Les Lumières dans les Ténèbres : La Réalité de la Fée Noire

Chapitre 53 : La gardienne de la pierre draconique (Kairi)

6397 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/06/2022 14:36

Après notre conversation avec Lydia, Riku et moi ne savions plus quoi penser. Voyant que se torturer l’esprit avec ça ne nous mènerait nulle part, je proposai à mon ami d’aller dormir tant que nous le pouvions, comme avait conseillé Raya. Riku, au départ, ne sembla pas apprécier cette idée, mais finit par céder. Il me rejoignit au niveau du mât et m’imita en s’adossant contre ce dernier. Il jeta un œil à Maxwell… et se figea net. Je suivis son regard, me demandant bien ce qu’il pouvait avoir vu d’aussi surprenant. Maxwell dormait paisiblement, mains croisées derrière la tête, le dos contre le bois du bateau.

-         Qu’est-ce qu’il y a ?

Il mit plusieurs instants avant de me répondre.

-         Je croyais avoir vu… Non, rien. Ça doit être la fatigue.

Je ne lui posai pas plus de question. La journée avait été si mouvementée pour nous… Je n’imaginais même pas à quel point il était épuisé. Pour preuve, il s’endormit immédiatement.

Avant de sombrer à mon tour, je regardai autour de moi. La petite fille continuait de jouer avec Sisu, éclatant de rire à chaque fois que la jeune femme lui faisait des grimaces, Donald, à l’image de Maxwell et Riku, dormait profondément et Boun continuait de servir sans relâche Araen et les trois singes blancs, bien décidés à savoir qui mangerait le plus sans s’évanouir. Comme à son habitude, Lydia restait à l’écart, les yeux dans le vide. Elle pensait sûrement à Thomas. Lorsque j’eus été séparée de Sora et de Riku il y a environ deux ans, une amie nommée Selphie m’avait dit que je faisais la même expression quand je passais mes après-midis voire journées à les attendre sur la plage, fixant la mer heure après heure, guettant le moindre signe de mes meilleurs amis. Je connaissais bien l’état dans lequel elle se trouvait. Leur lien unissant leurs cœurs devait sans doute être très fort pour qu’il lui manque à ce point.

Nos regards se croisèrent. Je lui fis un sourire. Elle en esquissa un, avant de détourner le regard.

Je me demande pourquoi est-ce qu’elle est comme ça.

Je n’avais pas souvent eu l’occasion de parler seule à seule avec elle, d’essayer de la comprendre. Contrairement à Maxwell, qui pouvait parler aux autres sans difficultés, pour Lydia, c’était tout l’inverse. S’agissait-il simplement d’une fille introvertie ? Peut-être. Pourtant, je sentais qu’il y avait autre chose derrière son attitude. Autre chose de plus grave.

Je me suis promis de l’aider. Tôt ou tard.

Quand j’essayai de me poser le plus confortablement possible contre le mât, malgré moi, les paroles de Maléfique me revinrent en mémoire.

Si Riku ne t’avais pas donnée cette arme, où serais-tu aujourd’hui ?

Comment était-elle au courant ? Je savais qu’elle était au repère de l’Organisation XIII le jour de notre combat face à leur chef et ses sbires mais je ne l’avais pas vue dans les parages quand Riku m’avait donné Appel du Destin

Tu es toujours cette petite fille que les deux… « héros » se sont jurés de protéger.

Une des sept Princesses de Cœur et une Gardienne de la Lumière, pourtant si faible…

 

Je sortis de ma poche le porte-bonheur construit par Sora, ce qui me calma aussitôt (enfin, pour le moment), comme les paroles de Riku. À chaque fois que je le regardais, je ne pouvais m’empêcher de penser au brun. Je n’espérais pas qu’il soit encore en vie. Pas besoin : je savais qu’il l’était. Je ne saurais pas exactement vous expliquer comment, mais si quelque chose lui arrivait, je pense que je le sentirais.

Nos cœurs sont connectés, peu importe où nous sommes.

Que faisait-il en cet instant ? Peut-être qu’il regardait les étoiles en se demandant où nous étions ? Oui, sans doute. Ça lui ressemblerait bien. C’est aussi le genre de garçon à vouloir aider tout le monde tout le temps, ce qui est une excellente nouvelle pour Yuki et Thomas, sans doute pas habitués à être séparés respectivement d’Araen et de Lydia. Sora ferait probablement le maximum pour les aider à se sentir mieux. Le problème, c’est qu’il en ferait beaucoup trop. Dans ce cas-là, il pourra toujours compter sur la présence de Lea et Dingo. Dans leur groupe, ce sont eux qui le comprennent et le connaissent le mieux, en plus d’être forts eux aussi.

Je serrai le porte-bonheur contre mon cœur. Malgré ce que nous venions de vivre, la nuit était paisible. La houle des vagues contre la coque de bois du bateau de Boun faisait tanguer ce dernier avec une telle douceur qu’on croirait presque que la mer essayait de nous bercer ; le vent salé caressait mon visage, les bruits que faisaient mes nouveaux amis se réduisirent à un chuchotement lointain pendant que, au même moment, mes paupières se firent lourdes.

Je posai une dernière fois mon regard vers le ciel, priant intérieurement que nos amis, peu importe où ils étaient, nous retrouvent vite. Au fond de moi, je savais que cela arriverait. Car après tout, nous sommes…

-         Sous un même ciel… Pas vrai, Sora ?

 

 

La première chose que je vis en ouvrant les yeux fut le visage de la petite qui m’observait attentivement.

-         Bonjour, toi, lui dis-je en souriant.

-         Kaaa…

-         Vas-y, tu y es presque.

-         …riiii ?

Je ne me pus m’empêcher d’avoir un petit rire. Ce n’était pas pour cette fois, on dirait !

-         Je pense qu’elle va continuer à t’appeler comme ça longtemps, commenta Riku, un sourire en coin.

Il m’aida ensuite à me lever pendant que la petite fille s’en allait en riant.

Nous étions au petit matin. Une brume assez épaisse entourait le bateau, rendant l’environnement assez difficile à voir. Tout ce que nous pouvions distinguer était la silhouette de collines et des piliers de bois sortant directement de l’eau.

Je respirai l’air à plein poumons.

-         Comment tu te sens ? me demanda l’argenté.

-         Bien mieux qu’hier !

-         J’imagine bien, répondit-il en regardant quelque chose dans mes mains.

Je ne m’étais pas aperçue que je tenais encore le porte-bonheur. Je m’empressai de le ranger, un peu gênée. Riku sourit, mais ne fit aucun commentaire.

Mon ami semblait en pleine forme et revigoré ; il faut croire que dormir dans ce bateau (et surtout après si longtemps) nous fit autant de bien à tous les deux. Ensemble, avec l’aide de Boun, nous mangeâmes ce qui pouvait encore se manger à bord, de même que les restes de nos compagnons.

Pendant notre repas à Riku et à moi, nous essayâmes de voir comment allaient les autres.

Donald, bien réveillé, semblait pensif.

-         T’en fais pas, lui dis-je, je suis certaine que Sora et Dingo vont bien.

Le magicien me répondit avec ce qui ressemblait à un sourire. Riku réfléchit quelques instants, puis :

-         Tu devrais peut-être suivre tes propres conseils.

-         Comment ça ? demanda Donald.

-         C’était quoi, déjà ? Ah oui : « pas de visage triste ». C’est bien ce que tu as dit à Sora il y a longtemps, non ?

Il hocha la tête.

-         Par rapport à hier…

-         Je t’ai déjà dit que ce n’est pas grave, le coupa gentiment Riku. Ne te prends plus la tête avec ça.

-         N’empêche, (Donald regarda Riku droit dans les yeux.) quand on sera à destination, laisse-moi t’accompagner.

Ils tombèrent dans le silence tous les deux pendant quelques instants. L’argenté demeurait parfaitement impassible, devant un Donald qui semblait déterminé.

Enfin, Riku répondit avec un sourire :

-         Seulement si tu arrives à me suivre. (Il jeta un œil dans ma direction.) Ça te va ?

-         Oui, bien sûr.

Donald parut se détendre un peu.

-         Je n’ai pas l’habitude de me battre avec vous, mais je vais faire mon maximum.

-         T’as intérêt, le taquina Riku.

-         Compte sur moi !

Nous laissâmes un Donald rassuré, paraissant de bien meilleure humeur.

Maxwell et Lydia étaient en pleine discussion, alors nous décidâmes de ne pas les déranger.

-         Ah, fis-je. Araen a perdu.

-         Evidemment, ajouta Riku. Il pensait faire quoi face à vingt-sept estomacs ?

En effet, le blond dormait à poings fermés devant une – énième – assiette encore pleine que les singes au pelage blanc n’hésitèrent pas à finir. Accompagnés de la petite fille, ces derniers s’attaquaient à tout ce qui était encore mangeables sur le navire. Sans s’arrêter ni la moindre retenue. Je crois même avoir vu un reste de crevette atterrir sur une carte que Raya lisait, ce qui ne manqua pas de capter son attention. En courant partout, l’un des mangeurs fit tomber un pot remplit d’un liquide rouge qui se déversa sur la nourriture de Tuk Tuk, l’énorme animal de compagnie à carapace de Raya. En prenant une bouchée, il écarquilla les yeux avant de se ruer pour recracher par-dessus bord, surprenant sa propriétaire au passage.

Raya posa la main sur la joue de Tuk Tuk.

-         Désolée. Je m’en occupe.

Et heureusement, parce que Boun ne s’en sortait plus. Les singes et la petite lui causaient beaucoup de problèmes et il n’arrêtait pas de les reprendre à base de « Tu m’as lancé une crevette ? » ou encore « Une cuillère en bois, c’est pas comestible ! ». Ce genre de remarques.

-         Euh, les gars… commença Raya.

-         Ne me regarde pas comme ça, espèce de grosse poubelle poilue ! lança le capitaine à l’un des singes qui l’ignorait royalement.

-         Ça vous dit de jouer à cache-cache ?

Tous se figèrent en entendant la proposition de la jeune femme. L’excitation se lut sur leur visage.

-         O.K. (Raya mit une main sur son visage.). Prêt ? Un…

La fille descendit de la table pour se cacher je-ne-sais-où, le plus petit des singes se glissa sous une énorme assiette, le plus costaud dans une marmite suffisamment grande pour l’accueillir tandis que le dernier se précipita quelque part au-dessus de nos têtes. Tout ça sans faire le moindre bruit.

-         Deux. (Raya jeta un œil à Boun entre ses doigts.)

-         Merci, lui dit le capitaine en lui adressant un regard reconnaissant.

Riku observa chacune des cachettes, l’air un peu impressionné.

-         Comme quoi ils peuvent être discrets.

-         Quand ils le veulent, tu veux dire ? répondit l’épéiste.

-         Bien vu.

-         Deux et demie !

Raya rejoignit Sisu, que je n’avais pas vue depuis mon réveil, accroupie à la proue du navire. Ensuite, elles commencèrent à discuter très sérieusement. De temps en temps, Raya continuait de compter à haute voix pour occuper les mangeurs.

-         Vas-y, me dit Riku.

-         Comment ça ?

L’argenté me fixait de ses yeux cyans perçants comme il avait l’habitude de le faire, donnant l’impression qu’il arrivait parfaitement à lire en moi.

-         Le peu de confiance qu’a Raya envers les gens t’inquiète, devina-t-il. Tu veux la comprendre et, si possible, essayer de l’aider. Je me trompe ?

Décidément, Riku me connaît bien.

-         C’est vrai, confirmai-je. Et toi ?

Il reporta son attention sur le duo de femmes.

-         Je reconnais que je suis un peu curieux, mais ce ne sont pas mes affaires. Et puis, ce ne serait pas juste de me mêler de ce qui ne me regarde pas juste pour assouvir ma curiosité. Aussi, tu es mieux placée que moi pour essayer de la comprendre. Elle ou les gens en général. Alors, tu devrais y aller, sinon tu n’arrêteras pas d’y penser.

Je ne pus m’empêcher de lui sourire.

-         Merci du conseil, Riku !

Il me répondit en me rendant mon sourire. C’est à ce moment-là que, quelques mètres derrière lui, je m’aperçus que Lydia était toute seule. Elle aussi regardait dans la direction de Raya et Sisu, semblant désirer comme moi en savoir plus sur l’épéiste.

Une idée me vînt. D’un geste de la main, je fis signe à la blonde. Nos regards se croisèrent avant que je ne désigne la proue d’un signe de tête. Il lui fallut quelques secondes d’hésitation, mais elle accepta.

Ensemble, nous nous dirigeâmes vers les deux femmes tandis que Raya continuait de compter en discutant avec Sisu.

-         Oui, le monde va mal, déclara l’épéiste pendant que nous approchions. La confiance a disparu.

-         Peut-être que le monde va mal… commença Sisu.

-         … Justement parce que la confiance a disparu, terminai-je.

Surprises, les deux femmes tournèrent la tête dans notre direction. 

-         Salut les filles. Bien dormi ?

Sisu nous avait lancé ça sur un ton triste. J’étais certaine que ce qu’il s’était passé avec la cheffe de Griffe lui avait fait bien plus de mal qu’il n’y paraissait. Raya reporta son attention sur l’horizon.

-         À vous entendre, commenta-t-elle, on dirait mon ba.

-         C’était un homme intelligent, complimenta Sisu.

-         Raya, dis-je. Tu nous as dit que le Druun est revenu il y a six ans de cela. Qu’est-il arrivé à toi… et ton ba ?

Je ne saurais vous dire pourquoi, mais quelque chose me faisait penser que Raya connaissait toute l’histoire, et qu’elle et son père (si je ne me trompais pas) y étaient liés.

La jeune femme resta silencieuse.

-         Je sais que ce ne sont pas mes affaires…

-         Et tu as raison.

-         Mais tu as besoin d’aide, Raya. Dans ce monde, sans la confiance, on ne va nulle part.

-         Au contraire, répondit-elle d’une voix glaciale. C’est comme ça que j’ai survécu pendant six ans. Les trahisons, les vols, les empoisonnements… Si j’avais baissé ma garde un seul instant pendant ma recherche des pierres, je serais pétrifiée à l’heure qu’il est. C’est comme ça.

-         C’est vraiment la vie que tu veux avoir ? Passer ton temps à fuir tout le monde ?

Raya se leva d’un bond et me lança un regard noir.

-         Tu ne peux pas comprendre. Ce que j’ai dit sur le bateau lors de notre rencontre n’a pas changé. Pour l’instant, nous sommes ensemble, mais je ne vous fais pas confiance pour autant.

-         Tu as tort, intervint Lydia avant que je ne puisse répondre.

Raya la toisa à son tour. Cette fois, Lydia, aussi timide et réservée soit-elle, soutint le regard.

-         J’ai passé une partie de ma vie à faire comme toi. Avant que tout ceci ne commence, je ne faisais confiance qu’à trois personnes : ma tante Lysanna, Maxwell et… Thomas, qui n’est malheureusement pas ici. Ils m’ont appris… Non, ils continuent de m’apprendre à essayer de m’ouvrir un peu plus aux gens. (Son regard se fit lointain.) J’ai encore beaucoup de mal, c’est vrai, mais sans eux… Je ne sais pas où je serais aujourd’hui.

Lydia marqua une pause. Puis, elle prit une grande inspiration et regarda à nouveau la combattante :

-         Je ne fais pas encore confiance à tout le monde ici présent, mais je peux t’assurer une chose : Kairi est une bonne personne. Pense à tout ce qu’il s’est passé jusqu’ici et tu sauras que j’ai raison.

Le silence s’installa entre nous quatre. Je pouvais qu’être stupéfaite par ce que venait de faire Lydia. Elle qui préférait restait à l’écart durant tout ce temps aux côtés de la seule personne digne de confiance pour elle : Maxwell, venait de prendre ma défense !

Finalement, l’expression de Raya s’adoucit. Elle soupira.

-         Lydia, je dois reconnaître que tu as du cran quand tu le veux. Et puis… tu dis la vérité.

Raya s’assit de nouveau.

-         Vous auriez pu voler les pierres de nombreuses fois mais vous ne l’avez pas fait.

-         Nous te l’avons dit, Raya, lui rappelai-je. Nous ne voulons pas les pierres. Juste rentrer chez nous (Je m’assis à mon tour à côté d’elle, de même que Lydia.), et aider ceux que nous pouvons.

Sisu fit l’aller-retour du regard parmi nous en souriant, mais resta silencieuse. Après un long moment, Raya déclara :

-         Très bien. Je vous ai dit que la pierre originelle du dragon Sisudatu, avant qu’elle ne soit brisée, était gardée par le plus puissant des états de ce royaume : Cœur du Dragon. Je vais vous dire comme le dernier des gardiens de l’artéfact… comment j’ai causé le retour du Druun dans ce monde.

Elle continua de compter pour la partie de cache-cache du bébé et ses compagnons. Nous savions qu’elle n’avait pas très envie d’en parler, alors nous attendîmes patiemment.

-         Tout est arrivé le jour même où je suis devenue gardienne, six ans plus tôt. Mon père, le chef Benja m’avait mis à l’épreuve de voler la pierre du dragon alors qu’il en avait la garde. J’ai déjoué tous les pièges sur mon chemin et l’ai même affronté.

-         Tu as gagné ? demandai-je.

Raya eut un petit rire.

-         On peut dire ça. Père m’avait dit que je ne mettrai pas un pied, ni même un orteil, dans le cercle où se trouvait la gemme. J’ai justement réussi à y mettre un orteil.

-         Pas mal, commenta Sisu en souriant. Ça a dû sacrément le surprendre !

-         C’est clair. Après ma victoire, il choisit de me nommer nouvelle protectrice de la relique. Je me souviens que nous avons même passé un long moment tous les deux dans la caverne, à regarder la douce lumière de la pierre l’un contre l’autre…

Le sourire de Raya se fit mélancolique quand elle évoqua ce qui semblait être un très bon souvenir pour elle.

-         Ce jour-là, nous étions censés accueillir les autres terres du royaume. Pendant que je pensais que nous allions les combattre, puisqu’ils étaient nos ennemis, mon père, lui, envisageait une tout autre solution : partager un repas avec eux. Ils les avaient invités pour ça.

-         Un homme vertueux et intelligent, commenta Sisu.

-         C’est vrai. Selon lui, ils étaient nos ennemis parce qu’ils ne savaient rien de nous… ou de la Pierre, pensant qu’elle apportait la prospérité. Ce qui est faux. Il croyait dur comme fer que nous étions capable de reformer à nouveau le pays uni qu’était Kumandra il y a si longtemps. Cependant, la condition était que quelqu’un fasse le premier pas et commence à faire confiance aux autres. Il était prêt à ça.

Plus Raya parlait, moins je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un profond respect pour son père. Malgré les nombreux doutes qu’il aurait pu avoir, il gardait la détermination nécessaire pour aider le maximum de gens et offrir son amitié à tous.

-         Lorsque les peuples des autres terres sont arrivés, reprit-elle, autant vous dire que l’ambiance était… tendue. Personne ne faisait confiance et ne voulait écouter mon ba.

-         Comment vous vous en êtes sortis ? demanda Lydia.

-         J’ai rencontré… Namaari, la fille de la cheffe de Croc du Dragon, ce qui a paru détendre l’atmosphère. Nous avons discuté un long moment et appris que nous avions de nombreux points communs : des parents à l’humour désastreux, nous étions des guerrières détestant les tenues formelles ainsi que des fans de Sisudatu. C’est Namaari qui m’a appris qu’une légende disait que Sisudatu reposait quelque part dans une rivière asséchée. Toutes les deux étions excitées à l’idée qu’un dragon puisse être de retour sur terre et que cela permettrait la renaissance de Kumandra.

-         J’imagine que ce n’est pas ce qu’il s’est passé ? devinai-je.

Raya secoua la tête, le visage indescriptible.

-         Pour symboliser notre amitié, Namaari m’a offert ça.

Elle sortit de sa poche un pendentif représentant un dragon doré.

-         C’est Sisudatu, expliqua Raya, notre dragon préféré.

C’était un beau bijou, assez grand pour tenir dans la paume de la main, dont l’or semblait briller, malgré la totale absence de soleil autour de nous. Pendant que Raya nous montrait le pendentif, j’eus l’impression que l’atmosphère se réchauffait autour de nous.

-         Suite à ça, voulant faire un geste à mon tour, je lui ai montré la caverne où se trouvait la pierre que ma famille protégeait, l’esprit de Sisudatu. J’étais heureuse de constater que ça lui plaisait et caressait même l’espoir qu’on y aille souvent elle et moi, voire même qu’on défende la pierre ensemble qui sait ?

Raya rangea le pendentif.

-         Jusqu’à ce qu’elle me trahisse.

L’expression de l’épéiste se durcit brutalement, montrant tout le ressentiment qu’elle avait encore pour cette… « Namaari ».

-         Mon père et moi avons défendu la pierre du mieux que nous pouvions pendant que Croc du Dragon et les autres terres essayaient de s’en emparer. Malgré tout, le Chef Benja a proposé que nous rangions les armes, disant qu’il n’était pas trop tard pour nous faire confiance et recréer Kumandra. Evidemment, les gens ont quand même mal reçu ses mots et en se chamaillant pour la pierre…

-         Elle a été brisée, compléta Sisu.

-         C’est terrible, commentai-je.

-         Ce n’est pas la seule chose grave qui se soit passée ce soir-là, continua Raya. En se brisant, la pierre a ramené le Druun jadis scellé dans notre monde. Voyant qu’il restait encore dans les morceaux une magie assez puissante pour repousser la calamité, les différentes terres se sont emparées d’un fragment chacun avant de s’enfuir. Nous ne pûmes en sauver qu’un seul avant de partir à notre tour, tant bien que mal malgré la panique. Mon père et moi avons avancé aussi loin que possible, mais mon père… blessé lors de nos escarmouches avec les autres peuples, avait atteint sa limite. C’est là…

Sa voix se brisa légèrement. Je voulus dire quelque chose mais, malheureusement, rien ne me vint à l’esprit.

-         C’est là… qu’il m’a donné le fragment qu’il avait. Il m’a dit… qu’il restait encore de l’espoir, de ne jamais renoncer. Je ne voulais pas l’écouter, lui assurant que nous pouvions nous en sortir ensemble… mais c’était impossible dans son état. Je ne voulais juste pas l’admettre. Je ne voulais pas le laisser. Ensuite… Il m’a dit… il m’a dit qu’il m’aimait une dernière fois, avant de me lancer par-dessus le pont pour me protéger du Druun grâce à l'eau. (Raya articulait ses mots en faisant de gros efforts pour ne pas craquer.) Pendant ma chute… J’ai vu le monstre le transformer en statue sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Je me souviens avoir pleuré et appelé mon père des heures durant… Sans succès. J’étais seule.

Plus personne parmi nous n’osa parler. Peut-être aurait-il fallu que je me taise, cependant, Raya semblait tellement triste que je ne pouvais juste pas la laisser comme ça.

-         Ce n’est pas ta faute, Raya.

-         Bien sûr que si, répondit-elle. Si je n’avais pas fait confiance à Namaari, si je ne lui avais pas montré la caverne, mon ba serait encore…

Elle refoula un sanglot.

-         Vous savez, j’aurais vraiment aimé croire qu’il est (était)possible de voir Kumandra, le monde que mon père voulait me laisser.

-         C’est possible, lui assura Sisu.

-         Des milliers de gens ou leurs statues pensent le contraire.

-         Nous devons quand même essayer, proposai-je.

-         J’ai essayé, Kairi. Et comme tu le sais, j’ai été trahie. J’ai littéralement causé la fin du monde à cause de ma naïveté. Si je n’avais pas fait ça, Boun aurait encore sa famille, comme la petite et pleins d’autres gens.

-         Tu ne peux pas le savoir.

-         Je le sais. Enfin, regardez autour de vous ! Le monde est rempli d’orphelins parce qu’on se bat pour une pierre.

Raya reporta son attention sur Sisu.

-         Les dragons ne reviennent pas pour une raison simple : les humains ne le méritent pas.

-         Tu peux changer les choses, lui dit Sisu.

-         Oui, renchérit Lydia d’une voix un peu plus forte qu’à son habitude. Continuer ce que ton père avait essayé.

-         Non, j’en ai marre d’essayer. Kumandra est un conte de fée, d’accord ? La seule chose qui compte pour moi est de ramener mon ba. Rien d’autre.

Nous fûmes interrompues par la voix de Boun.

-         Euh, je crois que nous sommes arrivés à Dos du Dragon.

Sisu et Raya se levèrent en jetant un œil à bâbord. Sous nos yeux s’étendait une immense forêt si obscure que nous ne distinguions rien de l’intérieur depuis le bateau.

-         Une glaciale forêt de bambous censée être gardée par des colosses et leurs haches géantes, déclara l’épéiste après s’être ressaisie. Ouep, c’est bien ici.

-         Des colosses et des haches géantes ? répéta Araen, l’air remonté à bloc. On va bien se marrer.

Le blond termina sa phrase, en faisant crépiter ses doigts.

-         Calme ta joie, Araen, le réprimanda Riku. On entre, on récupère la pierre et on ressort.

-         On y va ? demanda Donald, prêt à se rattraper pour la veille.

Après que nous eûmes accosté, Raya s’apprêta à descendre mais je la retins par le bras. Elle me lança un regard interrogateur, sans aucune agressivité.

-         Raya. Ton père est quelqu’un d’admirable. Sa foi sans faille envers les autres me rappelle un ami à moi : Sora. À sa place, il aurait fait la même chose et, s’il avait été là, il te dirait que tu as fait le bon choix. Si on continue de croire, ce que l’on souhaite finira forcément par arriver. J’en suis certaine.

La jeune femme se dégagea doucement.

-         Merci, Kairi. Cela étant, laisse-moi te donner un conseil à mon tour, à toi et tes amis. Si vous continuez de faire confiance à tout va, un jour, vous serez trahis.

Elle m’avait dit ça en me regardant droit dans les yeux. Je ne pus m’empêcher de ressentir un léger frisson.

Soudain, Sisu prit une marmite sur la table et sauta hors du bateau.

-         Hé ! fit Boun. Mon congee !

Agile et rapide, elle sauta de rondins en rondins avant d’atteindre la plage à une vitesse fulgurante.

Raya prit immédiatement son épée.

-         Ne bouge pas d’ici, dit-elle au capitaine. Je reviens.

Elle s’élança à la poursuite de Sisu.

Riku se tourna vers nous, cherchant à nous répartir les rôles. C’est là que Maxwell intervint.

-         Lydia et moi on reste sur le bateau. (Il lança un regard à son amie.) Ça te va ?

Lydia hocha la tête.

-         OK, alors allez-y. On viendra en renfort en cas de besoin.

Je fus la première à sauter hors du bateau pendant que Riku remerciait Maxwell. Ainsi, sans trop de mal, je parvins à atteindre la plage la première, avant de continuer à courir, dépassant des grands troncs d’arbre taillés en pointes servant sans doute de barrage.

Après quelques minutes, j’atteignis la fameuse forêt de bambous. Le sentiment à l’intérieur n’avait rien à voir. J’étais entourées d’arbres si haut que l’on peinait à en voir le bout, aux feuilles acajou qui peuplaient même le sol, se mélangeant avec la neige. Ce qui me rassurait, c’était que la forêt était moins sombre qu’elle n’y paraissait depuis le bateau, mais elle n’en demeurait pas moins imposante. Si je n’avais pas suivi les traces de pas des deux femmes ni même entendue leur voix, je me serais perdue.

-         Qu’est-ce que vous faîtes ? fit la voix de Raya.

En m’approchant un peu, je vis cette dernière essayer de rattraper Sisu toujours avec sa marmite dans les mains. Elles deux se rapprochaient de ce qui ressemblait à une grande porte en bois avec des murs de chaque côté composé d’autres troncs taillés en pointes, dissuadant tout intrus potentiel. J’avais sous les yeux l’entrée de Dos du Dragon.

-         Je vais te prouver que tu as tort !

-         Comment ? En vous faisant écrabouiller par une bande d’enragés ? dit Raya en se plaçant devant l’autre femme.

J’étais sur le point de répondre quand quelque chose m’alarma. Pourquoi était-ce si silencieux ? Ma Keyblade apparut instantanément dans mes mains.

-         Raya, Sisu, faites attention !

-         Pour obtenir la confiance de quelqu’un…

Sisu parvint à esquiver Raya pour atteindre la porte. Elle releva le heurtoir. Nous étions censées nous trouver à l’entrée d’un village alors pourquoi n’entendions-nous aucun bruit ? Est-ce que… Je me mis à courir pour les rejoindre.

-         … il faut déjà accorder la tienne.

Mes yeux ne quittaient pas la porte, espérant de tout cœur que j’avais tort.

-         C’est un piège !

-         Attendez, Sisu, fit Raya en se précipitant vers elle à son tour, ne…

Trop tard. Au moment Sisu frappa, en une fraction de seconde, nous nous retrouvâmes toutes les trois dans un sac en toile assez grand pour y tenir, mais pas assez pour bouger ne serait-ce que nos poignets.

J’avais été trop lente pour les avertir.

Et à présent, nous voilà complètement désarmées, à la merci de Dos du Dragon.

 

Hors de danger, il était temps pour nous de souffler un peu après autant de péripéties. À bord du bateau, nous profitâmes d’un répit bien mérité pour discuter. Voulant à tout prix aider Raya, j’en appris plus sur elle… et sur la raison qui la poussa à rejeter le monde entier.

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