La caverne des espoirs brisés

Chapitre 16 : Le chant de guerre de la garde maritime

1474 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 16 jours

[Suite du journal du Druide Almechior

Je touche presque au but. Il ne reste que quelques mètres qui me séparent du sommet. Par chance, toutes mes balises ont tenu, malgré les orages qui se déversent chaque nuit.

Demain, pour la gloire de la Dame Verte, je comprendrais enfin le sens de tout ceci.

Enfin, je l’espère.]


*******


Braegor se réveilla en sursaut. Ce n’était pas un bruit qui l’avait ainsi sorti de son sommeil. L’isolation phonique de sa cabine était parfaite, elle absorbait tous les sons provenant de l’intérieur du navire. Elle laissait toutefois entendre le souffle du vent et le bruit de l’eau sur la coque, afin de permettre une connexion avec le dehors, avec les forces naturelles dont dépendaient la vie des marins. Non, le Parangon n’avait pas perçu directement l’agitation qui régnait dans le vaisseau. C’était plutôt par intuition qu’il eut conscience de la gravité de la situation. Il se rendit aussi vite que possible sur le pont et se dirigea vers le poste de commandement sans prêter attention aux préparatifs des Elfes qu’il croisait. Là, il trouva Gildarion en discussion avec Etchmiéazna. Le capitaine tendit sa longue-vue à la Basiléenne, tout en pointant l’horizon en direction du nord. Braegor regarda lui aussi dans la direction indiquée, mais ne put rien distinguer à l’œil nu.

« Je vois bien la fumée dont vous me parlez, dit l’Abbesse. Mais n’y a-t-il aucun espoir que ce soit autre chose que ce que nous craignions ?

– Hélas non. Les volutes sont d’un noir que seul produit la combustion du charbon. Une nuée chargée d’orage ou même un navire incendié ne formeraient pas un noir si absolu. Il faut accepter le sort tel qu’il se présente à nous. Il nous faut assumer nos décisions, et leurs conséquences. Nous avions choisi une quête dangereuse, nous en devinions les risques, bien que nous ne puissions les identifier. Si le vent ne change pas, et aucun signe ne laisse espérer qu’il changera, les cuirassiers nains seront sur nous dans le milieu de l'après-midi. Et je le regrette d’autant plus amèrement que nous approchions sensiblement de notre but.

– Mais rien n’est perdu, nous nous battrons ! », s’exclama Braegor.

Gildarion et Etchmiéazna se retournèrent vers le Frère de la Marche. Ils n’avaient pas remarqué son arrivée. « Ma garde se battra, répondit le capitaine. Avec toute sa fougue et toute son adresse, jusqu’à la mort, elle se battra. Mais je vous ai entraîné dans cette aventure, et je me dois de vous protéger. De plus, le devoir nous impose de mener notre mission à son terme. Qu’importe si cela doit nous obliger à fuir. Suivez-moi, il me faut prendre quelques mesures depuis ma cabine avant notre départ. »

L'Elfe s’en alla sans leur laisser le temps de répliquer, et Braegor dut ravaler ses questions. Il se tourna vers Etchmiéazna, mais son visage était plus fermé que jamais, et elle resta muette. Le Parangon se doutait que la culpabilité devait la ronger en cet instant et se contenta de l’inviter à emboîter le pas au capitaine. Les deux humains retrouvèrent Gildarion dans sa cabine personnelle, qu’ils n’avaient jamais encore visité. Ils n’eurent guère le temps de profiter des nombreux objets précieux et rares qui la garnissaient. Tout juste remarquèrent-ils les deux cartes affichées sur le plus grand mur de la pièce.

Gildarion transmettait ses dernières directives à son second, Nikaryon, et voulu lui remettre sa longue-vue. « Je ne peux accepter, répliqua celui-ci. Vous en connaissez la valeur. Nous n’en aurons pas l’utilité ici, tandis que si vous avez toujours le cœur à vous en séparer, elle vous permettra de racheter un navire, quand vous aurez accompli ce que vous devez accomplir. »

Braegor fut surpris à l’idée qu’un simple instrument puisse atteindre la valeur d’un bateau, mais Etchmiéazna, qui l’avait eu en main, ne s’en étonna pas.

« Votre canot doit être prêt à l’heure qu’il est, poursuivit Nikaryon. Je vous laisse vous préparer.

– Bien. À vos ordres, mon capitaine. »

Par ces mots, Gildarion venait d’acter la passation du commandement du Brume Amère. Il se tourna vers les cartes et les caressa du regard, insistant sur celle qui représentait Alaenn Amar, son île natale. Apercevant ce geste nostalgique, le nouveau capitaine affirma : « Ces trésors resteront sous la protection des Elfes. Nul ennemi ne souillera le pont de notre vaisseau, je vous en fait le serment. »

Il appuya sa phrase en frappant le sol du manche de sa lance, et Gildarion eut pour lui un regard fier et reconnaissant. Après un dernier salut muet, Nikaryon sortit prestement rejoindre les marins qui s’étaient regroupés sur le pont en attendant ses ordres.

« J’achève la préparation de mes bagages, et vous devriez vous hâter de faire de même. N’emportez que le strict nécessaire », indiqua Gildarion, en montrant à Etchmiéazna un étui cylindrique en laiton avant de le glisser dans son paquetage. La jointure du couvercle était recouverte de cire, ce qui rendait l’étui parfaitement étanche. « Une sage précaution », songea l’Abbesse, qui regretta de ne pas être si bien équipée.


Braegor rejoignit Etchmiéazna devant sa cabine. Chacun avait rassemblé ses affaires dans un sac de voyage. Ils sortirent côte à côte, et dès qu’il fut dehors, le Parangon jeta un œil vers la poupe. Il pouvait désormais apercevoir une petite tache noire à l’horizon. Noir charbon.

Mais sur le pont, un autre spectacle l’attendait. En rangs parfaitement alignés, la garde maritime s’était réunie. Les Elfes se tenaient droits, stoïques, leurs carquois bien rangés, leurs lances scintillantes. Autour d’eux, les marins s’affairaient en bon ordre. Le pont était aussi soigné qu’un jour de parade : pas une écoute ne pendouillait, pas un outil ne traînait, et la voilure toute déployée était si minutieusement réglée qu’aucun pli ne venait la froisser. Tout était à sa place, chacun restait dans son rôle, avec la plus grande rigueur malgré l’avenir tragique qui se profilait. Et dans cette retenue solennelle, s’élevait un chant. Un chant au rythme inconstant, qui gonflait et s’affaissait comme les creux et les crêtes des vagues. Un chant dont les motifs revenaient inlassablement, sans jamais être vraiment identiques, à l’image de la mer elle-même. Les paroles restèrent énigmatiques aux oreilles du Parangon, mais il en perçut néanmoins toute la mélancolie. Elles se gravèrent dans sa mémoire tandis qu’il se laissait diriger, à demi-conscient, vers le canot. Et alors que l’on descendait l’embarcation pour la mettre à l’eau, une fois ses trois passagers à bords, la musique le berçait toujours. Elle résonna longtemps encore en lui, alors qu’il voyait le Brume Amère s’éloigner vers son destin.


Du haut de Therennia Adar, Valandor repose.

Et nous,

Nous veillons.

Sur toutes les mers, depuis le Mur Brisé,

Nous veillons.


Sur les flots nous dansons,

Dans les nuées nous voguons,

Et depuis le îles du Mur Brisé,

Nous veillons.

Dans le vent nous glissons,

Portés par le souffle des vagues.

Et depuis le Mur Brisé,

Nous veillons.


Tout au sommet d’Adar, Valandor repose,

Et Son sommeil est juste.

C’est pourquoi,

Depuis le Mur Brisé,

Nous veillons.


Échappé de nos carquois,

S’élève un vent de revanche,

Tandis que nos voiles récoltent

Des volées de rafales.

Car depuis les îles du Mur Brisé,

Nous veillons.

Nos flèches ouvrent les eaux,

L’étrave transperce nos ennemis,

Car depuis le pont du Brume Amère,

Nous veillons.


Surplombant Adar, Valandor repose.

Dans l’immobilité de Sa tombe,

Il repose.

Et nous veillons,

Depuis le pont du Brume Amère,

Parcourant sans répit la mer,

La mer issue de Son combat.


Et nous ferons tonner nos harpes,

Et le sang des méchants formera des vagues

Que nos canons chanteront.

Nos doigts glisseront dans le sillage des plaies ennemies,

Tandis que sombreront les mélodies adverses,

Notre navire voguant sur une portée écarlate.


Ainsi nous veillons,

Depuis le pont du Brume Amère.

Et Valandor repose, tout en haut de Therennia Adar,

Pour la gloire éternelle

Des Elfes

De la Lignée des Mers.

Laisser un commentaire ?