Monstres et compagnie

Chapitre 3 : "Vous êtes un tocard !"

4139 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2019 18:00

(OldGirl, j'ai rajouté une référence spéciale rien que pour toi... mais trop facile à trouver :-D)


« Vous êtes un tocard ! »


McCoy l'avait mauvaise. Vraiment mauvaise. Peut-être l'ambiance délétère qui régnait à Kaamelott, où tout le monde semblait avoir pour loisir principal d'insulter son voisin, avait-elle déteint sur lui. Peut-être le fait d'être passé une seconde fois dans le portail du Gardien de l'Éternité pour se retrouver dans une époque incompréhensible avait-il réduit à néant le peu de patience qui lui restait après certains événements récents (il avait failli perdre Jim et Spock à cause d'une horde de diplomates et il avait eu du mal à décompresser après cet épisode [1]). Peut-être les vêtements puants et inconfortables qu'il avait dû enfiler pour « faire couleur locale » lui portaient-ils sur les nerfs – en tout cas, ils étaient responsables d'atroces démangeaisons localisées aux endroits les plus sensibles de son corps, et l’idée de la vermine qui devait grouiller dans ces frusques innommables n'arrangeait certainement pas son humeur.

– Non, Jim, dit-il en essayant (avec beaucoup de difficulté) de ne pas hurler, je ne dis pas qu'on n'aurait pas dû venir, je dis juste que je ne comprends pas pourquoi on se retrouve ici seuls. Pourquoi le roi ne nous a-t-il pas accompagnés ? Après tout, ça le concerne au même titre que nous, et même plus : c'est son royaume, pas le nôtre ! Il aurait au moins pu nous faire escorter par Lancelot ou je ne sais qui qui tienne un peu la route.

Kirk soupira.

– Oui, Bones, je sais, il nous a traités plutôt cavalièrement, mais il faut se mettre à sa place : imaginez que trois types arrivent sans crier gare à bord de l'Enterprise alors que nous sommes en bataille rangée contre les Klingons, histoire de nous compliquer encore un peu plus la tâche… Personnellement, je serais ravi de les envoyer en mission sur une planète plus ou moins lointaine pour pouvoir m'occuper du problème plus tard.

Le médecin haussa les épaules.

– Très bien, nous voilà donc sur place, grâce à leurs sièges de transports, qui équivalent un peu à la téléportation, soit dit en passant…

– Je me demande si la téléportation n'aurait pas pu être inventée à partir de ces sièges, intervint le premier officier, dont les yeux brillaient de curiosité scientifique (la seule émotion, probablement, qu'il était capable d'éprouver, se dit Leonard en levant les yeux au ciel). C'est une hypothèse totalement fascinante.

– Spock, pour une fois, épargnez-nous l'analyse, implora Bones, qui n'était pas d'humeur pour un exposé à propos d'un sujet dont il n'avait strictement rien à faire. Nous sommes au fin fond d'un trou paumé en Ecosse, dans un village boueux et crotté, avec pour seule indication d'aller à la plus proche… taverne… pour retrouver deux chevaliers et un enchanteur et partir à la recherche du monstre du Loch Ness avec eux. Je suis le seul à trouver la situation surréaliste ?

Kirk hocha la tête d'un air de dire « que voulez-vous que j'y fasse ? » et désigna de la main une enseigne peu équivoque (« La chopine pleine »).

– Je crois que c'est là.

Il ne semblait absolument pas décontenancé par la situation, et, même, presque heureux de cette aventure totalement loufoque. Leonard abandonna la partie. Inutile de discuter avec Jim dans ces conditions.

– Alors, souvenez-vous, on se fait le plus discret possible, ajouta le capitaine.

McCoy tourna la tête vers Spock, qui avait dissimulé ses oreilles particulièrement remarquables sous un couvre-chef encore plus ridicule que ceux qui lui avaient déjà servi de camouflage par le passé. Il ne put s'empêcher de sourire. Rien que pour ça, peut-être que ce détour médiéval valait le coup. Dommage qu’on n’ait pas encore inventé les appareils photos.

Il y avait peu de monde à l'intérieur de la taverne, et les trois quarts de ceux qui s'y trouvaient avaient dépassé le stade le plus avancé de l'éthylisme depuis longtemps. Le médecin ouvrit de grands yeux affolés, mais Spock le prit de vitesse.

– Je pense avoir repéré nos futurs coéquipiers, fit-il remarquer de son habituelle voix neutre en désignant trois hommes attablés dans un coin.

Leurs vêtements étaient en effet légèrement plus propres, colorés et luxueux que ceux des autres clients de l'établissement, mais, à part cela, ils avaient l'air d'avoir eux aussi un sacré coup dans le nez. Jim, tout à coup l'air beaucoup moins ravi, soupira, et Bones éprouva, l'espace d'un instant, une pointe de compassion. En tant que capitaine, c'était à Kirk d'aller parlementer – ce qui convenait très bien au médecin, qui sentait d'ici l'haleine pestilentielle des trois hommes.

– Messieurs ? demanda Kirk en s'approchant de leur table.

Le plus grand des trois, vêtu de blanc, se tourna vers eux.

– C'est à quel sujet ? demanda-t-il avec une affabilité qui aurait pu être de bon augure si elle n'avait pas été due à l'ivresse.

– Nous sommes ici à la demande du roi Arthur, afin de vous aider dans votre quête, expliqua Kirk, et McCoy estima qu'il s'en était plutôt bien tiré.

Un des hommes lui désigna des chaises vides.

– Vous allez pouvoir nous expliquer ça autour d'un casse-croûte, déclara-t-il. Patron ! Six poulets, trois saucissons, et quatre bouteilles !

Bones se demanda brièvement, non sans amusement, ce qui se passait en ce moment dans l'esprit de Spock, qui était végétarien et insensible aux effets de l'éthanol – mais, comme à son habitude, le Vulcain demeura totalement impassible.

Même pas drôle.

.

– Il est traître, ce vin, fit remarquer le dénommé Kirk, qui en était à son troisième verre.

– Ah, c'est sûr, quand on n'a pas l'habitude, il assomme un peu. C'est pour ça qu'il faut manger, ça fait passer.

Karadoc sourit aux nouveaux venus en leur passant le saucisson aux noisettes. Le roi Arthur était tout de même bien sympa de leur envoyer des renforts. Ça faisait trois jours qu'ils étaient arrivés à Inbhir Nis, et ils n'avaient pas encore vu la queue du monstre. Pourtant, ils avaient mis au point une technique infaillible pour le capturer, avec des graviers et un furet mort, mais c'était l'occasion qui leur manquait.

Il se méfiait cependant du plus grand des types. Un mec qui bouffe pas et qui boit pas, il faut s'en méfier, c'est la base. Par contre, Kirk était quelqu'un de bien. Il avait attaqué avec enthousiasme un pâté de campagne et choisi sans hésiter la miche de pain adaptée pour que le goût ressorte bien. Il avait ensuite envoyé chier le plus petit des trois types, qui essayait de l'emmerder avec des conseils à la con, du genre de ceux du maître d'armes, « bouffez plutôt des graines », même s'il ne l'avait pas dit comme ça.

Ils étaient en train de parler stratégie, quand soudain, au beau milieu de la conversation, Merlin poussa une exclamation :

– Oh, comme tu es mignon ! Petit petit petit, viens par ici…

Tout le monde se retourna vers la bestiole qui trottinait vers leur table. [2] Karadoc ne put s'empêcher de grimacer. C'était un coup à vous couper l'appétit, ce genre de machin-là. Ça ressemblait vaguement à un chien, en tout cas c'était aussi poilu, mais avec une tête toute enflée, rouge et violette, des yeux globuleux, des oreilles en pointe d'où coulait une sorte de liquide verdâtre répugnant, des chicots moisis et une langue jaune qui traînait par terre. L'haleine du bidule se sentait à des kilomètres à la ronde et soulevait presque le cœur du chevalier. Karadoc reposa sa cuisse de poulet dans son assiette et remarqua que les poils de la créature, couleur bouse de vache, étaient collés par paquets dégueulasses et laissaient voir la peau violacée et couverte de croûtes.

– Sérieusement, vous le trouvez mignon ? demanda Perceval, qui fixait la chose avec autant de répugnance que son voisin de table. On dirait qu'il est passé sous les sabots d'un cheval, votre machin, et c'est pas pour dire, mais il sent pas la violette !

– Sachez, Môssieur Perceval, que ce « machin », comme vous dites, est une mogriave, et qu'il s'agit d'un animal sacré pour les druides !

– Ouais, mais comme je suis pas druide, je m'en fous, et puis ça me donne envie de gerber, répondit Perceval avec beaucoup d'a-priori. Ou d'appropriation. Ou d'à-propos. (Karadoc n'était pas certain du bon mot.)

Merlin prit son air vexé, ce qui signifiait qu'il s'apprêtait à faire un discours auquel ils n'allaient probablement rien bitter, mais il n'en eut pas le temps, car la mogriave attaqua. Sans prévenir, d'un seul coup, elle se jeta sur le plus proche des envoyés d'Arthur et planta ses dents noirâtres dans son mollet.

Karadoc et Perceval se levèrent et reculèrent prudemment, des fois que la bestiole ne décide de les prendre pour cible lorsqu'elle en aurait fini avec le type. Elle était petite, certes, mais ça pissait le sang.

.

– Ca va aller ? demanda Kirk, inquiet, en se penchant vers Bones, dont le teint avait viré au vert, pendant que Spock s'efforçait de nettoyer la plaie avec de l'eau (pas forcément très propre) puisée à la plus proche fontaine, au sortir de la taverne.

– Merveilleusement, répondit le médecin entre ses dents serrées. Je n'ai pas de tricordeur, mais je n'en ai pas besoin pour vous affirmer que sans les soins adéquats, je vais mourir de septicémie dans moins de vingt-quatre heures. Or, les soins adéquats, en plein Moyen Age, je n'y crois pas vraiment.

Le capitaine lança un regard affolé vers son premier officier, dont les sourcils s'étaient froncés en signe de préoccupation pendant qu'il examinait la plaie. La… mogriave (?!?) n'y était pas allée de main morte et s'était acharnée sur le mollet de Bones pendant deux bonnes minutes avant que Spock ne l'endorme à la vulcaine, seul moyen pour lui faire lâcher prise. Le médecin avait perdu beaucoup de sang et il était évident, au vu de l'état de crasse avancé de la créature, que la blessure risquait de s'infecter.

– Non mais je vais m'en occuper, intervint Merlin. C'est bon, c'est rien, y a pas de quoi en faire tout un plat ! Elle avait faim, c'est tout.

Les trois officiers de Starfleet (même Spock, ce qui en disait long sur la stupidité des propos de l'enchanteur) lui jetèrent un regard stupéfait. La créature les avait attaqués sans aucune raison, et Kirk n'était pas certain de vouloir savoir ce qu'un truc pareil faisait dans une auberge.

– Vous n'avez qu'à aller chercher le monstre pendant que je soigne votre ami, reprit Merlin. Je ne suis pas druide pour rien.

– C'est vrai, intervint Perceval, il est trop fort. Sur le champ de bataille, il nous soigne tout le temps. Enfin, pas moi, parce que j'y fous pas les pieds, je préfère garder le stock de flèches, on sait jamais, mais ceux qui se battent.

Kirk retint un soupir de frustration. Dans la légende du roi Arthur, Perceval avait toujours été son préféré, à cause de la quête du Graal qui le fascinait. La réalité était tellement décevante, pour ne pas dire absurde, qu'il ne parvenait toujours pas à réaliser qu'il parlait au vrai Perceval de Galles.

Cela dit, ce dernier n'avait peut-être pas tort. Plus vite ils mettraient la main sur le monstre du Loch Ness, plus vite ils pourraient régler le problème, rentrer chez eux et soigner McCoy correctement.

– Bones, il faut qu'on trouve Nessie le plus vite possible. Les lézards géants avaient une minute de retard sur nous environ, ce qui veut dire, en prenant en compte le décalage temporel calculé par Spock, qu'ils seront là demain au plus tard. Si nous voulons empêcher un paradoxe, nous devons…

– Je sais, grommela McCoy, le temps nous est compté. C'est pour ça qu'ingurgiter un poulet entier arrosé de trois verres – pour ne pas dire seaux – de vin rouge n'était peut-être pas votre meilleure idée.

Kirk se sentit rougir.

– Il fallait bien leur expliquer les raisons de notre présence ici ! protesta-t-il, tout en sachant que son argument était totalement spécieux.

En réalité, ils avaient dû expliquer plusieurs fois, lentement, avec des mots simples, et Kirk avait décidé que boire était le meilleur moyen pour oublier qu'il était en train de parler avec des légendes vivantes qui ne maîtrisaient pas le vocabulaire de base et ne comprenaient pas les concepts les plus élémentaires.

– C'est bon, allez-y, je reste ici. De toute façon, je ne vous serai d'aucune utilité, je peux à peine marcher.

L'inquiétude revint en force dans l'esprit du capitaine.

– Vous êtes sûr que ça va aller ? répéta-t-il.

– Bien sûr, ricana le médecin. Après tout, je suis en compagnie du fameux Merlin l'enchanteur. Qu'est-ce qui pourrait m'arriver ?

Le druide se rengorgea. Kirk s'abstint sagement de lui expliquer le principe de l'ironie.

.

– Détendez-vous, intima Merlin en fouillant dans son sac, ravi de l'occasion qui lui était offerte de pouvoir mettre en pratique les nouveaux principes de la médecine qu'Arthur ne le laissait pas pratiquer sur le champ de bataille.

Les silhouettes de Perceval et du plus grand des trois individus venaient de disparaître à un bout de la grande rue, tandis que celles de Karadoc et de Kirk s'éloignaient de l'autre côté. Ils avaient décidé de se séparer pour rechercher le monstre, chaque tandem partant dans une direction pour effectuer le tour du lac.

Quant au dénommé McCoy, assis sur un banc de pierre près de la fontaine du village, il semblait légèrement nerveux à l'idée de rester seul avec Merlin.

– Oh, je suis on ne peut plus détendu, dit-il avec un sourire de guingois.

– Parfait. Serrez les dents, ça risque de piquer un peu.

Le druide tira de son sac une poignée de gros sel qu'il appliqua sur la blessure sans autre forme de procès. S'il prévenait les gens, ces derniers le menaçaient de leur poignard avant qu'il ait eu le temps d'assainir la plaie. [3]

– Mais ça va pas, non ? hurla l'homme en reculant précipitamment avec une grimace de douleur. Vous êtes complètement cinglé !

Merlin soupira. Encore un qui n'appréciait pas l'art de la médecine à sa juste valeur.

– Faites-moi confiance, c'est une façon nouvelle de soigner les blessures, ça marche vachement bien, sauf si on ne respecte pas la posologie.

– Et c'est quoi la posologie ? « Une poignée de gros sel » ?

– Exactement, approuva le druide, ravi de voir que l'autre comprenait rapidement. Puis je vais vous appliquer un emplâtre à base de fiente de porc et…

– Il n'en est pas question ! vociféra McCoy tout en frottant sa jambe pour enlever le sel.

– Mais ne touchez pas, vous allez faire saigner encore plus, et après, si ça s'infecte…

– C'est déjà infecté, espèce de crétin ! Et je ne pense pas que la fiente de porc améliore les choses, si vous voulez le fond de ma pensée.

Merlin, vexé, se redressa de toute sa hauteur.

– Sachez, Môssieur, que la fiente vient d'un porc que j'ai nourri moi-même avec les meilleurs glands de la région de Kaamelott ! C'est de la fiente de super qualité ! Alors un peu de respect s'il-vous-plaît !

– Ecoutez, soyez gentil, laissez-moi, partez, je vais m'occuper de ça tout seul, d'accord ?

– Parce que vous êtes druide maintenant ?

– Non, mais médecin, oui, et j'aimerais vraiment avoir une chance de survivre à cette journée. Ce qui, avec vous, me semble difficile, si ce n'est impossible.

– Vous êtes médecin ? demanda Merlin, abasourdi.

– Oui, répondit l'autre en essuyant la sueur qui coulait le long de sa tempe.

– Oh, et vous avez tué beaucoup de gens ? Il paraît qu'au début, le pourcentage n'est pas terrible, mais qu'on s'améliore après cinq ou dix ans de pratique.

Le regard que lui jeta son interlocuteur l'arrêta net. Il avait déjà vu cette lueur meurtrière dans les yeux d'Arthur, pas plus tard que trois semaines auparavant, lorsqu'il avait fait cramer les cuisines du château, sans le faire exprès, en voulant faire cuire une morue. Et l'expression assassine de McCoy n'avait rien à envier à celle du roi lorsque son exaspération atteignait ses limites.

– Je n'ai encore tué personne, siffla le médecin entre ses dents, mais je pourrais bien m'y mettre maintenant si vous y tenez tant que ça.

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– Mais là, comment vous pouvez être sûr qu'on est partis vers l'est ? Parce que selon comment on est tourné, ça change !

Spock jeta un bref coup d'œil à son compagnon de marche et choisit (sagement) de ne pas répondre. De toute façon, il ne voyait même pas ce qu’il aurait pu répondre à une telle question. Il était évident que toute forme de logique glissait sur Perceval de Galles sans l'atteindre, de la même façon que l’eau glissait sur les plumes des canards, le Vulcain l'avait déjà constaté durant leur « conversation » à la taverne. Or Spock n'était capable de parler que de façon logique.

Pour la première fois de sa vie peut-être, il se sentait totalement démuni.

– Moi, je vous le dis, il faudrait remplacer l'est et l'ouest par autre chose. Par exemple, on dirait « le côté de la rivière », ou alors « le côté des chiottes », ça serait quand même plus simple.

Spock se mordit la langue pour ne pas répondre que rien n'était plus simple, ni moins changeant, que les points cardinaux, et se contenta d'acquiescer d'un bref signe de tête.

– Eh ben, vous êtes pas causant, vous !

– En effet, répondit le Vulcain.

Ils marchaient depuis exactement quarante-trois minutes, et il n'avait pas eu un seul instant de silence pour pouvoir tourner son esprit vers celui de la créature qu'ils recherchaient. Le capitaine et le premier officier s'étaient séparés afin de mettre toutes les chances de leur côté. S'ils avaient laissé ensemble les deux chevaliers, il eût été certain qu'ils eussent manqué Nessie même s'ils étaient passés à un mètre de lui – ou qu'ils se seraient enfuis en courant au lieu de chercher à initier une communication. Mais Perceval et Karadoc semblaient déterminés à « les aider », et rien n'avait pu les dissuader de les suivre. Les deux duos étaient donc partis chacun de leur côté, laissant McCoy entre les mains du druide. La blessure du médecin avait un aspect peu engageant et Spock espérait que, contrairement à ses compagnons, Merlin serait à la hauteur de sa réputation.

Il en doutait cependant fortement.

– Du coup, pourquoi est-ce qu'il ne faut pas le tuer, le serpent géant, finalement ?

Le Vulcain lança un regard incrédule à son compagnon de route. Ils avaient expliqué la situation à Perceval et Karadoc exactement sept fois (évidemment sans mentionner le fait que les créatures qui attaquaient Kaamelott, ainsi qu’eux-mêmes, venaient du futur et d'une autre planète), mais, visiblement, l'idée n’avait toujours pas pris racine dans l'esprit du chevalier.

– Nous allons lui demander de l'aide afin d'exterminer la menace qui pèse sur votre château.

– Ah, ouais, c'est vrai. Heureusement qu'on était déjà là, hein ? Sans nous, vous auriez du mal à le trouver, le serpent géant. Vous êtes pas du coin, ça se voit, et vous avez pas l'habitude avec les monstres, alors que pour Karadoc et moi, c'est notre plot quotidien.

– Votre lot quotidien, corrigea Spock, qui sentait son impassibilité vulcaine s'effriter de minute en minute.

– Ben non, je joue jamais à la tombola, ça me saoule.

Le premier officier se rendit compte, avec un certain effarement, qu'il venait de reprendre un humain sur une expression métaphorique, et que ledit humain avait pris ses propos au premier degré – et, soudain, il comprit ce que cette attitude pouvait avoir… d'agaçant pour les autres.

Bien sûr, il ne l'avouerait pas au docteur McCoy. Même sous la torture.

– Avec Karadoc, on a eu l'idée d'attirer le serpent géant avec un furet mort et de lui balancer de la petite caillasse dans les yeux pour l'aveugler. Ça vous semble une bonne technique ?

Spock resta muet. Il ne partageait pas la déception évidente du capitaine en découvrant que les héros de Chrétien de Troyes étaient en réalité de parfaits imbéciles, mais l'absurdité du moindre des propos de Perceval se heurtait à son sens aigu de la logique et faisait vaciller ses boucliers mentaux sous la force de l'irrationalité de son interlocuteur.

– Le seul problème, c'est qu'on n'a pas trouvé de furet mort.

Encore une fois, que répondre ? se demanda le Vulcain.

.

– Je suis bien content de faire équipe avec vous, Seigneur Kirk, affirma Karadoc d'un ton perpendiculaire [4].

Il était parfaitement sincère. Bien sûr, il aurait préféré continuer avec Perceval, mais après tout, il n'était pas mal de montrer aux nouveaux venus ce dont ils étaient capables. Et ce Kirk lui plaisait décidément.

– Moi aussi, Seigneur Karadoc, répondit ce dernier, un peu distraitement.

Il scrutait chaque buisson, chaque rocher, chaque recoin, comme si le serpent géant pouvait se trouver tout près. C'était un peu ridicule, parce que le monstre était forcément dans le lac, et qu'ils n'allaient pas le trouver sur le bord de la route.

– Parce que, c'est pas pour dire, mais vos copains, ils ont pas l'air très marrants. Le grand, on dirait qu'il a avalé un balai, et le plus petit, il est chiant avec ses conseils alimentaires. Est-ce qu'il mange des graines ?

Kirk se tourna vers Karadoc. Il semblait un peu interloqué.

– Est-ce qu'il mange quoi ? demanda-t-il.

– Des graines, des petits machins secs, des fèves, des haricots, des trucs comme ça. Parce que généralement, ça rend pas aimable. Les gens qui mangent pas assez de gras, ils sont souvent de mauvaise humeur. Dites, au fait, je voulais vous demander, ajouta le chevalier, pourquoi on peut pas le tuer le monstre au lieu de le capturer ? Je sais, vous nous l'avez déjà expliqué, mais c'est chaud, j'ai pas tout pigé.

Il y eut un silence. Kirk, qui continuait à le regarder bizarrement, ne répondit rien.

– En tout cas, c'est assez dangereux comme mission, non ? Vous êtes même pas armé.

– Ne vous inquiétez pas pour moi, répondit l'homme avec un sourire, occupez-vous plutôt de vous.

– Oh, moi j'ai accepté cette mission en toute technique d'arrosage [5], y a pas de problème.

Kirk ouvrit la bouche comme s'il allait faire une remarque, puis il prit une profonde inspiration, referma la bouche, soupira, et continua à avancer sur le chemin qui bordait le lac.

– Et si on chantait pour faire passer le temps ? suggéra Karadoc. Vous connaissez le canon « L'amour étant enfant de raison ? »

– Euh… non.

– Alors je vais vous l'apprendre.

Il y eut un bruit dans les fourrés, sur leur droite, et Karadoc eut juste le temps de fermer les yeux et de s'aplatir à terre avec un hurlement de terreur.



[1] "Journey to Babel" (TOS saison II épisode 10) : dans cet épisode, Kirk est poignardé par un assassin qui bute un des diplomates à bord de l'Enterprise, et Spock doit faire une transfusion sanguine pour sauver son père ; conclusion, ils se retrouvent tous les deux à l'infirmerie et McCoy a un petit moment de stress face à l'ampleur des dégâts et au boulot qu'il doit faire. J'imagine que cette histoire se passe peu de temps après cet épisode.

[2] Selon Merlin, la mogriave, « c’est comme un petit chien mais hyper vilain ».

[3] Un épisode de Kaamelott est consacré aux tentatives de Merlin d'apprendre la médecine au lieu de soigner les gens avec des sorts. Je ne pouvais pas laisser passer l'occasion...

[4] Péremptoire, évidemment – mais Karadoc a tendance à confondre.

[5] En toute connaissance de cause. Accessoirement une de mes expressions préférées de Kaamelott.


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