JoJo's Bizarre Adventure : Lost Baby

Chapitre 88 : Tous les Bateaux, Tous les Oiseaux

2151 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 3 mois





Proviseur : Je ne suis pas sûr que vous comprenez ce que je veux vous expliquer, Madame…


Nour : Amon Düül…mais vous pouvez prononcer “Dulle”, si vous n’y arrivez pas…


Dans le reflet des lunettes rondes, se reflétait le visage fatigué de la femme qui avait traversé tant de pays et d’épreuves pour arriver en France. Quand Nour était petite, elle était la plus belle fille de son village. Tous les adultes la considéraient comme une perle à protéger de l’obscurité du monde. Elle s’était mariée à l’homme idéal qui avait fini par la battre comme tous les autres maris modèles. Enceinte, elle avait fait ses bagages en pleine nuit et avait pris la mer. Arrivée en Europe, elle avait élevé sa fille à la force de ses bras frêles. Son travail acharné avait ridé son front et les années de faim avaient creusé ses joues mais lorsqu’elle se tournait vers sa fille Batya, elle se revoyait une décennie en arrière.


Proviseur : Madame Dulle, votre fille est simplement brillante. J’ai rarement vu une fille de 10 ans aussi curieuse et avec un tel potentiel.


Nour : “Potentiel”?


Batya se penche et chuchota la traduction du mot à sa mère. La femme aux traits plus vieux que son véritable âge baissa la tête, presque par réflexe, pour s’excuser et laissa le proviseur reprendre.


Proviseur : Honnêtement… je vous le dis, avec tout le respect que je dois à l’Education Nationale…la mettre dans un collège public serait un sacré gâchis.


Le proviseur appuya avec son doigt sur ses lunettes pour les remettre en place et jouait nerveusement avec son stylo comme s’il avouait une vérité indicible. Il tendit une brochure à la mère où se trouvait une petite fille au visage d’un blanc porcelaine et aux cheveux blonds dorés devant un grand bâtiment aux briques de style médiéval et un soleil radieux. “Venez cultiver vos rêves à l’École Catholique Saint Reed” était écrit dans une couleur et une police aussi strictes et autoritaires que le sourire de la fillette se voulait rassurant. Pour compléter la vision idyllique, son corps était étreint dans un uniforme identique aux autres enfants qui servaient de décor. 


Nour : Merci beaucoup pour vos conseils. Nous allons en discuter sérieusement avec Batya. Si vous voulez bien nous excuser… 


Sur le chemin du retour, Nour était silencieuse. Elle arborait un sourire bienveillant et fier à sa fille mais, sous cette apparente joie, une inquiétude profonde la torturait : Comment pourrait-elle payer cette école ? Elle semblait hors de prix. Ce n’était pas avec son “travail” qu’elle pourrait accumuler assez d’argent mais si cette école pouvait sauver sa fille d’une vie pauvre comme la sienne, elle devait tout faire pour y arriver.


Batya : Tu sais, maman. Cette école…elle a pas l’air si bien que ça…et puis, on a pas l’argent pour la payer…


La mère s’agenouilla pour se mettre au même niveau que sa fille. Son dos voûté par le travail se contorsionna mais elle effaça les rides de douleur avec la meilleure chirurgie : un sourire.


Nour : Écoute-moi, Batya. Peu importe ce que ça peut coûter, la seule chose qui compte, c’est ton avenir.


Elle serra fort sa fille dans ses bras en se promettant qu’elle permettrait à sa fille de vivre la vie parfaite qu’on lui avait volée. 



***


Nour : Merci beaucoup, Monsieur. Au suivant !


Comme tous les jours, de neuf heures à dix-sept heures, Nour était assise derrière son comptoir étriqué, accueillant les clients plus pressés et désagréables les uns que les autres. Elle avait cherché une façon sophistiquée de présenter son métier mais visiblement, son travail avait échappé à la vague de nouveaux noms compliqués fabriqués pour camoufler les tâches ingrates qu’on confiait à d’autres êtres humains pour un salaire de misère. Elle n’était ni “hôtesse de caisse”, ni “technicienne de surface” : elle récoltait les pièces des gens qui allaient dans les toilettes d’un supermarché, tous les jours, de neuf heures à dix sept heures. 


Nour : Merci beaucoup, Monsieur. Au suivant !


Femme pressé : Madame, j’ai trouvé ce morceau de carrelage par terre. Vos toilettes tombent en ruines ! Imaginez si un enfant était tombé dessus ! 


Nour : Merci beaucoup, Madame. Je vous prie de nous en excuser. Posez-le sur le comptoir s'il-vous-plaît. 


En guise d’unique réponse, comme souvent, un grognement animal sortit brutalement de la bouche de la femme pourtant habillée de façon distinguée comme si son interlocuteur ne méritait pas le langage des êtres humains. Un autre costume, un autre tintement de métal dans le panier de pièces. Une autre robe, un autre tintement de pièces. Un autre tintement, une autre pièce. Une pièce, des dizaines de pièces. Leur cuivre oxydé brillait comme de l’or au milieu du carrelage taché de rouille. 

En contemplant leur éclat, une pensée traversa Nour : si une ou deux disparaissaient de cette montagne, personne ne le réaliserait. L’entrée des toilettes était de 3 francs. Si elle récupérait seulement 10 francs par jour pendant les deux ans qui séparaient Batya du collège, elle pourrait payer toute sa scolarité dans une école privée. 


Pendant deux ans, elle collectait scrupuleusement les pièces supportant le dédain, les grognements, les injures en s’accrochant à son objectif. À mesure que les mois passaient, que les saisons changeaient et que la manne grossissait, son sourire de façade devenait de moins en moins écaillé et de plus en plus sincère. Plus que 1000 francs à collecter, plus que 700 francs, plus que 200.


Petite fille en uniforme : Maman, pourquoi la dame a rangé nos pièces dans sa poooooche ?


Nour regardait la fillette devant elle en serrant le morceau brisé de carrelage qui était resté si longtemps sous son comptoir. Le carrelage rouillé était recouvert de sang comme l’arme du crime. La petite criait devant le corps sans vie de sa mère mais Nour ne l’entendait pas. Elle avait maintenant réalisé que, malgré toutes ses bonnes intentions, elle n’était qu’une voleuse et maintenant une meurtrière. 


Juge : Vous avez dérobé très exactement  5554 francs d’après ce que vous avez témoigné, c’est bien ça ? 


Nour se contenta de hocher la tête en détournant le regard de celui de sa fille qui la fixait, les yeux embués, depuis les tribunes.


Juge : Vous avez également assassiné de sang-froid une jeune mère de quarante-deux ans sous les yeux de sa propre fille. Heureusement que les agents de police sont intervenus avant que vous ne vous en preniez à l’enfant sinon votre rage ne se serait sûrement pas arrêtée là. Vous n’avez rien à redire à cela, Madame Dulle ?


Nour savait bien qu’ils mentaient. C’était elle-même qui avait appelé la police mais à quoi bon les contredire ? Elle fut condamné à 20 ans de prison pour son vol et son meurtre. Les policiers l’autorisèrent à aller voir Batya une dernière fois avant d’être emmené. Elle hésita. Le parent et l’enfant se retrouvèrent à l’extérieur du tribunal, silencieux face à la mer sans même se regarder. Batya avait toujours les yeux remplis de larmes. Pour les cacher, elle prit l’appareil instantané que sa mère lui avait offert, immortalisant la mer en mouvement, comme elle l’avait déjà fait des dizaines de fois avant.


Batya : M-Maman, ils p-peuvent pas vraiment t’emmener l-là-bas ?! Tu aurais dû leur dire que tu as fait tout ça pour moi !


Nour : Chut, ils ont accepté que tu n’aies pas d’ennuis si j’avouais. Ils ont même promis que tu pourrais aller à l'École Saint Reed l’année prochaine ! Tu imagines la chance que tu vas avoir, le bel uniforme que tu vas porter !  


À nouveau, le sourire bienveillance de la femme n’était plus que de façade. Elle ne voulait pas qu’un des derniers souvenirs d’elle soit celui de son visage en pleurs. Elle caressa gentiment les cheveux de sa fille.


Nour : Et puis, quand tu viendras me voir…Tu pourras me montrer toutes les belles photos que tu as prises du monde extérieur. Je suis sûr que, dans ta nouvelle vie, tu auras plein de choses magnifiques à photographier.


Deux policiers emportèrent Nour loin de sa fille et, dès qu’elle se retourna, ses larmes qu’elle avait retenues si longtemps se mirent à couler. Batya l’aperçut brièvement mais ce fut assez de temps pour que la dernière image que son esprit immortalise de sa mère soit son visage en pleurs. 




***



En fin d’après-midi, Batya marchait pour revenir de son école chic qu’elle détestait plus que tout. Son uniforme la compressait, les autres élèves la moquaient sans cesse et ses enseignants la considéraient comme une moins que rien. Au moins, personne ne la dérangeait quand elle prenait des photographies avec son Polaroïd. Elle en prenait des dizaines tous les jours et dilapidait toutes ses économies en papier photo. 


Homme angoissant : Hé, ma belle…ça te dirait de venir chez moi ?


Batya ne prit même pas la peine de répondre et se contenta de tracer son chemin. L’homme la prit par la gorge et la plaqua contre le plâtre froid d’un mur.


Homme angoissant : C’est à toi que je parle, traînée ! Je suis sûr que t’es une de ces sales gosses de riche qui cachent des sous-vêtements de salopes sous leur uniforme. Vas-y, déshabille-toi !


Il lâcha un peu de son emprise et laissa la jeune adolescente choir le long du mur, déchirant l’arrière de sa chemise. Batya marcha quelques pas et commença à tristement déboutonner sa jupe. L’homme la regardait avec des yeux mi-bovin, mi-charognard en abaissant la fermeture éclair de son jean, la langue pâteuse expulsée de sa bouche. Batya se retourna en un instant et prit une photo de l’homme avec son appareil, l’éblouissant avec le flash. Elle s’empara d’un de ses livres et frappa l’homme au visage avec violence, l’assommant du même coup et laissa choir son corps dégoûtant sur le bitume. La jeune fille continua à frapper l’homme au sol jusqu’à transformer son visage en une bouillie rougeâtre. Ce spectacle pourtant infâme la rassurait presque comme la photographie d’un coucher de soleil. Elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle et son esprit afin de regrouper ses affaires tombées et de repartir. 


??? : Tout va bien, jeune fille…?


Un homme en fauteuil roulant se trouvait de l’autre côté de la rue. Il ne regardait ni Batya avec dédain, ni avec pitié, ni même avec peur. Il la regardait comme un être humain. Malgré tout, sur la défensive, les yeux de Batya commencèrent à rougir.


Batya : M-monsieur, c-ce n’est pas ce que vous pensez…je vous le jure. J-je n’ai pas voulu le blesser ! N’en parlez pas à mon directeur…j-je dois absolument rester dans mon école !


??? : Ne t’inquiète pas, mon enfant. J’ai vu ce qui s’est passé… Cet homme n’a eu que ce qu’il méritait. Tout va bien aller maintenant.


L’homme aux cheveux argentés s’approcha et la prit dans ses bras. C’était la première fois que quelqu’un prenait la défense de la jeune fille. Au moment où elle l’avait vu, elle se voyait déjà rejoindre sa mère en prison mais, cette fois-ci, quelqu’un l’avait vraiment écouté.


??? : Ecoute-moi bien. Je ne peux pas rester ici beaucoup plus longtemps mais si tu as besoin de mon aide, appelle ce numéro et dit “chewing-gum au café”. Je vais envoyer des hommes en uniforme ramasser les ordures qui traînent dans cette rue. File loin en attendant, d’accord ?


Batya, comme conseillé, se mit à courir mais comme un mauvais réflexe, au milieu de sa course, elle se retourna et prit son appareil pour immortaliser le visage de son bienfaiteur. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il avait risqué en affrontant le flash de son appareil ou en la défendant mais, peu importe qui il était, à partir de maintenant, elle avait un nouveau père.



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