Les Lumières dans les Ténèbres : La Réalité de la Fée Noire

Chapitre 59 : Cinq cents ans plus tôt (Kairi)

2813 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/12/2022 18:05

-         « Le sacrifice de ta famille » ? répétai-je avant de me souvenir de notre première rencontre. Oui, maintenant que j’y pense… Raya nous avait dit que malgré la disparition du Druun, les dragons étaient restés en pierre.

Sisu hocha tristement la tête, son regard ne quitta pas une seule seconde la statue de Pengu, son frère aîné.

-         Je me souviens bien de ce jour, déclara-t-elle. Un jour sombre qui se terminerait soit par notre chute et la fin du monde, soit par celle du Druun. Ma famille et moi étions les derniers dragons. Nous nous trouvions au sommet d’une colline, bien avant qu’elle ne devienne l’endroit où nous sommes maintenant, après que le reste des créatures vivantes, dragon compris, avaient été transformées en statues. Sous un ciel rouge qui n’annonçait rien de bon, seuls au monde, le Druun nous encerclait.

Elle porta son regard sur chaque statue.

-         Nous allions périr noyés dans un océan de Druun, l’entité s’étant démultipliée de telle sorte que seul un nuage noir recouvrait l’horizon tout autour de nous. Je pensais que c’était la fin… (Sisu s’approcha de la statue de son frère aîné.) mais Pengu refusa d’accepter la défaite. Ensemble, nous avons décidé de nous battre une dernière fois. Tous unis.

-         Est-ce que tu parles bien de ce que je pense ? demanda Raya.

Le dragon hocha la tête. Voyant mon regard interrogateur, Sisu expliqua :

-         Pengu prit dans ses mains un peu de l’eau à proximité, notre dernier rempart, se concentra et forma une sphère d’un bleu éclatant. Et c’est là que l’un après l’autre, ils y ont combiné toute leur magie pour créer… la Pierre du Dragon.

Sisu marqua une pause devant la statue de son frère. Elle ne semblait pas pressée de raconter la suite, mais nous ne lui en voulions pas. Qu’elle prenne le temps nécessaire.

-         Je me souviens de leur regard après avoir créé la pierre, reprit-elle. Des regards de bienveillance malgré le fait que je n’avais rien fait pour contribuer à la création de la gemme. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi. Ça aurait pu être l’un d’eux, pourtant ils ont décidé de me la donner. Tout ce que je sais, c’est qu’ils avaient confiance en moi… et que j’avais confiance en eux.

L’expression de Raya était indéchiffrable ; on aurait dit un mélange de culpabilité, de tristesse et de confusion.

-         Et là, je me suis concentré et la pierre s’illumina de mille feux, repoussant le Druun. Ainsi, mes frères et sœurs avaient sauvé le monde.

Le silence s’installa parmi nous pendant que nous observions la statue de Pengu avec des regards empreints de respect… et de mélancolie.

-         La confiance qu’ils m’ont accordée m’a remplie d’un pouvoir que je ne soupçonnais pas. Et je pense… (Sisu se tourna vers Raya.) que la même chose peut se produire avec Namaari.

C’est donc pour ça qu’elle l’a amenée ici…

Raya ne semblait pas convaincue, ou en colère mais juste… perdue.

-         Sisu… J’aimerais sincèrement accepter cette idée. J’ai cru pouvoir être son amie à une époque.

-         Il n’est pas trop tard, dit Sisu.

-         Elle a raison, intervins-je. C’est encore possible. Peut-être que nous n’aurons pas besoin de nous battre au final.

-         Kairi… Je ne veux pas affronter Namaari. Moi aussi je voudrais que les choses changent dans la paix mais… je n’y crois plus.

-         Pour que les choses changent, répondis-je. Il faut d’abord que quelqu’un y croit.

Raya marqua une pause.

-         Et puis, même si elle disait vouloir m’aider… comment lui faire confiance ?

-         Raya.

La jeune femme se tourna dans ma direction, se demandant bien ce que j’avais à lui dire.

-         Je ne dis pas que je comprends, mais je connais deux personnes qui pourraient.

-         Comment ça ?

-         Deux de mes amis ont eu des différents par le passé. Ils se connaissent depuis des années mais… cela ne les a pas empêchés de se battre.

Je préférai taire la raison de leur affrontement, car je la connaissais : moi.

-         Pourtant… (Je lui souris.) Cela s’est bien terminé, parce qu’ils ont suivi leur cœur, se rappelant du profond lien qui les unissait.

-         Où est-ce que tu veux en venir ? me demanda Raya même si je pense qu’elle connaissait déjà la réponse.

-         Je pense que ce lien que tu as créé avec Namaari par le passé, cette confiance, est toujours là, au plus profond de ton être. Au plus profond de ton cœur.

Raya, perplexe, posa la main sur sa poitrine.

-         « Au plus profond de ton mon cœur » … Est-ce que je peux vraiment le faire ?

-         Dis-toi que si tu y parviens d’une façon ou d’une autre, dit Sisu, tu pourras sûrement non seulement revoir ton père mais également raviver son rêve : Kumandra.

La jeune femme ne répondit pas. Elle tourna la tête et dirigea son regard vers un pont, des mètres plus bas, visible grâce à un trou. Raya cueillit une fleur aux pétales blanches et lança un regard à Sisu qui comprit immédiatement. Alors, elle nous transporta toutes les deux en direction du pont. Dans les airs, je découvris avec horreur quelque chose que je n’avais pas remarquée en arrivant : d’innombrables statues d’êtres humains. Les pauvres avaient tous été pétrifiés par le Druun il y a six ans. Tous avaient essayé de fuir lors de la libération de l’entité mais, malgré leurs efforts… ils n’y parvinrent pas.

Raya observait mon expression, l’air profondément coupable, mais garda le silence, jusqu’à trouver ce qu’elle cherchait.

-         Là, dit-elle.

Au sol, Raya rejoint une statue et déposa dans ses mains la fleur cueillie un peu plus tôt. Puis, elle forma un cercle avec ses mains avant de pousser un profond soupir. En observant la personne devant qui elle se trouvait, je remarquai qu’il s’agissait d’un grand homme coiffé d’un chignon et vêtus d’habits similaires à ceux de Raya. L’attitude de la jeune femme trahissait l’identité de cette personne.

-         Vous croyez qu’il reconnaîtrait sa propre fille ? demanda-t-elle.

-         Bien sûr que oui, répondîmes Sisu et moi.

Raya sourit.

-         Vous êtes comme lui. Toutes les deux.

-         Ah oui ? fanfaronna Sisu. Il est fort, intelligent, avec une chevelure soyeuse et naturelle ?

La jeune femme se tourna vers son père.

-         Optimiste, déclara-t-elle avant de prendre délicatement les mains de la statue. Malgré tout… Je ne sais pas.

Sisu me regarda et là… Je compris la raison de ma présence ici.

-         Si. Tu le sais, intervins-je.

Raya croisa mon regard. Je lus dans le sien de l’incompréhension.

-         Tu te souviens de ton attitude envers nous lors de notre rencontre ? lui demandai-je.

-         J’étais assez… hostile, répondit-elle. À ce propos, je suis…

-         Pas la peine de t’excuser. C’est normal. La personne qui se disait ton amie t’a trahi, provoquant tout le reste. Depuis, tu en veux à Namaari mais aussi… à toi-même. Surtout à toi-même. Alors tu ne fais plus confiance à personne.

Raya ne répondit rien.

-         Enfin… jusqu’à maintenant.

-         Comment ça ?

-         Regarde tout ce qu’il s’est passé en peu de temps depuis notre rencontre, lui rappelai-je. La fuite de tes poursuivants à Queue du Dragon, la récupération de la pierre à Griffe, notre capture à Dos… Chaque fois, tu as rencontré de nouvelles personnes qui t’ont aidées. Je ne parle pas seulement de moi ou des autres « étrangers », mais aussi de Boun, du bébé et ses singes, ainsi que de Tong. Chaque fois, tu as choisi de leur faire confiance. C’est pour ça que j’ai dit que cette volonté de croire en autrui est toujours en toi. Et c’est réciproque, de même que pour Riku, Maxwell, Araen, Lydia, Donald… et moi.

Mon interlocutrice m’observa attentivement. Un sourire se dessina lentement sur ses lèvres. Là, je ne saurais pas vous dire pourquoi, mais je sentis une chaleur agréable et familière dans ma poitrine ; mon corps se détendit. J’avais le sentiment – faible mais bien présent – d’être…

Liée à Raya.

Sisu parut satisfaite de mon discours. J’espérais avoir été à la hauteur.

-         Comment me rapprocher de Namaari après tout ce qui s’est passé ? demanda Raya.

-         C’est vrai que cela semble impossible. Mais pour que cela commence, quelqu’un doit…

-         Faire le premier pas, finirent-t-elles en chœur.

-         Mon père m’a dit ces mêmes mots il y a longtemps, expliqua-t-elle en voyant nos regards.

-         Ton père avait raison, dit Sisu. Il faut essayer, même si on ne se sent pas prêt. Aie confiance.

Raya se mordit la lèvre, l’air de réfléchir. On aurait dit qu’elle menait encore un combat intérieur, oscillant entre sa manière de survivre depuis de longues années et la confiance envers les autres. Finalement, après un autre regard vers son père, elle se décida :

-         D’accord, on va suivre votre plan.

-         Quoi ?! fit Sisu, toute excitée. Tu vas suivre mon plan ?

-         Oui, confirma Raya en souriant.

L’enthousiasme du dragon s’intensifia et je dois dire que ce fut communicatif. Raya avait choisi la paix, finalement ! Mon cœur s’en trouva profondément soulagé.

-         Chouette ! fit Sisu. Tu ne le regretteras pas ! (Elle se mit à réfléchir à toute vitesse.) Il faut un très beau cadeau. Des idées ?

-         Un chat ? proposai-je.

Raya haussa un sourcil, sans perdre son sourire.

-         Pourquoi tu penses à… Laisse tomber. Parfois, tu es étrange, Kairi.

Je lui fis un sourire gêné.

-         Mais elle tient un truc, là, renchérit Sisu. Peut-être que Namaari aime les chats ! Ou les couteaux ? Ou des chats avec des couteaux ? Ou l’inverse ?

Le visage de Raya s’éclaira.

-         J’ai une idée. Je sais ce que je peux lui offrir.

Elle sortit de sa poche un tissu rouge avec des motifs blancs dessinés. En l’ouvrant, elle révéla un objet pas plus gros que la paume de la main représentant un dragon doré, le même qu’elle nous avait montré sur le bateau en direction de Dos du Dragon ; le cadeau offert par Namaari six ans plus tôt.

-         Excellente idée, approuvai-je.

Raya jeta un œil à Sisu, qui hocha la tête avec vigueur. L’air rassurée, elle rangea le futur cadeau avant de nous demander :

-         Dites… Vous pouvez me laisser seule un petit peu ? Juste quelques minutes…

-         Aucun problème, répondit Sisu. Prends le temps dont tu as besoin avec ton ba.

-         Fais-nous signe quand tu voudras partir, ajoutai-je.

Raya hocha la tête et se tourna vers son père pendant que Sisu et moi nous éloignions.

Le pont était à l’image de la région de Cœur du Dragon : sans vie, d’un silence inquiétant et assourdissant. Malheureusement, la statue n’était pas la seule présente sur le pont.

Tellement de vies gâchées, pensais-je. Une seule trahison peut donc faire autant de dégâts ?

C’en était effrayant… Et cruel.

-         Merci pour ton aide, me dit Sisu. Avec Raya.

-         C’est normal. Vous êtes aussi mes amies, après tout.

Ma réponse eut l’air de plaire au dragon.

-         Aussi, ce n’est pas la seule raison pour laquelle je t’ai amenée ici.

Je me tournai vers elle.

-         Je pense à Lydia, dit Sisu. Elle est plus calme et renfermée que Raya, mais j’ai le sentiment que son hostilité et/ou sa peur envers ceux qu’elle ne connaît pas est similaire. Voire pire.

-         Pourquoi ne pas l’avoir prise avec nous ?

-         J’ai un peu peur que cela soit trop direct pour elle, surtout qu’elle aurait été éloignée de Maxwell. Elle commence à peine à s’ouvrir, il ne faudrait pas la brusquer. Elle te fait confiance petit à petit alors…

-         O.K., je vais l’aider. De toute façon, (Je lui souris avec détermination.) je comptais le faire depuis un moment !

Manifestement rassurée, Sisu et moi restions là, regardant le crépuscule poindre à l’horizon. Le peu de lumière permettant de réchauffer cet endroit sinistre disparaissait peu à peu à l’approche du dénouement. Après notre voyage à Croc, peu importe le résultat, ce monde en demeurerait changé.

Pour toujours.

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