L'Ode à la liberté [Livre I]
Chapitre 40 : Pensée abstraite - Part I
1946 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 06/08/2021 18:22
Glissant sa main dans celle de son amie, entrelaçant ses doigts dans les siennes, conscient de ce geste équivoque, Eren resserra son étreinte.
La chaleur que dégageait sa paume apportait du réconfort pour l’exploratrice. Une décharge électrique se propageait à la vitesse de la lumière dans ses veines, brûlant l’épiderme de ses joues - créant un feu d’artifice au creux de son cœur.
Baigné dans la verdure, le jeune Titan se demandait si cette action était purement protectrice - ou bien une manière pour lui, de se préserver face à l’aura menaçante qui s’avançait dangereusement vers eux. La seule chose dont il était certain, c'est qu’ils l’affronteraient ensemble, quoi qu’il advienne.
Un tableau qui amusait la belladone, lâchant un petit rire sarcastique. Elle salua poliment son ancien camarade, ne pouvant s’empêcher d’observer ces deux marmots d’un mauvais œil, bras croisés.
— Moi qui pensait naïvement que tu serais seul.
— Visite purement professionnel. Erwin regarda à son tour ses subalternes, puis reprit, J’espère que ta rencontre avec le jeune Jäger, peut lui raviver certains souvenir.
Moqueuse, Jane arqua un sourcil. Une expression soudainement suspicieuse, elle désigna d’un mouvement de menton, le soldat lui servant de fille.
— Indispensable pour mener à bien nos missions.
Instinctivement, Eren fit obstacle entre Æsma et sa mère quand cette dernière s’approcha d’eux. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de scruter ce visage ferme et fielleux à l’égard de son enfant.
Comportement qui divertissait au premier abord la belladone - cachant vraisemblablement son dégoût et irritation que quelqu’un puisse porter une quelconque attention à son avorton non désiré.
— peut-être devrions-nous discuter en tête-à-tête, intervint le Major, attrapant le poignet de Jane - légèrement surprise par ce geste. Je suis prêt à collaborer.
Une réponse satisfaisante et non dissimulée pour son ancienne conquête, toujours une myriade d’idée derrière la tête.
Témoin de la scène, Æsma, quasi prise au dépourvu, préféra hasarder son regard ailleurs - et quoi de mieux que de trouver refuge à travers ces deux émeraudes.
— Ne sois pas si pressé Erwin. Maintenant que ce charmant jeune homme ait mit les pieds dans mon domaine, j’aimerais apprendre à le connaître également, dit-elle - contrariée par la promiscuité entre ces deux adolescents en pleine perdition. Elle s’avança auprès du jeune Titan, un sourire carnassier. Eren Jäger.
Les poils du brun se hérissèrent à la prononciation de son nom. Yeux dans les yeux, tombant dans un précipice d’une profondeur incommensurable, il ravala sa salive - le liquide traversant difficilement le long de son œsophage. Difficile de reprendre son souffle quand le serpent avait déjà capturé sa proie. Étonnement, il parvint à se dégager aisément de son étreinte, lui tendant une main que le reptile accepta volontiers.
— Aussi déterminé que ton père, souligna la vipère, percevant la même agressivité dans ces émeraudes - si ce n’est plus. Remarquant la détresse dans ses yeux, madame Traum continua sur un ton caustique. Quelle tristesse. Aucun souvenir ne surgit des tréfonds.
— Vous connaissiez mon père. Pourquoi ? Comment ? Argua ce dernier.
Elle savait. Elle savait que sa mère aimait attiser et jouer avec la douleur d’autrui. Remarquant qu’il lui était impossible de temporiser la colère qui l’animait à chaque fois que quelque chose le tourmentait, Æsma attrapa Eren par l’épaule, implorant avec ses deux billes vertes, de ne pas s’enflammer.
— Patience mon garçon, ajouta la dame de ces lieux - braquant son regard d’ébène sur son ami d’enfance. Vous m'avez l'air tous exténués. Si nous en discutions autour d'une bonne tasse de thé.
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Le dernier à traverser la grande porte en bois massif et sculpté, dont les encadrements étaient dorés, le jeune Titan déglutit péniblement, réalisant qu’il pénétrait dans un univers à part, loin des premiers dangers qui terrorisaient le peuple en ligne de mire. Un monde qu’il ne connaissait pas et n’aurait jamais pensé connaître dès lors qu’il avait pris la décision d’intégrer le Bataillon d’Exploration.
Impossible de ne pas être pris d’admiration à l’intérieur de cette pièce respirant le luxe.
Une cheminée surplombait la salle de séjour. Sur le socle, une femme à la longue chevelure - façonnée dans de la pierre blanche - faisait office de jambage de chaque côté portant les corbeaux reliés par le fronton, supportant le linteau entier. Ces mêmes femmes semblaient être prises au piège par une étrange créature, l’enlaçant de ses multiples tentacules. La hotte était également ornée par trois portraits. Le soldat Jäger reconnu sans grande difficulté, les trois déesses qui protégeaient les remparts de chaque mur.
La maîtresse de ses lieux proposa à ses invités de s’asseoir - s’installant dans le fauteuil en velours et matelassé - teinté d’un gris profond - près l’âtre. Le Major accepta sans broncher, utilisant le second fauteuil de disponible. Les deux adolescents prirent place sur le canapé face au foyer, ayant le choix de garder une certaine distance, mais Eren préférait être au plus proche de sa camarade.
Jetant un coup d’œil furtif sur son amie, le brun continua d’analyser le salon. Le sol en bois parfaitement ciré, était garnie d’un grand tapis carré à motif ornemental, conservant un somptueux monochrome de gris. Le plafond lui aussi garantissait un visuel fantasmagorique, doté d’une peinture où des femmes aux longs cheveux blonds coiffés d'un chignon, en armure, armées d’un casque et d'une lance, chevauchèrent leur monture ailée dans les cieux.
Le temps d’admirer les travaux artistiques de l’artisan occupé à parfaire les lieux, un domestique s’occupait du service, offrant à chacun du thé, disposé sur la table basse au centre du mobilier.
— Ma rencontre avec Grisha Jäger… Nous nous sommes rencontrés par le plus grand des hasards lors d’un festival. Jane marqua une pause, croisant ses bras, se lovant confortablement dans le fauteuil, les yeux fixés au plafond - trifouillant dans les réminiscences d'un événement particulier. C’est ça. J’avais fraîchement intégré les Brigades Spéciales et je patrouillais avec mes collègues. Chacun de notre côté, nous allions de stand en stand, guettant que tout se déroulait sans accroc, en nous fondant à merveille dans la foule. Bref… Je décide de prendre une pause en allant m’abreuver dans un bar - fréquenté majoritairement par des soldats appartenant à la première division.
Eren gardait ses écoutilles grandes ouvertes, buvant de son plein gré les paroles de la belladone.
— Fin de journée, la plupart avait déjà un bon coup dans le nez. Simple témoin au départ, je voyais un homme brun, à lunette, essayé de payer des pots-de-vin aux brigadiers. Le malheureux s’était frotté à des hommes, loin d’être né de la dernière pluie. L’un d'eux était Djer Sanes en personne. Une fois n'est pas coutume, le soldat sous-entend qu'il pouvait l’aider. L’aider pourquoi je ne le savais pas encore à l’époque. Cette scène, dont j'avais été témoin, était loin d'être anodine. Qu’est-ce qu'un médecin de son envergure pouvait bien faire à la capitale, surtout dans un endroit côtoyer par la haute sphère, soudoyant des soldats, à la recherche d'information sensible. Piqué d'une curiosité dévorante, j'ai décidé de les suivre…
Attentif, le Major mesurait chaque mot employé par son ancienne camarade de promotion, attendant avidement la suite de l’histoire - tout comme l’explorateur.
Le garçon tripota la clé servant de pendentif accroché au cordon en cuir - autour de son cou. L’image qu’il s’était faite de lui, changeait drastiquement lorsque Jane Traum dressait son portrait - surtout en mettant bout à bout sa vision dans la cave souterraine. Un fardeau plus qu'un héritage…
Toujours concentré sur le récit qui suivait son cours, Eren notait que Grisha s’était fait prendre par madame Traum à plusieurs reprises, que le soldat - après plusieurs mois de recherche - se décida à se confronter à lui, cherchant également des réponses. C’est ainsi qu’ils commencèrent à s’échanger des informations plus ou moins confidentielles.
La famille Wächer appartenait au cercle restreint, mais comme les Ackerman, avaient décidé de manière plus discrète de se retirer de la cour des grands, ne partageant plus les connaissances acquises au fil des années. Cependant, Jane Traum sous-entendait que les documents originels se promenaient encore - un peu partout sur l’île.
Les yeux rivés depuis une éternité sur la tasse en porcelaine, toujours remplie de son liquide brunâtre, répandant une petite odeur épicée dans sa voie nasale, Æsma se perdait dans le méandre de ses pensées obscures - n’écoutant plus la conversation de la plus haute importance qui suivait son cours.
Son regard se posa sur les statues supportant les aléas de la vie. Si seulement elle pouvait en faire autant… La blondinette revint soudainement à la réalité lorsque l’on saisit sa main.
Interloquée, elle observait le lunatique de première catégorie, dont le comportement avait brusquement changé depuis hier. Toutefois, même si sa raison souhaitait le fuir quelques instants, son corps quémandait l’inverse, rêvant de se faufiler à nouveau dans ses bras, ressentir ses lèvres effleurer sa peau.
— Æsma, appela Eren - préoccupé par son mutisme.
— Hein ?
D’un simple mouvement de tête, le brun lui signala que les adultes attendaient une réponse. Quelle réponse ? Se grattant la joue, les pommettes de la demoiselle se teintèrent, feintant de réfléchir.
— La bibliothèque, répéta Erwin - conscient que sa subalterne n’avait pas été attentif depuis le début.
Néanmoins, la gamine comprit immédiatement de ce qui en découlait et se leva instantanément - prête à quitter la pièce.
— Eren, j’aimerais que tu l’accompagnes.
Le concerné regarda bouche bée son commandant.
— Tes souvenirs refusant de refaire surface, tu seras plus utile en épaulant ta camarade dans ses recherches.
Une pique qui heurta de plein fouet l’égo du jeune Titan, se contentant de hocher la tête. Le cœur lourd, il se mit debout, empruntant le même chemin que son amie, continuant à se mordre les joues intérieur.
Se retrouvant seul avec la succube, Erwin se racla la gorge, mais Jane lui coupa l’herbe sous le pied, prenant la parole la première.
— Tu ne devrais pas brusquer ce pauvre garçon. Toi aussi, tu serais dans tout des états si on t’apprenait du jour au lendemain que tu avais dévoré ton père.
— Pas le temps de faire dans le sentimentale.
— Pourtant, je te trouve bien laxiste avec ces deux-là.
— Là n’est pas le sujet.
— Tu veux que je te dise une chose ? Insista la belladone - enchainant avant qu'il ne place un mot, Le docteur Jäger avait raison, ces gamins étaient voués à se rencontrer.