Derrière le sourire du magicien
Le vent soufflait, mais la brise était brûlante, coupante. À l’horizon s’étendait une infinité de terre et de sable, la désolation attendant les voyageurs s’aventurant dans ces contrées. Le soleil, intense, semblait plier le sol sous sa chaleur, faisant miroiter les grains de sables. Il n’y avait rien, rien ici. Il n’y avait pas d’eau, il n’y avait pas de plantes. Il n’y avait pas d’arbres, il n’y avait pas de vie. Même dans le ciel, il n’y avait pas un nuage, pas un oiseau, et le vent n’emportait rien d’autres que la poussière. Quiconque n’ayant jamais vécu dans le désert n’aurait pu survivre à une telle traversée, à pied. Le sol était bien trop brûlant, l’air trop lourd, et le soleil trop dangereux. Il n’y avait que la mort. La mort, et rien d’autre.
Cependant, une personne avançait dans ce désert, insensible à cette chaleur, insensible à la sécheresse. De dos, on ne voyait d’elle que sa cape noire déchirée, agitée par un courant d’air. Entre deux éclats de lumières, on pouvait discerner des bottes en fers, brillantes, s’enfonçant dans le sable. Une capuche noire cachait son visage et comme une écharpe, deux bouts de tissus entouraient la personne, alternant deux nuances : noir et gris. De sa main droite elle tenait une épée, à l’envers, dont la lame remontait dans son dos. D’en haut d’une dune la silhouette observait l’horizon, semblant à la recherche de quelque chose. Soudainement, une bourrasque de vent découvrit son visage. Une longue chevelure d’argent s’envola, balayée par la brise chaude. La jeune femme, à qui appartenaient ces cheveux, y passa une main gantée, pensive.
Dans ce désert depuis plus d’une semaine, Silence recherchait la ville surnommée Etoile Filante, dépotoir de ce monde. Elle était de taille considérable, cependant, ce désert l’était également. L’informateur de la jeune femme lui avait indiqué la direction, mais avait refusé de donner plus d’informations, grommelant quelque chose à propos de trahison avant de s’enfuir avec la voiture. Elle n’avait pas jugé nécessaire de le rattraper, ne désirant pas perdre son temps avec de telles futilités. C’est ainsi que la Floor Master s’était retrouvée à quadriller ce désert de long en large, seule, et à pieds. Enfin, pas totalement seule, la jeune femme ayant fait quelques rencontres en chemin. Ils m’ont indiqué cette direction, murmura-t-elle pour elle-même, je ne dois pas être très loin.
Du haut de la dune, elle observait un petit point à l’horizon, son épée à la main. Elle avait été abordée plusieurs fois lors de son parcours, et bien qu’elle ne se sente pas particulièrement en danger, elle se méfiait toujours de la Brigade Fantôme. Chrollo était puissant. Elle croyait en sa capacité à le battre, si jamais il s’opposait à elle, mais quelque chose l’ennuyait. Au cours de ses recherches, elle n’avait pu déterminer ni ses capacités, ni son type d’aura. L’homme était entouré de mystère et des différentes personnes qu’elle avait interrogées, toutes avaient apporté une réponse différente. C’est avec ces pensées qu’elle attacha son épée à sa taille, recouvrant de nouveau son visage avec sa cape. Après quelques instants, elle se mit en marche vers son objectif, à présent certaine d’avancer vers Etoile Filante.
En route, elle sorti un livre de l’intérieur de sa cape, observant l’adresse indiquée sur la page de garde. Son regard dériva vers la carte lui servant de marque page, ainsi que sur le numéro de téléphone soigneusement écrit à l’encre noir. Cet homme était la seule personne connaissant Chrollo qu’elle n’avait pas interrogée. Hisoka. Elle leva les yeux vers le ciel, observant le soleil. L’air brûlant était frais contre sa peau, et, sous ses pieds se tenait un sol calciné faisant écho à son passé. Lentement, très lentement, l’horloge tournait, brisant le mur séparant le passé du futur.
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L’atmosphère frottait contre sa peau, impitoyable. La jeune fille se tenait à genoux, essoufflée, assoiffée. Incandescentes, des orbes entouraient l’adolescente, s’envolant vers le ciel. Elles virevoltaient, sortant tout droit de l’antre du volcan. Appuyée sur sa main droite, l’adolescente serrait entre ses phalanges de la terre, aussi brûlante que du charbon. Le sol tremblait sous ses doigts, ronronnait et tanguait à la fois. La chaleur était indescriptible, incomparable, écrasante. Le soleil, ayant atteint son zénith, surplombait le volcan activité.
"Tu ne peux former une flamme aussi intense qu’un
volcan si ton corps est aussi fragile qu’une fleur."
La jeune fille se mit à rire, d’un rire léger. Peut-être visait-elle trop haut, peut-être en demandait-elle trop à son corps. Son maître le lui avait fait remarquer, gentiment. Et à moitié effondrée, sur les rebords d’un volcan, l’enfant regardait au fond du précipice. Cela faisait six années qu’elle s’entraînait, et son corps n’arrivait pourtant pas à supporter une telle chaleur.
"Plus de pouvoir, encore plus de pouvoir."
Une petite voix murmurait dans son esprit, l’amenant vers une pente dangereuse. Cette compétence était particulière, et son prix conséquent. Son corps n’était pas apte à la supporter, pas encore. Elle désirait une flamme pouvant brûler toute chose, mais sa propre aura pourrait bien finir par consumer son corps si elle ne pouvait la contrôler. C’est ainsi que durant des semaines durant, elle s’exerçait à protéger son corps contre la chaleur du volcan, à résister à l’étreinte. N’importe qui n’aurait survécu plus d’une heure en ces lieux, mais son imprudence n’avait d’égale que sa détermination. Elle se pensait prête. Prête à essayer. C’est ainsi qu’elle observait les profondeurs du volcan, un sourire aux lèvres, oubliant les conseils de son maître.
"Tu es encore faible, petite fleur. Si tu en venais à utiliser cette capacité aujourd’hui,
le prix serait trop bien trop grand. »
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Le bruit de ses pas résonnait dans la ruelle, allant se perdre dans le vent et la poussière. Après avoir traversé décharges après décharges, foulé maintes fois un sol teinté de sang, elle venait d’atteindre l’adresse indiquée. Silence avait suivi les instructions, parcourant les rues sinueuses et bondées d’Etoile Filante. La ville était grande, très grande. Coupée du reste du monde, abritant disait-on plus de sept millions d’habitants, elle s’élevait vers le ciel, mais ne s’élevant jamais au-delà de sa propre condition. Au-delà de sa propre misère. Ici s’accumulait poussière et désolation. Les personnes qu’elle avait croisées dans la rue portaient toutes des masques, comme pour se protéger de l’odeur putride qu’il s’y dégageait. Odeur que même la brise ne semblait emporter.
C’est silencieuse qu’elle entra dans le bâtiment, le son métallique des ses bottes depuis longtemps disparu. Elle pouvait sentir la présence de plusieurs personnes à l’autre bout du couloir, leur aura l’enveloppait, comme pour l’accueillir en ces lieux. Elle pénétra dans une grande salle, délabrée, dont l’unique décoration était des caisses poussiéreuses. Un puits de lumière prenait vie depuis le plafond fissuré, illuminant la silhouette d’un homme assis sur une plateforme de béton. Deux escaliers permettaient d’y monter, occupés par personnes encore inconnues à la jeune femme. L’homme en question, Chrollo, se tenait assis sur une caisse en bois, son menton soutenu par ses mains, ses coudes posés sur ses genoux. À sa gauche et à sa droite se tenaient deux hommes, un de petite stature aux cheveux noir, et l’autre de grande taille, blond aux cheveux courts. Le regard désintéressé de l’homme aux cheveux noir la frôla, sa bouche cachée par le col de sa veste. Le blond, au contraire, la fixait intensément.
— Nous t’attendions, déclara Chrollo dans un sourire, je suis content de voir que tu as accep…
Elle ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase, enlevant sa capuche et relâchant sa chevelure argentée. Elle n’était pas venue ici pour avoir des discussions de moindre importance avec lui et n’avait que faire des règles de politesse, elle devait mener à bien sa mission.
— Je n’ai rien accepté, coupa calmement la jeune femme, ce sont tes informations qui m’amènent.
Un des hommes qui était assis sur les escaliers s’élança et apparut soudainement derrière elle, son arme menaçant la gorge de la jeune femme. Elle ouvrit les yeux, légèrement étonnée. Elle l’avait certes vu venir, cependant, elle ne l’avait pas vu dégainer son katana. Elle avait à peine eu le temps d’attraper son épée pour la positionner en dessous de son menton. La jeune femme, elle, n’avait pas bougé d’un centimètre, seul son bras droit était plié derrière elle.
— Coupe-lui encore la parole, et je te tue, intervint l’homme, menaçant.
— Vire ton épée de là, demanda-t-elle froidement, un bain de sang ne m’intéresse pas.
La pièce était silencieuse à présent. La Floor Master balaya la salle du regard, comptant le nombre d’adversaires potentiels, et jaugeant ses chances de survies. En plus des deux personnes accompagnant Chrollo, et de l’homme qui la menaçait, deux personnes se tenaient sur les escaliers. C’étaient des hommes de forte stature, tout deux. Un avait la carrure d’un ours, et l’autre d’un golem. L’un dégageait une soif de sang incommensurable, l’autre un intérêt mesuré. À droite de la plateforme en béton, trois personnes jouaient aux cartes sur une vieille caisse. Leur partie venant d’être interrompue par l’homme au katana, ils observaient la scène. Un d’entre eux affichait un air joyeux, un jeune homme aux cheveux blonds, dont les mèches retombaient gentiment sur son visage. Il ne semblait pas être dérangé par la situation, pas le moins du monde.
— Le voilà qui repart au quart de tour, soupira-t-il en souriant.
— Ca nous fait un peu d’animation, ajouta une femme aux cheveux rose en mélangeant les cartes.
— Tu paries sur lequel, Pakunoda ?
— Je n’ai pas envie de parier, répondit la seconde femme en se massant les tempes.
À l’autre bout de la salle, sur l’estrade, l’homme aux cheveux de jais s’était levé et descendait lentement les escaliers. Il avait ses mains dans les poches, et ses yeux étaient plissés à présent. Alors qu’il dépassait l’homme à la crinière d’ours, il murmura quelque chose dans son col. Sa voix était si faible et calme qu’il fallait tendre l’oreille pour l’entendre.
— Tu perds ton calme trop facilement, susurra l’homme, regarde dans qu…
— Silence, commanda soudainement une voix, impérieuse.
L’homme derrière elle retint sa respiration, semblant se calmer. Celui qui descendait les escaliers s’immobilisa, se retournant. La voix appartenait à Chrollo, qui venait de se lever. Bien que calme, son expression refusait tout compromis. La Floor Master, qui avait fini son inspection depuis un moment déjà, en avait tiré une conclusion. Elle parviendrait difficilement à quitter cette pièce en cas de conflit, et elle ne connaissait les capacités que de très peu de membres ici. Réfuter l’invitation de Chrollo si soudainement aurait pu être mal avisé, mais si elle devait infiltrer l’araignée, paraître trop motivée serait suspicieux. Elle devait prendre du recul, argumenter, marchander.
— Nobunaga, Feitan, ordonna Chrollo en s’avançant, retournez vous asseoir.
L’homme derrière elle disparut, retournant en bas des escaliers. Son sabre en main, l’air ennuyé, Nobunaga reprit sa place originale, à côté des deux hommes de forte stature. Les jambes croisées, son katana reposant sur son épaule, il s’assit, ne la quittant jamais du regard. Feitan, lui, retourna s’asseoir en silence tandis que Chrollo s’avançait vers la jeune femme.
Ses yeux gris la transperçaient, comme cherchant à résoudre un mystère, et la jeune femme pouvait lire de la convoitise dans son regard. Cependant, cette convoitise n’était pas tournée vers elle. Il ne la voulait pas elle, mais autre chose. Et c’est ainsi, que face à face avec le chef de la Brigade fantôme, une interrogation prenait forme dans son esprit.
Mais que désire-t-il réellement ?