L'Élégie d'Hallownest
Le Bassin Ancestral. Ce simple nom évoquait la crainte et le respect chez les insectes civilisés d’Hallownest. Il s’agissait de la région la plus enfouie du royaume, à des milieux de lieus de la surface. Ces terres, d’une morosité sans pareille, se constituaient de cavernes labyrinthiques aux roches brunes. Le roi tenait à regagner son palais avec son protégé. Ils marchaient à travers les différentes galeries, escortés par des gardes en armure blanche qui les avaient rejoints juste après la sortie des Abysses. Le Hollow Knight vit des paysages défilés sans que cela ne lui fasse ni chaud ni froid. Il accompagnait docilement son créateur.
« Que suis-je ? »
À nouveau ses pensées. Une expérience des plus perturbantes que de se rendre compte de l’existence d’une conscience qui nous est propre.
« Tu as entendu ma voix dans les Abysses pourtant. Je te l’ai indiqué. Tu es le vaisseau pur, le Hollow Knight.
- C’était donc vous, ça aussi. » rétorqua-t-il au roi. Pas une once d’étonnement n’émana de la déclaration.
« Tu es aussi ennuyeux que les chemins de traverse de cette région. Et j’en suis bien heureux car c’est comme ça que tu dois être pour la survie de mon royaume.
- Cela ne m’indique pas ce que je suis.
- Si tu ne sais pas qui es-tu je vais me permettre une question. Je suis intrigué, tu es la première créature dans ton genre, et en toute logique la première avec qui je peux mener une conversation. (Le roi s’arrêta net, et fit face au Hollow Knight.) Pourquoi me suis-tu sans remettre en cause mes directives, alors que tu ne connais pas mes motivations ?
- Je vous suis, parce que au fond de moi, je sais que vous m’avez créé. Alors, je vous dois l’obéissance. »
Le Roi hocha la tête.
« Ta réponse est des plus intéressantes. Obéir. C’est effectivement ce que font les enfants à l’égard d’un parent. »
Sa propre réflexion l’amusa. Ils poursuivirent leur promenade. Dans la partie du Bassin Ancestral où ils se trouvaient, nul animal ne vivait. Pas le moindre son naturel ne pouvait percer le silence.
« Vous ne m’avez pas répondu.
- Ah oui ? Tu es un curieux toi. Pourtant, tu n’es pas censé l’être.
- Je ne le suis pas. Le concept de curiosité m’est abstrait. Je vous pose des questions quand elles me semblent nécessaires, pour mieux me connaitre et pouvoir vous être utile en retour.
- Tu es sincère quand tu dis ça, je le vois à ta manière froide de t’adresser à moi. C’est fascinant, tu ne montres pas une once d’intérêt, tu es réellement parfait dans ton rôle. Mais j’hésite. Je crains que t’expliquer directement ce que tu es n’assouvirais pas ta soif de savoir. Au contraire, ça ne ferait que soulever plus de questionnements. »
Le Hollow Knight ne parut pas contrarié par la réponse de son souverain. Il réfléchit à une solution.
« Je n’arrive pas à déterminer ce qui vous pousse à me cacher la vérité. À défaut de me dire ce que je suis, dites-moi où nous trouvons nous.
- Si c’est ce que tu veux.
Les yeux du roi s’agrandirent, son poitrail se gonfla. Sa couronne s’était redressée, comme pour montrer un signe d’intérêt grandissant pour la tournure que prenait la conversation.
« Tu te trouves dans mon royaume, Hallownest. Je l’ai fondé il y a fort longtemps. Je suis arrivé ici après un long voyage. Ces terres étaient alors sauvages, habités par des insectes primaires et dépourvus de bon sens. Ces idiots vénéraient des dieux païens des plus archaïques. J’ai eu une idée pour me débarrasser de ces concurrents gênants. J’ai fait à toutes les ethnies présentes en Hallownest des promesses de gloire et de civilisation. En échange de mon savoir, j’exigeais une soumission totale. La majorité d’entre eux ont accepté évidemment. »
Le Hollow Knight n’en doutait pas. Le Roi Pâle dégageait une aura de puissance et de clairvoyance. Il attirait la lumière autant qu’il devait attirer les insectes. Régner doit faire partie de sa nature, pensa-t-il.
« Et je sais ce que tu te dis. Régner est une caractéristique à part entière de mon espèce. Tu as parfaitement raison. J’ai apporté la civilisation comme promis au peuple. Les insectes s’élevèrent culturellement sous mon règne. J’ordonnais de bâtir des cités, des palais, des entrepôts de marchandise, des grandes routes de transport. Un âge d’or permis par ma venue. Naturellement, mon succès attisa la jalousie d’un ancienne divinité de ce monde. (Son ton devint plus grave.) Radiance. Un nom que je maudis aujourd’hui encore. Cette déesse déchue a juré de se venger de mon royaume. Elle a envoyé un étrange mal que l’on nomme l’Infection. »
Le Roi Pâle interrompit son récit, et écarquilla les yeux l’espace d’une demi-seconde. Ce dernier mot lui avait laissé sur la langue un goût amer.
En parallèle à la discussion, leur allure se faisait plus soutenue. Un changement de décor s’opéra après qu’ils eurent monté une pente qu’indiquait un vieux panneau. Ils traversèrent alors un pont géant, cerné de lampadaires finement forgés, d’une teinte métallique éclatante. La passerelle, elle aussi construite dans un métal éclatant s’étalait à l’horizon, et profondément sous le sol. Ce gigantisme s’accentuait par la présence d’un monument d’une grandeur sans pareille : le Palais Blanc.
Une armée de tours, de toits et de piques s’en dressaient fièrement. Le palais s’élevait jusqu’aux lointaines voûtes de la caverne, telle la couronne de son propriétaire. Aucune bâtisse dans l’histoire n’avait aussi bien porté son nom : son blanc immaculé aveuglait les voyageurs qui osaient se brûler les ailes en s’en approchant trop. Quant aux briques qui le constituaient, elles semblaient avoir été assemblées en lumière pure. Le Palais Blanc n’était pas seulement la demeure du roi, il s’agissait sans conteste du soleil de ce monde souterrain.
Etrangement, l’accès principal ne se démarquait pas par son gigantisme comme le reste de l’édifice. En contrepartie de sa taille que l’on pourrait presque qualifier de moyenne, elle gagnait en beauté par la complexité de sa forme. Ils la passèrent sous la vigilance des innombrables soldats, avant de découvrir l’intérieur du joyau d’Hallownest. De grandes arches, garnis de magnifiques arabesques les entouraient, et de grandes fenêtres illuminaient la pièce.
Le Hollow Knight cacha son visage pour s’acclimaté a cette luminosité sans pareille. Placer ses bras devant lui n’y suffit pas. Plongé dans la semi-obscurité qu’il s’imposait, une autre question lui vint à l’esprit.
« Suis-je lié à la malédiction que vous avez mentionnée ? L’Infection ?
- Malheureusement pour toi, oui. L’Infection s’est d’abord immiscée dans les rêves des habitants. Les premières victimes tombèrent dans un lourd sommeil. À leur réveil, leurs iris étaient imbibées d’une répugnante teinte d’orange. Ils se mettaient alors à commettre les pires folies, jusqu’à en devenir violent envers leur proche. Cet être supérieur que je mentionnais, Radiance. Elle les contrôle en implantant des visions dans leur tête. Au moment même où nous parlons, tout le territoire est en crise. »
Ils firent face aux quartiers principaux. A l’opposé du reste du Bassin Ancestral, la pièce débordait de vie. Des insectes portaient des magnifiques capes blanches finement brodées accrochées par des fibules, et déambulaient dans les couloirs. Ils se serraient les uns aux autres. Nombre d’entre eux se percutèrent et émirent des petites plaintes sourdes offusquées.
« Je ne déplore pas de situation épidémique, sur ce que je vois dans ces quartiers. Ce royaume est des plus intrigants, plus j’en apprends sur lui, plus il se remplit de contradictions.
- Ce que tu peux être désobligeant sans même le vouloir. J’ai exécuté des serviteurs pour bien moins que ça. Et tu n’es pas irremplaçable. »
La menace laissa le Hollow Knight de marbre.
« Mais tu m’amuses. Poursuivons.
- Vous ne m’avez que partiellement répondu tout à l’heure. Vous m’aviez dit que j’étais lié à l’Infection, mais pas de quelle manière.
- Tu le sauras en temps et en heure ! Je n’aurais d’autre choix que de te le raconter si je veux que tu accomplisses ta future mission, alors cesse de m’infortuné. » rétorqua-t-il.
Soucieux d’obéir aux ordres de son créateur, le Hollow Knight n’insista pas. Il saisit l’occasion, et se concentra sur ses cinq sens. Ce château était des plus charmants. Très calme, le bruit des pas des serviteurs produisait un claquement sec et répétitif sur le sol dallé. Des grands pots abritaient de délicates plantes touffues, aux feuilles argentées. La présence occasionnelle de ces buissons propageait une douce note florale dans l’air.
« AHAHAH !!!! »
Un éclat de rire ? Une voix claironnante s’éleva au-dessus des sons environnants. Accompagnée par ce bruit inattendus, une odeur de fumier vint les embaumer. Le Roi Pâle leva les yeux au ciel.
« Chevalier Ogrim. C’est un… plaisir de vous voir ici.
- Comme toujours, ô mon roi, ce plaisir est partagé ! » lui répondit-il joyeusement.
L’insecte n’était autre qu’un bousier. Il mit pied à terre en face du roi quand ce dernier porta son regard sur lui. Le dénommé Ogrim appartenait à une espèce de scarabée, et portait une fière cuirasse blanche. Il semblait avoir été dessiné vulgairement, comme une créature sortie du rêve d’un enfant. Son corps, assemblé de gros ronds pour les épaules et le torse, se terminait sur deux pattes qui parurent fragiles comparé à sa stature. Il possédait également deux grosses pinces en guise de bras, et une petite tête surmontée de deux cornes bien moins imposantes que celle de ses deux interlocuteurs. Il posa les yeux sur le Hollow Knight et le fixa avec curiosité et bienveillance.
« N’étais-tu pas censé être en mission dans les Voies d’Eau Royales ?
- Oui mon roi. Je l’étais. Mais j’ai anéanti vos ennemis en moins de temps qu’il vous aura fallu pour revenir ici. (Il s’inclina d’autant plus après avoir achevé sa phrase.) Oh, non pas que je me considère meilleur que vous d’une manière ou d’une autre, ma magnificence. J’agis toujours par excès de zèle quand vous me donnez des ordres.
- La prochaine fois que tu devras me rendre service, je te saurai gré de brider ton enthousiasme.
- Tout ce que vous voudrez ! »
Le roi passa son chemin sans accorder plus de temps à son dévoué serviteur. Cependant, celui-ci n’en avait a priori pas fini.
« Je ne sais même pas qui es-tu petit-être ! Je te souhaite la bienvenue ici ! »
Le Hollow Knight se retourna, et jaugea Ogrim. Un personnage haut en couleur, on ne pouvait le qualifier autrement ! Cependant, le vaisseau sentit immédiatement un danger derrière cet air jovial. Il renfermait en lui une grande puissance. Peut-être pas quelque chose de comparable au roi, mais à une moindre mesure une aura d’assurance des plus admirables. Le Hollow Knight opina, puis se détourna pour emboiter le pas de son créateur. Ce dernier reprit une grande goulée d’air dès qu’ils passèrent la sortie des quartiers principaux.
« L’odeur de fumier qu’il porte avec lui. C’est un enfer à vivre, jamais je ne m’y habituerai. Il n’est toléré que parce qu’il est l’un des guerriers les plus efficaces de ma garde, sans ça je l’aurais éjecté d’ici.
- J’en déduis que l’odeur qu’il dégage était censée m’inspirer du dégoût ?
- J’imagine que tu es un cas particulier. Estime-toi chanceux. »
Ils empruntèrent des routes de plus en plus sombres. Le roi progressait avec aisance. Son palais perdait de son éclat dans cette partie reculée. Les couloirs se faisaient toujours plus étriqués. Pour ne rien arranger, des ronces, elles aussi argentées, et truffées de cruelles épines, envahissaient le passage.
« Où nous dirigeons nous à présent ?
- Dans la salle où tout a commencé.
- Vous m’aviez pourtant dit que vous ne vouliez pas me dire qui j’étais et que ça ne créerait que plus de questionnements ?
- Je n’ai pas dit que je ne voulais pas le faire, mais que j’avais quelques réticences. Et je maintiens mon opinion, tout du moins pour le moment. Le lieu où tout a commencé pour toi sont les Abysses, et elles resteront fermées à jamais. »
Il se remémora ses premiers instants de conscience. Il était né dans un amas d’ossements. Naitre au milieu de la mort. Pourquoi cela ne l’avait-il jamais alerté ? Son histoire. La raison de son existence. L’Infection. Radiance. Les Abysses. Cela devait cacher une vérité si sombre, que son créateur cherchait à la lui cacher pour une raison personnelle. Sans que le roi ne le lui ai implicitement dit, un tableau d’ensemble de sa réelle situation commençait à se dessiner mentalement. Il… frémit ?
- Non, nous ne retournerons pas là où tu as vu le jour. Nous irons là où mon plan pour sauver mon royaume a été élaboré. Rendons-nous à l’atelier. »