L'Élégie d'Hallownest

Ils cheminaient depuis de longues minutes. Les galeries sans fin ne cessaient de rencontrer de nouveaux croisements. Chaque fois, le Hollow Knight eut l’impression que le Roi Pâle prenait des intersections menant à des recoins toujours plus sombres, dans lesquelles le lierre se mêlait aux ronces, pour s’enchevêtrer dans chaque parcelle de mur.

« La Dame Blanche, ma conjointe, a besoin de la présence de verdure. Sans ça, elle mourrait de chagrin au sein de mon palais. Quand elle se sent mal, il lui arrive régulièrement de se réfugier dans ses lointains jardins, une zone auparavant sauvage que j’ai soumise pour la lui offrir.

- Je suppose qu’elle est aussi ma créatrice.

- Oui, elle l’est. Contrairement à moi, elle ne se sent pas heureuse de ton existence. À la place, elle en est honteuse. (Sa mine s’assombrit.) Ce que je peux comprendre. »

    Ils arrivèrent enfin à leur destination. S’il en avait été capable, le Hollow Knight aurait probablement eu mal aux jambes des suites de l’interminable marche forcée.

    Ils atteignirent une porte, qui menait à une pièce chargée d’objet. Plutôt basse de plafond comparé au reste du palais, elle s’étendait sur une grosse portion de distance. Cette taille respectable ne l’empêchait pas d’être encombré par une multitude d’étrangeté. Des innombrables étagères débordaient d’outils pointus. Des pièces d’armures ovales, ainsi que des casques hérissés de piques traînaient pêle-mêle. Pour économiser un maximum de place, d’autres pendaient au plafond au moyen de fins fils métalliques. Ses armures volantes cohabitaient alors avec des lampes, dont les ampoules en verre rempli de particule d’une matière inconnue projetaient une lumière blafarde à travers la pièce.

    Parmi la mêlée immobilière, un élément parqué au fond attira instantanément l’attention du Hollow Knight. Il crut d’abord qu’il s’agissait d’une stèle, avec sa forme ovale dressée vers le haut et les étranges motifs qu’elles comportaient. En y regardant plus attentivement, il constata que cette stèle était creuse. Un trou qui formait la forme et la morphologie d’un corps, avec une tête, un buste, ainsi que quatre bras. Ce n’était ni plus ni moins qu’un moule. Le Hollow Knight s’en approcha et passa sa main dessus. La surface était lisse et froide. Il se tourna vers le roi, interloqué.

« L’atelier. Vous me dites que c’est là où votre plan a vu le jour. Je ne comprends pas où vous voulez en venir. »

    Il pivota. Les pièces d’armures, le moule en forme de corps…

« Ces armures blanches, ce sont les mêmes que celles que portaient les gardes ?

- Tu vois que tu es capable de faire preuve de perspicacité. Pas la peine de m’assommer de question en permanence.

- Avec cette machine, vous êtes capable de construire vos propres soldats ? »

    Le Roi admira fièrement la plus fine invention qu’est jamais porté son royaume.

« C’est utile. Hallownest ne souffre d’aucun ennemi, je peux me créer autant de guerriers que je le désire. Bien sûr, ils ne sont pas prêts à la naissance. Il faut les former, afin qu’ils deviennent des combattants d’élite. Mais tout de même, il y a plus de bienfaits que d’incommodité avec cette manière de recruter.

- Un élément dans votre histoire me gêne. Le moule. Vous devez bien le remplir pour obtenir un être vivant. Vous ne pouvez pas façonner de la matière sans rien.

- Voilà une remarque pertinente. »

    Le Roi Pâle se dirigea au fond de la pièce sans donner de réponse. Il passa sa main sur une étagère et empoigna une fiole, rempli d’un liquide d’un noir d’encre.

« Je n’en ai plus qu’un échantillon minuscule. Le dernier. Tu m’as dit que je ne pouvais pas créer la vie sans rien. Figures-toi que si. Ou plutôt non, pas vraiment. Les deux affirmations sont vraies. »

    Le Hollow Knight se rapprocha de la fiole de liquide. Rien ne perçait à l’intérieur, pas de remous, pas de bulles. Juste de l’obscurité à l’état pur. Il se sentit connecté avec. Il ne put s’empêcher de tendre son bras. Il ne put s’empêcher de prendre la fiole des mains du roi. Il ne put s’empêcher de l’ouvrir. Il entendit une voix. Une voix grave, mélodieuse, gutturale et si familière. Il se souvint brièvement de ce qu’il était avant sa naissance. Du Néant. Du Vide. Il n’était rien, mais appartenait à un tout. La voix l’appelait plus fort. Elle voulait qu’il retourne à son état d’origine. Le Hollow Knight ne l’écouta pas. Après tout, il avait sa place dans le monde. Il referma la fiole et sa transe cessa.

    Le Roi Pâle n’avait pas bougé d’un centimètre et le scrutait. Quand il remarqua que son protégé avait retrouvé ses esprits, il se redressa.

« Tu comprends mieux ? » le questionna-t-il, rassuré.

« Vous utilisez cette matière liquide. Et vous la mettez dans le moule j’imagine.

- Ce n’est pas tout à fait une simple matière. Le Néant a une conscience qui lui est propre. Cependant, il est opposé à la vie, et vide de toute volonté – excepté celle d’attirer en son sein les autres insectes. Si tu avais été quelqu’un de plus normal, tu aurais cédé à son appel. »

    Il invita le Hollow Knight à le suivre jusqu’à une nouvelle étagère remplie de bocaux. Tel un instituteur passionné, le roi fit les cent pas de long en large du meuble, et s’adressa à son protégé.

« Toujours est-il que le Néant ne suffit pas à créer des formes de vie. Nous associons ça à l’Âme, une force ancienne, présente en chacun d’entre nous. »

    Il pointa du doigt une étrange verrerie. Un grand bocal d’une forme sphérique abritait un contenant tout aussi bizarre. Des petites boules d’énergies blanches tournoyaient à l’intérieur. Elles étaient si serrées, et se mouvaient si vite, qu’elles semblaient unifiées en une.

« Comme je te le disais, voici l’Âme. D’éminents scientifiques de mon royaume ont appris à apprivoiser cette mystérieuse force. Il m’est alors venu à l’esprit une incroyable idée. Mêlée ces deux formes de puissance contraire, pour créer mes armes. Le Néant constitue le corps de l’hôte, l’Âme lui insuffle la vie. 

- L’Âme, je peux l’utiliser moi aussi ?

- Naturellement. Il est d’ailleurs prévu que tu apprennes à t’en servir. Ça viendra en temps voulu. »

   Quand le roi eut achevé sa phrase, une étrange boule se forma dans son ventre. Pouvait-il s’agir de la même bulle d’Âme que dans le bocal ? Quoi que ça soit, elle ne lui laissait pas une bonne impression. Elle enflait sans cesse. L’énergie s’accumulait sans parvenir à être dépensée. Elle le rendait irrité. C’était soit dire ce qu’il avait sur le bout des lèvres, soit laissé la boule enflée jusqu’à ce qu’elle explose hors de son contrôle.

« M’avoir amené ici n’est pas anodin. Vous cherchez à me faire comprendre la vérité. Je vois les pièces de l’énigme qu’est mon existence face à moi, mais je ne peux les assembler. Vous devez tout me dire maintenant. »

    Le roi sursauta.

« Viens-tu de me donner un ordre ?

- Je ne crois pas. Je ne formulais qu’une simple recommandation. » mentit-il.

   Ses épaules se haussèrent. Sa circonspection disparut aussi vite qu’elle s’était manifestée.

« Simple erreur de ma part je suppose hum ? Passons. Nous avons de grandes choses à accomplir, ne trainons pas ici. 

- Que devons-nous faire à présent ?

- Je te rectifie. Que dois-tu faire. Tu vas t’entrainer.

- À quoi ? Dois-je vous rappeler que vous ne m’avez toujours pas révélé la raison de ma venue au monde ?

- Certes, certes. 

    Il soupira une fois de plus. Pour la première fois le Hollow Knight vit les mains du roi s’agiter sous sa cape. Des mains à quatre longs doigts blancs métalliques et crochus. Il les agrippait, les tripotait, les liait entre eux. Il se racla la gorge plusieurs fois.

- La raison de ton existence. Par où commencer. Si vaste sujet. Je ne puis t’en révéler l’intégralité des détails. Quoique je te dois bien ça. Mais j’apprécierai faire simple pour aujourd’hui.

- Tant que vous me dites ma mission, je serai satisfait.

- Je vais tâcher d’être direct. Tu es un être vide. Tu ne peux rien ressentir. Tu n’as ni volonté, ni pensée. Et c’est comme ceci que tu dois être pour le bien commun. (Il hésita quelques secondes, comme pour chercher ses mots.) Radiance, je te l’ai expliqué, corrompt les insectes par le biais de leur rêve, leur pensée. Il brise leur volonté.

    Le Hollow Knight comprit où le Roi Pâle cherchait à en venir. Cependant, une pensée l’assaillit. Si ce qu’il va m’annoncer est ce à quoi je pense… Pourquoi ce cérémonial, ces hésitations ? Le roi acheva sa phrase non sans quelques grimaces.

- Or, toi, tu ne possèdes rien de cela. Je t’ai créé afin de te former à le sceller. Tu dois accueillir l’Infection créer par Radiance, et la retenir pour l’éternité en toi, puisque tu es l’unique personne d’Hallownest qu’Il ne pourrait corrompre. »

    Le silence retomba. Plus assourdissant encore que dans le Bassin Ancestral. 

« Excellent.

- Excellent ?

- Oui. Que voulez-vous que je vous dise ? Ma mission est de me sacrifier. Cela me va. Pourquoi refuserai-je ?

- Pour tous un tas de raison si tu pouvais ressentir quoi que ce soit d’un peu insecte.

- Sauf que je ne le suis pas. Toutefois, une question me vient à l’esprit. Votre plan repose sur une approximation. Comment savoir que je suis vide ? Comment s’en assurer ? »

   Son géniteur resta impassible. Un calme forcé, le Hollow Knight le pressentit. Toujours avec cette étrange sérénité, il tourna les talons sans donner de réponse.

« Ma question ?

- Plus tard. Tu as eu une réponse. C’est déjà suffisant. »

    Il se montra catégorique. Il ne me dira pas toute la vérité aujourd’hui. Je patienterai.

« Entendu.

- Revenons à l’essentiel. Je l’ai dit, ton entrainement doit débuter. Ton entraînement de renforcement physique, afin de sceller mon mortel ennemi. Afin de sauver mon royaume. 

- Mon corps est frêle comparé au reste de vos soldats. 

- Il n’est pas nécessaire d’être grand pour être puissant. Ton maître d’armes aura l’occasion de t’enseigner cette leçon. »

    Sans plus de précisions, ils quittèrent l’atelier. À présent habitué au Palais Blanc, les voyages parurent moins longs au vaisseau pur. Il suivait le roi docilement sans que la lumière blanche ne l’aveugle, et sans que les ronces dans le chemin l’indispose. Revenu dans les quartiers principaux, progressé fut d’autant plus rapide. Ils s’arrêtèrent finalement devant une lourde porte. D’un mélange de bronze et de métal, elle ne possédait aucun gond. Les battants s’abattirent sur les murs sur un mouvement du Roi. Le Palais l’obéissait, quelle besoin de s’indisposer de serviteurs pour lui ouvrir ses portes.

    Ils atteignirent ainsi la salle de combat. D’une forme circulaires, de gigantesques piliers reposaient, sertis d’étranges motifs ressemblant à des écailles. Ils cernaient la pièce et paraissaient à l’étroit. À croire qu’ils avaient toujours été là et qu’on avait construit la salle autour d’eux. Plus étrange encore, le Hollow Knight leva la tête et aperçut de multiples chaines qui pendaient sans raison apparente. Il s’avança avec le roi. Le bruit de leur pas sur le sol pavé résonnaient à un tel point qu’ils en formaient une intimidante et grave mélodie.

    Au centre de cette pièce se tenait un minuscule insecte. Inerte, il resta accroupi. À ses côtés, se trouvait un aiguillon imposant, qui devait faire une taille au moins trois fois supérieure à lui.

Son arme ? déduisit le vaisseau pur, presque incrédule. Presque.