Le Chevalier Oublié

Chapitre 5 : La lettre

1450 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2017 01:25

L'écriture était large et parfaite et je notais qu'il y avait même certaines lettres qui étaient travaillées spécialement pour paraitre mises en valeurs. Aucun doute là dessus, Bohort était bel et bien l'auteur.


« Mon très cher compagnon d’armes,


Vous vous posez sans doute quelques questions bien légitimes et je vais tenter de vous apporter le plus d’éléments de réponses qu'il me sera possible.

Mais avant toute chose laissez-moi vous narrer les évènements tragiques dont je fus l'infortuné témoin et que vivent les bonnes gens de ce si charmant coin de campagne.


Lorsque les hommes de Lancelot – et dire que nous sommes cousins, mon cœur saigne à cette soudaine pensée – ont commencé à nous pourchasser à travers tout le royaume, j’ai pris sur moi d’aller me cacher quelques temps ici afin de préparer la lutte loin des combats.


« Sécurité bien agencée commence au loin » m’a un jour dit Yvain, si jeune et déjà si sage. N’écoutant donc que mon courage j’entrai en résistance dans le hameau de Fechlin, où Emmett Mc Coy, un brillant maître bottier de mes amis m’offrit rapidement le gîte et le couvert... quelle belle âme n'est-ce pas ?


Là, je démarrai la lutte en constituant une milice de gens du cru. De braves et fiers guerriers remplis de fougue et, bon gré mal gré, je leur donnai les bases tirées de la formation militaire reçue des mains de notre souverain lui-même.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce ne fut pas une mince affaire pour moi.


Notre but ?

Allez exploser le groin de ces petites salopes d’encapuchonnés blancs. Et, vous excuserez ma trivialité soudaine, mais je suis positivement outré. Vous me connaissez, il ne faut pas trop m’échauffer sinon je ne réponds plus de rien !


Toujours est-il qu’au cours de notre quatrième expédition vers l’une des garnisons proches de l’ancienne forteresse du seigneur Calogrenant, je passai par-dessus une haie fort épineuse et j’attrapai un de ces salopards par la peau du cou. Ah Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour me chanter tout ce qu’il savait, le scélérat !

J’appris ainsi que tous les combattants blancs avaient été rappelés au Sud-Est le long des côtes, car il se disait qu’Arthur était en chemin pour reprendre le royaume.

Vous vous rendez compte mon ami ? Notre bon roi a survécu ! Et il va revenir tel le fils prodigue des écritures ! N’est-ce pas prodigieux ? Le nouveau guerrier aguerri en moi en tremble, c'est dire !


Les choses se sont singulièrement compliquées par la suite. Lors de notre retour au village nous avons constatés qu’une brume opaque venant du loch tout proche s’étendait dans les rues et dans les cours des maisons. Là, au milieu du brouillard nous avons entendu un cri strident, un hurlement à vous glacer les sangs.

Le lendemain un garde manquait à l’appel.

Chaque jour la brume montait, oppressante et méphitique et chaque jour, les uns après les autres les jeunes gens de mon escouade ont été aspirés par le néant, sans laisser de traces. Happés par la bête qui rôdait dans les ombres.

Il ne m’a pas fallu longtemps pour considérer mes option.


Là encore un retrait stratégique était la solution la plus

profitable pour tout le monde et c'est alors que l'impensable s'est produit sous mes yeux.


J’étais là, en train de préparer mes effets dans la modeste chambrée gracieusement mise à disposition par les Mc Coy quand une présence me fit faire volte-face.

C’était un vieil homme au visage dur et à l’œil pourtant rieur. Il portait une bure de jute d’une innommable saleté et semblait nimbé de lumière.

Cet homme me dit qu’il vous connaissait comme s’il vous avait remis au monde (à ces mots il a bien dû rire cinq minutes), que vous arriveriez demain soir par la route de la rivière et que vous vous arrêteriez à l’auberge. Il m’a demandé de vous raconter tout ceci et que vous sauriez quoi faire. Ensuite il a disparu en un claquement de doigts.


Un brin désarçonné par cette rencontre, j’hâtai de plus belle les préparatifs pour mon départ, je changeai de pantalon et pris soin de rédiger la note que vous tenez en ce moment entre les mains.


Au vu des événements vous pardonnerez mon absence pour vous accueillir. Risquer ma vie au combat, organiser la résistance et donner un sens à mes voeux est une chose, mais lutter contre des forces obscures et recevoir la visite d’un être d’un autre plan c’est au-dessus de mes forces.

Je vous confie donc cette nébuleuse affaire avec l’espoir que vous comprendrez de quoi il retourne.

Mon seul regret est d’avoir manqué la fête du printemps, le spectacle que nous avions préparé avec mes hommes était si charmant. Ah, foutue guerre !


Je vous souhaite bonne chance mon ami. Je prie pour que nos chemins se croisent à nouveau. »


Le texte se terminait par une signature alambiquée à souhait et de nouveau, le sceau vert de Gaunes était présent.


Je restai là avec le parchemin dans une main et ma chopine dans l’autre. Je posai la première et vidai la seconde pour m’aider à faire le point. Ainsi donc, il avait fui lui aussi, enfin non… Il avait pris le maquis à sa façon, mais chose édifiante il semblait avoir découvert qu’il avait des noix et qu’il allait être forcé de s’en servir (pas littéralement fort heureusement) s’il voulait survivre et être capable de protéger la population.


J’essayai d’imaginer ce bon vieux Bohort pourchassant « les petits salopes » de Lancelot et à part une furieuse envie de rire et l’impression désagréable que le monde était bel et bien en train de changer dans le mauvais sens, rien ne me vint.


Le fait que des rumeurs sur un éventuel retour d'Arthur aient fait paniquer Lancelot au point de concentrer ses forces sur la côte étaient plutôt réjouissantes.

Si il était en route, ce n’est pas quelques centaines de crétins sapés comme des nappes qui allaient l’arrêter.

Et s’il débarquait vraiment en force, la donne allait changer et vite ! En prime, ça me laisserait les coudées franches pour poursuivre ma tâche.


Pourtant je n’arrivais pas à me dérider, et pour cause, la suite était nettement moins affriolante. Un village souillé par la corruption d’une bête venue tout droit des brumes et surtout, surtout, cette espèce de vieille chouette décatie qui m’avait donné la mission de poursuivre ma chasse pour le compte du nouveau patron de l’autre monde venait à nouveau de pointer le bout de son nez. Et pas n’importe comment s’il vous plait ! Une vraie belle apparition entre la commode et le pot de chambre du type le plus impressionnable du monde celte ! Du coup, Bohort avait sorti sa botte secrète : la fuite. Propre, nette, sans bavure.


À présent les choses étaient claires, la situation ressemblait de plus en plus à un gigantesque baquet de purin, je venais d’y sauter la tête la première et mon petit doigt me disait que ce n’était pas prêt d’aller en s’arrangeant. Soit.

Je regardai Emmett et il arriva en trottinant et en faisant une légère courbette servile qui me donna aussi sec l’envie de lui faire sauter les dents de devant.


- Emmène-moi jusqu’au bord du loch, cordonnier.

- Je suis maître bott… il posa ses yeux sur moi et compris très vite pour le bien de ses ratiches qu’il valait mieux la boucler.

- Je… Tout de suite, messire ? La nuit va tomber et il n’est peut-être pas sûr de…


Je le coupai rapidement.


- Je tiens ÉNORMÉMENT à m'y rendre tout de suite. Est-ce clair "Maître bottier" ?

- Oui messire, suivez-moi »


Et alors que les derniers rayons du soleil embrasaient les eaux de la rivière et que nos pas nous entraînaient vers la fin du chemin, je levai les yeux pour constater que plus bas, la brume était en train de se lever.


Jamais je n’allais revoir ces lieux.

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