Les Angles et les obtus
LES ANGLES ET LES OBTUS - Partie III : Carrément à l’ouest
Grande salle. Le roi Arthur, les seigneurs Perceval, Lancelot et Léodagan, penchés sur une carte.
LANCELOT
Et donc là, au-delà des vallées, il y a les plaines jusqu’à la mer. LEURS plaines.
ARTHUR
"LEURS" pour l’instant.
PERCEVAL
L’heure ? Oh ben pour l’instant il doit être dans les onze heures, pourquoi Sire ?
LANCELOT, agacé
Seigneur Perceval, serait-ce trop vous demander de vous concentrer un minimum ?
LÉODAGAN
Ah ben, si y’a moyen de récupérer un accès supplémentaire à la mer dans l’opération, alors ça me va. J’ai entendu dire qu’ils y avaient fait mettre des tourelles dernier cri pour surveiller les mouvements de flotte ennemie. Alors si on peut se les mettre dans les fouilles au passage…
ARTHUR
Et ça servira à quoi qu’elles soient dernier cri si les types que vous flanquez dedans sont pas foutus de faire la différence entre un drakkar viking et des barcasses de pêcheur !
LÉODAGAN
Oh non mais vous allez m’la ressortir jusqu’à quand, c’t’histoire ? Mes gars, je leur dis "flèches enflammées en cas d’invasion", ils voient un groupe de bateaux, ils tirent… J’vois pas en quoi ils ont merdé ! Sont pas censés savoir que les grouillots du coin vont pêcher par là !
LANCELOT, vivement
Pas censés savoir que généralement, près des côtes, y’a des pêcheurs ? Pas censés savoir que si ils voient une barque avec quatre types dedans qui relèvent des filets, c’est pas une galère romaine ni une invasion viking ?
LÉODAGAN
Oh mais qu’est-ce que ça peut foutre au bout du compte ? Des grouillots ! …’fin bon, si ça peut vous faire plaisir, je ferai passer le mot à tous les guetteurs…
ARTHUR
Ce serait bien aimable de votre part, Beau-Père…
LÉODAGAN
Ben vous me connaissez, dès que je peux faire plaisir…
PERCEVAL
On pourrait peut-être aussi dire aux types de pas aller pêcher juste DEVANT les tours, mais de rester à l’arrière ! Comme ça les guetteurs pourront pas les confondre avec des ennemis, puisqu’ils les verront pas !
ARTHUR, ironique
Oh, ben oui, on va leur dire d’aller pêcher dans les terres, tiens, ce sera moins dangereux… D’autant qu’en plus, il parait qu’y a beaucoup moins de naufrages en forêt !
PERCEVAL
Ah ouais, mince, j’avais pas pensé à ça…
LANCELOT, pointant du doigt sur la carte
Bon, si on revenait au sujet ? Enfin, je m’en voudrais de presser qui que ce soit, mais je me permets tout de même de rappeler que le chef Angle est dans la pièce d’à côté avec Bohort qui essaie de se faire comprendre par gestes et le père Blaise qui lui fait des dessins, et qu’on n’a toujours pas décidé précisément de ce qu’on va exiger en échange de cet accord de paix.
PERCEVAL
Oui, bon, ça va Seigneur Lancelot, y’a pas le feu au lac ! (à Arthur) Hé hé, "au lac", vous avez vu Sire, je viens de faire un jeu de mot !
Les trois autres se regardent d’un air navré
PERCEVAL, insistant
AU LAC ! Comme la Dame du Lac ! Comme vous, Seigneur Lancelot !
Gros soupir de Lancelot
PERCEVAL, insistant plus encore
"Lancelot du Lac !"… "le feu au lac !"
ARTHUR, agacé
Oui, bon ça va comme ça, Seigneur Perceval ! Et comme le disait à l’instant le Seigneur Lancelot–
PERCEVAL, fier de lui
Du Lac !
Le seigneur Léodagan abat alors vivement un énorme registre sur la tête du seigneur Perceval.
ARTHUR, soulagé
Merci, Beau-Père
LÉODAGAN
C’est comme j’vous dis, vous me connaissez, dès que je peux faire plaisir…
ARTHUR, reprenant
Nous disions donc… Revenons à nos moutons… à nos Angles… à notre carte. Les plaines de la côte est, là, c’est sûr que ce serait drôlement avantageux… Et si on pouvait récupérer ces territoires un peu plus au nord, là, ce serait carrément le pied !
LÉODAGAN
Surtout le "pied à terre" : on pourrait y installer une petite garnison, histoire de bien marquer le territoire…
ARTHUR, levant un sourcil
Vous aussi vous vous mettez aux jeux de mots, Beau-Père ?
LÉODAGAN
Désolé, je crois que c’est l’autre connard, là, qui m’a contaminé.
PERCEVAL
Ben c’est pour détendre l’atmosphère ! On est tous toujours tellement sérieux et professionnels… Nan franchement, faut savoir se relâcher de temps en temps !
Regards incrédules du roi et de Lancelot.
ARTHUR
Bref…
Tout le monde se repenche sur la carte
ARTHUR, montrant sur la carte au fur et à mesure
La côte, là, les vallées plein nord, et la plaine ainsi que la forêt en allant vers l’ouest.
PERCEVAL
L’ouest ? Mais vous aviez dit que c’était la côte est, ça !
ARTHUR
Ben oui, C’EST la côte est.
PERCEVAL
Ben alors pourquoi vous dîtes que c’est à l’ouest ?
ARTHUR, regardant Perceval
Nan mais c’est à l’OUEST de l’EST !
PERCEVAL
Ben, pourtant le nord, il est pas au sud !
ARTHUR
Hein ?
LANCELOT
Quoi ?
ARTHUR
Seigneur Perceval, je vous demande deux petites minutes d’intense concentration. Juste deux. Ces terres, là, sont à l’est par rapport à nous. À l’est de l’île, sur le littoral. Donc, c’est la côte EST (d’un trait de son doigt, il désigne cette côte sur la carte). La mer, elle, est encore plus à l’est (il place sa main au dessus de zone concernée). À l’est de la côte, si vous préférez. Tandis que les plaines, la forêt et les vallées, bref, tout ce que vous pouvez voir ici (il montre leur emplacement sur la carte), se trouvent à l’OUEST de cette côte.
PERCEVAL, regardant le roi et clignant des yeux
J’ai rien bité, Sire.
LANCELOT, s’énervant
Ces terres, là, ainsi que la côte est, elles sont à l’est par rapport à nous, mais elles sont à l’ouest par rapport à la mer ! C’est pourtant pas compliqué, si ?
PERCEVAL
La mer ? Mais de toute façon on est sur une île, ici, même qu’on appelle ça l’île de Bretagne, donc de la mer y’en a partout autour !
LANCELOT, après un gros soupir
D’accord, mais à moins d’être en plein milieu on est tout de même toujours plus près d’un bord que de l’autre ! Et en l’occurrence, c’est de cette mer là (il l’indique sur la carte) qu’on vous parle depuis tout à l’heure, pas de la mer d’Irlande, espèce de débile !
PERCEVAL
De toute façon, j’sais même pas où c’est, la mer d’Irlande.
LÉODAGAN, du tac au tac
Près d’l’Irlande.
PERCEVAL
Ah ouais ?
ARTHUR
Près du Pays de Galles, aussi, soit dit en passant.
PERCEVAL
J’sais pas non plus où c’est, le Pays de Galles.
Les trois autres le regardent, effarés.
LANCELOT
Mais… mais… mais c’est chez vous, espèce de crétin.
ARTHUR
Accessoirement.
PERCEVAL
Ben non, chez moi ça s’appelle Caerdydd !
LÉODAGAN
Oh putain ! (à Arthur et Lancelot) Nan mais là, débrouillez-vous sans moi, j’abandonne.
ARTHUR
Bon allez, pour aujourd’hui on s’en fout du Pays de Galles, et on revient sur les Angles et sur notre carte, là.
LANCELOT
Bon alors on dit : les plaines, là, les vallées, là, la forêt – tant qu’à faire – et tout le littoral de là à là. Ça nous permet de nous étendre fortement sur la façade est. Et en plus de ça, on les intègre à la fédération, d’où imposition, et taxe militaire ou bien obligation d’un temps de service dans nos armées.
ARTHUR, content de lui
Pas mal, hein ? Et tout ça sans verser une goutte de sang. Qu’est-ce que vous dites de ce résultat, Beau-Père ?
LÉODAGAN
Mouais, bof. Intéressant, c’est sûr, mais on aurait pu avoir tout ça aussi en les massacrant tout simplement. Propre, net et sans bavure. On aurait récupéré les terres, on aurait pillé donc on aurait eu le fric quand même, et pour ce qui est du temps de service parmi nos troupes, pardonnez-moi mais bon, si il faut se les farcir alors qu’ils causent pas la langue…
LANCELOT, vivement
Hé ben avec le temps, ils s’y mettront ! Ils sont pas complètement bornés, tout de même… En tout cas, l’extension de nos terres jusqu’à la façade est, et en prime ce petit bout au nord, c’est une bonne opération, Sire.
PERCEVAL
Et au sud, on gagne quoi ?
ARTHUR, soufflant
Le sud, il est DÉJÀ à nous.
LÉODAGAN
Nan mais vous fatiguez pas, j’vous dis ! Faites comme moi, tapez-lui dessus, ça lui f’ra au moins fermer sa mouille quelques instants.
LANCELOT, pour lui-même
Faut avouer que la perspective est tentante…
PERCEVAL
Nan mais c’est quand même pas ma faute si les types qu’ont inventé ces conneries de nord et de sud ont pas été foutus de faire des trucs clairs et qui changent pas ! Ces machins, selon comment on est tourné, c’est plus la même chose !
ARTHUR, prenant sur lui
Non, ça c’est la droite et la gauche.
PERCEVAL
Ben non, ça ça change pas : j’aurais beau me tourner dans tous les sens, et même me mettre la tête en bas et les pieds au mur, ma main droite ce sera toujours la même, je suis pas con quand même ! Et puis je la reconnais facilement parce qu’un jour le père Blaise m’a planté le bout de sa plume à travers la peau, soi-disant que je racontais pas les choses dans l’ordre et que ça le gênait pour prendre ses notes ; en tout cas ça lui avait drôlement mis les nerfs en pelote, il devrait se mettre à la camomille. Bref, j’ai toujours la marque, là, regardez (il leur tend le dos de sa main GAUCHE), c’est pratique, pas moyen d’me gourer. Infaillible !
ARTHUR, après un gros soupir
Beau-Père, pouvez me passer le registre, s’il vous plait ?
(À suivre…)