Retrieve Bass

Chapitre 5 : cinq mauvais perdants

2933 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 29 jours

J'ai été bête sur ce coup.

— Fous le camps d'ici.

Je ne m'attendais pas à ce que lycée envoie une lettre à notre domicile concernant mon expulsion. Mon père vient de découvrir le pot aux roses. Et il déteste les roses.

— Qu'est-ce que tu comptes faire ? ajoute-t-il après avoir jeté la lettre broyée dans sa paume.

La cuisine n'est pas le meilleur endroit pour manger en paix. Je ramasse mon bol de céréale dans une main et récupère mon livre dans l'autre. La matinée débute bien...

— Où est-ce que tu vas ? dit-il alors que je me lève de la table à manger.

— Tu m'as dit de partir. Je vais dans ma chambre.

— T'es un petit malin pas vrai ? Bouge pas d'ici.

J'avale ce qui me reste dans ma bouche tout en posant le bol à côté de l'évier. Je ne suis pas particulièrement pressé. Et puis, un petit retard de plus ne va faire de mal à personne. Mon père débite :

— Tu as une idée de génie pour te sortir de cette situation ? Tu n'avais pas décroché une bourse en plus ? Qu'est-ce que tu fous sérieux...? Tu sais combien de fois j'ai du prendre ses putains d'appels de l'admin parce que tu faisais le con en cours ? Combien de fois j'ai dû bidonner pour expliquer tes jours d'absence ? Tout ça pour en arriver  ? Tu vas continuer à te foutre de la gueule du monde encore longtemps ?

Il s'approche derrière moi, alors que je suis toujours accoudé sur le rebord de l'évier, continuant la lecture de mon livre. Il murmure presque entre ses dents, assez près pour que je sente son souffle contre ma nuque.

— T'es même pas capable de me regarder en face. T'assumes jamais rien.

Je suis toujours à la même page, à la même phrase, que je continue de lire en boucle dans ma tête tant je n'en saisis toujours pas le sens.

— Fais ce qu'il te plait, abrège-t-il. Tu n'écoutes personne après tout. Personne à part toi. Alors...fous le camp d'ici.

— ...Tu m'as dis de ne pas bouger.

Mon père ne s'énerve jamais pour de vrai. Il se contente de me rappeler que je suis bien con de m'être fait prendre. Si je dois être un mauvais élève, autant le faire jusqu'au bout, voilà ce qu'il m'a toujours appris. Mais même ça, je n'y arrive pas.

Il me pousse l'arrière du crâne, agacé par ma réponse, avant de quitter la cuisine.

Avant de partir pour le lycée, j'attrape ma paire de basket qui je m'a pas lâché depuis des années. J'inspecte les traces de boue qui ne sont pas partie depuis la dernière fois que je les ais mise, et les fourre dans mon sac de sport. Faudra faire avec.

Le centre sportif rattaché au lycée n'est pas le plus performant de la ville. Il est vieux et d'après mes souvenirs, les murs des vestiaires sont imprégnés de l'odeur de transpiration. 30 ans de crasse accumulée dans ses locaux... raison de plus pour ne pas s'entrainer dans cet endroit.

— Megumi ! m'appelle Nobara en legging et polaire. Je pensais que tu n'allais jamais te pointer !

Elle arrive vers moi en une foulée rapide mais très vite, son expression enthousiaste change en une plus préoccupée.

— Tu vas te changer rassure moi ?

— Non.

Je pose mon sac derrière un banc de touche et m'y assois. Nobara m'observe les bras croisés, tandis que je change de paire.

— Attends champion, tu comptes courir en jean ?

— C'est ça.

Impossible de ne pas ignorer le regard remplit de reproche de la rousse sur ce que je porte. Moi, je suis satisfait d'avoir choisit un baggy aujourd'hui pour pouvoir le salir la conscience tranquille.

— Je n'ai pas pris d'affaire de rechange. Et puis, devoir me préparer dans les vestiaires...non merci.

— Ou tu aurais pu arriver en jogging. Comme nous.

Je noue mes lacets, sachant très bien qu'ils risquent de se défaire dans les quelques mètres.

— Vous êtes là depuis longtemps ? je demande en levant à peine les yeux vers l'étendue du terrain extérieur.

— Une bonne demie-heure je dirai.

Yuji est posté sur une ligne de départ, ses airs-pods vissé aux oreilles. D'une main, il tient sa cheville contre l'arrière de sa cuisse et de l'autre, son cellulaire.

— Yuji passe ses après-midi ici. Il doit voir son coach juste après.

— Tant mieux. On va pouvoir expédier ça.

Je me lève en tournant mes chevilles puis sautille sur place. Ça y est, je suis prêt.

— Tu peux faire quelques échauffements avant de commencer. Je vais prévenir Yuji.

— Pas la peine, je lui dis tout en la suivant. Je viens te le dire je compte expédier cette course.

Elle me regarde derrière son épaule, un brin amusé, un brin moqueur.

— Tu veux prouver à qui ?

— Je ne veux pas perdre mon temps. C'est tout.

— Comme tu veux...mais tu vas le regretter.

A notre approche, Yuji enlève ses écouteurs.

— Salut Megumi, tu connais un peu les règles ?

— Courir j'imagine.

Il place le boîtier dans la poche latérale de son sweat avant de la refermer.

— Exact ! Alors, en piste ?

Nobara se précipite sur le premier couloir tandis que Yuji prend l'autre extrémité. Je me retrouve entre eux, tout en observant leur préparation au départ.

— Une seule course, ça vous va ? Pas besoin de faire plusieurs round ou que sais-je.

— T'occupes Megumi, lance Nobara.

— Tes lacets sont défaits, relève Yuji.

Je baisse mes yeux au sol sur les baskets et ravale un « fais chier ».

— Je fais le décompte ! annonce Nobara sur les starting-blocks. 3...2...

— Eh- attends un peu...!

Je m'empresse de boucler mon dernier noeud avant qu'elle n'enclenche le départ.

— ...Partez !

Je tente d'adopter le bon rythme respiratoire, comme celui que j'ai pu apprendre lors des courses de fond au collège. Ce rythme saccadé qui permettait d'éviter les points de côtés.

J'inspire. J'expire deux fois. J'inspire.

Mes talons claquent au sol et le tambourinement effréné de nos cavales rythme ce terrain désertique.

Qu'est-ce que je fiche ici ?

Les virages affaissent nos lignes de courses, et j'observe enfin l'allure de Nobara qui file tranquillement sous mon nez en m'adressant en supplément, un clin d'œil bien sentit. La garce.

A quoi ça sert de courir ?

Et puis courir, pour aller où ?

Ou plutôt, courir jusqu'où ?

— Je vois pas de ligne d'arrivée ! On doit aller jusqu'où ?

— ...Le plus loin possible ! me répond Yuji sur mon côté.

Alors que je relève avec fierté qu'il ne m'a encore dépassé je constate avec plus d'effroi qu'il pourrai s'agir d'une course de durée.

— Attends ? Quoi !?

Sur ce, Yuji me distance enfin, comme s'il avait sciemment garder la bonne cadence en attendant ce moment précis.

Me voilà derrière eux, contemplant leur dos et leur talon.

J'inspire. J'expire deux fois. J'inspire.

Mes fichues baskets. Pas neuves. Des semelles bidons. Des lacets qui n'ont jamais réussis à former des nœuds corrects. Pas étonnant que je sois dernier de la course.

Mes muscles commencent à s'échauffer tout comme mes cuisses qui frottent à mon jean. Mes poumons transpirent, et je sens cette contraction désagréable dans mon estomac et au creux de ma gorge.

J'espère que je ne vais pas vomir.

Ne vomis pas.

Ses réflexions tournent en boucle dans ma tête. Mais l'effort est tel, aussi intense que persistant, que mon cœur menace de s'arracher hors de la cage thoracique - et mon repas, hors de ma bouche par la même occasion.

Je ressens enfin de la douleur. J'ai mal, et ça n'a rien de jouissif. Pourquoi j'ai accepté ce jeu au juste ?

Impossible de discerner l'état de Yuji et Nobara, qui avalent les mètres dans un silence monacale. Il n'y a que moi qui suis dans une détresse cacophonique.

Me voilà assaillît aussi bien par les points de côtés, que par le risque d'asphyxie - je crois bien que j'ai oublié comme respirer normalement à ce stade.

Vraiment, à quoi ça sert de s'infliger ça ?

Pourtant, je relève après plusieurs minutes que je suis toujours en train de courir.

J'ai mal, mais je continue. Je ne m'arrête pas. Je ne l'explique pas, mais je suis toujours en piste.

J'inspire. J'expire deux fois. J'inspire.

Je reprends enfin le contrôle sur ma respiration. Je me dis alors qu'il y a une chance que je réussisse. Réussir quoi ? Aucune idée. C'est vrai, à quoi ça sert de courir ? À rien.

La question n'est pas de savoir non plus, jusqu'à quand je pourrai tenir le rythme. Mais justement...

Jusqu'où puis-je aller ?

J'inspire. J'expire deux fois. Et enfin, mes jambes déploient leur force insoupçonnée. Je cours, comme s'il n'y avait pas de ligne d'arrivée.

Mais pour moi la course prend fin quand, la seconde suivante, je marche sur un de mes lacet défait et m'écrase par terre.

"Tu pourras lire Yuji comme un livre ouvert ! " C'est ce qu'elle disait, non ?

— Mon Dieu, Megumi tout va bien ?

J'ai une main accroché à mon menton qui est devenu drôlement plus sensible au moindre courant d'air. Quand j'inspecte ma paume, sans surprise, elle est rouge.

— Tu t'es ouvert le -eum- menton du coup.

Nobara, maladroite dans son empathie, s'avance de quelques mètres vers moi pour m'apporter de l'aide, mais je me relève bien avant. Elle aussi transpire aussi abondamment qu'elle ne respire.

— J'aurai jamais dû mettre cette polaire, observe-t-elle en l'enlevant et la nouant sur ces hanches alors que des mèches de ses cheveux lui strient les joues, collées par l'humidité de sa peau.

— J'aurai pas dû mettre ses baskets non plus...

Nobara ne me fait pas le plaisir de me confirmer ma remarque. Elle m'informe simplement :

— Il y a un robinet derrière l'accueil si tu veux.

Je hoche la tête alors que nous nous déplaçons hors de la piste de course. Plus loin, Yuji, toujours dans son couloir, traverse le terrain pour nous retrouver :

— On arrête déjà ? Oh- Megumi, ça va ?

Et je comprends, enfin, ce que Nobara voulait dire.

Yuji, à peine les joues rosies, n'est pas aussi éreinté que Nobara et moi réunit. Je relève l'emprunte fraîche de son sourire dans ses rides autour de la bouche, signe qu'il n'a pas cessé d'apprécier cette course du début jusqu'à la fin.

— Pourquoi vous courrez ? Je veux dire... pourquoi faire ? je demande en sachant bien la futilité de la question. Il y a d'autres façon de faire du sport.

— C'est évident, fait-il en commençant ses étirements. Perso, c'est parce que j'aime ça !

— C'est tout ?

Il hausse les épaules.

— Il faut une raison pour faire ce qu'on aime ?

Je déglutis, et par la même occasion, je me rends compte que j'ai besoin de m'hydrater. Yuji me demande si j'ai besoin de pansements, mais je décline sa proposition.

— T'es sûr..?

— Oui.

Leur yeux en alerte devant mon visage me tire un instant de torpeur. Ça ne doit pas être si horrible que ça, non ? Je me tourne vers la rousse :

— Derrière l'accueil tu dis ?

Nobara acquiesce et je pars chercher le point d'eau.

— Après l'effort le réconfort, tu connais la rengaine ?

J'ai les mains enfoncées dans mon jean, et mon sac à dos pend contre mon dos. J'allais partir, prendre le premier bus, et rentrer chez moi. Ça aurait été beaucoup trop simple...

— J'ai encore de la route pour rentrer.

— Moi aussi j'ai du chemin.

Nobara et Yuji insistent pour que je les accompagne au bowling. Vraiment ? Personne ne devrait forcer quelqu'un à aller "faire du bowling". Selon eux, c'est une sorte de tradition d'y aller après s'être dépensé.

— Allez, la salle d'arcade n'est pas très loin. C'est à côté.

— Tu vas bafouer les valeurs du sport si tu ne viens pas ! Le perdant d'une course est maudit pendant 10 ans s'il n'accompagne pas ses camarades !

Ça fait cher payé la défaite. Surtout qu'ils viennent probablement d'inventer cette tradition à l'instant.

— Tu as mieux à faire ? souligne Nobara alors que je cache un rictus face à leur acharnement. Tu n'es pas sensé être expulsé du lycée depuis ? A quoi ressemble la vie d'un chômeur comme toi je me le demande.

Et pas que. Pour mon père, le message est aussi le même : « Fous le camps d'ici ! ». Je ne suis pas sûr de pouvoir être accepté dans ma propre chambre.

— Ok très bien. Mais, une partie seulement.

Après la 6e manche, Yuji se laisse tomber sur le canapé de notre piste attribuée :

— Je pensais que tu n'avais jamais joué au bowling...

Le panneau d'affichage dévoile le score actuel. Je suis en tête, suivie de Nobara et Yuji à la dernière position.

— C'est le cas.

— Quoi ?! Comment ça se fait que tu enchaînes les strik alors ?!

Je hausse les épaules. « Le hasard » ne doit pas être une réponse appropriée. Encore moins « je ne sais pas ». Je préfère simplement hausser les épaules. Yuji hisse entre ses dents :

— Quel mytho...

— Tu veux rejouer ?

— Moi ? Non, ça ira. J'abandonne.

— À moi ! s'enrage Nobara. Je vais pas laisser passer cette humiliation. Si tu gagnes encore contre moi Megumi je vais penser que tu es sexiste.

— Nobara, petit conseil, ajoute Yuji. Tu devrais graisser tes doigts. C'est une technique de pro qu'un mec de l'accueil m'a donné.

— Tu penses vraiment que je vais écouter tes conseils alors que tu n'as pas gagné un seul point ? feint-elle tout en faisant rouler ses poignets.

— Je te jure que c'est un vrai truc.

— Il se foutait de toi ce mec. Tu aurai dû t'en apercevoir avec des scores pareils.

Elle se place devant le distributeur de boule en inspectant celle qui brille le plus.

— Mais non, c'est juste que j'ai pas mis assez d'huile sur mon majeur, affirme-t-il en se penchant vers elle alors que Nobara est occupée à l'ignorer. À moins que ce ne soit le mauvais doigts ? Merde, faut que je ressaie !

En plantant ses doigts dans les trous, la rousse pousse un cri :

— Ahhhh ça me dégoute ! C'est tout mouillé !

— Ça doit être moi.

— Sans blague !

Elle pince les yeux et ravale sa bile. Puis, après quelques foulées, elle balance la boule contre la piste. Nobara et Yuji retiennent tous deux leur souffle....jusqu'à ce que trois quilles tombent à la renverse.

— RhhAAAAH ! Fais chier !

Elle fait demie-tour sous un lourd soupir, puis remarquant l'expression de Yuji, elle lui précise tout en essuyant ses doigts sur son pantalon :

— Et puis réfléchit en quoi graisser ses doigts va aider la boule à renverser les quilles ?

— C'est vrai, bonne remarque... C'est la boule qui faut graisser !

— Laisse tomber, lâche-t-elle en s'avachissant sur la place libre. Megumi, j'abandonne aussi.

Eh bien, il en fallait peut pour qu'ils arrêtent de jouer.

— Tu été bien partie pourtant.

— J'ai les doigts trop graisseux. Je me retire de la compet'.

— Si tu gagnes la manche suivante Nobara, je répondrai à n'importe laquelle de tes questions.

Je suis la premier surpris par ce que je viens de proposer. Après tout, je devrai me sentir rassuré qu'ils abandonnent et profiter pour rentrer chez moi, comme convenu à l'origine.

Nobara ouvre un œil pour le refermer aussitôt comme si une mouche avait volé trop près de visage.

— Tu penses pouvoir m'appâter avec un jeu aussi grossier ?

Je zieute un instant la boule entre mes mains, et mon reflet déformé me fixe en retour. Me viennent en tête les propos de Yuji pourquoi il aimait faire un sport qui semblait plus contraignant qu'appréciable :

« — C'est évident. Perso, c'est parce que j'aime ça !

— C'est tout ?

— Il faut une raison pour faire ce qu'on aime ? »

Nobara se relève d'un bond et s'exclame :

— ...Et tu as bien raison !

Yuji lui remet entre les mains une boule sélectionnée par ses soins. Nobara ne se questionne pas plus que nécessaire et envoie valser la boule dans les quilles restantes.


Nda : Je déteste le sport. C'est pas ma faute, j'aurais adoré être passionné par ça. J'ai bien consommé des manga de sport et j'étais totalement hypée...pourtant, quand je m'y mets, c'est tout de suite moins glamour. Je suis pas faites pour ça (rip). Comme dirait Rimbaud, une main à la plume vaut la main à charrue (je sais pas si la citation est adapté au contexte but whatever). En attendant, j'espère que tout le monde profite de la saison estivale...Je suis en plein stage et j'écris ces quelques mots sur le pc de l'agence (en même temps, je suis vraiment solo dans le bureau, rip x2). Comme d'habitude, je vous invite à interagir si le chapitre et l'histoire vous ont plut...Hâte de poster la suite hehe (et pour les plus curieux, wattpad vous attend!) xoxo

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