Le Chevalier Oublié

Chapitre 3 : Changement d'air

989 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2017 01:16



Déjà l’aurore teintait l’Ouest d’un mauve maladif et brumeux. Le jour serait rapidement là et si je m’arrêtais plus longtemps, je risquais de perdre du terrain sur ma cible. Chose, qui vu les évènements de la veille, n’était plus envisageable une seule seconde.


Mon visiteur de cette nuit m’avait laissé un petit souvenir surprise, mes outres étaient à nouveau pleines et je m’autorisais à en descendre une rasade mesurée, mais vivifiante. Je ficelai le tout à mon maigre paquetage et je repris mon chemin.

Tout en longeant les rives boueuses de la Fechlin, je me demandais ce que l’homme noir pouvait bien vouloir trafiquer là-bas, au sud, vers le Loch Mhòr.

Cela m’amenait à penser qu’une fois de plus je n’avais aucune idée des motivations de ce démon. Pourquoi me faisait-il tourner en rond à travers tout le nord du pays ? S’il poursuivait son chemin (ce dont je n’avais qu’une vague idée tant ses mouvements semblaient erratiques et n’obéir à aucun schéma ou à la moindre logique), nous serions en bordure de la frontière nord de Carmélide d’ici deux semaines, peut-être trois.

Allait-il se risquer à franchir le mur d’Antonin pour entrer sur les terres du seigneur Léodagan alors que cette zone était la seule du territoire à tenir tête à l’absolutisme fanatique de Lancelot ?

Ce serait de la folie furieuse de sa part et je savais maintenant qu’il avait un plan précis… mais lequel ?


Je me rappelais alors les informations que j’avais pu obtenir de la part d’Elias alors qu’il était en train de se carapater sur la route du nord pour aller chercher un bateau et quitter le territoire pour briguer un poste d’enchanteur à la cour du duc d’Aquitaine (« la grosse tatie d’Aquitaine », pour reprendre ses mots).


« Que ce soit bien clair pour vous, cette chose-là, que vous allez suivre, c’est l’archétype du mal. Pas un charlot comme Merlin et les autres débiles de la région qui pissent dans les herbes, se trimballent en toge avec un oiseau crevé sur la tête et qui pensent être sorciers ou d’origine démoniaque. C’est l’incarnation du Chaos, LE mal à l’état brut. Y joue pas dans la même cour que nous, vous saisissez ?»

Des centaines de lieues et un décès plus tard, oui, j’avais saisi.

Continuant d’avancer je laissais vagabonder mon esprit et je ne pouvais m’empêcher de me sentir amer. J’étais parti à la poursuite de Méléagant pour faire honneur à mes vœux de chevalier, venger mes frères d’armes et mon roi et à présent j’étais devenu le pisteur officiel du nouveau patron d’En-Haut.

J’avais douloureusement été ramené et pour toute récompense j’avais reçu des ordres de la part d’un vieillard mi- hilare, mi- gâteux, trois gallons de flotte et rien de plus. Un coup de pied au cul aurait eu le même effet. J’étais devenu le putain de chien de chasse d’un dieu dont je n’avais que faire et, qui, lui, semblait croire en moi. Le monde à l’envers !Arthur avait toujours eu raison sur ce sujet-là, la religion c’est le bordel.


Un petit rire sarcastique s’échappa presque malgré moi et je repris une gorgée d’eau pour tromper les grognements de mon estomac. J'augmentai la cadence.

Peu après midi, alors que le soleil perçait au travers des nuages pour la première fois depuis des lustres, le paysage commença à changer lentement mais sûrement. Le courant de la rivière allait grandissant tandis que le sol devenait plus ferme avec ça et là quelques roches sortant de terre telles d’antiques piliers oubliés depuis la nuit des temps. Les touffes éparses d’herbes malsaines laissaient leur place à de larges portions d’herbe à pâturage verte et solidement plantées sur des talus qui eux aussi allaient en grandissant. Plus de doute, j’étais bel et bien revenu en Calédonie et l’espace d’une interminable fraction de seconde, je sentis mon cœur se serrer avec la certitude, qu’une fois encore, je ne trouverai aucun allié ici. Calogrenant était parti on ne sait où et son territoire annexé au nouvel ordre de Lancelot était administré par Galessin, 1er lieutenant du roi Loth, et donc foutrement bien placé dans la nouvelle hiérarchie.


Alors que je remontais sur le sentier longeant la rivière me signalant que j’avais définitivement laissé derrière moi les marais d’une part et d’autre part (non négligeable celle-là) que j’avais bon espoir de revenir vers un semblant de civilisation avant la tombée de la nuit. J’avais mal aux entournures, mes jambes me brûlaient et mon ventre était vide à tel point que je le soupçonnais sérieusement d’avoir entrepris la tâche de se digérer lui-même.

Je fus quasi immédiatement rassuré sur le sujet lorsqu’au détour de la colline suivante je tombai sur une modeste taverne et deux panneaux indiquant respectivement le hameau de Fechlin et son Loch.


Un faible brouhaha de conversations étouffées me parvenait sur un fond de musique légère, mais surtout, une odeur de chevreau aux herbes et au miel commençait à titiller mes narines. De la compagnie, un barde à tabasser en fin de soirée et quoi me remplir le ventre, voilà qui était plaisant et le temps que je m’en rende compte je franchissais le seuil de l’établissement : « Le porc royal » sans me douter un seul instant que la soirée qui s’annonçait allait sceller à jamais bien des sorts et des destins.

Laisser un commentaire ?