Il y a des jeux bien pires

Chapitre 6 : Cloîtrée

6834 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/01/2024 22:16

Troisième trimestre

 

Voilà seulement trois semaines que je suis cantonné chez moi, et je me demande déjà comment je pourrais survivre aux onze autres. Peeta fait de son mieux pour me garder occupée et aussi heureuse que possible, mais il ne peut guère plus. Il tente de me concocter mes plats préférés. Il m’aide à me déplacer dans la maison, où que j’aille dans la maison. Il s’assure également que, où que j’aille, ma cheville reste surélevée. Je le suis généralement quoi qu’il fasse. Je ne peux rien faire d’utile, de toute façon. Je ne suis d’aucune aide à la maison. Donc, je me contente d’observer Peeta peindre et finir ses gâteaux. J’aime le faire, même si je préfèrerais être dehors. C’est ça ou rester dans la cuisine à regarder le feu de cheminée toute la journée, tant qu’à faire, je préfère ça.


Tout cela ne serait pas si problématique si ce n’était pour les mouvements de Têtard. Il devient de plus en plus gros et fort. De toute évidence, il est expert en sauts et autres cabrioles de toutes sortes, sans parler des coups de coudes et de pieds. Têtard est apparemment aussi infatigable que moi et il joue des pieds tous les jours. Je fais tellement de nœuds que ma main en devient rouge et rugueuse.


Les vrais problèmes commencent quand Peeta doit s’en aller pour de courtes périodes. N’avoir rien à faire ni même personne à qui parler, ou même personne pour me tenir compagnie me fait me sentir plus mal encore. Peeta me remonte à la Nurserie d’habitude avant qu’il parte. Les bois peints de cette pièce m’accordent un léger mieux. Le temps qu’il revienne, je suis pourtant toujours à vif, et il doit passer la demi-heure suivante à m’aider à me calmer et à m’aider à retrouver mon état normal. S’il le pouvait, je ne pense pas que Peeta quitterait la maison. Mais il faut qu’il le fasse, même s’il a réduit le nombre de ses déplacements jusqu’au village.


La seule chose à laquelle je passe mes journées est d’essayer de penser à des moyens de supporter les mouvements de Têtard, ou de les calmer. Un bon jour est marqué soit par moins de mouvements de sa part, ou par une meilleure acceptation de ceux-ci de la mienne. J’attends toujours une lettre d’Annie, espérant qu’elle a lu la mienne, mais tout en sachant cela invraisemblable. J’ai la désagréable sensation que cette situation est du genre « Encaisse et tais-toi ».


J’ai une petite surprise, quand, un jour, le téléphone de la maison sonne. Je me demande qui ça peut bien être étant donné qu’encore aujourd’hui, bien peu de gens en sont équipés. Je me demande si ce ne pourrait être Haymitch, qui, trop saoul pour sortir de chez lui, demanderait à Peeta de lui emmener de l’alcool. Cela se produit malheureusement souvent. Je laisse Peeta répondre, ne pouvant de toute façon pas me lever et marcher pour le faire moi-même. Peeta revient après un instant.


-         « C’est pour toi. »


Peeta doit me placer dans le couloir où le téléphone se trouve, et ensuite court chercher une chaise. Je ne peux pas rester en équilibre sur une jambe trop longtemps. Une fois que Peeta m’estime suffisamment bien installée, il me donne le téléphone.


-         « Bonjour »


-         « Katniss ? »


Je souris un peu. C’est ma mère. Nous ne nous appelons pas très souvent, et assez irrégulièrement, mais nous gardons un semblant de contact. C’est bon de l’entendre.


-         « Maman, comment vas-tu ? »

 


-         « Oh, je vais bien. Mais toi alors, comment vas-tu ? Peeta dit que tu t’es fait quelque-chose à la cheville. Il a dit que ça lui prendrait une minute pour t’amener au téléphone. »

 


-         « Ouais, j’ai glissé sur de la glace et je me suis fêlé la cheville. » souffle-je

 

 

-         « Tu as glissé ? »

 

Je peux sentir l’interrogation dans la voix de ma mère. Elle sait que c’est étrange de ma part de glisser, alors ne parlons même pas du fait que ça m’ait blessé la cheville. Ensuite, je me rappelle, et grimace coupablement. Je n’ai pas dit à ma mère que j’étais enceinte. Ma mère continue de parler alors que je réfléchis en silence.

 

-         « Katniss, tout va bien ? Ça ne te ressemble pas de glisser. Comment t’es-tu débrouillée pour te faire mal à la cheville à ce point sur de la glace ? »

 


-         « Eh bien, en ce moment, mon centre de gravité n’existe quasiment plus parce - »

 


-         « Qu’est-ce que tu dis ? Ton centre de l’équilibre a toujours été fantastique. Tu es malade ? »

 


-         « Maman, arrête de parler une seconde ! »

 


-         « Désolée. »

 


-         « J’essayais de te dire je suis tombée, et que j’ai perdu mon sens de l’équilibre parce-que je suis enceinte. »

 

Un long silence règne sur la ligne.



-         « Tu es sérieuse ? »

 


-         « Oui. Pourquoi est-ce que ça surprend tout le monde tant que ça ? »

 

 

-         « Eh bien, tu n’as jamais semblé être maternelle. Mais je suppose que Peeta doit y être pour quelque-chose, non ? »

 


-         « Bien sûr que oui » dis-je, levant les yeux au ciel.

 


-         « Pour une surprise…tu en es à combien ? »

 


-         « Un peu plus de six mois »

 


-         « Plus de six mois ? Tu en es arrivée à ton troisième trimestre sans m’en parler ? »

 


-         « Je suis désolée, maman. Ça m’est sorti de l’esprit.

 


-         « Katniss, tu as oublié de dire à ta famille que tu étais enceinte. »

 


-         « Je suis désolée, d’accord ? »

 


-         « Je ne suis pas en colère après toi, c’est juste tout à fait toi. »

 


-         « Ouais eh bien, la plupart des jours, je ne peux pas m’y faire parce-que le bébé me donne des coups de pieds constamment, et que j’ai des crises de panique quand il le fait. Alors, vraiment, je suis juste dans une crise de panique sans fin. »

 


-         « Prends-t ’en à toi-même. Tu n’arrêtais pas de me donner des coups de pieds non plus. Cela dit, tu as des crises de panique ? »

 


-         « Oui. Tu te rappelles la corde avec laquelle je faisais des nœuds ? »

 


-         « Oui, tu ne t’en séparais jamais dans le 13 »

 


-         « Eh bien, je me sens suffisamment mal pour que je doive encore le faire. Je voulais te demander, est-ce que tu connais un moyen de calmer le bébé ? »

 


-         « Eh bien, le bébé est peut-être agité parce-que tu l’es toi-même. Tu peux aussi avoir un bébé hyperactif. »

 


-         « Super » chuchote-je, impassible. Si ma mère ne peut pas calmer le bébé, personne ne le fera.

 


-         « Tu peux essayer quelques petites choses. Ne mange pas trop de sucre si tu as l’habitude d’en manger beaucoup. »

 


-         « Maman, rappelle-toi avec qui je vis. »

 


-         « Je prends ça pour un oui en ce qui concerne le sucre. Ça rend l’enfant encore plus hyperactif. Je te dirais bien d’essayer de marcher, mais comme tu as des problèmes pour le faire, essaie de te balancer un peu. Cela pourrait endormir le bébé, au moins un temps. J’ai fait ça pour toi, ça a amélioré les choses. Si rien de tout ça n’y fait, sois contente du fait que tu as un bébé actif et en pleine forme. »

 


-         « Je le suis. C’est simplement que j’ai dû mal à le gérer. » souffle-je.

 


-         « Je sais. Mais tu n’as plus très longtemps à tenir. »

 


-         « Ouais, seulement trois mois » chuchote-je.

 


-         « Ce n’est pas si long, tu verras que ça sera fini avant que tu n’aies le temps de t’en apercevoir. Mieux vaudrait pour toi qu’il y ait une image du bébé dans le courrier le jour de sa naissance. »

 

Je parviens à sourire malgré le numéro de claquettes de Têtard.


-         « Je ferai de mon mieux. »

 


-         « Tu sais, tu peux venir me rendre visite ici, ça me permettre de voir mon petit-fils ou ma petite-fille en personne. »

 

Elle ne reviendra pas ici, dans le District 12. Je sais que ma mère n’y posera plus les pieds. Même si elle y parvenait, sa dépression récidiverait. Elle n’a jamais vraiment guéri. Une partie de moi est toujours amère contre elle, mais elle semble optimiste, alors j’efface l’amertume. Elle n’en a pas besoin alors qu’elle vient de s’enthousiasmer.


-         « Peut-être, que tu pourrais nous donner un mois, à Peeta et moi pour nous adapter. Je ne sais pas comment je vais réagir, tu sais, avec ce truc de…devenir mère. »

 

Ma propre mère se fend d’un rire particulièrement rare au téléphone.

 

-         « Tout va glisser, ne t’inquiète pas. »


Je sais que ce n’est pas vrai. Ça l’a peut-être été pour ma mère, mais ça me prendra du temps, même si je ne lui dis pas tout ça.


« Bon » dis-je pour raccrocher avec elle. Ma mère devait partir pour aller au travail peu de temps après. Quand les coups de pieds de Têtard deviennent trop forts, je demande Peeta de m’aider à monter à la Nurserie, me rappelant de ce que ma mère m’avait dit. Dieu merci, Peeta a eu la présence d’esprit de mettre une chaise à bascule ici. Je l’utilise déjà alors que l’enfant n’est pas encore né. Je lui raconte de que ma mère m’a dit, que de me balancer pourrait me faire du bien, ainsi que de réduire la quantité de sucre que je mange. Nous ne sommes guère enjoués par la dernière partie. Peeta aime tant me préparer des pâtisseries, et mon appétit n’a toujours pas diminué. Je suppose que Têtard n’es pas encore assez gros pour que je ne puisse plus rien avaler.


Je pense encore à ce que ma mère m’a dit. Que je devrais être heureuse d’avoir un bébé en bonne santé. J’en suis contrariée. Je suis heureuse d’avoir un bébé en bonne santé. Pourquoi ne le serai-je pas ? Pense-t-elle que je suis prêt à sacrifier la santé de Têtard parce-que je suis effrayée ? De plus, ne comprend-elle pas que je donne tout ce que je peux pour vaincre mon anxiété ? Je donnerai tout ce que j’ai pour être capable de me réjouir comme les mères normales le font. Je veux juste ne pas être effrayée quand mon bébé bouge. Je voudrais y trouver de la joie comme tout le monde. Cette réaction est si profondément enracinée que je ne pourrais rien y changer. Encore une chose que le Capitole m’a prise avant de s’effondrer.


Je ne veux pas que le bébé cesse de bouger. Ça voudrait dire que le bébé serait en mauvaise santé. Je veux simplement que l’enfant soit moins frénétique et agité que je ne le suis. Les coups de pieds sont forts, rapides et violents. Je voudrais juste que ça se calme un peu. Des coups de pieux plus doux, joueurs, pas urgents. Je soupire amèrement. Espérons que le balancement fonctionnera.

Je m’assieds dans cette chaise à bascule, me balançant d’avant en arrière pendant des heures. Parfois Têtard s’endort. Pas longtemps, mais par petites siestes. Quand il se réveille, en revanche, les coups de pieds reprennent sans discontinuer. Je suppose que je peux comprendre. Têtard ne peut pas faire tout le temps faire la sieste, et je suis certaine que l’enfant sait que sa mère est stressée. Ce n’est pas une solution. Seulement un traitement temporaire et intermittent.


Le pire, ce sont les cauchemars. Les cauchemars ne sont pas nouveaux pour moi. J’en ai presque toutes les nuits. Mais ceux-ci sont particulièrement vifs. Je suis toujours piégée quelque-part. Au Capitole, dans une cellule, au District 13 à l’hôpital, dans un arbre lors de mes premiers jeux, encerclée par les carrières. Toujours désespérément piégée. Le pire c’est quand je me réveille, et que je sens Têtard paniquer autant que moi. Mon enfant doit déjà faire face à mes cicatrices psychologiques. Une nuit, alors que je sens le bébé remuer en mon sein, je m’effondre, sanglotant sur l’épaule de Peeta. Il ne me demande pas ce qui ne va pas, il sait que je n’aime pas toujours en parler. Il sait que la meilleure aide qu’il puisse m’apporter, c’est d’être là. Cette fois cependant, je le lui dis, cela me démange depuis un moment.

 

-         « Peeta, je suis en train de l’effrayer. Il tremble, je le jure. Il n’est même pas encore né et… »

 


-         « Non, non, tu ne l’effraies pas. Le bébé est peut-être stressé parce-que tu es effrayée, mais tu n’as rien fait. Ce n’est pas ta faute, Katniss, tu n’as pas fait quoi que ce soit. »

 


-         « Comment pourrai-je avoir le moindre espoir d’être un parent correct si je gâche déjà tout avant que l’enfant ne soit né ? Cet enfant a déjà une maman amochée qui ne peut même pas mener à terme une grossesse sans faire une dépression nerveuse. »

 


-         « Katniss, le fait que tu t’inquiètes d’être une bonne mère montre déjà que tu en est une. »

 

Je digère ce que je viens d’entendre. C’est réconfortant, cela dit, je reste sceptique. Je pose une autre question, plus calmement cette fois-ci.


-         « Que va-t-on raconter à cet enfant quand il posera des questions sur mes cauchemars ? Ou tes hallucinations ? Ou quoi que ce soit qui a un rapport avec les jeux, ou la guerre ? Nous allons le terroriser. »


-         « Je ne pense pas. Je pense que ça ira. Nous pouvons adoucir certaines choses tant qu’il sera jeune. Mais il les comprendra avec le temps. Je ne pense pas que ça effraiera l’enfant si on le lui dit au bon moment. Je pense que ça le fera être reconnaissant. Que ça le fera devenir plus courageux. Je vois les choses de cette façon. »

 

Je fais oui de la tête, espérant qu’il a raison.

 

-         « Tu devrais être plus souple avec toi-même. Cet enfant t’aimera. Tu es sa mère. Il ne va pas te critiquer, Katniss. »

 

-         « Parce qu’il n’aura rien connu de mieux. »

 

-         « Tu n’as toujours aucune idée de l’effet que tu as sur les gens. »

 

-         « Peu importe. Je suis heureuse que cet enfant t’ait. Il aura au moins un parent correct. »

 

Peeta proteste patiemment, mais il sait que je ne vais pas laisser tomber ce soir. Je ne peux pas être d’accord avec lui, quoique je sois heureuse qu’il ait une si haute opinion de moi. Finalement, Peeta m’emmène dormir.

Mes journées avancent de cette façon. Combattre pour rester en un seul morceau, souhaiter que je puisse vivre cette grossesse comme n’importe qui, savoir que ça n’arrivera pas, et espérer que les prochaines semaines passent aussi vite que possible. Je déteste d’être si remuée par ces sentiments que j’ai l’impression de devoir tout accélérer. Je passe mes journées à être terrifiée, amère et coupable.


Je peux voir que les choses progressent doucement. Je sens combien Têtard est devenu plus lourd. La semaine suivante, je réalise que même les chemises de Peeta ne suffisent plus à couvrir mon ventre, il manque à peu près un tiers. Heureusement, je ne peux plus marcher dans le village, alors j’envoie Peeta m’acheter de nouveaux vêtements. Je n’ai pas à faire de choix cornélien entre porter les robes de ma mère et aller m’acheter de nouveaux vêtements. Ça me fait un peu sourire, j’ai échappé aux deux humiliations. Je me sens essoufflée en essayant de bouger d’une pièce à l’autre dans la maison. Je doute que ce soit arrivé si vite sans ce qui est arrivé à ma cheville, mais avec une jambe hors service et un bébé lourd, bouger où que ce soit devient difficile.


C’est d’autant plus malheureux que les voyages de Peeta au village deviennent de plus en plus longs et fréquents. Je peux comprendre. Il ne peut pas laisser de côté son travail, d’autant plus maintenant que je ne peux plus chasser jusqu’à ce que le bébé naisse. Malgré tout, je ne peux pas me déplacer d’une pièce à l’autre sans lui, ce qui est une perte d’autonomie exaspérante pour moi, même quand il est dans la maison. Quand il n’y est pas, il faut que je me roule les pouces en me balançant sur ma chaise jusqu’à ce qu’il réapparaisse. J’essaierais bien de marcher un peu avec une béquille, mais je ne veux pas risquer d’accident. Je préfère encore être agitée et énervée que de risquer une autre chute.


Un jour, Peeta part au village tôt le matin et n’est pas encore revenu en milieu d’après-midi. Cela fait si longtemps que Peeta est parti que je suis irrémédiablement irritée à son retour. Je sais que ce n’est pas à lui que j’en veux, mais personne ne peut rester assise dans la même pièce pendant si longtemps sans se sentir énervé. Il était bien temps


-         « Il était bien temps. » me plains-je quand il passe la porte.

 


-         « Désolé, je sais que je suis sorti longtemps. »

 


-         « Vraiment longtemps. Tu aurais pu passer ici pour voir comment j’allais entre deux clients. »

 


-         « Je suis désolé, je me suis occupé du même toute la journée. »

 


-         « Toute la journée ? Qu’est-ce qu’il voulait ? Il vaudrait mieux que ce gâteau soit de la taille d’une maison si ça t’a pris toute la journée. »

 


-         « Allons, je sais que tu veux sortir de cette pièce. »

 


-         « C’est peu dire. J’ai regardé un mur toute la journée. »

 


-         « C’est un joli mur. »

 


-         « Oui, c’est un joli mur. J’aime le mur. Le même mur que les quatre que je regarde à longueur de journées. Que faisais-tu ? » dis-je en levant les yeux au ciel.

 

Peeta s’en retourne en me prenant par la main.


-         « Peeta, j’ai faim, je voudrais aller à la cuisine. »

 


-         « Donne moi une seconde. Je te promets que tu mangeras bientôt. »

 


-         « Je t’ai déjà donné beaucoup de secondes aujourd’hui, s’il te plaît, on ne peut pas simplement aller à la cuisine ? »

 


-         « Dans une minute, promis. »

 


-         « Peeta, je deviens folle à force de rester ici toute la journée. Quand je suis à l’intérieur, je voudrais au moins pouvoir aller où je veux. »

 


-         « Katniss ! Tais-toi une minute. J’essaie d’être gentil avec toi ! »

 

Je m’arrête, ma bouche se referme. Peeta rit d’exaspération.


-         « J’ai une surprise pour toi, mais tu me rends la tâche de te la donner extrêmement difficile. S’il te plait, ne parle plus pendant une minute, contente-toi de me suivre. Fais-moi confiance D’accord ? »

 


-         « D’accord, désolée. » murmure-je coupablement, me sentant vraiment mal d’avoir fait toutes ses remarques à Peeta. J’espère vraiment que ce n’est pas un animal dont il faudra que je m’occupe qui se trouve derrière cette porte. C’est un animal, mais ce qui y est attaché me fait pousser un cri de soulagement. C’est une vieille mule grisonnante, remuant sa queue au beau milieu des jardins du village des vainqueurs. Elle tire une petite charrette en bois à deux places. »

 


-         « Je t’avais dit de me faire confiance. »

 

Alors que je critiquais Peeta parce-que je devais rester coincée à la maison, il s’évertuait à trouver un moyen de me permettre de la quitter. Je ne peux pas aller dans les bois, puisque je ne peux pas passer sous la clôture, mais je peux au moins aller dehors et même peut-être aller au village. Je vais probablement essuyer des regards, ma grossesse étant maintenant massive, mais je ne serai plus coincée chez moi.


-         « Oh mon Dieu. Merci Peeta. » Je m’enfouis al tête sur l’épaule de Peeta, mes bras l’enserrant autant que mon énorme ventre me le permet. Il reste silencieux un moment avant de s’émouvoir. »

 

-         « Viens, on devrait partir maintenant si on veut faire quelque-chose avant qu’il fasse nuit. »

 

Il m’aide à monter dans la charrette, ainsi qu’à m’y installer, avant de grimper à mes côtés.


-         « Où as-tu bien pu trouver cette antiquité ? » Dis-je en riant, alors que je regarde la vielle mule. Ses oreilles se tournent vers l’arrière, comme si elle avait compris ce que je disais. 

 


-         « Ça vient d’une connaissance de Sae Boui Boui. Personne n’en veut puisqu’elle est vieille. Elle ne peut plus labourer maintenant. Comme une petite charrette en bois est plus légère qu’une charrue, et qu’elle n’aura plus rien à faire une fois que tu auras accouché, je pense que nous avons fait une bonne affaire tous les deux. »

 

-         « Elle a un nom ? »

 

 

-         « Non, pourquoi ? Tu en as un à l’esprit ? »

 


-         « On pourrait l’appeler Haymitch ? Je suis toujours en colère après lui, et je sais qu’il va détester. »

 

Peeta redouble son rire.


-         « Il va détester. Ce sera parfait. »

 

La petite cariole se balance et soubresaute à mesure que la vieille mule la tire. Peu importe le temps qu’il nous faudra pour aller au village, ou même si nous y allons. Je suis simplement heureuse de voir le ciel, des tas de neige sur le bord de la route qui ne fondront pas avant l’arrivée du printemps. Je suis heureuse de respirer cet air qui m’évoque les arbres, les oiseaux, et l’herbe. Soudainement, Peeta fait prendre à la charrette un autre chemin. Il ne mène pas au village. Il mène à la forêt.


-         « Peeta, si tu vas à la clôture, je ne peux pas passer dessous. »


Peeta soupire.


-         « Katniss, il est vraiment difficile de te faire des surprises. Sois patiente. »

 

-         « Désolée. »

 

Ça nous prend un bon moment pour atteindre la clôture. Quand nous y sommes, je ne la remarque pas dans un premier temps. Puis je la vois. La clôture doit toujours être en place. Non plus pour nous parquer, mais pour nous protéger des prédateurs qui rôdent dans les bois. Les gens du District 12 ont choisit de la garder en état pour les éloigner des zones habitées. Mais, maintenant, il y a une porte. Une petite, toute simple. Elle est rattachée à l’ancienne grande clôture par quelques nouvelles longueurs de câble qui ne sont désormais plus électrifiés. Elle est suffisamment grande pour que je puisse y passer debout. C’est à ‘endroit précis où je la passais depuis toujours. Le petit trou que je m’étais creusé y est même encore.

 

-         « Peeta, c’est toi qui a fait ça ? »

 

-         « C’est ce qui me prenait tant de temps chaque jour. J’ai trouvé quelques personnes qui pouvaient m’aider, n’étant pas très doué avec ce genre de choses. Il fallait que je trouve un moyen de te faire passer la clôture, et ensuite, un moyen de t’y emmener. »

 

 

-         « C’est… »

 

Je ne parviens même pas à trouver une façon de décrire ce que je ressens. C’est le plus beau cadeau que personne ne m’ait jamais fait. Je ne peux rien faire d’autre que de ravaler mes sanglots et de dire le plus sincère merci que je n’ai jamais formulé. Peeta sourit.


-         « Allez, Allons-y »


Peeta doit venir avec moi de l’autre côté de la clôture parce-que, bien évidemment, je ne peux pas y marcher par moi-même. Mais il me dit qu’il m’aidera à aller où que je le veuille. Je finis par être déposée sous le tronc d’un arbre, sur le flanc d’une colline boisée. Il n’y a pas beaucoup de neige ici à cause de la densité de la végétation. Peeta s’assied avec moi et Têtard se calme presque immédiatement. Je souris.


-         « Content d’être de retour ? » dis-je à mon ventre

 

-         « Il a arrêté de bouger ? »

 

 

-         « En quelque sorte. Têtard se tortille un peu, mais ici, la folie des coups de pieds s’arrête. Toujours. »

 

-         « J’espère que nous pourrons trouver un moyen de faire en sorte que Têtard arrête ses coups de pieds à la maison aussi. La nuit, quand tu essaies de dormir, ou quand tu essaies de manger. »

 

-         « Tu as utilisé le surnom »

 

-         « Ce n’est pas pour ça que je l’aime. »

 

-         « Tu en as pourtant l’air, tu ne veux juste pas l’admettre. »

 

-         « C’est faux »

 

-         « Si, tu l’aimes. »

 

-         « C’est pratique. »

 

-         « Avoue-le »

 

-         « Bon très bien. C’est un peu mignon »

 

Je souris et m’arrête d’embêter Peeta, j’ai triomphé.

 

-         « Ne t’inquiète pas avec les coups de pieds pendant la nuit. J’espère aussi que ça s’arrêtera, mais si tu peux me transporter dans les bois, et avoir un peu de repos, je pense que je pourrai gérer. »

 

-         « Je t’emmènerai dans les bois. Tous les jours. »

 

Bien sûr qu’il le fera.


Ainsi fait-il. Peeta m’emmène chaque jour. Il s’assoit avec moi, ce qui est bien parce-que de toute façon, il faudrait que je m’asseye. Je ne peux plus grimper aux arbres, je ne peux même plus marcher, alors je me contente de m’assoir avec Peeta, heureuse de pouvoir de nouveau être dehors. J’y dors beaucoup, appuyée contre Peeta, heureuse de pouvoir prendre un peu de repos quand Têtard est calme. C’est ma consolation des coups de pieds du soir de Têtard, ainsi que des cauchemars. Ces choses là ne s’améliorent pas. Mais maintenant, je suis de retour dans mon havre de paix, alors, je ne suis plus aussi mal le jour que je ne le suis la nuit.


Le seul effet secondaire indésirable de cela est que je dors tellement quand je suis dans les bois que je n’en dors que très peu la nuit. Je reste assise pleinement éveillée dans l’obscurité, en train de faire des nœuds à mesure que je reçois des coups de pieds. Même si Peeta voudrait que je le réveille, je ne le fais pas. Il faut qu’il dorme de temps en temps. Je souhaite que mes journées et mes nuits reviennent à la normale, même s’il est difficile de me plaindre de ces choses - fut-ce intérieurement – alors que je peux de nouveau aller à l’extérieur. Ça rend les choses difficiles parfois, malgré tout, et particulièrement depuis que les heures où Peeta et moi sommes tous les deux éveillés diminuent. Il faut simplement que j’essaie de prendre du repos quand je le peux, et c’est dans les bois.


Je traverse deux semaines avec ce programme pour le moins aléatoire. Le Pauvre Peeta ne parle plus beaucoup avec moi, étant habituellement inconsciente quand il est réveillé. Notre compagnie mutuelle nous manque. Je réfléchis à une manière de changer mes habitudes de sommeil quand ça arrive. Une lettre. Il ne me reste plus qu’un mois et demi à tenir, mais Annie a répondu à ma lettre. C’est sec et un peu tronqué, mais c’est Annie. Je lis rapidement. Annie dit qu’elle a eu autant de problèmes que moi quand elle était enceinte. Pas tout à fait de la même manière, mais avec les mêmes conséquences. Elle dit que la grossesse est le pire moment. Une fois que l’enfant est là, tout ira mieux Elle dit qu’elle était paniquée à l’idée d’avoir à élever un enfant toute seule. Il y a des jours où elle se réveillait sans se rappeler qu’elle était enceinte, et était effrayée. Elle sait que Killlian va très bien, et elle joint une image d’eux deux. Il est presque plus grand que sa mère à seulement quatorze ans. Il est debout, exceptionnellement grand et maigre. Il enserre sa mère, entourant de ses bras protecteur ses épaules, souriant à l’objectif. Ses cheveux bruns bouclent comme ceux de sa mère, son sourire et son regard étincèlent comme celui de Finnick. Je pense presque qu’Annie finit sa lettre abruptement ici avant que je ne remarque une autre page. Il n’y a que quelques mots qui y sont écrits.

Et pour le bébé, c’est facile : contente-toi de chanter. Si les oiseaux se taisent pour t’écouter, elle fera de même.


Je mets de côté le fait qu’elle ait arbitrairement décidé que Têtard est une fille. Je n’ai jamais pensé à chanter à cet enfant. Ce jour-là, je me bats pour rester éveillée dans les bois. Je veux essayer la suggestion d’Annie ce soir. Si ça fonctionne, je vais pouvoir dormir la nuit comme tout le monde. Je laisse Têtard me donner quelques coups de pieds pendant le dîner, mais je demande ensuite à Peeta de me monter à la nurserie. Il le fait avant de redescendre pour travailler sur une commande. Tant mieux. Je ne veux pas voir sa déception si ça ne fonctionne pas. Je n’ai plus chanté à personne depuis la fin de la guerre. J’essaie quelques simples chansons qui ne fonctionnent pas. Elles sont douces et légères, si ce n’est vides de sens. Têtard continue ses mouvements.


-         « Qu’est-ce qui ne te va pas avec ces chansons ? »


En guise de réponse, têtard se met à danser. Je me creuse la tête. Mon cœur se serre quand la dernière chanson à laquelle je pense me traverse l’esprit. Je ne l’ai plus chantée depuis mes premiers jeux. Après tout, si quelqu’un est digne que je la lui chante, c’est mon bébé.


« C’est la dernière que je vais essayer, et je ne la chanterai qu’une fois. C’est très spécial. Alors écoute bien, parce-que, si ça ne fonctionne pas, tu ne l’entendras plus. » murmure-je au bébé. Je prends une respiration frémissante avant que je ne commence.


Sous le vieux saule, au fond de la prairie


L’herbe verte, te fait comme un grand lit


Allonge-toi, ferme tes yeux fatigués


Quand tu les rouvriras, le soleil sera levé

 



Il fait doux par ici, ne crains rien


Les pâquerettes éloignent les soucis


Tes jolis rêves s’accompliront demain


Dors mon amour, oh dors mon tout petit

 

Alors que les coups de pieds du bébé ralentissent je sens les larmes monter sous mes paupières fermées. Il bouge encore un peu, mais gentils, amples, comme s’il dansait. Je continue de chanter, encore et encore et encore. Après quelques minutes, Peeta rôde près dans le couloir, essayant manifestement d’écouter. Je lui fais signe d’entrer. Je n’arrête pas de chanter. Il s’assied aux pieds de ma chaise à bascule, et pose ses mains sur mon ventre. Il sourit quand il constate qu’il sent uniquement de faibles palpitations. Je me tiens là, en train de basculer sur ma chaise, caressant d’une main les cheveux de Peeta, sa tête reposant sur mes genoux, l’autre reste posée sur mon ventre. Je chante jusqu’à ce que nous dormions tous les trois.

 

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