Derrière le sourire du magicien
Deux yeux gris étaient plantés dans les siens, orbes ternes cherchant à découvrir ses secrets. Durant quelques instants, le temps sembla se figer. Il se tenait en face d'elle, sa main gauche enfoncée dans une de ses poches. Sa chemise blanche flottait légèrement, mais il n'y avait pas de vent dans la pièce. Ses cheveux dansaient devant ses yeux, mais l'air était figé autour d'eux. La raison de tout cela était claire. Doucement, insidieusement, il relâchait son aura sur la jeune femme, un sourire au lèvre. Devant la Floor Master se trouvait sa cible, l'homme qu'elle allait devoir tuer. L'homme qu'elle allait devoir combattre. Tout en elle criait d'accomplir son devoir, d'atteindre son objectif. Et il était bien plus puissant qu'elle ne le pensait. Bien plus puissant qu'il ne laissait apparaître. Sans doute bien plus puissant qu'elle, à l'heure actuelle. Et pourtant...
Un bruit de carte résonna dans un coin de la salle, attirant le regard de la jeune femme, et le temps reprit son cours. Les membres de la brigade avaient recommencés leurs activités, comme si cet événement ne s'était jamais déroulé. Elle observait les trois autres membres discuter vivement, absorbés par leur jeu. Nobunaga ne la regardait plus, du moins directement, et enfermait son sabre dans un étui de tissus. Feitan discutait avec l'homme blond en survêtement, jetant de temps à autre un regard lassé vers la porte d'entrée. Après quelques secondes, un raclement de gorge ramena l'attention de la jeune femme vers son interlocuteur. Ses pupilles grises s'étaient légèrement adoucies, cependant, ses yeux étaient dirigés vers les mains de la jeune femme. Baissant les yeux également, elle réalisation sa situation. Son épée était pointée vers lui. Elle ne se souvenait même pas l'avoir levée. Légèrement ennuyée, elle la fit disparaître en fronçant les sourcils. Alors qu'elle continuait de fixer ses mains, Chrollo l'observait en souriant, comme devinant ses pensées. D'un geste de la main, ramenant l'attention de la Floor Master, il lui proposa de l'accompagner.
Il monta les escaliers d'un déplacement presque instantané et elle le suivit, observant son environnement. Derrière la tête de l'araignée se trouvait une grande carte, maintenue au mur par un couteau. Un grand cercle rouge avait été tracé autour d'une forêt et d'autres locations avaient été marquées par des petites croix noires. Des livres s'entassaient en dessous de la carte, tous relativement anciens. Elle accorda un regard au livre accroché à sa taille, livre que Chrollo lui avait donné. Elle n'avait pas vraiment prit le temps de le lire, ni de regarder à l'intérieur. Avait-elle jamais lu quoi que ce soit en dehors de ses ordres de missions et des journaux ? Après quelques secondes, elle sentit le regard du jeune homme se planter dans son dos. Fronçant légèrement les sourcils, toujours vigilante après le dernier événement, elle tourna sa tête vers lui. Il la regardait en souriant, pointant le livre du doigt. Il venait de prononcer le mot silencieusement, sa bouche formants les syllabes, mais aucun son ne sortant d'entre ses lèvres.
[Poésie.]
Avant qu'elle puisse répondre quoi que ce soit, il était déjà retourné s'asseoir. Il avait reprit sa position originale, l'ovale de son visage déposé gracieusement dans sa main, ses coudes appuyés sur ses genoux. Son regard était tourné vers le fond de la pièce.
— Maki, interrogea-t-il calmement. Qu'en est-il d'Omokage ?
— Aucune nouvelle depuis une semaine, soupira une voix féminine de l'autre côté de la salle.
— Je vois, déclara-t-il pensivement en se caressant les lèvres.
— Boss, interpella l'homme à la carrure d'ours en grognant. Si j'reste ici une heure de plus je m'arrache le crâne, ou j'vais exploser celui d'quelqu'un d'autre.
— Faudrait encore que t'aies quelque chose à arracher, ajouta Nobunaga en mâchouillant un bout de bois.
— Il marque un point, Uvogin, murmura Feitan dans son col.
L'homme en question mit quelques instants à comprendre ce qu'avait dit son ami. Il ouvrit la bouche, regardant Feitan, puis Nobunaga. Et, soudainement, il réalisa. Son aura s'intensifia, son expression devenant sinistre. L'homme aux allures de samouraï fronça les sourcils, le regardant avec défiance, un sourire tout de même aux bords des lèvres. Cependant, alors qu'il sortait doucement son sabre de son étui, qu'Uvogin gonflait ses muscles et qu'un homme blond s'approchait d'eux, les mains en l'air, prêt à les frapper derrière la tête, un bruit de pas résonna au fond de la salle. Tous tournèrent la tête, arrêtant leurs activités.
Bien que concentrée sur la porte d'entrée, Silence remarqua néanmoins l'homme en survêtement finir son action et frapper ses deux camarades. Amusée par la situation malgré elle, la jeune femme sourit légèrement. Le sourire était faible, presque invisible, et ne dura pas plus d'une seconde. Car, tandis que Nobunaga et son confrère se retournaient, râlant sur l'homme apparemment nommé Phinx, de l'ombre sortit un homme aux cheveux d'argent. Des cheveux blancs comme les siens. Il portait des vêtements sombres, et son regard était terne. Ne prêtant aucune attention aux gens autour de lui, ni même au fait qu'il était apparemment en retard, il continuait d'avancer calmement. La jeune femme remarqua quelque chose sur sa main droite, et réalisa que c'était un tatouage. Une araignée, portant le numéro quatre.
— Heh, le marionnettiste, l'interpella Phinx en le dévisageant. Tu t'es pas pointé à la dernière mission et t'es en retard, tu peux m'expliquer ?
L'homme aux cheveux gris tourna son regard vers lui, inexpressif. Il ne prit pas la peine de répondre, allant s'asseoir aux bords de la plateforme en béton, s'éloignant du reste du groupe. Clairement irrité, l'homme en survêtement se retourna en direction de Chrollo et Feitan, demandant clairement le comportement à adopter. Le petit homme aux cheveux noirs haussa les épaules, tandis que le chef de l'araignée secoua la tête, lui intimant d'abandonner. Silence observait la scène, intéressée. Le quatrième membre de la brigade était encore inconnu de son employeur, et elle n'avait jamais entendu parler de lui auparavant. Un marionnettiste, pondéra la jeune femme en s'appuyant contre le mur. L'homme, Omokage, sembla remarquer sa présence, et tourna la tête dans sa direction. Il y avait dans ses mouvements un aspect mécanique et inorganique. Il la regarda dans les yeux, et son visage s'illumina étrangement, un sourire sinistre apparaissant sur son visage.
— Notre nouveau membre, expliqua Chrollo au marionnettiste.
— Qu'est devenu numéro huit?
— Mort.
La jeune femme allait répondre, mais senti le regard d'autres membres sur poser sur elle. Un silence lourd venait de tomber dans la salle. Après quelques instants, elle décida de ne pas protester, n'ayant aucune réelle raison s'y opposer. Le regard de Chrollo frôla celui de la Floor Master, et elle crut voir sur ses lèvres l'ombre d'un sourire. Il se leva alors, avançant vers la carte. A l'autre bout de la salle, un jeune garçon blond se leva en même temps que lui. Il le rejoignit, un dossier sous le bras.
— Comme nous sommes au complet à présent, commença le jeune homme en souriant, il est temps de parler de notre prochaine cible.
Le chef de la brigade se tourna vers ses membres, écartant les bras. Son regard habituellement glacial était fiévreux, animé par quelque chose que la Floor Master identifia facilement. Désir. Possessivité. Ambition. Détermination.
— Une certaine tribu a attiré mon attention, expliqua Chrollo avec fascination. Ils ont des yeux d'une couleur particulière, très particulière.
— Le problème est qu'on ne connait pas encore leur location, compléta le jeune homme blond en pointant la carte. Ils devraient résider dans cette zone d'après certains témoignages, mais ça reste large, il faudr...
— Pourquoi tant d'détails, grogna une autre voix. On cherche, on trouve, on tue, et c'est bon.
— C'est pour ça que t'es stupide, soupira Nobunaga en se grattant la tête. Shalnark vient de dire qu'on allait les chercher, abrutis, laisse le finir sa phrase.
— On se calme, rappela fermement Chrollo en clappant des mains. Uvogin, Nobunaga, Feitan, Phinks, Omokage, ces yeux m'appartiennent, je veux que vous vous rendiez là-bas.
— Si possible, ajouta lentement Shalnark en fixant Uvogin, il nous faudrait plus d'informations.
— Quoi ? demanda Uvogin en plissant les yeux.
— Il y a plusieurs témoins mais, les tuer avant de les interroger n'est pas obligatoire.
Alors qu'Uvogin grommelait quelque à propos de manque d'humour, Feitan, Phinks et Omokage se rapprochèrent de Shalnark. Ils commençaient une discussion autour de différents documents, se tournant de temps en temps vers la carte. L'observant depuis quelques instants, Chrollo interpella la Floor Master. Adossée contre le mur, elle semblait s'ennuyer depuis le début de la réunion. Intérieurement, cependant, elle se demandait quelle stratégie adopter. Le clan dont parlait Chrollo était connu par elle, le clan Kuruta. Néanmoins, elle n'avait aucune obligation de partager ces informations avec eux. Cela prendrait trop de temps, beaucoup trop de temps.
En soupirant, elle quitta sa place et se dirigea vers le chef de la brigade. Il avait été rejoint par la jeune femme aux cheveux roses ainsi qu'une autre plus âgée, blonde. Alors qu'elle s'approchait, il fit signe aux deux femmes, semblant leur demander de patienter quelques instants. Il se retourna, s'orientant vers la Floor Master et dans un mouvement rapide, bien que gracieux, il apparut soudainement à côté d'elle. Ses yeux une nouvelle fois planté dans les siens.
— Nous savons tout deux pourquoi tu es ici, prononça-t-il d'une voix douce mais ferme.
— Quelles sont tes conditions ?
— Tu deviens un membre de l'araignée, nous aides dans nos activités et protèges nos intérêts. Bien entendu, tu auras droit à tes informations, ajouta-il en souriant, avant de faire une pause. Tu n'auras pas vraiment à changer ton mode de vie, seulement...
— Seulement ?
— Il est important que tu comprennes quelque chose... La trahison, dans la brigade, n'est pas une option.
Il avait insisté sur la dernière phrase, la transperçant du regard. Une aura sombre et compacte entourait la jeune femme, une nouvelle fois. Ne baisses pas les yeux, raisonna-t-elle. L'aura la frôlait, s'infiltrant presque sous sa peau. Ne la repousses pas, s'intima-t-elle une nouvelle fois. Ses pupilles bleues ne quittant jamais les yeux sombres du chef de la brigade, elle relâcha la sienne légèrement, l'enveloppant également, de manière beaucoup plus douce et presque amicale. Comme pour l'accueillir, avant de rompre le contact. Soudainement, brutalement, dissimulant son aura.
— Vous êtes venu jusqu'à moi, pas le contraire, rappela-t-elle froidement. Pas de menaces, ou pas d'accord.
L'espace d'un instant, une flamme s'était allumée au fond des prunelles grises. Il voulait quelque chose, et elle le savait. Il ressentait de l'intérêt envers elle, et elle pouvait le lire dans ses yeux. Elle aussi désirait ses informations, mais ils savaient tout deux qu'ils n'iraient nulle part avec un tel dialogue. Elle ne connaissait pas encore la raison, ni encore ce qu'il préparait, mais le sourire qu'il affichait à présent était beaucoup trop doux pour être entièrement sincère. Et comme si ils étaient parvenu à un commun accord, Chrollo leva la main et fit signe aux deux autres femmes de les rejoindre.
— Bienvenue dans la Brigade Fantôme, Silence, murmura-t-il chaleureusement. Machi va s'occuper de toi. Nous pourrons... discuter plus tard.
Il avait prononcé cette dernière phrase avec une voix beaucoup plus grave, presque envoutante, avant de s'éloigner d'elle. Elle le regardait partir, les yeux fixés sur son dos, tandis que la jeune aux cheveux rose croisait son chemin. Elle était accompagné par l'autre femme blonde et elles semblaient avoir une discussion silencieuse, bien que ne se regardant pas dans les yeux. L'espace de quelques secondes, alors qu'elles frôlaient Chrollo, ils s'arrêtèrent.
— J'ai un mauvais pressentiment à son propos, murmura Machi, légèrement suspicieuse.
— Je pourrai vérifier, proposa la femme aux cheveux blonds.
— Ca ne sera pas la peine Paku, affirma Chrollo avec confidence. Elle ne nous trahira pas.
Chrollo continua son chemin, rejoignant les autres membres de la brigade. Silence les regardait, échangeant quelques mots avec Machi et Pakunoda. Combien de jours, combien de mois, combien d'années devrait-elle rester dans ce groupe ? Jusqu'à quand ? À quel moment ? La jeune femme ne possédait pas la réponse, et elle le savait. L'affrontement final pourrait survenir subitement, déclenché par un simple message, une simple phrase de l'autre côté du haut parleur. Il pourrait advenir ce soir-là comme le lendemain, moment sibyllin entrecoupé par le soleil, la mort enveloppant la vie dans ses ténèbres. Les ténèbres, la jeune femme connaissait. La mort, elle la côtoyait. Cet univers, cet environnement, c'était son élément. Cet affrontement final, c'était ce qu'elle attendait. En terminer avec cette mission, accomplir sa tâche. Ressentir la satisfaction d'être arrivée à son objectif. Accomplir quelque chose. Et tandis que Machi gravait le sceau de l'araignée dans le bas de son dos, la Floor Master manipulait le livre de Chrollo, pensive. Tous les textes avaient été écrits à la main, d'une écriture fine et élégante. Le premier texte du livre, un poème japonais, résonnait étrangement dans son cœur.
La fleur du carnage
La neige en deuil, s'effondre en ce matin mourant.
Les aboiements d'un chien errant et les bruits de pas de Geta percent mes pensées.
Je marche avec le poids de l'univers sur mes épaules,
Et il n'y a qu'un affreux abat-jour retenant l'obscurité.
Je suis une femme qui marche à la veille de la vie et de la mort,
On m'a vidé de mes larmes il y a des années.
Il n'y a plus de temps, et la rivière s'éloigne.
Sous la pluie et le vent, je marche avec ma douleur.
À la surface de l'eau, le reflet de mes cheveux dénoués a disparu,
Et il n'y a qu'un parapluie rejetant mes larmes.
Je suis une femme qui marche sur le chemin de la rancœur,
On m'a enlevé mon âme il y a des années.
Tout les devoirs, les larmes et la pitié,
Les rêves et Demain n'auront plus aucun sens.
Je m'abandonne dans la rivière de la rancœur,
Je n'ai plus d'espoir depuis des années.