Le Chevalier Oublié

Chapitre 2 : Transmutations

982 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2017 01:07


La lune. Immense œil ouvert dans la nuit.

Il m’observe, me scrute et sous sa lumière blafarde je suis comme enveloppé d’un linceul, sauf que… sauf que quelque chose cloche, j’en ai conscience. Et c’est précisément ce qui déconne plein tube, je suis conscient alors que mon dernier souvenir était le goût douceâtre du sang dans ma gorge alors que je m’écroulais dans mon propre vomi avant de tomber raide le visage contre le sol.

Péniblement, difficilement mon esprit se met en branle, chaque rouage semble grippé, compliqué. J’ai la gueule de bois de ma vie et pourtant je n’ai rien bu !

Là encore comme un fantôme, dans un coin de ma conscience j’entends Perceval me dire d’un air interrogatif : «Y a dichotomie là ou non ? ». Mais quel con ! Et là, je souris intérieurement.

À cette pensée si simple quelque chose se passe, par intermittence d’abord, puis plus en plus fort, je ressens la terre, le froid qui m’entoure, l’air humide qui entre en moi.

La lune. Toujours au-dessus de moi.

Elle semble plus vive. Son éclat palpite et avec lui, mon esprit suit la cadence. Et là, le barrage se rompt, la lumière déferle sur moi, belle et sans pitié, elle me transperce le crâne comme mille lances, j’ai l’impression qu’elle m’écrase, qu’elle me broie comme si chaque cellule de mon être était tordue et remise à sa place.

La nuit s'abat.

Je ne vois plus rien face à moi, tout est calme. J’entends, je sens, je pense… j’ouvre les yeux et je vis à nouveau.

A mes côtés, chose presque incroyable, un vieux est assis.

Le genre qu’on voit dans les quêtes foireuses, tout moisi avec une jambe enturbannée, un bâton tordu, une bure dégueulasse et une tronche qui a connu des jours meilleurs. Là encore, j’en connais un qui trouverait ça mystérieux. Et il n’aurait pas tout à fait tort, pour une fois.

Je me redresse difficilement, bascule sur le côté encore à demi étourdi et je lui demande :

- C’est vous le vieux Guénol ?

- Hein ? qu’il me fait en semblant revenir de ses pensées.

- Laissez tomber, dis-je en essuyant la boue de mes mains.


Il me fixe avec un œil qui dit merde à l’autre et un sourire qui a l’air de se foutre de moi.

- Le réveil est dur hein chevalier ?

- Vous avez un sens de l’observation hors norme vieillard, j’ai l’impression d’être revenu du fin fond des enfers.

Il rigole franchement maintenant. « Pt’être bien mon gars, pt’être bien... Le Nazaréen semble vous avoir à la bonne. Il ne fait pas son grand tour de passe-passe tous les matins pour le premier clodo qui passe, j’vous l’dis. »


Il guette ma réaction et il ne semble pas déçu du voyage vu qu’il montre carrément les 4 dents jaunies qu’il lui reste. On dirait presque qu’il va se mettre à danser la gigue tellement j’ai l’air de l’amuser.

- Ce sont les dieux qui vous envoient ? La dame du lac ?

- La dame de ? Me faites pas rire, même à plein régime elle n’aurait pas été foutue de faire péter une foutue mule en la regardant dans le blanc de l’œil, alors là déconnez pas… quant aux dieux ! C’est fini mon gars, ouep ! Ils sont cuits les dieux, finis, terminés, ils ont eu leur tour et ils ont perdu la partie. Maintenant là-haut c’est le Dieu unique qui tient la boutique et croyez-moi c’est plus vraiment la même tisane.


- Je n’y comprends plus rien là, vous pouvez être plus clair ? C’est pas franchement que j’y met de la mauvaise volonté mais y a pas mal à assimiler et je viens juste de débarquer.


Là il ne rigole plus, le ton change dès les premiers mots.

- Écoutez attentivement gamin, c’est LUI qui décide, et IL a décidé pour je ne sais quelle raison, que vous deviez continuer votre maudite battue dans ce pays en train de crever. Celui que vous appelez Méléagant est une épine dans notre pied depuis trop longtemps. Si sa tête est à prix en ce monde, son âme, ou ce qu’il en reste l’est encore plus dans l’autre. Vous avez été remis sur pied, alors levez-vous et traquez-le !

La pièce est tombée ? Ça ira bien ou j’dois vous faire un dessin en prime ?

J’opinais brièvement du chef en espérant avoir l’air convaincant et je lui demandais alors qu’il se relevait en s’aidant de son bâton.

- Et vous êtes ?

- Moi ? Tu veux vraiment savoir qui je suis ? dit-il en reprenant un air goguenard. Je suis ton père !

Puis se ravisant aussitôt dans un éclat de rire semblable au crépitement d’un feu de bois trop sec, il rajouta vivement :

- Je suis Joseph d’Arimathie, blanc bec ! Les clous, le suaire, le Graal, c’est bibi !

- Le Graal vous savez où est le Graal ?

- Ouais, un peu que je sais où il est le Graal. La lumière pour les peuples, la paix, l’éternité et tout le tremblement. Mais là ce n’est pas la question, et reprenant un ton sérieux, chaque chose en son temps chevalier, et justement, une dernière recommandation à ce sujet… Il commençait à s’éloigner.

- Je vous écoute.

- Foutez donc la paix aux bocaux à anchois ! cria-t-il.

Et là-dessus il disparut dans l’obscurité.

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