La caverne des espoirs brisés

Chapitre 8 : Un danger qui plane sur les chemins...

2668 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

[Suite du journal du Druide Almechior

Et puis nous avons accosté tout au sud. Le Druide de la compagnie a fait la médiation avec le chef centaure qui nous a accueilli. Personne d’autre ne se serait porté volontaire pour le faire, pas même notre Parangon de la Confrérie. Je n’ai pas assisté à ces premiers échanges, ni directement à ceux qui se firent au sein de notre état-major, quand le Druide est revenu faire son rapport. Mais des informations que j’ai pu soutirer çà et là, il semble que Raghar ne voulait pas établir notre camp de base dans la forêt, à proximité des bêtes de la Harde. Il a décidé qu’on s’installerait dans la zone de steppe qui se trouve au nord, à flanc de montagne, et qui domine la forêt. Officiellement, on donnerait l’excuse d’avoir un poste d’observation dégagé, en altitude. Mais bien sûr, c’était pour ne pas se mêler à ceux que les humains considèrent comme des monstres, alors que leur dévotion pour la Dame Verte est totale et que la Confrérie n’a absolument rien à craindre de la Harde. Ah... si seulement nous pouvions tous percevoir – et participer à – l’harmonie de la Nature...

Il n’a fallu que peu de temps avant que les choses ne se gâtent.]


*******


Le trio quitta le campement sans regrets. Si les combats étaient terminés, la campagne n’était pas tout à fait finie, et les mines des soldats étaient plus déconfites que soulagées. Des travaux ingrats et douloureux séparaient encore les survivants de leur foyer. Panser les blessés, enterrer les morts, essuyer ses larmes. Ramasser les armes éparses, trier celles que l’on pouvait récupérer, les empaqueter. Défaire un campement imprégné par l’odeur du sang pour, enfin, entamer avec des pieds meurtris le long chemin du retour.

C'est pourquoi Daphnaë, qui ouvrait la marche, hâtait le pas. Braegor souhaitait lui aussi s’éloigner le plus vite possible, principalement par crainte des bandes d’Orcs désœuvrés qui pouvaient traîner dans les parages et voudraient s’en prendre à leur convoi isolé. Mais il s’inquiétait également de ne pas épuiser son cheval, qui devait forcer le pas pour suivre le rythme, n’étant naturellement pas aussi rapide qu’une panthère, et supportant une charge plus lourde. Le Parangon de la Chasse avait ôté son heaume pour mieux scruter les bordures du sentier, ses yeux cherchant à percer l’ombre des sous-bois.

À un croisement, il se permit toutefois de s’arrêter, laissant la porte-étendard prendre de l’avance sur le chemin de droite qui se dirigeait vers le monastère de Makrachirès. Se retournant à demi vers Etchiméazna, il désigna du menton le chemin de gauche. « Voici, Abbesse, la route qui mène aux Abysses. Sans regrets ?

– Aucun. Nous avons une mission plus pressante que satisfaire ma curiosité... ou votre forfanterie. »

Elle avait retrouvé son aplomb de dirigeante de Sororité. Braegor n’insista pas et reprit la route. Lorsqu’ils rattrapèrent Daphnaë, ils eurent cependant la surprise de la voir à pied, sans trace de sa panthère. « Myrza était nerveuse, leur expliqua-t-elle. Je suis descendue et elle s’est précipitée dans les bois. Il ne faut pas trop s’inquiéter, cela lui prend de temps en temps. Elle a dû flairer une proie. Je suis seulement désolée de ralentir notre progression. Vous pouvez continuer à cheval, je suivrais à pied, et lorsque Myrza sera revenue de sa chasse nous devrions vous rattraper assez vite.

– Non, nous avancerons au pas. L’ombre de cette forêt ne m’inspire pas confiance, ce n’est pas le moment de nous séparer », imposa Etchmiéazna.

Comme pour lui donner raison, bien qu’elle n’en sache rien, une embuscade se préparait un peu plus loin, à un tournant du chemin.


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[Nous avons d’abord combattu aux côtés de la Harde lors de quelques escarmouches, qui ont confirmé la situation. Dans la forêt, dans notre élément, nous avions l’avantage et l’ennemi était mis en déroute sans difficulté. Mais poursuivre les Vermines dans le réseau de grottes, c’était autre chose. L’obscurité et l’étroitesse des lieux jouaient pour les rats. Ils attaquaient et disparaissaient tout aussi rapidement, sans nous laisser le temps de comprendre d’où venait l’assaut et de nous défendre. Leurs rires sadiques résonnaient sous les voûtes de pierre, et les roulis de la mer qui s’engouffrait jusqu’au fond des cavités ajoutaient à la confusion.]


*******


« Rappelez-vous ce qu’a dit le gros chef ! Squidi tu tire une flèche, une seule, hein... et après Kwimo, toi tu donnes le signal. » Les consignes étaient simples mais l’expérience avait appris au Crâneur Smoggi à se méfier de sa racaille. Il valait mieux répéter les ordres, et plutôt deux fois qu’une.

– Je tire sur qui ? La moche ?

– Non idiot, s’exaspéra Smoggi. Le gros chef a dit : on tue le plus costaud, on touche pas aux riches. Tu vois bien que c’est elle qu’a les plus beaux habits. Vise le barbu.

– D’ac’. Le débile a enlevé son casque, niark. Une flèche dans la tête et c’est la prime pour Squidi, niark niark !

– La tête, la tête ! » Reprit Kwimo, en sautillant sur place.

Dans son excitation il n’avait pas remarqué le souffle chaud de la bête dans son dos...


*******


Chtonnnnng...

La flèche se ficha mollement dans la poitrine de Braegor, et resta coincée à l’horizontal dans la côte de maille qu’elle n’avait pu traverser. Dans la seconde qui suivit, le Parangon propulsa Etchiémazna au sol et descendit de cheval, ou plutôt il maîtrisa sa chute. « À couvert ! » cria-t-il, plaquant au sol l’Abbesse et s’étalant devant elle pour la protéger d’un éventuel nouveau tir, le temps d’évaluer la situation et de chercher un meilleur couvert.

Un son cuivré retenti, bref et disgracieux, comme une note de trompette avortée. Braegor scruta le sous-bois sans parvenir à localiser leurs assaillants, toujours à terre et immobile. Soudain, deux Ogres déboulèrent sur le sentier en agitant leurs sabres et en hurlant. « Arrière fourbes Gobelins ! Arrière ! » Ils s’arrêtèrent en voyant les trois humains, et parurent fort étonnés.

« Diantre, que vois-je ? Des voyageurs maltraités par les viles créatures que nous pourchassions ! C’est une chance que notre troupe de mercenaires qualifiés soit arrivée à temps pour repousser ces maudits Gobelins !

– Hélas, je n’oserais me réjouir si vite, mon cher compagnon. Ne vois-tu pas ce brave homme qui gît mortellement blessé, touché en plein cœur par une flèche scélérate ? Ah, si seulement nous avions pu escorter ces nobles humains, qui cheminent innocemment sur cette route sans se douter des dangers qui les y guettent ! Si seulement ces gentes personnes avaient eu l’opportunité salvatrice de louer les services de mercenaires qualifiés ! Alors le pire aurait pu être éviter... Le destin cruel n’aurait pas réclamé que des larmes d’une inconsolable affliction ne coulassent sur les visages d’aussi gracieuses demoiselles, qui se retrouvent désormais privées de leur protecteur, et partant, plus exposées encore aux périls ! »

Un troisième Ogre arriva alors, tout essoufflé et trottinant avec peine, car il portait une armure de plates, un lourd pavois et un marteau de guerre, à la manière des briseurs-de-siège. Il s’écria à son tour : « Malheur ! Ces Gobelins, nos ennemis jurés, ont de nouveau frappé sournoisement ! Pauvre soldat, qui a sacrifié sa vie pour défendre ces Dames ! Que ne donnerais-je tout mon or pour qu’il ne soit encore en vie ! Car après tout, quel usage peut-on faire de notre argent et que nous importe les richesses, une fois dedans la tombe ? Ne vaut-il pas mieux dépenser jusqu’à son dernier écu si cela peut nous permettre de continuer à vivre ? Et quand la mort plane sur les chemins, le voyageur n’a-t-il pas tout intérêt à employer sa fortune à s’entourer d’une escorte de mercenaires qualifiés ?

– En vérité je me porte fort bien, l’interrompit Braegor, tout en se redressant. Et nous n’avons nul besoin de protection. Nous vous remercions pour votre sollicitude, mais nous poursuivrons notre route seuls. »


Les trois Ogres échangèrent des regards surpris puis le premier, qui devait être le capitaine, se ressaisit : « Quelle joie, quel soulagement ! Mais ne vous croyez pas hors de danger pour autant, car d’autres flèches patientent dans les carquois d’archers mesquins que dissimulent ces bois. Toutefois, à quelque chose malheur est bon, puisque ces Gobelins ont en quelque sorte permis la rencontre entre votre groupe de bonnes gens et notre troupe de mercenaires qualifiés. Aussi avez-vous désormais le loisir de pouvoir vous reposer sur nous pour vous assurer d’un voyage paisible et sans danger.

– Voyager l’esprit serein, c’est aussi voyager plus loin ! continua le deuxième.

– Voyager en sécurité, c’est du temps de gagné ! enchaîna le troisième.

– Et le temps c’est de l’argent. Ainsi, tout le monde est gagnant. Sauf les Gobelins, évidemment ! reprit le premier.

– Avec des mercenaires qualifiés, tout le monde est gagnant ! Sauf les Gobelins, évidemment ! entonnèrent en chœur les deux autres.

– Il est d’ailleurs regrettable que certains voyageurs mal avisés redoutent le coût du recrutement de mercenaires qualifiés, car nous proposons justement des facilités de paiem... »

Le capitaine ogre s’interrompit en voyant Myrza sortir d’un bosquet et se diriger nonchalamment vers Daphnaë. La porte-étendard fut ravie de revoir sa panthère et l’accueillit d’une caresse. « Oh, mais qu’as-tu dans la gueule ? Donne-moi. C’est bien. Tiens, on dirait un petit bonnet rouge. Vu sa taille il appartenait sûrement à un Gobelin ! Tu es allée chasser ces vilains Gobelins qui nous ont tiré dessus, c’est ça ? »

Ce disant elle leva la tête vers ses compagnons, fière de l’intervention de sa panthère. Daphnaë croisa le regard de Braegor qui allait anxieusement du bonnet aux Ogres et des Ogres au bonnet, comme s’il venait de comprendre quelque chose. Elle passa sur Etchmiéazna qui visiblement n’entendait rien à la situation. Enfin, elle s’arrêta sur les Ogres qui avaient échangé leur air affable pour des yeux écarquillés qui allaient du bonnet à Braegor et de Braegor au bonnet, comme s’ils venaient de comprendre qu’il avait compris quelque chose. Un silence tendu s’installa, chacun retenant instinctivement son souffle. Mais que fallait-il comprendre, au juste, se demanda Daphnaë ? Son regard revint se poser sur le bonnet rouge. Incontestablement rouge.


La porte-étendard et sa panthère réagirent les premières, bondissant de concert. La première dégaina son glaive et trancha dans le prolongement de son geste la gorge de l’Ogre qui lui faisait face. Celui-ci porta les mains à son cou un acte dérisoire pour tenter de contenir les gerbes de sang qui s’échappaient de son artère carotide sectionnée. Il tomba à genoux dans la seconde, puis s’écroula face contre terre.

Myrza, de son côté, avait sauté au visage du capitaine ogre, et ses crocs venaient d’entailler sérieusement son visage. Aveuglé, furieux, le capitaine repoussa brutalement la panthère, la projetant au sol quelques mètres plus loin. Elle se trouva assommée par le choc, et il empoigna son sabre, prêt à achever l’animal.

Mais c’était sans compter Daphnaë, qui s’était déjà repositionnée dans son dos. Elle se campa solidement sur ses deux jambes, et tenant fermement des deux mains son glaive, elle frappa deux fois d’estoc, visant sous la pointe des omoplates. L’armure de cuir, la graisse et les muscles formaient à cet endroit une couche encore épaisse, quoi que moindre qu’ailleurs, mais insuffisante pour empêcher que la lame ne perforât un poumon puis l’autre. Se noyant dans son propre sang, l’Ogre tituba avant de s’effondrer, asphyxié.

Braegor fut plus lent que la Basiléenne et sa monture, mais plus vifs que les Ogres. Il attaqua le troisième Ogre, celui qui était lourdement armuré. Il visa la tête de son adversaire, qui para le coup de son pavois. C’était une feinte, Braegor savait que sa frappe n’avait aucune chance d’aboutir, mais il voulait s’approcher de son ennemi tout en le maintenant sur la défensive. Il se servit de l’élan de son attaque pour enchaîner une roulade qui le fit passer sous le pavois encore relevé de l’Ogre. Une fois derrière son adversaire, il se redressa tout en tranchant d’un coup précis le tendon d’Achille de sa jambe gauche. Ne pouvant plus s’appuyer sur celle-ci, l’Ogre se retourna vers Braegor en se servant du pavois comme d’une canne. Il abattit son marteau dans un accès de rage, et le Parangon eut juste le temps d’esquiver d’un bond en arrière. Le marteau pulvérisa un rocher qui se trouvait à ses pieds l’instant d’avant. Sans prendre le temps de souffler, Braegor sauta sur le manche du marteau, l’immobilisant de son poids. L’Ogre se retrouva soudain comme cloué au sol, ne pouvant soulever son arme bloquée par le Parangon, ni bouger son bouclier sur lequel il s’appuyait sans tomber. Braegor savoura la fraction de seconde où l’Ogre réalisa son impuissance, avant de le décapiter d’un geste net et sans appel.


Daphnaë se précipita vers Myrza qui heureusement reprenait déjà connaissance, et paraissait plus secouée que blessée. Alors Etchmiéazna rompit le silence, les mains sur les hanches et la mine agacée : « Pourra-t-on enfin m’expliquer de quoi il en retourne ? Et, par amour pour les Lumineux, voulez-vous, Braegor, ôter cette flèche de votre poitrine ? Cela vous donne un air... ridicule. » Le Parangon s’exécuta, et Daphanaë répondit à son Abbesse : « Il se trouve que les Gobelins se mettent parfois au service des Ogres. Pour se faire reconnaître et ne pas être confondus avec d’éventuels ennemis, ils portent généralement un ou plusieurs vêtements de couleur rouge. J’ai mis quelque temps à m’en souvenir, et j’en suis désolée. En vérité, cette bande d’Ogres ne chassait pas les Gobelins mais se servait d’eux pour effrayer les voyageurs et les inciter à louer leurs services de mercenaires... qualifiés. Quand Myrza est revenue avec le bonnet rouge, ils ont compris qu’ils étaient découverts.

– Et puis il est toujours de mauvais ton d’attenter aux possessions d’un Ogre. C’est une chose qu’ils ne supportent pas et qui peut déclencher chez eux les pires colères... La vivacité de la Sœur Daphnaë et de sa panthère nous a sauvé la vie. Vous n’avez aucunement à rougir de votre réaction », poursuivit Braegor en s’inclinant bien bas en direction de la porte-étendard. Il venait de remarquer pour la première fois combien elle était belle.

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