Le Chevalier Oublié

Chapitre 6 : Brume

1439 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2017 01:51

Après ce qui me sembla être une lieue et demie de marche, mon guide improvisé me laissa là et je ne l’obligeai pas à continuer. D’une part parce que le Loch était maintenant en vue et d’autre part parce que le malheureux recommençait à trembler de la tête aux pieds. Je gageais que cela n’avait rien à voir avec le froid qui était en train de s’installer à mesure que nous descendions vers les berges. De plus, si la bête ou toute autre joyeuseté monstrueuse de cet acabit me tombait sur le râble, j’aurais certainement autre chose à faire que d’avoir un bottier affolé dans les pattes.

 

La lune était à nouveau mon unique source de lumière et son reflet sur la surface du Loch Mhòr faisait miroiter ses eaux sombres et profondes avec un éclat fantomatique. En y plongeant le regard j’avais la dérangeante sensation que celles-ci étaient animées d’une volonté propre.


Alors que ce détail me troublait, une autre chose, beaucoup plus importante celle-là, attira toute mon attention. La brume n’était plus uniquement sur l’eau comme j’avais pu le voir bien souvent au cours de mes nombreuses pérégrinations dans tout le pays.

Elle s’étendait de la berge en pierre jusqu’à une baraque de pêche à moitié pourrie d’humidité, avalant au passage les pontons, continuant ainsi à s’étendre dans ma direction. Doucement, mais inexorablement.


Le silence était oppressant, et l’air commençait à se faire de plus en plus vif au point de distinguer ma propre respiration. Chaque expiration me donnant le sentiment de laisser s’échapper un peu de ma propre vie pour ensuite inhaler l’éther glacial en train de déferler sur moi.


Oh non ce n’était pas un simple brouillard. Chaque cellule, chaque nerf de mon être le sentait. La mort elle-même était proche et elle commençait à caresser et entourer mes chevilles de ses doigts invisibles.

J’avançai prudemment, sur mes gardes, l’odeur de pourriture allait s’intensifiant à mesure que j’approchai d’une espèce d’enclos juste à la verticale du débarcadère. La boule qui me serrait la gorge était familière : c’était la peur. Une vieille amie que j’accueillais toujours avec un léger soulagement. Cela voulait dire que j’étais vivant et que j’avais la ferme intention de le rester.


L’attaque arriva par mon flanc, fulgurante et sans pitié, me prenant par surprise et vu sa vitesse, le coup avait clairement été porté pour m’abattre dès la première charge. Mais aussi soudain fut-il, l’estoc ne parvint pas à son but. D’instinct j’avais dégainé ma lame une seconde plus tôt et je parai le coup porté avec le plat de l’arme ; remerciant intérieurement mes années d’entrainements acharnés au court desquelles mon corps avait appris à réagir seul, sans que je n’aie besoin de réfléchir ou que ma volonté n’y soit pour quelque chose.


Je m’attendis au choc sourd et mat de la chair mais il n’en fut rien, pas même le poids de mon assaillant ne se fit sentir. Ni corps, ni acier, rien. Juste le vide, le néant et le silence. 

Les volutes de brume reprenaient maintenant leur position après s’être égaillées en tourbillons autour de moi, m’entourant de toute part mais me laissant là seul, les sens à vif et le ventre serré.

Je vis le nuage s’épaissir et monter autour de moi et je sentis plus que je ne vis la seconde attaque fondre sur moi. Je portai des coups tout autour et à toute vitesse. Ma lame dansait et chantait en déchirant l’air qui se refermait aussitôt autour d’elle. À chaque mouvement, je pensais toucher l’ombre et à chaque mouvement je devais amortir mon propre élan et repartir à l’attaque de plus belle afin de ne laisser aucune ouverture, aucun temps mort à mon adversaire invisible. Soudain, je sentis ma gorge se nouer alors que je frappai toujours les ténèbres, la sensation d’étranglement s’intensifia rapidement jusqu’à devenir critique. Je compris avec horreur que de bête il n’avait jamais été question.


C’était le brouillard lui-même qui était la créature qui avait décimé la résistance de Fechlin et c’était ce même brouillard qui était sur le point de m’emporter. Comment lutter contre des ombres avec une épée ? Comment esquiver des coups qui vous avalent entièrement et qui vous enveloppent tels des centaines de bras inflexibles et glacés ? J’avais de plus en plus de difficultés à respirer et l’oxygène lui-même semblait perdre la bataille contre cet ennemi invisible. Ma vue se troublait et déjà des tâches sombres dansaient devant mes mains qui avaient maintenant lachés la garde de ma lame.


Mes oreilles bourdonnaient, ma poitrine me brûlait à en hurler et pourtant aucun son ne pouvait parvenir à s’échapper de mes lèvres.  

Enfin, alors que les battements de mon cœur ressemblaient au galop de plus en plus lointain d’une horde, j’entendis un hurlement effroyable et hors de ce monde, le cri d’un millier de damnés jetés dans les fosses noires du plus profond des enfers, et ce cri, ce désespoir éructé par les entrailles même de l’univers ressemblait à un rire dément, un rire que je ne connaissais que trop bien. Ensuite il n’y eu plus rien que les ténèbres et l’oubli.


Lorsque je rouvris les yeux, j’étais allongé face contre terre. J’avais la gorge desséchée et une violente quinte de toux me fit me retourner et rendre sur le sol humide et froid les reliefs de mon dernier repas. Mon cerveau semblait cogner contre les parois de mon crâne et je restai là, à bout de souffle pendant un moment. Tout doucement la douleur refluait hors de moi et je pus ramper, m’appuyant contre la paroi rocheuse derrière moi afin de prendre la mesure de la situation. Il n’y avait plus de trace de brume, juste une vague odeur viciée sans doute provoquée par ma propre chemise maculée de vomi. Le sol, les murs et le plafond étaient en pierre brute, mais ce n’était pas tout à fait une grotte, çà et là des blocs de pierres étaient découpés des murs et prouvaient que la main de l’homme n’avait pas été étrangère à la conception des lieux. Je devais être au bout de ce qui semblait être un long couloir, et la lueur malade d’une torche éclairait vaguement le chemin. Tout était noir, comme si l’endroit avait été taillé à même le charbon et par endroits de l’eau suintait des murs en fins filets qui disparaissaient en arrivant à hauteur du sol. J’étais dans une mine et à en juger l’état, elle avait dû être abandonnée depuis déjà fort longtemps. J’approchais ma main d’un filet d’eau et pris une gorgée bienfaisante et glacée. Mon estomac sursauta et rua mais le précieux liquide y resta tout de même.


Les choses ne s’annonçaient pas bien. Pas bien du tout !


Je me rappelai maintenant du rire que j’avais entendu juste avant de perdre connaissance et aussitôt un visage s’imposa dans mon esprit. Des yeux sombres et inquisiteurs, renfoncés dans un crâne presque allongé, des traits taillés à la serpe et un nez qui avait un jour dû connaitre le baiser d’un poing ganté de fer… je tressaillis intérieurement en imaginant ce qu’il était advenu du propriétaire de cette matin-là.


Oh oui ce visage était là, figé, gravé derrière mes paupières closes. Ces cheveux épars et hirsutes, ces rides profondes et marquées, ces pommettes aiguisées et ce sourire carnassier et rigolard, ce rictus de mort triomphante prêt à déchiqueter qui, trop s’en approcherait. Méléagant. L’homme noir. Mon but.


Et alors que j’ouvrai les yeux, prêt à faire face à mon destin, quel qu’il soit, j’entendis la voix éraillée du démon appeler au loin :


- Aaaaah tu es là ! Tu es venu ! C’est magnifique. Allez, viens. Approche chevalier.


Bien malgré moi, j’obéis à sa requête...

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