Le Chevalier Oublié

Chapitre 4 : Complète était l'auberge...

1637 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2017 01:21

De l’ambiance, ça il y en avait. À peine la porte ouverte, les odeurs des cuisines mélangées à celles des bières et de la sciure étalée sur le sol m’assaillirent les narines avec bonne humeur et tout autour les gens présents allaient et venaient entre les tables en trimballant des chopines semblables à des buches dans un méli-mélo de conversations rocailleuses et gutturales propres aux natifs de la région.

Au fond de la salle une fille se mit à rire bruyamment, la musique repris et un autre type rota avec force.


Rien à redire, j’étais bel et bien dans les Highlands


M’habituant peu à peu à la lumière tamisée et un brin enfumée des lieux je remarquai qu’une table était libre sur le côté et je m’y posai avec reconnaissance en attrapant du regard le patron derrière son comptoir et en lui faisant un signe rapide qui annonçait mes intentions.

- Qu’est-ce qu’on peut lui offrir au voyageur ?

Le gaillard était taillé comme un fut de chêne, solide, austère, aussi courtaud que large et avec le même accent des pierres concassées que les autres.

- D’abord à boire et ensuite si vous pouvez m’envoyer deux livres de la viande qui rôtit là-bas avec du pain, ça sera parfait.

- Et il a de quoi payer ?

Je balançai nonchalamment deux pièces d’or sur la table et mon tavernier fronça aussitôt ses gros sourcils et sa barbe frémit à la suite.

- C’est de l’ancienne monnaie ça ? Avec la tronche de l’ancien roi dessus ? Le nouveau Seigneur a interdit de s’en servir, faut y voir Lancelot derrière maint’nant.


Moment de vérité. Ma dague était prête là sous la table.

- Lancelot j’l’emmerde !

En face le gars grogna un juron en patois, cracha à terre et déclara tout à trac en attrapant mes pièces au passage :

- Qu’il aille crever ce chien. Z’avez du bon or… z’êtes chevalier ou un truc comme ça ?

Ma main se décontracta sur le manche de l’arme.

- Ouais un truc comme ça, vous voulez une histoire en plus ou je peux manger maintenant ?


Quelques minutes après, un énorme quartier de viande fumante devant le nez et ma chope de bière brune déjà bien entamée, je demandai au gars s’il n’avait pas peur de voir son établissement finir carbonisé avec sa carcasse en supplément au vu de sa vision très personnelle de la politique locale et la façon plutôt ouverte d’aborder le sujet avec des étrangers.


Il grogna à nouveau « Ici on a peur de rien ! On est du sang des Scots ! Au besoin on peut vous vider le bide aussi vite qu’on vous a ouvert la porte. En plus le Galessin là, c’est un péteux doublé d’un pétochard de première, y sort jamais de la forteresse et y sait très bien qui fait vraiment la loi ici. Au début les milices blanches patrouillaient encore, mais elles ont mis les voiles y a 3 lunes d’ici et on a plus vu personne depuis. »

Voilà qui était vraiment intéressant. Si les troupes d’illuminés (une armée de paysans en toge blanche ni plus ni plus moins, mais des paysans entrainés, armés et à la cervelle toute acquise à la cause de leur chef vénéré) étaient parties se regrouper ailleurs c’était sans doute que quelque chose était en train de se tramer. D’abord la cavale de Méléagant à travers tout le royaume, ensuite ça, c’était un signe à ne pas prendre à la légère et à utiliser le moment venu.

- Vous avez une idée de l’endroit où ils sont partis ?

- Z’ont pris la route du sud, ça n’a pas arrêté de toute la journée et le soir venu c’était fini… Bon débarras.


J’allais envisager de prendre une chambre pour la nuit quand l’aubergiste cracha à nouveau sur le sol en jurant. J’imaginais un peu l’état des lits et l’idée de partager ma chambre avec des charançons gros comme le pouce et je ne sais quelle autre vermine ne m’enchantait pas spécialement.


Voyant que je ne disais plus rien et le temps que je réalise ce qui était en train de se passer, le tavernier tirait par le coude un type que je n’avais pas remarqué en entrant.

- Dites, vu que vous êtes un chevalier errant, vous pouvez nous aider au village ? Y a une bête qui…


Je frappai ma chopine sur la table, assez fort pour faire sursauter le nouveau venu et hausser l’un des prodigieux sourcils du propriétaire des lieux.

- Non !

- Quoi non ? dit l’aubergiste

- Non et merde ! Je ne suis pas… Je ne suis plus un chevalier de ce genre-là. Vu ? J’ai une mission autrement importante que d’aller vous débarrasser d’un blaireau que vous prenez pour une chimère ou d’une carpe qui bouffe vos roseaux. Est-ce que c’est bien clair pour vous ?


Pour clôturer le débat j’attrapai ma dague et la plantai net dans le dernier morceau de viande du tranchoir.

Le type en retrait était littéralement en train de conchier ses chausses et pourtant il reprit la parole d’une voix fluette et tremblotante.

- C’est … c’est que, messire … Le seigneur Bohort avait dit que vous viendriez et…


« Bohort ? » J’avais presque crié. La musique fit une embardée en écorchant joyeusement un accord bien païen et une des filles de taverne me regarda avec des yeux de poisson mort quelques secondes avant de recommencer à flatter le gros porc assis à sa droite. Je me reprenais à grand peine.

- Bohort, Bohort de Gaunes est ici ?

- Et bien… non il est parti… mais… mais…

- Mais quoi bon sang ? Parlez d’une traite ou je vous décroche les doigts de la main et je vous les fourre dans la gorge !

- Mais il nous a laissé une missive en disant bien de la remettre au chevalier errant qui allait bientôt passer par ici et que ce chevalier saurait nous débarrasser de la chose monstrueuse qui terrorise les abords du loch Mhòr.


Tout ceci était étrange. Bohort était ici, il était parti pour je ne sais quelle raison et en prime il savait bien que j’allais passer par cette route et m’arrêter ici. Ça puait le piège à plein nez. Et cette histoire de bête ou je ne sais quoi, c’était encore plus nébuleux. Qu’est-ce que Bohort foutait ici déjà ? Et pourquoi donner un message capital à un pauvre type à peine capable d’aligner deux mots alors que tout l’établissement était rempli de gars capables de vous refroidir un ours à mains nues. Voyant mon visage dubitatif, il s’avança encore d’un cran, se tint droit comme un piquet et déclara :

- Il tenait à ce que ce soit moi, en personne, qui vous transmette son message.

- Et en quel honneur ? dis-je en reprenant un peu d’aplomb dans le fond de mon boc de bière.

Le type bombait maintenant le torse comme s’il allait entonner une épopée et il déclara avec un ton plein d’une soudaine assurance :


- Je suis maître bottier à Fechlin messire, le seigneur Bohort est l’un de mes clients les plus fidèles et il s’intéresse, que dis-je ? Il se passionne, pour mon noble art.

- Écoute cordonnier…

- Bottier messire, je suis maître bottier ! Les passants de sa chemise allaient éclater.

- Oui, si tu veux, opinais-je en me massant douloureusement la tempe avec le pouce.

- Je commence à mieux comprendre deux ou trois bricoles. Par contre si tu ne me donne pas rapidement le message que tu prétends avoir reçu de mon ami je risque fort de me raviser et de me souvenir de ce que j’avais promis à tes doigts il y a deux minutes.

- Oui, bien entendu… je…euh… voici la note messire.


Il s’était remis à trembler et en y regardant de plus près je remarquai sa tenue particulièrement propre. Le gaillard n’avait certainement pas mis un pied dans la boue depuis bien longtemps et il devait sans aucun doute préférer la poésie lyrique aux engins de siège. En bref, c’était le profil type du gentilhomme digne de confiance selon Bohort.


Je lui pris l’enveloppe cachetée à la cire verte et sans dire merci je congédiai l’aubergiste et le « maître bottier » d’un geste sans équivoque.

Je me méfiais de ce que j’allais lire. Il s’agissait peut-être d’une autre ruse de l’homme en noir. La dernière fois que j’avais eu une lettre entre les mains, elle venait de lui et encore aujourd’hui j’avais l’impression de ressentir la souillure des mots dans mon esprit.


En un battement de cœur je m’aperçus que j’avais peur et un léger spasme me traversa la main. J’avais peur de sentir à nouveau la morsure des mots et leur poison s’insinuer en moi jusqu’à l’anéantissement total de tout espoir de salvation. J’étais terrifié. Je fermais les yeux et prenais une grande inspiration.


Une fois le sceau brisé, de tout cela il ne fut rien.

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