le cimetière. Thomas emmène mademoiselle Ackerman jusqu'à cette partie des lieux où reposent les morts et disparus de la cinquante-septième expédition extra-muros. Quelques dizaines de mètres plus loin, ils s'arrêtent devant une pierre tombale.
Ce qui attire l'attention du soldat Ralle c'est la présence de fleur fraîches sur la tombe. Pour avoir longtemps cueilli des fleurs il peut assurer qu'elles sont fraîches et ont été déposées là il y a très peu de temps. Le jeune homme serait très étonné que Mikasa en soit la cause et ce n'est pas non plus le jour de recueillement hebdomadaire de sa mère.
Il lève les yeux vers Mikasa après sa brève recherche de suspects et la trouve le regard fixé sur le nom gravé à même la pierre polie, serrant les dents.
— Ce jour-là, tous ces soldats étaient des inconnus pour moi et j'étais trop obnubilée par la sécurité d'une seule personne pour que leurs mort me touche vraiment. Mais Petra et ses compagnons ont donné leur vie pour protéger Eren et je lui suis reconnaissante pour ça. Je sais que les autres pensent que je suis insensible à tous ces visages qui disparaissent mais...
Thomas ne dit rien et la laisse poursuivre en observant lui aussi ce qui leur fait face. Mikasa sent sa gorge se serrer et c'est pourquoi elle prend une seconde avant de continuer.
— ... Mais c'est faux. Si j'avais réussi à tuer Reiner et Bertolt avant qu'ils n'enlèvent Eren, beaucoup de soldats seraient encore parmi nous. Je n'arrive pas à me le pardonner. Termine-t-elle.
C'est vrai que même pour lui c'est difficile d'imaginer qu'elle puisse éprouver des remords pour toutes ces personnes qu'elle a vu mourir ou a tué, enfermé dans un titan ou non, pendant sa courte vie et souvent pour protéger un autre brun que lui.
— Beaucoup s'arrêtent aux apparences mais ils ne se doutent pas de la personne qui se cache derrière ce soldat toujours concentré, déterminé et qui fait partie des meilleurs de sa génération. Il lui prend la main et ça suffit pour qu'elle lève les yeux pour croiser les siens. J'apprécie beaucoup la Mikasa que j'ai appris à connaître, même si pour l'approcher il faut prendre quelques coups.
La jeune femme sent de la chaleur poindre sur ses joues à cause du compliment. Son regard dévie brièvement sur la cicatrice que porte son compagnon, preuve qu'il n'exagère pas. Elle esquisse un sourire en fuyant les deux billes bleues qui la fixent.
— Merci... Lâche-t-elle dans un souffle, un murmure.
Malgré tout, Mikasa n'a pas exprimé toutes les raisons de sa reconnaissance envers la grande sœur du soldat Ralle. Dans l'absolu, ce n'est pas son sacrifice pour protéger Eren qui est à l'origine de ce sentiment, pas seulement. Elle retourne à Thomas et voit qu'il fixe de nouveau la tombe. La brune ouvre la bouche pour dire quelque chose, elle voudrait remercier Petra d'avoir tant participé à ce que Thomas soit le jeune homme qu'il est aujourd'hui, mais aucun son n'en sort.
— J'aimerai passer voir ma mère qui n'habite pas loin. Tu... M'accompagnes ? Demande-t-il soudainement.
— Euh...
Mikasa est prise de court. Peut-elle vraiment reculer devant cette proposition ? Est-ce qu'il veut la présenter officiellement ? Elle panique.
— ...D'accord. Accepte-t-elle. Comment ça s'est passé avec monsieur Müller ? Demande-t-elle ensuite pour changer de sujet et donc éviter de penser à toute cette pression qui pèse soudainement sur ses épaules.
— Je sais pas trop... D'un côté ça m'a soulagé, de l'autre avec tout ce qu'il m'a dit je me pose plus de questions qu'avant. Répond Thomas.
Il soupire puis entame leur marche vers la maison dans laquelle il a grandi.
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Les habitudes de la caserne ont la peau dure et c'est pour ça qu'ils ne se tiennent pas la main ni le bras en marchant, de toute façon Mikasa porte un uniforme et ça ne serait pas très distingué de laisser de tels débordements affectifs se montrer sous l'oeil déjà méfiant des civils à l'égard du bataillon.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
— Il m'a raconté comment il a connu ma mère. J'avais peur que ce soit une sale histoire, mais en fait non. Il l'a rencontrée quand il avait notre âge et était fou d'elle mais elle ne l'aimait pas en retour. Plusieurs années après elle était perdue dans sa vie et il a été là pour la « réconforter » puis me voilà. Résume-t-il grossièrement.
— Alors, tout va bien..? Interroge la jeune femme parce qu'elle ne saisit pas grand-chose pour l'instant enfin... Elle ne comprend pas ce qui turlupine son conjoint.
— Oui, en vrai oui. C'est grâce à lui si je suis soldat.
— Uh ? S'étonne-t-elle.
— Je ne crois pas te l'avoir déjà dit, mais pendant les trois ans d'entraînement j'étais vraiment mauvais, pas au point qu'ils aient essayé de me virer de force, mais j'étais un peu en dessous du niveau demandé. Il a fait en sorte que j'ai tout juste les notes pour terminer mes trois ans et m'engager dans un corps d'armée.
— Je vois... Il a eu raison. Affirme-t-elle.
Difficile de conclure autre chose. C'est même étonnant pour elle d'apprendre ça en sachant qu'il a tenu tête à la division centrale par deux fois puis a toujours montré un bon niveau de maîtrise de l'équipement tridimensionnel depuis qu'elle a le loisir de le regarder s'entraîner ou se battre.
— Oui sûrement...
En vérité il ne le montre pas mais il est déçu par cette discussion qu'il a eu avec Erik Müller. S'il devait faire un bilan à chaud sans avoir pris de recul il dirait que, en plus de ne pas l'avoir tellement avancé et de poser plus questions qu'il ne se posait déjà, il a plus perdu que gagné. Cette ébauche d'égo faiblard qu'il commençait à se forger en prend un sacré coup. Oui, en soit il peut remercier monsieur Müller et Lise de lui avoir permis de devenir soldat — en témoignent ses prestations récentes — mais il en vient à se demander s'il est vraiment doué de détermination et de combativité.
Et puis Lise... Est-ce que leur amitié a été sincère au moins pendant un court moment ces trois dernières années ? Il s'imagine soudainement comme elle devait être dégoûtée de remplir cette mission, il devait être si pitoyable à ses yeux...
Thomas se ressaisit et remarque que Mikasa l'observait. Sûrement que la négativité qui se dégage de ses conclusions hâtives se lisait sur son visage ou qu'un silence un peu long s'était installé.
— Avec le recul je sais très bien que, sans ça, il y a pas mal de choses que je n'aurai pas aujourd'hui mais...
— Mais ?
Il soupire, décidant de ne finalement pas parler une nouvelle fois de son problème de confiance en soi.
— Il m'a dit quelque chose comme « Dans notre famille nous avons un talent inné » et je ne sais pas trop ce qu'il voulait dire par là. Confie le jeune homme.
Mikasa ne voit pas non plus, elle baisse la tête en réfléchissant. Elle est très bien placée pour savoir qu'il n'y a pas que les titans qui sont entourés de mystères. Les Ackerman, l'ethnie asiatique, la famille Reiss... Il y a sûrement beaucoup d'autres maisons aux origines antiques ou aux capacités incroyables qui peuplent ces murs, ça ne serait pas impossible que la famille Müller fasse partie de celles-ci.
— Enfin bref... Soupire le jeune homme.
Les amants commencent à descendre cette longue rue au bout de laquelle se trouve la maison où Thomas a grandi. Alors qu'ils approchent, le soldat Ralle doit faire face à une vision bien trop familière et quotidienne pour être serein. Il regarde autour de lui et dévisage les passants à la recherche du moindre signe qui lui permettrait de savoir s'il se trouve dans la réalité ou dans un cauchemar.
Mikasa remarque qu'il s’agite, le voir nerveux et tendu est un fait assez rare pour que ça soit mauvais signe.
Il redoute vraiment ce moment où sa mère voudra leur offrir une tasse d'une infusion quelconque. Il a peur que là, tout de suite, ils se trouvent dans l'un de ses mauvais rêves et qu'il va se réveiller d'un moment à l'autre. C'est pour ça que Thomas a le réflexe d'agripper le bras de sa brune dès que la porte d'entrée est en vue.
Elle lève vers lui un regard inquiet et interrogateur.
— Dis-moi, on est bien dans le monde réel hein ? Demande-t-il en fixant la porte, sa peur lisible sur son visage.
— Que...
— T'es vraiment avec moi, ici ?
Le jeune homme fixe cette façade avec appréhension. Elle ne sait pas quoi répondre ni quoi faire mais ces questions étranges piquent au vif sa curiosité.
Thomas s'avance et frappe à la porte après avoir pris une profonde inspiration. Celle-ci s'ouvre et une femme d'âge mûr apparaît.
— Tom ! S'écrie-t-elle avec un bonheur lisible sur son visage très légèrement ridé.
Elle le dévisage pendant une seconde puis remarque qu'il n'est pas seul. Deux choses la frappent lorsqu'elle détaille rapidement la jeune femme qui l'accompagne : elle porte un uniforme et ses cheveux tout comme ses yeux ont une teinte caractéristique qu'elle connaît bien, trop bien.
— Deux visites en moins d'un mois, tu ne t'es pas encore blessé j'espère...
— Non maman, tout va bien. Rassure-t-il avec un petit sourire.
Teresa soupire, soulagée.
— Mais pardon, j'en oublie les bonnes manières.
Madame Ralle centre son attention sur la jeune femme et lui sourit poliment. Mikasa est totalement intimidée, elle reste muette alors que Teresa attend de savoir son nom.
— Je te présente Mikasa Ackerman. Nous avions une mission à remplir pas loin d'ici, je l'ai forcée à m'accompagner avant qu'on ne reparte pour Trost. Raconte Thomas pour lui venir en aide, après avoir vu la détresse dans son regard.
A l'évocation de ce nom Teresa a une sorte de grimace qu'elle réprime aussitôt puis arbore un sourire franc et accueillant.
— Enchantée.
— Je suis enchantée aussi de vous rencontrer madame Ralle ! Mikasa parle avec précipitation, son regard est fuyant et ses pommettes se colorent légèrement.
Elle ne sait pas si elle doit faire quelque chose, s'il y a un protocole particulier pour saluer la mère du jeune homme avec qui elle est en couple. Mais est-ce qu'il va le lui dire ? Est-ce qu'ils vont devoir officialiser aujourd’hui et maintenant ? Si oui, sera-t-elle acceptée ? Sans doute que non si ses manières ne sont pas assez distinguées...
Madame Ralle est amusée par la panique qui se lit dans l'expression de la brune le temps de capter cette nervosité qui ne lui dit rien qui vaille, d'autant plus en voyant qu'elle s'agrippe au vêtement de Thomas, dans son dos. Elle se voit plus de vingt ans plus tôt lorsque Marcus l'a présentée à ses parents. Cette Mikasa et son fils seraient-ils..?
Le regard de Thomas tombe sur sa compagne et celle-ci semble perdue dans ses pensées. C'est vrai qu'il ne s'est pas mis à sa place et aurait dû penser au fait que cette rencontre a un sens très particulier...
— Entrez je vous en prie, je vais vous faire une tisane. Dit-elle en tournant les talons pour déjà s'affairer en cuisine.
Thomas fait signe à Mikasa d'entrer avant lui, ce qu'elle fait. Une fois à l'intérieur elle balaie rapidement les lieux du regard et ça lui donne une sensation étrange.
Brièvement elle se souvient de la maison des Jäger. L'aura des lieux, les odeurs, l'absence d'objets et meubles à caractère militaire, la disposition de la pièce de vie... Ça ne ressemble pas exactement aux maisons dans lesquelles elle a habité autrefois mais il y cette même ambiance, cette même impression d'endroit familial où on se sent tout de suite choyé, entouré d'un voile chaleureux et rassurant.
Cela fait plusieurs années qu'elle a perdu son premier puis son second foyer, ça lui fait forcément un choc de retrouver ne serait-ce qu'un peu cette sensation d'être retournée dans un lieu d'habitation où le bruit ambiant n'est pas chargé de cris, ordres et autres sons caractéristiques d'une caserne. L'eau qui bout, les roues des charrettes qui se choquent sur les pavés irréguliers à cause des trous dans la rue, un groupe d'enfants qui jouent et qui passent devant la maison...
La jeune homme ferme la porte puis pose une main sur son bras, ce qui la tire de ses pensées. Elle lève les yeux vers lui et remarque qu'il lui sourit. Thomas désigne la table au milieu de la pièce pour l'inviter à s'assoir.
Ils s'installent face à face et attendent patiemment.
— Ton bras va mieux ? Demande la mère de famille qui est toujours de dos à préparer l'infusion.
— C'est presque guéri mais j'aurai une belle cicatrice. Répond-t-il.
— Bien, alors maintenant tu peux me dire comment tu t'es fait ça ?
Thomas reste bloqué la bouche ouverte, pris de court. Il sent le regard inquisiteur de Mikasa se poser sur lui : elle aimerait bien le savoir aussi. La brune sait qu'il a récolté cette vilaine plaie en se faisant poursuivre par la division centrale dans les rues de Trost mais elle n'a aucun détail. Il se sent coincé, il doit rapidement trouver une raison aussi crédible que fausse pour éviter de trop inquiéter sa mère.
— A l'entraînement. J'ai mal négocié un mouvement et je me suis écrasé au sol, mon bras a ripé sur l'une de mes lames. Ment-il.
Vu la tête de la jeune femme qui lui fait face, il sent qu'elle n'apprécie que moyennement ce mensonge et lui réserve un interrogatoire en règle une fois qu'ils seront parti d'ici. C'est pourquoi il lui sourit avec un air désolé en désignant sa mère d'un signe de tête, pour essayer de lui faire comprendre qu'il préfère mentir pour éviter que Teresa s'inquiète.
— Je vois. Elle se retourne et regarde la jeune femme silencieuse. D'où viens-tu Mikasa ?
Cette dernière sursaute quand elle comprend que l'on s'adresse à elle, après une seconde de flottement.
— Shiganshina, madame. Répond-elle avec la même précipitation.
Teresa ne répond pas puisqu'elle est occupée à couper un citron en deux avant de le presser au dessus de l'eau bouillante. Elle ajoute ensuite quelques clous de girofle.
Lorsqu'elle se retourne, elle prend son fils à observer la jeune femme avec un regard très particulier puis remarque cette même lueur dans celui de Mikasa. Ils se sourient et semblent même communiquer sans parler puisqu'elle acquiesce lentement, ce à quoi répond son fils par un haussement d'épaules puis un autre sourire.
— Voilà pour vous : citron et clous de girofle. Annonce Teresa en déposant une tasse devant chacun.
— Merci. Disent-ils en chœur.
— Tu étais dans le même bataillon d'entraînement que Thomas ? Demande encore la mère du jeune homme.
— Non, euh... Elle se tourne vers son compagnon, un peu paniquée puisque Teresa Ralle focalise son attention sur elle.
— Elle est dans le bataillon d'exploration depuis plus longtemps que moi, de quelques semaines je crois. Complète Thomas.
Mikasa hoche exagérément et répétitivement la tête pour confirmer lorsque Teresa lui lance un nouveau regard.
Le jeune homme se penche lentement vers sa tasse pour en regarder le contenu. Il serre les dents, redoute ce moment où il apercevra la couleur et l'épaisseur du liquide brûlant. Mikasa le regarde faire et voit tout le soulagement qu'il ressent une fois que ses yeux ont atteint leur but. Elle a beau chercher dans ses souvenirs de tous ces petits-déjeuners qu'ils ont pris à la même table, elle ne l'avait jamais vu autant redouter une boisson chaude.
Ses doigts sont crispés autour de la tasse et il baisse ensuite la tête vers son ventre qu'il tâte rapidement d'une main avant de soupirer, rassuré. Sans réfléchir, par réflexe, la jeune femme tend une main pour la poser sur l'avant-bras de son amant pour attirer son attention. Ce dernier sursaute et lorsqu'il lève les yeux elle peut y voir succinctement une peur qui s'évanouit rapidement.
Thomas sourit maladroitement pour répondre à la question que lui pose Mikasa, juste avec les yeux. Oui il va bien, mais il a été effrayé de devoir faire face à cette scène qu'il vit pratiquement quotidiennement dans ses cauchemars.
La confirmation est là, ils sont vraiment dans le monde réel et Mikasa est bel et bien avec lui.
Teresa les observe, elle les dévisage tous deux et mesure leur complicité flagrante, leur façon de veiller l'un sur l'autre, leur inquiétude réciproque. La réflexion va alors un peu plus loin : sont-ils amoureux l'un de l'autre sans oser se l'avouer où sont-ils des amants qui se font discrets ?
Son fils l'a présenté comme une camarade, même pas comme une amie. Pourquoi l'amener ici s'il n'est pas certain lui-même de ce qu'il ressent ? Est-ce qu'il veut lui présenter une femme pour avoir son avis mais sans se mouiller ?
Teresa soupire, elle n'était pas prête à ça, elle aurait préféré que ce soit dans un contexte plus normal. Si tous deux n'étaient pas membres de ce foutu bataillon d'exploration synonyme de sacrifice et d'espérance de vie limitée, ce serait déjà une amélioration. Mais elle s'en rend compte en les détaillant l'un après l'autre : ils n'ont que quinze ans mais leur regard, leurs traits marqués... Ils font plus vieux. Sans nul doute que cette maturité acquise dans la douleur et le drame a aussi fait vieillir leur état émotionnel.
La mère de famille peut voir la main de Mikasa être rejointe par celle de son fils qui continue de lui sourire pour la rassurer et elle hoche doucement la tête sans toutefois le quitter du regard.
— Je vois... Vous ne comptez pas rester j'imagine ? Demande-t-elle pour réagir à la réponse de Thomas quelques instants plus tôt.
Ils retirent immédiatement leurs mains en entendant la voix de madame Ralle, comme s'ils l'avaient oubliée pendant un instant.
— Non, on a fait une petite digression mais nos supérieurs attendent un rapport.
Chose étrange, Teresa aimerait s'approcher de son fils et lui donner un peu d'affection, lui dire qu'il a beaucoup changé, qu'il n'est plus le petit garçon qu'elle a connu, qu'elle est fière de lui mais certaines choses l'en empêche. Marcus n'est plus là mais ces années d'habitude et de regrets ne s'effacent pas en un clin d’œil. Puis cette Mikasa fait barrage, elle ne se l'explique pas mais il y a quelque chose qui lui interdit de le toucher, comme une aura surnaturelle qui agit telle une barrière.
Quand Petra était encore là c'est elle qui créait cette sorte de bouclier protecteur autour de lui et qui interdisait à quiconque de le franchir, il était son bébé, sa merveille. Aujourd'hui ça vient d'une autre. Mais est-ce fondé, est-ce réel ? Peut-être qu'elle se fait juste des idées et se trouve n'importe quelle excuse pour justifier tout ce qu'elle a raté en tant que mère.
Mais l'inquiétude se dirige plus vers son fils. A peu de choses près il a grandi sans parents réellement présents et c'est sûrement pour ça qu'aujourd'hui il recherche un réconfort maternel dans sa moitié en voyant comme Mikasa est protectrice et attentionnée.
— Maman..? L'appelle Thomas qui la voit rester bloquée, plongée dans ses pensées.
— Oh oui pardon, j'essayais de me rappeler ce qu'il faudra que j'achète au marché. Ment-elle mais ça a l'air de faire illusion. Mais montre-moi ton bras tu veux ?
— Je t'ai dit que ça va... Proteste-t-il avec douceur.
— Hep ! Ne discute pas. Ils pourraient prendre plus soin de vous dans ce bataillon... Râle-t-elle.
Thomas ne discute pas plus et retrousse sa manche. Dans le même temps sa mère se lève puis attrape une petite boîte métallique qu'elle ouvre pour se saisir de bandages. Elle s'approche du soldat et retire le tissu qui recouvre son bras. Ce n'est pas très beau mais c'est refermé.
Mikasa les regarde tous les deux. Elle trouve du réconfort dans sa boisson chaude qu'elle boit rapidement en étant soudainement gênée de les observer alors que ce moment leur appartient. Toutefois, elle n'est pas vraiment triste en se rappelant que plus jamais l'un de ses parents ne s'inquiètera pour elle ni ne s'empressera de soigner le moindre de ses petits bobos. Thomas lui apporte cette attention et ça la rend même heureuse de s'en rendre compte.
— Ça m'a l'air propre. Commente Teresa qui ausculte la cicatrice qui est en train de se former lentement mais sûrement.
— Il faut encore que je fasse attention à ne pas trop solliciter mon bras mais je ne suis plus handicapé. Ajoute Thomas.
— Bien, tu pourras m'écrire comme ça. Dit-elle avec un ton de reproche.
— D'accord... Répond le jeune homme.
Elle s'affaire ensuite à entourer cet avant-bras d'un bandage puis lui laisse la liberté de remettre sa manche en place.
— On va devoir y aller... Dit monsieur Ralle.
— Oui-oui bien sûr... Préviens-moi la prochaine fois, que je puisse te donner ce que je t'ai promis.
Il répond positivement d'un signe de tête.
— Merci pour la tisane madame Ralle. Remercie solennellement Mikasa.
— De rien, c'était un plaisir de te recevoir. On se reverra sans doute bientôt.
La jeune femme aux cheveux bruns ouvre grands ses yeux en comprenant ce qu'elle insinue. Thomas fait un pas vers sa mère pour embrasser sa joue puis ils sont raccompagnés vers la sortie.
Quand la porte se referme Thomas soupire un grand coup, avant qu'ils se mettent en chemin vers le moyen de transport qui les emmènera à Trost. Mikasa reste silencieuse et avance en regardant le sol devant ses pieds, chamboulée par ce qu'il s'est passé dans cette maison.
— J'avais oublié ce que c'est que d'avoir des parents qui attendent sur le pas de la porte... Laisse échapper la jeune femme après un silence d'une bonne minute.
Thomas lui lance un regard mais ne dit pas un mot.
— Merci de me l'avoir rappelé... Ajoute-t-elle en reniflant.
Elle se fait arrêter par son compagnon qui comprend qu'elle ravale des larmes.
— Mikasa..? Appelle-t-il pour croiser son regard.
Elle lève les yeux vers le brun mais s'en détourne aussi vite. Thomas se plante alors devant elle puis, d'un geste doux, relève son visage après avoir placé son index sous son menton.
Sa faiblesse se dévoile aux yeux du soldat Ralle. Il lui sourit tendrement en retour puis l'attire dans ses bras où elle se réfugie volontiers.
Peu importe son habitude de cacher ses émotions en public, peu importe sa timidité et sa réserve, peu importe que des civils voient ainsi un soldat, peu importe tout, en fait. Il y a quelques temps elle était là pour lui après un drame, aujourd'hui c'est elle qui a besoin de ses bras pour s'y réfugier même si les circonstances sont beaucoup moins déchirantes.
Il y a encore deux semaines elle pensait qu'il ne serait jamais là pour elle quand elle en aurait besoin. Pourtant, ce sont bien ses bras qui l'entourent en cet instant, c'est bien son odeur et sa chaleur qu'elle perçoit.
— Moi aussi je veux juste survivre à cette guerre, me marier, fonder une famille et vivre paisiblement. J'aimerai que mes enfants aient une vie joyeuse et que, une fois grands, les rares fois où ils viendront dans leur maison familiale ils trouvent leurs deux parents aimants, pour retomber en enfance le temps d'une tisane, le temps d'un après-midi... Confie Mikasa qui enfouit son visage dans le creux du cou de son conjoint.
Ses mots touchent le jeune homme qui comprend à ce moment précis qu'ils partagent ce même rêve. Est-ce le signe annonciateur et salvateur qu'ils le réaliseront ensemble ? C'est ce qu'espère Thomas au fond de lui. Il colle sa tête contre celle de la jeune Ackerman puis expire lentement.
Mikasa ne peut s'empêcher d'essayer de se projeter plusieurs années en avant en se mettant à la place de madame Ralle. C'est un idéal qui semble si loin, si impossible, si inatteignable mais elle veut y croire.
Accrochée à lui, les battements du cœur de Thomas cognent contre sa cage thoracique dans le creux de sa main et c'est ce son régulier qu'elle remercie. Elle voulait devenir pour lui ce qu'Eren est pour elle mais c'est l'inverse qui s'est passé et elle s'en rend compte. La jeune femme avait remercié Eren de lui avoir montré comment vivre sa vie, comment se battre, d'avoir insufflé en elle cette combativité. Aujourd'hui monsieur Ralle lui a donné une raison à tout cela, une raison de survivre, une raison de poursuivre le combat, une raison de continuer à avancer. Il lui a réappris à rêver et à espérer.
N'est-ce pas un sauvetage qui vaut celui qu'il a fait à Trost ?
[ Le soir-même - Caserne du district de Trost ]
L'astre solaire mourant terminer de disparaître à l'horizon pour laisser la nuit recouvrir cette partie du monde quand trois coups résonnent contre la porte.
Hanji, qui a les pieds croisés sur son bureau, se frotte les yeux puis s'étire avant de prendre une pose plus professionnelle et accueillante.
— Oui, entrez ! S'écrie-t-elle.
Deux soldats s'avancent dans la pièce et présentent immédiatement leurs respects.
— Ah, vous voilà ! Alors ? Demande Hanji qui les dévisage.
Thomas ne sait pas vraiment pas où commencer. Il s'éclaircit la voix.
— Je n'ai pas appris grand-chose de très intéressant... Vous saviez sûrement déjà tout ce qu'il m'a raconté, à quelques détails près. Annonce-t-il.
— Je vois... Tu as certainement appris pour l'implication de Lise Niso ?
Le jeune homme hoche la tête.
— Bon... L'interrogatoire sera sûrement plus fructueux mais au moins tu connais la vérité maintenant.
Le soldat Ralle ne sait pas quoi répondre. Le récit de monsieur Müller ne manquait pas de crédibilité ni de sincérité à son sens mais il a cette curieuse impression qu'il manque quelque chose, une information cruciale qui change la donne.
— Il y a juste une chose...
— Hein-hein ? S'impatiente Hanji qui se penche en avant pour mieux regarder son subordonné sur le point de révéler quelque chose qui pourrait satisfaire sa curiosité débordante.
— Il m'a dit quelque chose comme « dans notre famille nous avons des prédispositions, un talent inné » ou quelque chose comme ça. Je n'ai pas vraiment compris.
Pour le coup l'officier fronce et semble même préoccupé. Même chose pour Mikasa qui dévisage son amant en se répétant cette citation, à la recherche d'une réponse.
— Mmmmh...
Le silence s'installe pendant une seconde et les deux soldats restent pendus aux lèvres du capitaine.
— J'en parlerai avec Erwin quand il sera rentré. En attendant, merci pour ce que tu as fait Thomas, j'imagine que ça n'a pas été facile. Maintenant nous pouvons préparer la reconquête du mur Maria. Termine Hanji.
Thomas et Mikasa effectuent un salut militaire puis tournent les talons.
Lorsque la porte se referme, Hanji se laisse tomber en arrière dans son fauteuil et se masse vigoureusement les tempes en pensant à cette phrase mystérieuse.
— Erwin, quel pari fou as-tu encore fait... Dit-elle pour elle même.
Thomas et Mikasa sont l'un contre l'autre, recouverts d'un drap blanc qui s'arrête à leurs hanches. Leurs bustes nus laissent imaginer leur nudité, sûrement totale à en juger par le nombre de vêtements qui jonchent le sol. Ils soupirent tous deux et essayent de calmer leur souffle agité.
De dos et collée à lui, la jeune femme prend la main de son amant et l'amène contre sa poitrine pour enfin entrecroiser leurs doigts.
Thomas peut sentir les battements du cœur de sa partenaire, encore affolé par ce qu'ils viennent de partager. Il inspire profondément, hume l'odeur de ses cheveux et sa peau avec délice puis expire lentement en profitant de cet instant où tous ses problèmes et toutes ces choses qui hantent son esprit ont disparu pour ne laisser place qu'au bonheur de ce moment de tendresse.
La brune sourit en soupirant à son tour pour exprimer son contentement d'être dans cette position, nue et entourée de ces bras aimants et attentionnés. Les commissures de ses lèvres s'étirent d'autant plus quand elle repense au fait qu'ils ont dû se faire violence pour ne pas courir jusqu'à cette chambre, pour libérer ce désir qui les consumaient depuis leur départ de Karanes. Par chance ils sont arrivés à la caserne au moment où tous leurs camarades prennent leur repas au réfectoire, une aubaine.
Elle sent que le jeune homme gigote quelque peu puis que le bout de son nez se faufile entre les quelques mèches de cheveux qui couvrent son oreille jusqu'à l'effleurer. Ses lèvres s'invitent ensuite et il mordille délicatement le lobe qui s'offre docilement à ses dents. Mikasa frissonne à cette attaque qui est pour elle une provocation et jette un regard interrogateur par dessus son épaule à ce brun malicieux pour en deviner les intentions.
— Thomas... Murmure-t-elle avec un ton faussement réprobateur.
Il sourit de façon insolente avant de se dresser sur son coude. Il dépose ensuite ses lèvres sur l'épaule de la jeune femme.
— J'ai quelque chose pour toi. Prononce-t-il ensuite.
— Uh ?
Thomas se tourne pour tendre la main vers la pile de vêtements au pied du lit. Il lui faut une bonne minute pour trouver ce qu'il chercher et, quand c'est fait, revient à elle.
— Assied-toi et ferme les yeux. Requiert-il.
Elle s'exécute après avoir pris soin de couvrir sa poitrine à l'aide de la couverture.
Le jeune homme se saisit de sa main gauche et la tire lentement jusqu'à poser son bras tendus sur le matelas. Mikasa se concentre pour essayer de deviner ce qu'il prépare quand elle sent quelque chose qui passe autour de son poignet. L'instant suivant les doigts de Thomas s'affairent à faire un solide nœud.
— Voilà. Dit-il pour l'autoriser à ouvrir les yeux.
La brune ne perd pas une seconde pour lever son bras à hauteur de ses yeux et découvre avec surprise ce bracelet fait de cuir noir tressé. Ses yeux sombres se mettent à briller.
— Je voudrai m'excuser pour l'autre jour. Affirme le jeune homme, nerveux parce qu'elle pourrait ne pas aimer ce qu'il lui offre.
Mikasa se saisit doucement de ce présent entre son index et son pouce pour le faire tourner autour de la base de sa main pour que le nœud disparaisse sous celle-ci. Elle capte ensuite le regard de son amant et affiche un grand sourire.
On ne lui avait jamais offert de bijou et bien qu'elle n'en raffole pas, c'est le geste, l'intention et la symbolique qui lui plaisent avant l'esthétisme de ce petit objet.
Sa pulsion première serait de se jeter à son cou tant elle est heureuse de ce recevoir cette marque de son affection mais en évoquant cet « autre jour » il lui a rappelé que cette histoire avec Kyle Grandt n'est toujours pas réglée.
— Promet-moi une chose.
— Mh ?
Elle fixe encore ce bracelet, continue de le faire tourner autour de son poignet, puis soupire avant de plonger ses yeux sombres dans le bleu de ceux du jeune homme avec un air sérieux, autoritaire même.
— Ne laisse plus jamais quelqu'un te parler comme ça.
Ce regard qu'elle lui lance, cet ordre qu'elle lui donne... Il se sent vulnérable et incapable de la contredire, l'idée même d'aller à l'encontre de la requête qu'elle formule ne traverse pas son esprit. Thomas acquiesce, poussé à prêter ce serment par un sentiment plus profond et inné que la soumission.
— Bien reçu. Dit-il.
Elle soupire à nouveau puis sourit.
— Merci beaucoup, pour ça. Prononce la brune qui désigne son petit cadeau avec un petit sourire, sincèrement satisfaite et touchée par cette petite attention.