L'Ode à la liberté [Livre I]
Imbécile, pestait Æsma dans sa barbe. D’une seconde à l’autre le Titan allait la gober. Épluchant la situation sous toutes les angles, rien ne pouvait la sauver. Mourir prématuré ? Hors de question. Ce n’était pas le moment de flancher.
Les corps des Titans dégagent de la chaleur, au point de s’ébouillanter au premier contact. Si je crée délibérément un rejet de gaz avec l’une de mes bonbonnes, je pourrais provoquer une explosion en la balançant dans la gueule de celui-ci. Faut-il encore qu’il morde à l’hameçon. Risqué, mais pas le temps de tergiverser plus longtemps. S’il faut mourir, qu’il en soit ainsi, se dit-elle.
Prête à défier le Titan, elle appliqua le plan à la lettre. Elle lança de toutes ses forces la cartouche. Par réflexe, le monstre se saisit de l’objet et referma la mâchoire, engendra instantanément une déflagration, détruisant ses mandibules.
La blondinette, brandit ses deux épées et se précipita sur le Titan, avant qu'il ne se régénère. Beuglant à pleins poumons, elle accéléra la course pour réduire la distance qui les séparait encore.
Un jet de vapeur s’échappa du Titan, balayant les alentours. Les fesses d’Æsma heurtèrent l’herbe en premier. L’atterrissage lui coupa le souffle. Elle resta immobile les premières secondes, grimaçant au moindre geste. Ce n'est pas une petite chute qui va me stopper, marmonna-t-elle entre les dents. Un petit massage de la nuque, un petit craquement, quelques étirements et le tour était joué.
Une fois debout, elle aperçut Livaï au pied du Titan qui disparaissait lentement. Le cadavre se décomposait de la même façon, qu’on déversait une tonne de litres d’acide fluorhydrique pour faire disparaître définitivement un corps de la surface.
Elle n’eut pas l'occasion d'admirer le spectacle. Le caporal-chef, dans son champ de vision, se dirigeait vers elle. Si le soldat possédait des fusilles à la place des yeux, elle serait morte d'une balle en pleine tête, avant que le reste de son corps ressemble à du gruyère.
« Idiote » crut-t-elle entendre.
La notion du temps lui était inconnue. Elle caressa spontanément sa joue, qui lui faisait drôlement et extrêmement mal. Trop sonnée, aucun son ne sortit de la bouche d’Æsma. Elle déglutit péniblement, comme si un bout de pain était coincé dans sa gorge. Un goût désagréable de métal se diffusa dans son palais quand elle avalait sa salive. Un liquide semblait dégouliner le long de sa lèvre inférieure. Elle effleura du bout de ses doigts pour y découvrir un liquide rouge et très fluide.
— Non, mais ça va pas la tête ! s’indigna-t-elle.
La jeune fille jeta un regard assassin au chef d’escouade, s’essuyant d’un revers de main la bouche.
— Qu'est-ce qui vous prend, putain ?!
— Surveille ton langage de morveuse, répliqua-t-il.
Le caporal frappa dans l’abdomen. La jeune recrue Traum cracha du sang. Quelques gouttes se déposèrent sur les en cuir de Livaï. Le fanatique de la propreté lâcha un grognement.Dans la rage, il attrapa la gamine par le col, s’apprêtant à lui foutre la dérouillée de sa vie.
— STOP ! Cria Hanji.
Le chef Zoe intervint in extremis pour les séparer.
— Si tu pouvais éviter d’amocher les membres de mon escouade, je t'en serais reconnaissant, dit-il, en remettant ses lunettes en place.
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Ancien quartier général du Bataillon d’Exploration
Une atmosphère pesante planait dans la pièce. L’air de la salle était même étouffante. À cette allure, Eren allait mourir asphyxié. Tous les deux assis en tailleur à même le sol, il observait sa camarade dans le plus grand des silences. Nul doute que cette aura destructrice émanait d’elle. Il en avait la chair de poule. Elle récurait les bottes du caporal-chef Livaï.
— Bordel de merde ! Ça va mal, pesta-t-elle.
Elle frottait de toute ses forces, mais les taches résistaient.
— Tu devrais peut-être utiliser du vinaigres blanc, suggéras timidement le jeune Titan.
Instinctivement, Eren leva un bras pour se protéger. Les filles étaient des êtres redoutables. Il le savait. Il ne comptait plus le nombre de fois où il en avait subi les frais. Æsma ne bougeait plus et observa froidement le brun. C’était le moment pour la recrue Jäger de faire sa prière.
— J’ai bien cru que tu ne m'allais pas m’adresser la parole de la journée, soupira-t-elle.
Eren émit un son - indescriptible à l’oreille humaine. Il en restait comme deux ronds de flan.
— Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix… répondit enfin Eren.
La blondinette semblait soulagée. Non, elle était complètement soulagée. Le cœur du brun rata un battement. Le même tableau - que dans le jardin - s’offrait à lui. On lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle fixait inlassablement le sol. C’était déconcertant.
— Petra m’a tout raconté. Le caporal n’y est pas allé de main morte…
Eren eut un léger sursaut et rangea sa main derrière le dos. Æsma le regardait droit dans les yeux, interrogative. Diable qu’a-t-il tenté de faire ? Toucher la marque sur ses pommettes peut-être ? Bien sûr que oui, se justifia Eren dans sa tête. Il ne pouvait que compatir avec sa camarade. Se faire molester par Livaï… Il ne le souhaitait à personne. Ce n’était pas un tendre.
Les yeux du brun s'ouvrirent en grand. Æsma changeait d’expression, comme de chemises.
— Tu verras, dit-elle. Un jour, je serais plus forte et je mettrais une bonne raclée à cet enfoiré.
— Attention à ce que tu dis Æsma ! Répondit Eren, agité.
Il scruta les alentours, s’assurant que le concerné n’était pas dans les parages. Si jamais il venait à entendre…
— Hé vous deux, vous comptez vous la couler douce encore longtemps ?
Un frisson s’empara d’Eren, se redressant automatiquement droit comme I. La situation le stressa au point qu’il manqua de s’étouffer avec sa propre salive. Il scruta du coin de l’œil la recrue Traum, à la mine assombrie.
— Eren, l’autre vieux fou te cherche. Il aimerait faire le point sur certaines choses avec toi. Toi la morveuse suis-moi.
Dans la salle d’étude, Hanji tendit une cuillère à Eren. Il regardait tour à tour, le chef d’escouade et l’objet, dubitatif.
Le soldat Zoe s’expliqua. Il avait trouvé cette cuillère dans la main du Titan d’Eren. Il ne fallu pas longtemps pour faire la connexion. Il se souvenait très bien du moment où il ramassait le couvert. Puis, vint la catastrophe.
Après avoir relu les rapports de l’incident à Trost, Eren s’était transformé au moment où il voulait protéger ses amis, leur évitant de se faire écraser par l’énorme projectif en pierre. Au départ, il n’avait pas pris ce paramètre en compte. Ça ne sautait pas forcément aux yeux. Hanji en conclut qu’Eren avait besoin d’un objectif clair et précis.
— Et bien, nous allons de surprise en surprise.
Une voix ferme s’éleva à l’entrée de la pièce. Erwin Smith entra dans la salle d'un naturel pragmatique dont lui seul avait le secret. Eren et Hanji saluèrent le Major. Il était accompagné de Mike Zaccharias, son bras droit. Il renifla plusieurs fois, avant de lâcher un petit sourire satisfait.
Le jeune Titan participa à la réunion avec les plus grands. Il eu le loisir de déguster le succulent thé noir, préparé par Livaï. Ce thé venait de sa propre réserve personnelle. Enfin, il n’aurait pas refusé un peu de sucre dans sa tasse, mais c’était une denrée rare. Le Bataillon d’Exploration ne s’accordait jamais de telles extravagances.
Le Major restait de marbre quand on lui annonça les trois soldats qui ont péri à l’assaut. Personne dans la pièce ne lui en tenait rigueur. C’était le quotidien des Explorateurs. On ne s’enrôlait pas dans le Bataillon d’Exploration pour se gausser. Eren l’avait compris depuis bien longtemps.
— Où est la recrue Traum ? interrogea Erwin.
— Puni, répondit sèchement Livaï.
Le chef d’escouade de recherche, lança un petit regard désapprobateur à son collègue. Il souffla bruyamment du nez pour exprimer sa frustration, puis fini par hocher de la tête pour confirmer ses propos.
— Cette morveuse a manqué à plusieurs reprises de se faire bouffer. Elle est récalcitrante aux ordres de ses supérieurs. Pour couronner le tout, elle est complètement ravagée. Je ne comprends pas pourquoi elle est parmi nous. Elle devrait être avec les autres, à suivre sa putain de formation.
Le Major Smith, habituellement impassible, esquissa un sourire énigmatique.
— Je peux savoir ce qui te fait sourire ?
Erwin se leva de sa chaise. Il tourna le dos aux soldats, pour contempler l’extérieur. Eren se demandait ce qu’il pouvait y avoir d’intéressant. À part des arbres, des arbres et encore des arbres. La météo aujourd'hui n'était pas très joyeuse en plus de ça.
— Hé le grand cadet, fait pas la sourde oreille. Je te parle, s’impatienta Livaï.
— Je vois. La petite Traum n’a pas encore eu l’occasion de dévoiler son talent.
— Un talent ? Quel talent ? Tu te fous de notre gueule ? Ce n’est pas parce qu’elle a terminé première de sa promotion…
Ah oui, c’est vrai qu’elle est première de sa promotion, se remémora Eren. Ceci dit, si elle avait appartenu à la section Sud, il y a moins de chance qu’elle atteigne aisément cette place. Mikasa excellait dans tous les domaines. Pas sûr non plus, qu’elle puisse battre Bertholt et Reiner. Bien qu’Annie bénéficiait d’aptitudes incroyables. Elle était capable de faire mordre la poussière à ces deux là. Elle et Mikasa étaient peut-être à force égale ? Eren était plus que curieux de découvrir ce qu’Æsma avait dans le ventre.
— Elle n’est pas apte sur le terrain, rétorqua Livaï.
— Hanji, qu’en penses-tu ? Dit Erwin, ignorant les sarcasmes du petit taciturne.
— Æsma ?
Le binoclard leva les yeux aux ciels. Il tapota ses lèvres. C’était sa façon à lui, de trouver la réponse.
— Une recrue motivée et très curieuse, c’est incontestable. Je ne peux pas nier tout en bloc les propos de mon cher collègue adoré, ici présent, mais… Elle ne manque pas d’ingéniosité.
Erwin croisa les bras, incitant Hanji à continuer. Même s'il n’était pas présent au moment des faits, cette gamine avait acquis et approfondit ses connaissances en matière d’armes.
— Traum ? Ce nom ne vous dit vraiment rien ?
Livaï haussa les épaules. Il ne semblait pas vouloir chercher à comprendre la question. Eren lui, se sentait hors compétition. Il n’était pas assez futé pour comprendre les intentions du Major.
— Ne serait-ce pas… intervînt Mike, une de ces familles nobles, expert en armement. Celle qui est réputée auprès des Brigades Spéciales, au même stade que la famille Rovdyr.
— Exact, répondit Erwin content. J’ai mené ma petite enquête. Savez-vous qui a fabriqué le dispositif ?
— Ouh là, depuis quand on est dans un cours d’histoire ? Répliqua Livaï.
— Angel Aaltonien, répondit Hanji.
— Je ne vois toujours pas le rapport, dit Livaï.
Il claqua volontairement sa langue, pour faire comprendre son irritation.
— Patience, je vais y venir.
Erwin se resservit du thé. Cet homme paraissait prendre un malin plaisir à faire tourner en bourrique ses subordonnés. Au moins, le grand blond avait attisé leur curiosité.
Depuis tout à l’heure, Eren restait pendu à ses bouche, fébrile. Il avait hâte de connaître la réponse.
— Aaltonien est le premier à avoir conçu le dispositif. Quelques années plus tard, un grand inventeur de renom : Xénophon Harkimo l’aida. Peu de gens le savent, mais une troisième personne avait la main à la pâte : Carla Inocencio.
— Inocencio ? La famille d'aristocrates ? Il n’y aurait pas l’un d’entre eux dans les Brigades Spéciales ? Demanda Mike.
— Plusieurs membres de la famille ont intégré les Brigades, mais tous proviennent de la lignée des Xavi Inocencio. Sa sœur, Carla, a participé à la fabrication et l’amélioration de l’équipement que nous connaissons à l’heure actuelle. Elle s’est mariée à un homme du nom de Kyklo. Kyklo. Un des piliers du Bataillon d’Exploration. Vous connaissez la chanson. Ils ont eu beaucoup d'enfants, ainsi de suite. L’un d’eux s’est marié à la famille Traum. C’est le père d’Æsma qui a repris l’affaire familiale Ils se complètent parfaitement avec les Rovdyr, qui s’occupent des armes à feu. Ces deux familles investissent énormément dans les Brigades, mais aussi la royauté.
Le cerveau du jeune Titan était en ébullition. Il n’avait pas la capacité à stocker autant d'informations. Trop difficile pour sa caboche. Ses supérieurs, au contraire, percutaient où Erwin voulait en venir.
Eren se gratta la tête, contrarié. À l’époque, il pouvait encore se vanter auprès de ses camarades. Aujourd’hui, l’idiot de service, c’était lui.
— Tu comptes sur Traum et sa famille pour gagner des fonds. Et si on regarde plus loin, tu espères avoir l’exclusivité des armes qu’ils pourraient fabriquer dans le futur.
— Ce ne sera pas chose aisée. Le grand frère fait partie des Brigades Spéciales. C’est le grand successeur et bénéficiera de tout l’héritage. Il faudra en faire un allié.
C’était donc ça ! Eren se laissa absorber par sa chaise, sentant tout minuscule. Comment pouvait-il avoir la prétention d’être unique? Chacun avait son importance et un rôle à jouer.
Le Major Erwin était fidèle à sa réputation. Fin stratège et calculateur. Hanji n’avait rien à envier pour autant. Grâce à son côté excentrique, le Bataillon connaissait un nouvel essor. Mike possédait un flair de limier.
Et le caporal-chef. Son mentor. L’homme le plus fort de l’humanité. Celui qu’Eren idolâtrait secrètement... On pouvait compter sur sa force incommensurable.