Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Chapitre 35 : Mauvais Thé et Confidences
4536 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a environ 2 mois
Le vent soufflait en bourrasques sur les hauteurs, hurlant à travers les pierres du monastère comme une bête affamée. L’édifice, austère et massif, tenait bon face aux assauts du froid, impassible sous le poids des siècles. À l’intérieur, la chaleur du feu repoussait l’hiver. Près de l’âtre, Darius tenait un livre ouvert sur ses genoux, mais il ne lisait plus vraiment. Ses pensées erraient ailleurs, savourant cet instant où le silence ne demandait pas à être comblé. De l’autre côté de la pièce, Soleman parcourait un journal ramené d’une ville voisine. Une cigarette oubliée se consumait lentement dans le cendrier posé à ses côtés, sa fumée fine montant en volutes paresseuses vers la voûte de pierre.
Ce fut une sensation fugace, à peine perceptible, qui les alerta avant même que le son ne suive. Un frémissement dans l’air, une tension subtile propre aux immortels. Un regard échangé, suffisant à confirmer qu’ils avaient tous deux ressenti la même chose.
— Il était temps, lâcha le sarrasin avec un léger sourire.
Le prêtre referma son livre dans un bruissement feutré, se leva avec calme et se dirigea vers la porte. Trois coups secs résonnèrent contre le bois épais. Il fit glisser le loquet et ouvrit, dévoilant une silhouette emmitouflée dans un manteau de voyage, des flocons de neige encore accrochés aux épaules.
— Je me demandais si tu étais mort pour de bon. Mais vu ton goût pour les monastères, je suppose que c’est une autre forme d’agonie.
Methos secoua la neige de ses vêtements avant de franchir le seuil, apportant avec lui une bourrasque glaciale. Darius referma la porte d’un geste mesuré, un amusement discret dans le regard.
— Toujours aussi dramatique, constata-t-il en retournant vers le feu.
— Et toi, toujours aussi attaché à l’austérité, répliqua Methos en balayant la pièce du regard. À croire que tu cherches à expier un crime dont personne ne se souvient.
Soleman, qui observait la scène avec une nonchalance tranquille, se redressa légèrement, posant son journal sur la table.
— Il ne fait que passer, précisa-t-il. Il cherche encore où poser son baluchon.
— Comme toujours. Un ermite incapable de se décider, répliqua Methos en s’installant près de l’âtre.
Darius ne releva pas la provocation. Il versa du thé dans une tasse et la tendit à son vieil ami avec un calme imperturbable.
— Dis-moi, combien de temps cette fois ? Dix ans ?
— Huit ans, si l’on veut être précis. Mais je suppose que dans ce trou perdu, le temps ne s’écoule pas comme ailleurs.
— On aurait parié sur un siècle, répliqua Soleman, un sourire aux lèvres.
Methos lui adressa un regard faussement vexé avant de s’enfoncer dans son fauteuil, savourant la chaleur du feu. Un silence s’installa, de ceux qui n’ont pas besoin de combler l’espace par des mots inutiles. Trois hommes réunis, après des décennies, peut-être plus, et pourtant, tout semblait inchangé.
Le nouveau venu observa ses deux compagnons, un sourire en coin.
— Alors ? Rien de neuf sous le soleil ? Vous êtes restés sagement à contempler la décadence du monde, pendant que je menais une vie palpitante ?
— Tu veux dire pendant que tu fuyais quelque chose, comme d’habitude ? fit Darius en haussant un sourcil.
— Toujours aussi perspicace, mon cher ami. Mais figure-toi que cette fois, j’ai plutôt bien profité.
Soleman reposa son verre sur la table en arquant un sourcil.
— Je doute que ta notion du « bien profiter » corresponde à celle du commun des mortels.
Methos fit mine de réfléchir, étirant ses jambes avec une nonchalance exagérée.
— Figurez-vous que j’ai mené une vie tout à fait respectable ces dernières années.
— Toi, respectable ? S’étonna Soleman en haussant un sourcil, sceptique.
— Absolument. Professeur d’histoire antique dans une université. Costume-cravate, conférences, petits fours et étudiants pendus à mes lèvres.
Darius esquissa un sourire amusé.
— Et ça a tenu combien de temps ?
— Deux ans. Presque un exploit. Jusqu’à ce qu’un historien un peu trop passionné vienne compliquer les choses.
Soleman posa lentement son verre.
— Laisse-moi deviner… il t’a testé sur tes souvenirs personnels ?
— Exactement. Ce pauvre homme était ravi de trouver enfin un interlocuteur capable de débattre à son niveau sur la civilisation sumérienne. Et moi, j’ai dû prétendre que je n’avais jamais vu une cité sumérienne de mes propres yeux.
Darius secoua doucement la tête, amusé.
— Comment ça s’est terminé ?
— Mal, évidemment. J’ai tenté de rester évasif, mais il était tenace. Il voulait des détails précis, et... disons que j’ai peut-être été un peu trop précis.
Soleman sourit, devinant la suite.
— Tu t’es trahi ?
— Non, pas tout à fait. Mais je l’ai vu prendre des notes, et j’ai préféré disparaître avant qu’il ne commence à se poser trop de questions.
Darius hocha la tête, faussement pensif.
— Donc tu es parti en plein milieu d’un semestre ?
— Évidemment. J’ai feint l’indignation devant le manque de rigueur intellectuelle de mes collègues et j’ai claqué la porte.
Le sarrasin leva son verre dans un geste faussement solennel.
— À ton intégrité académique.
— Qu’elle repose en paix, répondit Methos en levant sa tasse.
Loin de se départir de sa nonchalance, il la porta à ses lèvres, souffla dessus quelques instants, puis prit une gorgée avant de grimacer légèrement.
— Tu n’as toujours pas appris à faire du thé correctement, Darius.
— Il est très bien. C’est ton palais qui est trop habitué au vin bon marché, répliqua ce dernier, imperturbable.
Soleman laissa échapper un rire discret tandis que Methos levait les yeux au ciel, feignant l’exaspération.
— J’ai eu du goût, autrefois. Avant de devoir m’intégrer à cette époque moderne où tout est aseptisé. Tu sais que les bons bordeaux coûtent une fortune, maintenant ?
— Une tragédie, concéda le prêtre avec ironie.
Soleman se pencha légèrement en avant, un sourire au coin des lèvres.
— Un emploi stable, une vie respectable… et pourtant, tu es là. Est-ce que c’était trop ennuyeux, ou est-ce simplement toi qui ne tiens jamais en place ?
— Disons que l’idée était séduisante sur le papier. Mais la stabilité et moi avons des visions incompatibles du long terme.
— Ou peut-être que tu n’as jamais vraiment voulu essayer, répondit le prêtre d’une voix posée.
— Ah, cette obsession à vouloir me donner des leçons de sagesse… Un jour, vous finirez par admettre que je suis un modèle de pragmatisme.
Darius sourit légèrement, secouant la tête avant de s’appuyer contre le dossier de son fauteuil.
— Un jour, tu finiras par tomber sur quelqu’un qui te reconnaîtra d’un siècle à l’autre.
— Ça m’est déjà arrivé, répliqua-t-il en haussant les épaules. Mais avec un bon sens du timing et un faux passeport, tout finit toujours par s’arranger.
Soleman rit doucement, un amusement non dissimulé dans le regard.
— Un vrai modèle de discrétion.
— N’est-ce pas ?
Amusé, Methos tourna son regard vers Soleman.
— Et toi ? Toujours à parcourir le monde ?
Le concerné haussa légèrement les épaules, un sourire discret aux lèvres.
— J’ai voyagé, oui. Quelques escales en Afrique du Nord, un passage en Inde… Et un duel qui aurait pu mal finir.
Darius tourna légèrement la tête, attentif. Methos, intrigué, attendit la suite.
— Pour toi ?
— Pour nous deux, répondit Soleman avec un sourire énigmatique.
Il fixa les flammes dans l’âtre un instant avant de reprendre, mesurant ses mots.
— C’était à Marrakech. Un immortel m’a traqué plusieurs jours avant de se décider à attaquer.
Il marqua une pause, jouant distraitement avec le bord de son verre.
— J’ai gagné. Mais des témoins sont arrivés avant que je puisse achever mon adversaire. Un groupe de soldats français, en patrouille. Ils nous ont vus, armes au clair, l’homme à genoux devant moi…
— Ils ont pris ça pour un règlement de compte entre contrebandiers. Avant que je ne réalise, ils nous avaient encerclés, reprit-il.
Methos haussa un sourcil, amusé.
— Nous ? Pour une fois, tu n’as pas trouvé un moyen d’y échapper ?
— Pas immédiatement, admit Soleman. Mais j’ai parlé plus vite que lui. Marchandises de contrebande, dettes non payées… J’ai raconté une histoire plausible, et j’ai surtout su leur donner quelque chose de plus intéressant.
Darius l’observa avec attention.
— Quoi donc ?
— Un autre nom. Un contact dans les bas-fonds, impliqué dans de véritables trafics. Quelqu’un qu’ils cherchaient depuis un moment. Ils ont estimé que j’étais plus utile dehors qu’en cellule.
— Et ton adversaire ?
— Lui n’avait rien à offrir. Il a fini menotté. Ils l’ont pris pour un trafiquant et l’ont embarqué.
— Il s’est évadé ?
— Sans doute. Ou il a attendu qu’on le fusille pour mieux ressusciter dans un charnier. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’était plus à moi de décider de son sort.
Methos laissa échapper un rire bref.
— Voilà qui ne te ressemble pas. Depuis quand laisses-tu les choses au hasard ?
— Disons que certaines batailles ne valent pas toujours la peine d’être menées jusqu’au bout.
— Une façon élégante de dire que tu as eu la flemme de retrouver sa trace.
— Si tu veux, admit Soleman, en riant.
Le vieil immortel hocha la tête d’un air faussement solennel.
— L’un des plus redoutables guerriers de son temps, devenu philosophe par pure paresse. J’aime cette évolution.
Darius posa calmement sa tasse, son regard pétillant d’amusement.
— Nous nous assagissons tous, avec le temps.
— Parle pour toi, répliqua Methos. Moi, je reste fidèle à mes principes. Aucune attache, aucune contrainte.
— Vraiment ? Aucun attachement ? Jamais ? S’étonna Soleman.
Methos fit mine de réfléchir, puis haussa les épaules.
— À part pour ce thé infâme, bien sûr. C’est une souffrance que je m’inflige encore et encore.
Darius sourit légèrement.
— Étonnant, pourtant, que tu sois toujours là pour le boire.
— C’est vrai. C’est curieux, non ? Il y a des choses auxquelles on revient toujours, même lorsqu’on prétend les détester, répondit Methos en faisant tourner sa tasse en ses doigts.
Il prit une nouvelle gorgée, grimaça et secoua la tête.
— Mais après tout, ce n’est qu’une habitude, pas un véritable attachement.
Il posa lentement sa tasse et leva un regard moqueur vers Darius.
— Mais toi, Darius, tu ne fais pas dans les demi-mesures, pas vrai ? Pas d’habitudes sans sens, pas d’attachements sans conséquence.
Ce dernier inclina légèrement la tête, un sourire discret aux lèvres.
— Où veux-tu en venir ?
Methos haussa les épaules d’un air faussement innocent.
— Toujours prêtre ? Toujours fidèle à ton église et à ton fameux vœu de chasteté ?
Darius esquissa un sourire en coin.
— Pourquoi cette soudaine curiosité ?
— Oh, rien de soudain. Juste un intérêt académique. Je me demande combien de temps un homme peut vraiment tenir une telle discipline avant de craquer.
Darius ne répondit pas tout de suite, préférant observer le feu d’un air paisible. Soleman, lui, posa un regard plus attentif sur Methos, captant l’insistance déguisée derrière son ton désinvolte. Le vieil immortel fit tourner sa tasse entre ses doigts, l’air faussement innocent.
— Après tout, nous savons tous les deux que tu n’as pas toujours été aussi vertueux. Lors d’une de mes visites, j’avais déjà relevé… quelques indices.
Darius ne cilla pas, se contentant de porter sa tasse à ses lèvres. Methos continua, un sourire en coin.
— L’une d’entre nous non ? Je me suis même laissé dire qu’elle s’appelait Marie.
Il laissa planer un silence, observant la réaction du prêtre. Darius ne le corrigea pas. Ne confirma pas non plus. Il reposa simplement sa tasse, lissant le tissu de sa manche d’un geste tranquille.
— Est-ce si important ? finit-il par dire d’un ton égal.
— Disons que ça m’intrigue. J’ai connu bien des hommes qui se sont perdus dans leurs contradictions… mais toi, Darius, tu es toujours resté une énigme.
Soleman, jusque-là silencieux, croisa les bras, son regard oscillant entre les deux hommes. L’atmosphère venait imperceptiblement de basculer. Derrière l’humour, derrière les taquineries, quelque chose de plus profond pointait enfin. Darius prit une inspiration lente avant de répondre, sa voix plus basse, presque pensive.
— Disons que certaines promesses deviennent plus lourdes à porter avec le temps.
Le vieil immortel ne répondit pas tout de suite. Il se contenta d’observer son ami, comme s’il tentait de deviner ce qui se cachait derrière ses mots.
— Toujours aussi évasif, Darius. Tu as un talent certain pour ne jamais répondre aux vraies questions.
— Ou peut-être que ce sont les questions qui n’ont pas de vraie réponse, répliqua-t-il doucement.
— Admettons, concéda l’ancien en haussant les épaules. Tu as tenu ton vœu. Mais est-ce que ça t’a rendu plus heureux ?
Ce dernier leva lentement les yeux vers lui, un sourire énigmatique au coin des lèvres.
— Depuis quand le bonheur est-il une mesure fiable ?
Methos laissa échapper un bref rire, plus amer qu’il ne l’aurait voulu.
— Depuis que nous avons appris combien il est rare.
Soleman, silencieux jusque-là, posa son regard sur lui. Methos ne s’en rendait peut-être pas compte, mais il venait de révéler plus qu’il ne le pensait. Darius, lui, ne détourna pas les yeux.
— Tu n’y crois donc pas ?
— À quoi ? Au bonheur ? À l’amour éternel ? Methos eut un geste vague. Entre nous, Darius, qui parmi nous trois pourrait affirmer avoir vu un couple immortel tenir ensemble plus de quelques décennies sans s’entre-déchirer ?
Darius baissa légèrement les yeux, son expression impassible masquant ce que ces mots réveillaient en lui. Il savait que Methos parlait d’expérience, mais il savait aussi que sa vision était biaisée par la peur de l’attachement. Pour lui, l’amour entre immortels n’était pas une illusion, il en était la preuve vivante. Il avait aimé, caché dans l’ombre, protégé par le secret, mais il avait aimé malgré tout, et pendant des siècles. Il pouvait encore sentir l’empreinte de cette histoire en lui, intacte malgré les années.
Soleman, silencieux, ne détourna pas le regard. Il connaissait la vérité, ou du moins une partie. Il savait ce que ces paroles signifiaient pour Darius, et ce que le prêtre refusait toujours d’admettre à voix haute. Après un instant de silence, il croisa les bras, pensif.
— Tu sous-entends donc que l’engagement n’est possible qu’avec les mortels ?
Methos hocha lentement la tête.
— Disons que c’est plus simple. Les mortels, eux, n’ont pas l’éternité devant eux. Ils aiment, ils vivent, et ils meurent. L’histoire a une fin naturelle. Entre immortels… c’est autre chose. Imagine tenir une relation qui dure des siècles. Même les fondations les plus solides finissent par s’effriter. L’ennui, les désaccords, les regrets… Tout s’accumule. Rien ne s’efface.
Darius resta silencieux un instant, puis reprit avec douceur.
— Ou peut-être que certaines choses, justement, ne s’effacent jamais.
Soleman prit une gorgée de son verre avant de le reposer lentement :
— Tu as déjà partagé ta vie avec quelqu’un, Methos. Mais t’es-tu vraiment engagé ?
— Autant de fois que la vie l’a permis…
— Mais jamais l’un des nôtres ?
L’ancien marqua une pause. Son regard se perdit un instant dans la profondeur de sa tasse de thé.
— Disons que je n’ai jamais voulu prendre ce risque.
— Ou peut-être que tu n’as jamais voulu affronter ce que cela impliquait.
Darius et Soleman échangèrent un regard. L’atmosphère s’était alourdie, chargée d’une gravité qu’aucun d’eux ne cherchait à dissiper. Methos, pourtant, se contenta d’un sourire léger, presque ironique.
— L’éternité est trop longue pour être passée à deux. C’est une condamnation plus qu’une promesse.
Darius secoua doucement la tête, son sourire teinté d’une mélancolie imperceptible.
— Ou peut-être que c’est une promesse qui dépasse la durée d’une seule vie.
Methos laissa échapper un rire bref, un son sec, dénué de véritable amusement.
— L’amour, c’est une belle illusion. Un luxe pour ceux qui n’ont pas le temps d’en voir la fin. Nous, nous voyons toujours la fin.
Darius le regarda sans rien dire, son expression indéchiffrable. Soleman, lui, l’observait avec une attention discrète, devinant ce qui se jouait derrière son cynisme affiché.
— Tu parles comme si la douleur d’une perte effaçait ce qui a été vécu, dit-il finalement d’un ton calme.
— Disons qu’elle rend tout ce qui a été vécu… secondaire. Nous avons l’éternité pour accumuler les souvenirs, les amours, les serments. Mais à la fin, tout devient un écho lointain. Rien ne dure.
— J’ai aimé, bien sûr, reprit-il. Tant de fois que j’ai arrêté de compter. Et j’ai perdu, tout autant. Des vies entières se sont éteintes sous mes yeux. J’ai vu des promesses faites avec ferveur devenir des souvenirs brisés par le temps. L’amour chez nous… c’est une plaisanterie cruelle.
— Ou peut-être est-ce un choix, répondit Darius. Une question de ce que l’on décide de retenir.
Le vieil immortel haussa un sourcil, puis secoua la tête avec un léger sourire.
— Toi, tu es un romantique, Darius. Presque surprenant, venant d’un prêtre.
Ce dernier ne releva pas immédiatement la pique, se contentant d’un sourire discret, son regard posé sur les flammes. Soleman, lui, prit une gorgée de son verre avant de répondre d’un ton posé :
— L’amour n’a pas besoin d’être éternel pour être vrai.
— Voilà un point de vue inhabituel. Moi qui te voyais plus pragmatique, répondit Methos, son amusement teinté de curiosité.
— Je le suis, admit Soleman. Je n’ai pas eu mille histoires, ni cherché à me convaincre que l’amour pouvait durer au-delà de son propre temps. Mais je n’ai jamais fui quand cela en valait la peine. Certains visages ne s’oublient pas.
Son regard se perdit un instant dans les ombres du foyer, comme s’il voyait au-delà de la pièce. Puis, avec une tranquillité qu’il semblait porter depuis toujours, il ajouta :
— Je crois que le secret, c’est de savoir quand il est temps de laisser partir.
Un silence s’étira, plus contemplatif que pesant. Darius, sans quitter le feu des yeux, murmura :
— Laisser partir… ou accepter que tout reste, d’une certaine façon.
— Encore une de tes paraboles, Darius ? ricana doucement Methos.
— Une réalité que vous refusez de voir, répondit ce dernier. Nous passons nos siècles à perdre des choses, des gens, des visages. Mais certaines absences ne sont pas des pertes. Il y a des sentiments qui ne s’effacent pas avec le temps. Même lorsqu’on croit avoir tourné la page.
— Belle maxime. Tu l’as trouvée dans un livre de prières ? le taquina Methos, sans masquer tout à fait l’intérêt qui brillait dans son regard.
— Non. Je l’ai trouvée en vivant.
Un silence s’installa, de ceux qui portent des souvenirs que l’on n’évoque pas. Soleman se redressa légèrement, le regard pensif.
— Tu veux dire que l’amour laisse une empreinte ?
— Une empreinte, une marque, quelque chose qui dépasse les mots et le temps, acquiesça Darius. Nous croyons que nous avançons, que nous laissons derrière nous ce qui n’est plus… mais parfois, ce qui n’est plus est toujours là. Sous une autre forme.
— Voilà qui est bien poétique, remarqua Methos en haussant un sourcil, amusé. Et pourtant, l’amour n’a jamais empêché la douleur d’une séparation. Ni évité la souffrance de voir quelqu’un partir.
Darius ne répondit pas immédiatement. Il observa un instant la danse des flammes, son expression pensive, avant de reposer calmement sa tasse.
— Parce que l’amour véritable ne cherche pas à éviter la douleur. Il l’accepte. Il sait qu’un jour, tout doit se transformer, et il ne s’y oppose pas. Ce n’est pas la durée qui définit un amour, mais ce qu’il laisse en nous.
— Tu parles comme si tu savais de quoi tu parles.
— Peut-être, répondit simplement Darius, sans détourner le regard.
— Et pourtant, tu es seul.
Le prêtre fixa un instant les flammes, ses traits habituellement impassibles marqués par une ombre fugace d’hésitation. Lorsqu’il parla enfin, sa voix était plus basse, presque pensive :
— Seul ? Je ne l’ai jamais été. Pas vraiment.
Il réalisa aussitôt ce qu’il venait de dire. Une brève lueur passa dans son regard, et il se redressa légèrement, retrouvant son calme habituel. Mais c’était trop tard. Methos avait perçu la faille. Un sourire en coin étira ses lèvres tandis qu’il arquait un sourcil, flairant l’ouverture.
— Allons bon, tu es en train d’admettre que tu n’es pas aussi vertueux que tu le laisses croire ? lança-t-il d’un ton faussement léger.
Darius croisa lentement les mains sur ses genoux, comme pour s’ancrer dans une retenue retrouvée.
— Tu devrais savoir, après cinq mille ans d’existence, que la vertu n’a rien à voir là-dedans, répondit-il avec une douceur implacable.
— Ah, mais elle fait toujours un bon masque, non ? Après tout, tu as toujours été doué pour faire croire ce que tu voulais qu’on voie.
— Je croyais que tu avais abandonné l’espoir d’obtenir cette réponse, Methos, répondit Darius en secouant doucement la tête, un sourire imperceptible aux lèvres.
— Oh, j’ai abandonné depuis longtemps l’idée que tu me la donnes directement, admit ce dernier en s’installant plus confortablement.
Soleman posa un coude sur le bras de sa chaise et passa une main sur son front, visiblement agacé.
— Si tu n’as pas trouvé la réponse en deux cents ans, tu ne la trouveras pas ce soir, lâcha-t-il d’un ton calme, mais sans équivoque.
Le vieil immortel haussa un sourcil dans sa direction, captant la tension subtile derrière ses mots.
— Toi aussi, tu sais quelque chose, hein ?
— Peut-être. Mais contrairement à toi, je sais quand me taire.
— Quelle frustration. Deux hommes de secrets et moi, pauvre âme damnée, condamné à mourir d’ignorance.
Soleman roula des yeux, tandis que Darius, imperturbable, lui adressa un sourire serein.
— La sagesse commence là où s’arrête la curiosité, Methos.
— Peut-être. Mais je crois surtout que l’ignorance devient insupportable quand elle s’accompagne de silence.
Soleman leva un sourcil, intrigué.
— C’est-à-dire ?
— Disons simplement qu’il y a des silences qui pèsent plus que d’autres, haussa-t-il les épaules avec nonchalance. Et que certains secrets ne restent secrets que parce qu’ils sont trop lourds à porter seuls.
Darius ne répondit pas. Il se contenta de fixer le feu, un éclat indéfinissable dans le regard. Soleman, lui, se tendit imperceptiblement, puis détourna les yeux, comme s’il refusait d’aller plus loin sur ce terrain. Leur ami observa la scène avec un mélange d’amusement et de curiosité. Il y avait des batailles qu’on ne gagnait jamais, et il savait reconnaître une porte définitivement fermée. Pourtant, quelque chose flottait sous la surface. Une tension subtile, un poids dans le regard de Darius qui n’y était pas quelques décennies plus tôt. Un autre, plus sombre, plus amer, dans celui de Soleman.
Il ne saurait jamais. Mais il n’était pas aveugle. Il devina que, cette fois, il valait mieux changer de sujet.
La conversation se poursuivit longtemps après que le thé eut refroidi. Les sujets changèrent, glissant naturellement de la philosophie aux anecdotes plus légères, en passant par les souvenirs d’un autre temps. Methos, comme toujours, trouvait un moyen de tourner chaque réflexion en plaisanterie mordante, tandis que Soleman ponctuait les échanges de remarques pragmatiques, parfois ironiques, mais jamais vides de sens. Darius, lui, les laissait parler, intervenant avec cette sagesse teintée d’humour qui avait toujours été la sienne.
Les heures défilèrent sans que personne ne semble s’en soucier. Loin du tumulte du monde, dans la chaleur du lieu saint, le temps n’avait plus vraiment d’importance.
Finalement, Methos s’étira longuement, un soupir exagéré aux lèvres, et se leva.
— Bien, messieurs. Il est temps pour moi de retrouver des lieux un peu plus vivants.
Soleman, qui venait de se resservir un verre, haussa un sourcil moqueur.
— Tu reviens dans dix ans ?
— Si l’ennui ne me tue pas avant, peut-être.
Darius esquissa un sourire, observant l’ancien immortel avec une indulgence tranquille.
— Alors, à très bientôt.
Methos roula des yeux, mais un sourire effleura malgré lui ses lèvres. Il attrapa son manteau et se dirigea vers la porte, s’arrêtant un instant sur le seuil. Son regard se posa tour à tour sur Soleman et Darius, une lueur indéchiffrable passant dans ses yeux.
— Essayez de ne pas trop vous assagir d’ici mon retour. Ce serait insupportable.
Soleman secoua la tête, amusé, tandis que Darius, fidèle à lui-même, répondit d’un ton paisible :
— Nous ferons de notre mieux.
Methos ouvrit la porte, laissant entrer un souffle d’air froid qui fit vaciller les flammes du foyer, et s’engouffra dans la nuit sans un regard en arrière. Soleman observa un instant la porte refermée, avant de reposer son verre sur la table.
— Il reviendra plus tôt qu’il ne le pense.
Darius hocha légèrement la tête, un sourire imperceptible flottant sur ses lèvres.
— Il revient toujours.
Et sur ces mots, ils levèrent leurs verres une dernière fois, laissant le silence s’installer entre eux, paisible et complice, comme une vieille habitude.