Retrieve Bass
Une soudaine pluie s'annonce juste en fin de journée. L'averse n'est pas bien lourde, à peine un crachat, mais elle dure assez pour qu'on entende les premières plaintes.
Les élèves qui étaient prêts au départ, s'attroupant dans les couloirs où dans les hall, sont hésitants pour la plupart à s'engager dehors par. Dire qu'il avait du soleil aujourd'hui... j'en connais une qui doit tirer doublement la tronche.
— Ça valait le coup de garder mon brushing aujourd'hui..., souffle Nobara. J'ai vidé ma bombe de shampooing sec pour rien.
— Dommage que Lou soit partie en voiture, lui annonce une des filles que j'ai pu rencontrer ce midi. Vu qu'elle a finit une heure en avance...
— La veinarde - je la déteste.
Elle s'aperçoit finalement de ma présence, quelque mètres plus loin, sous la pergola de la cours intérieure. Toutefois, elle plisse d'abord les yeux afin de confirmer que c'est bien moi, avant de d'engager toute initiative de mettre un pied dehors.
— Tu n'as pas trouvé mieux comme endroit ? rabâche-t-elle en arrivant à mon niveau. On va se prendre des éclaboussures exposés comme ça.
— Il n'y a jamais personne ici.
Elle capitule en croisant ses bras, contrariée et pour se réchauffer en même temps.
— Alors...Tu es resté toute la journée au lycée ? Félicitations. Quelles sont tes premières impressions après cette expérience inédite ?
— J'étais mieux chez moi.
Elle laisse tomber sa tête en arrière, dépitée. Puis, son sac tombant toujours de son épaule, elle le pose finalement sur la table en ferraille derrière nous.
— Quelle fin de journée de merde. Je te rejoins sur ce coup. Rien de mieux que d'être dans sa chambre, sous sa couette au mieux.
Elle laisse passer un quart de seconde, par politesse, avant d'envoyer :
— Dis, tu te sens pas trop seul quand tu viens en cours ? J'ai bien vu que t'avais pas de groupe de pote.
— Merci de te soucier de moi.
— Sérieux, ça ne t'embêtes pas qu'on t'évite comme la peste ? Dans mon cas, ça m'arrange que certaines personnes m'ignorent. J'en fais de même. Mais, c'est plus compliqué quand des gens que tu ne connais même pas te détestent déjà, non ?
— Non. Ça ne me fait rien particulier, je poursuis en tournant ma tête vers elle.
— T'es une machine ou quoi ? rit-elle en m'épiant de biais. T'es pas triste d'avoir 0 ami ?
Je secoue la tête et elle râle. Ou elle rit. Ou les deux.
— Il y a bien une chose importante dans le lycée - hormis, c'est vrai, réussir en cours -, me dit-elle. C'est réussir en dehors des cours. Savoir que tu n'es pas seule en arrivant en avance, que tu peux retrouver tes amies en permanence, pendant les pauses, lors d'un TP... Pouvoir profiter avec tes potes, c'est ça qui remplit tes journées !
— Je viens pas trop en cours donc le problème est réglé.
— Pourquoi tu viens toujours au lycée dans ces cas là ? Pourquoi aujourd'hui tu es venu par exemple ?
Je tends ma main devant moi, paume ouverte pour vérifier qu'il n'y ait pas trop de pluie.
— J'avais rien de mieux à faire.
Quelques goutes coulent le long de mon poignet avant que je ne secoue ma main. N'oublions pas le l'objectif principal de cette conversation :
— Quand tu serais dispo pour qu'on fasse connaissance ?
— ... Ton côté bad-boy à son charme, mais je passe mon tour pour-
— Pas pour...ça. Concernant le club de musique.
— Oh. Oui, ça me revient. J'ai hâte d'apprendre plus sur cette Jena... Tu vas m'en raconter plus sur vous deux, n'est-ce pas ? Yuji l'a connait. Je suis la seule sur le banc de touche. Il faut bien que tout le monde soit sur un même pied d'égalité. En contrepartie, je vous raconterai ma vie amoureuse. Dans les grandes lignes, hein, sinon ça serait trop long.
— Tout ce que tu veux....tant que tu me fournit une date, j'achève sentant que Nobara n'est pas prête à faire l'impasse sur cette histoire.
— Disons..., poursuit-elle satisfaite, en saisissant son sac jusqu'à l'accrocher sur son épaule. Demain en fin d'aprèm ?
— Yuji m'a dit qu'il avait entraînement à ce moment.
— Tant mieux. C'est parfait.
Sur ce, elle arrange un moment sa frange grâce à la caméra frontale de son téléphone, sans proposer d'autres alternatives. Je comprends que nous nous sommes mal compris :
— Attends, je ne compte pas faire de rendez-vous individuels, je précise en m'avançant jusqu'à ce qu'elle lève les yeux vers moi. S'il n'y a pas tout le monde, ça ne sert à rien.
— J'avais bien compris. Qui a parlé de faire des rendez-vous individuels ? Yuji sera bel et bien présent. Tout comme toi et moi.
Elle fronce les sourcils, soupire puis claque la langue à chaque nouvelles images qui défilent sous ses yeux.
— Et voilà, mes cheveux commencent à faire des frisotis... Temps de chiotte...
— Et son entrainement ? Tu comptes sur lui pour qu'il le loupe ? Il avait confiance en toi pour que tu proposes un moment qui puisse vous arranger.
— C'est ce que je viens de faire, confirme-t-elle un brin irritée. C'est tout trouvé. Demain nous irons tous les trois à son entrainement.
— ... D'où te sors cette idée ? Je croyais que tu ne voulais pas faire de sport avec Yuji.
Sur ce coup, je ne la suis plus très bien. Elle, dont les goût doivent être aussi faciles que pénibles à satisfaire, vient de se mettre volontairement dans l'embarras. Difficile de faire plus contradictoire.
— C'est vrai que j'avais dis que c'est assez démoralisant de faire du sport avec lui, confirme-t-elle sans surprise. C'est pour ça que je mise tout sur le fait que tu sois plus nul que moi pour me réconforter un peu !
— Quel intérêt ? Autant trouver une autre date, et pas besoin d'activité à la rigueur. Je n'y avais même pas songé.
— Le meilleur moyen de découvrir les autres... c'est en faisant ce qu'ils aiment. Tu pourras lire Yuji comme un livre ouvert ! En plus, je pense qu'au contraire tu as bien besoin d'être remué un peu. L'indifférence, ça va un moment. Je t'y vois déjà... Tu baveras de jalousie en le voyant courir comme Usain... Tu te tordras de colère en me voyant te dépasser sur la piste...
Je pince mes lèvres. Son côté tortionnaire ressort d'autant plus que j'arrive parfaitement à me visualiser les scènes en question. Je suis déjà en train de serrer le poing quand elle exulte, pleine d'orgueil, qu'elle compte "me mettre la raclée que je mérite" dès demain.
— Mais ça va être cool ! assure-t-elle finalement. Sinon je ne me mettrais pas dans l'embarras pour rien. Tu ne le sais pas encore, mais tu vas adorer.
Yuji avait bien raison. C'est bien Nobara qui aurait le dernier mot.
♭ ♭ ♭
Je n'avais pas renouvelé ma paire de basket depuis la course de fond de cinquième.
Je n'avais pas pris le temps, non plus, de faire mes lacets, que je les coinçaient simplement sous mon talon quand j'enfilais ma paire. Mon père ne comptait pas m'attendre. Je devais être prêt le plus vite possible.
Aujourd'hui, je devais récupérer l'album des Weezers dans cette boutique, Retrieve Bass !
J'avais encore du mal à croire que j'avais pu dégoter un CD dédicacé du groupe en réservant sur leur site ! La chance me souriait. Ce n'était sûrement pas mon père qui allait gâcher ce plaisir.
— Il va commencer à pleuvoir, fit-il alors qu'il faisait tinter son trousseau de clé dans sa poche de sa doudoune en signe d'impatience. Dépêches-toi, où tu y iras à pied.
— J'arrive ! Sors la voiture je t'y rejoins.
— Je suis pas ton taxi. Actives-toi...et essaie de pas tomber sur tes lacets entre temps.
Je regardais au sol en remarquant que mes lacets avaient réussis à se défaire. Peu importe.
La pluie continuait de tomber tandis que nous étions parqués devant le Retrieve Bass. Ça ne s'était pas arrêté depuis près de trois quart d'heure.
— Je ne vais pas attendre toute la journée non plus, grinça mon paternel en cognant à répétition l'intérieur du toit de sa bagnole où la pluie s'abattait en trombe. Vas-y maintenant, où on rentre.
Il y avait à peine dix mètres entre moi et la porte d'entrée du commerce, dont la devanture ne donnait pas très envie. Je n'étais jamais venu dans cet endroit. Mais à croire les baies vitrées, toujours recouvertes par les tags des promos d'été en plein mois de octobre, rafistolées en renfort de bandes adhésives sur les nombreuses fissures, la clientèle devait aussi se faire rare.
— Sous cette pluie je risque d'abîmer l'album si je sors de la boutique avec...
Toji, dont la patience se déguisait en indifférence, atteignit la poignée de la portière passager et l'ouvrit.
— Faudrait déjà que tu sortes d'ici pour commencer.
Je frissonnais un instant tandis que le vent poussa la pluie à s'engouffrer dans l'habitacle. Je risquais de vraiment l'énerver si l'habitacle se refroidissait trop longtemps à cause de la porte ouverte.
— Je bouge pas d'ici, cèda-t-il enfin, une main toujours un peu trop serrée autour du volant. Alors, tu n'as qu'à attendre la fin de la pluie à l'intérieur du magasin. Par contre, c'est pas une raison pour traîner.
Je mis enfin un pied hors du véhicula, et continua ma course jusqu'à atteindra l'entrée du magasin. Un faible tintillon indiqua mon arrivée, de plus que le couinement de mes baskets mouillées contre le carrelage.
La première chose qui me frappa fut l'odeur de poussière et de carton neuf. Ça n'allait pas ensemble et je me frotta le nez. Le vent était aussi lourd que bruyant car il tapait la tôle du toit, expliquant le bruit macabre d'une marche militaire qu'on entendait au-dessus de nos têtes. Quelle ambiance.
— Tu n'y connais rien... Non, pas cette version...Je te dis que c'est pas ça qu'il te faut...
Deux jeunes étaient nichés derrière un étalage de pochette vinyle et, à en croire l'empressement d'un d'entre eux, leur discussion avait l'air bien animée. Ils étaient bien les seuls clients, tout comme moi, à oser s'aventurer ici par ce temps.
— Bonjour, j'aimerais récupérer une réservation.
L'homme au comptoir tira son regard de l'écran de son ordinateur fixe, dont la ventilation grondait comme le moteur d'une tondeuse en marche.
— Oh, bonjour et bravo à toi pour avoir braver la météo... Ton nom ?
— Fushiguro.
Il pianota quelques lettres sur son clavier, d'une lenteur comparable à celle de mon père. Lui non plus n'était pas très doué en informatique, possédant toujours un téléphone à clapet.
— Non, continua une voix féminine appartenant au duo du fond, tu n'as pas osé...?
— Seuls les idiots oseraient l'acheter. C'est bien mérité, répliqua son congénère.
Moi qui les écoutaient depuis un moment, je ne fus pas étonné quand la fille croisa enfin mon regard depuis l'autre bout. Je regagnais mon attention devant moi lorsqu'on m'annonça :
— J'ai bien trouvé l'article en question. Le petit problème que je vais avoir... c'est que cet article n'existe pas. Un peu cocasse comme situation si tu veux mon avis, car croit moi, ici, on veut vendre !
Je fis rebondir mon doigt sur le bois ciré du comptoir.
— C'est-à-dire ? Vous l'avez ou pas ?
— Je ne comprends pas moi même. Weezer, l'album, je l'ai en stock. Mais, à mon bon souvenir, il n'a jamais été question d'un exemplaire dédicacé.
— Et l'annonce... ?
— Ça doit être une erreur... J'ai laissé Hakari mettre en ligne les articles alors je suis-
— Hey, nous interrompt une voix plus loin, vous parlez de ça ?
La fille de toute à l'heure brandit à bout de bras l'album depuis le fin fond du magasin. Je n'ai pas besoin de vérifier deux fois pour comprendre qu'il s'agit de ma réservation.
Je m'avançais jusqu'à eux mais le chemin semblait durer bien trop longtemps que nécessaire. Du moins, ce n'était que la sensation.
La demoiselle, à peine plus grande que moi mais sans doute du même âge se tenait à côté du garçon, qui avait l'allure d'un tolard en cavale. J'avais bien du mal à me faire à l'idée qu'ils devaient se connaître, vu qu'ils n'avaient rien de similaire.
— J'avais réservé ce vinyle. Je peux l'avoir ?
La fille souleva un sourcil en jetant un dernier coup d'œil à son camarade. Sans réaction de sa part, elle me le remis entre mes mains. Je mis pas moins d'une seconde avant de découvrir la supercherie.
— C'est... quoi cette signature dessus ?
— Dédicacé, tu sais ce que ça veut dire au moins ? corrigea l'homme que je devinais être un vendeur en découvrant son badge.
Je fis rouler la pochette entre mes doigts, en détaillant de nouveau la couverture. Mon verdict tomba :
— C'est pas ce que j'avais vu sur le site.
— Ah ouais ? Et qu'est-ce que t'en sais ?
— Je le sais. Ce n'est pas la signature du groupe. Je l'aurai reconnut. Quelqu'un d'autre a gribouillé à leur place.
— Hakari, t'es vraiment lourd, s'agaça sa copine au bout d'un moment.
— Je ne compte pas le prendre évidemment, je constate en remettant l'article aux mains du fameux Hakari. Ce n'est pas très pro de votre part.
Hakari se contenta de pousser une nasale, en observant à son tour l'article sans se départir de son sourire carnassier. S'il pensait m'avoir, c'était raté. "Seuls les idiots oseraient l'acheter. C'est bien mérité." Je comprends mieux le contexte de sa remarque que j'avais entendue plus tôt.
— Il a voulut faire une blague, de très mauvais goût je te l'accorde, révèle son acolyte qui ne semble pas bosser ici.
— Ouais, on appelle ça de l'arnaque surtout.
— Quel coincé du cul, ricana-t-il.
J'étais plutôt ennuyé que vraiment en colère. Mes sourcils se froncèrent à peine, mais pas plus. Surtout, je ne voulait pas provoquer un mec de son gabarit. Restons cohérent.
— Il pensait que les fans de Weezers étaient tous des imbéciles en prouvant qu'ils étaient capable d'acheter n'importe quoi qui avait lien au groupe. Hakari est du genre assez puriste en matière de groupe rock. C'est chiant j'en suis bien consciente.
— Regarde-le, souligna-t-il à son oreille. Tu vois bien que c'est un gamin. J'avais bien raison.
Je devrais partir. J'avais bien compris que la situation n'allait aboutir à rien. Ce serait me tourner au ridicule de rester ici et me-
— Tu dois aimer Island In The Sun j'imagine ?
Mon cerveau mît du temps à recevoir l'information, et de trouver quelques chose de pertinente à dire. Je restais muet avant de retrouver la parole :
— ...C'est ma préférée.
Je ne pensais pas que la réponse allait me tirer un malaise intense. Mais, force est de constater que j'étais bien un de ses fans émotifs qui deviennent tout fébrile à l'évocation de leur morceau favoris. La réaction d'Hakari ne se fit pas attendre :
— Évidemment. On en fait pas deux comme toi, hein ?
Sur ce coup, sa remarque fut la bienvenue puisqu'elle me remit les idées en place. J'avais oublié que j'étais sensé être la victime de cette situation, agissons comme tel. Pourtant, pas ouf le vendeur qui se moquait des clients sous leur nez.
— Ignore-le, me conseilla-t-elle. Tu oublies que Scar Tissue est mon titre préféré des RHCP, et pourtant, tu ne m'as fait aucune remarque, ajouta-t-elle à l'attention de son collègue.
— Ça n'a rien à voir.
— Je pense qu'il mérite un dédommagement, proposa-t-elle contre toutes attentes. Il a quand même réservé son article et fais tout ce chemin pour se prendre des remarques sur ces goûts musicaux. Ça va faire de la mauvaise pub Hakari, tu ne peux pas le nier.
— Sauf que tu bosses pas ici. Donc, tu ne feras rien du tout.
L'inconnue, dans un silence tout calculé, attendit un total de cinq secondes avant qu'Hakari ne reformula en ces termes :
— De toutes façons, ça fera un album des Weezer en moins...
J'épiais l'un, puis l'autre, restant hésitant dans cette situation entonnoir.
— Il me devait des sous, m'informa-t-elle face à ma réserve. Disons que c'est offert par la maison ?
Ah, ça changeait tout. Même si cette fille avait dû participer à cette mascarade, au final je repartais d'ici avec un bonus. Et pas des moindres.
— Merci, je fis en me saisissant de l'album avec une réticence toute feinte. Au fait...tu t'appelles comment ?
Son visage se fendit d'un sourire enjôleur, comme si elle attendait une toute autre question. Ou plutôt, justement car cette question là avait mis du temps à venir.
— Jena.
La réflexion de lui faire remarquer que son prénom lui allait bien, ou que sais-je, vint trop tard...
— Au revoir, me dit-elle. Ne prends pas la flotte en rentrant.
J'acquiesça, comme si parler allait me coûter plus cher. Je déglutis.
— Merci, toi aussi.
Puis, aussi guindé qu'après avoir passé quatre heures sur une chaise d'un DS, je sortis de la boutique.
Quel con. "Merci, toi aussi" ? Sérieusement ? Je marchais plus vite jusqu'à la voiture. Tu aurais du lui demander son numéro de téléphone. Son lycée. N'importe quoi. J'enfonçais mes mains dans mes poches, gagné par la certitude d'avoir été ridicule. Cette fois-ci, tu ne l'a reverras plus jamais, imbécile.
La précipitation me fit perdre l'équilibre et, marchant sur mon lacet défait de surcroît, je m'écrasa au sol. La pluie continua de frapper mon dos, et je me relevais, à genoux dans une flaque, en prenant le temps de savourer mon humiliation méritée, paumes contre le sol, l'album dispersé à proximité.
Quel con.
J'atteignis le véhicule et engouffrais à l'intérieur en claquant la portière derrière moi une bonne fois pour toute. Mon père devait avoir relever que j'avais pris mon temps à l'intérieur, et que je trempais sûrement son siège avec mon pantalon mouillé. Pourtant il remarqua seulement :
— Je t'avais dis de faire tes lacets.