Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
L’échéance approchait, et Marie sentait le poids du temps peser lourdement sur ses épaules. Chaque jour la rapprochait de son départ, de ce moment où elle devrait quitter cet espace-temps, laissant derrière elle non seulement des regrets, mais aussi des questions sans réponse. Pourtant, avant de partir, elle savait qu’elle devait affronter Soleman. Non pour obtenir son pardon – elle n’osait même pas l’espérer – mais parce qu’elle ne pouvait pas disparaître sans reconnaître ses fautes. Elle n’avait plus d’excuses. Plus de justifications. Seulement l’aveu d’une vérité qu’elle avait trop longtemps fui : elle avait été lâche. Elle n’avait pas su choisir. Elle n’avait pas su agir.
S’il refusait de l’écouter, elle l’accepterait. S’il la rejetait une dernière fois, elle ne le retiendrait pas. Mais elle voulait qu’il sache qu’elle avait compris. Que ses mots avaient résonné en elle plus profondément qu’il ne l’imaginait. Elle ne cherchait pas à effacer ses erreurs. Seulement à les reconnaître.
Lorsqu’elle frappa à sa porte, il l’ouvrit presque immédiatement. Son visage, habituellement si chaleureux, était fermé, ses traits marqués par une froideur inhabituelle. Aucune parole ne franchit ses lèvres. Son silence était plus éloquent que n’importe quel reproche. Marie sentit son cœur se serrer, mais elle ne recula pas. Elle n’était pas venue chercher la facilité.
— Soleman, je t’en prie, murmura-t-elle, la voix presque implorante. J’ai besoin que tu m’écoutes, une dernière fois. Ensuite, je partirai. Je te le promets.
Un silence tendu s’installa. Il l’observa, immobile, son regard cherchant quelque chose en elle, un indice qui lui prouverait que cette conversation en valait la peine. Après un moment qui lui parut une éternité, il s’écarta enfin pour la laisser entrer. Ses gestes étaient lents, presque mécaniques, mais il lui désigna une chaise. Il s’installa face à elle, croisant les bras, son regard dur ancré dans le sien. Il ne semblait pas prêt à lui rendre la moindre once de chaleur. Pourtant, Marie perçut autre chose sous cette distance : une attente silencieuse, une lueur d’espoir, infime mais réelle, que ses mots aient un sens.
Elle prit une profonde inspiration, ses mains tremblantes posées sur ses genoux. Les mots semblaient bloqués dans sa gorge, mais elle savait qu’elle ne pouvait plus reculer.
— Je suis désolée, lâcha-t-elle enfin, la voix faible mais sincère. Je suis désolée pour tout. Pour ce que j’ai fait. Pour ce que je n’ai pas fait.
Soleman ne réagit pas immédiatement. Il la fixait toujours, implacable, attendant la suite.
— J’ai cru que ne pas agir serait le bon choix. J’ai cru que rester en dehors du cours du temps nous protégerait. Mais j’avais tort.
— Ce que tu m’as dit, après la guerre… ça ne m’a jamais quittée, continua-t-elle.
Son regard s’assombrit légèrement, un éclair de quelque chose – une vieille colère, ou peut-être du regret – traversant son expression.
— J’ai compris ce jour-là que je m’étais toujours réfugiée derrière des excuses. Alors j’ai essayé. J’ai voulu changer les choses. J’ai traqué Alexandre. J’ai tout fait pour l’arrêter avant qu’il ne devienne une menace. J’ai failli réussir, mais… il s’est échappé. Et Horton…
Elle marqua une pause.
— J’ai voulu le tuer. Cet enfant qui deviendra l’homme qui mènera notre espèce à sa perte. Je l’avais entre mes mains, je pouvais l’empêcher de grandir… et je n’ai pas pu.
Soleman ne bougea pas, mais son regard devint plus perçant. Il scrutait chaque mouvement de Marie, chaque tremblement de sa voix, cherchant la vérité au-delà des mots. Était-elle sincère ? Était-elle enfin celle qu’il espérait voir émerger de ces siècles d’inaction ?
— Je n’ai pas pu, Soleman. J’ai échoué. J’ai tout raté. Alexandre est en liberté. Horton est en vie. J’ai cru que je pouvais influer sur le destin, mais rien n’a changé. Peut-être que je n’ai jamais eu le pouvoir de modifier quoi que ce soit.
Un silence pesant s’installa entre eux. L’immortel semblait peser chacun de ses mots avant de répondre. Lorsqu’il parla enfin, sa voix était plus calme, mais toujours dure.
— Tu n’en sais rien.
Marie releva les yeux, surprise.
— Tu crois que tes actions n’ont eu aucun impact ? Que tout suivra son cours comme prévu ? Mais comment peux-tu en être certaine ?
— Peut-être qu’Alexandre changera quelque chose, reprit-il. Peut-être que ce qu’il a vécu en prison le fera agir différemment. Peut-être que ce qu’il a vu en toi, ce jour-là, le poussera à prendre une décision que tu n’attends pas. Et Horton ? Tu ne l’as pas tué. Mais peut-être que cela aussi aura un impact. Peut-être que ça plantera quelque chose en lui, que ça le changera d’une manière que tu ne peux pas voir aujourd’hui.
Elle secoua lentement la tête.
— Je voudrais y croire. Mais après tout ce que j’ai tenté… je ne vois que l’échec.
Soleman poussa un léger soupir. Il la scrutait toujours, mais quelque chose dans son regard avait changé. Il n’y avait plus seulement de la dureté ou du reproche. Il y avait une forme de reconnaissance silencieuse. Marie se leva soudainement, incapable de rester immobile, et fit quelques pas dans la pièce, son désespoir palpable.
— Que reste-t-il pour nous, Soleman ? Que reste-t-il pour les immortels dans ce futur ? Je vais mourir, je le sais. Si je reste ici, je cesse d’exister. Si je retourne là-bas… je ne sais pas ce qui m’attend.
— Alors arrête de chercher à savoir. Tu as fait un choix. Tu as agi. Ce qui en découlera, ce n’est plus entre tes mains.
Marie s’arrêta. Ces mots résonnèrent en elle plus profondément qu’elle ne l’aurait cru. Elle inspira profondément, laissant ses paroles l’imprégner.
— Et maintenant ? demanda-t-il enfin. Que comptes-tu faire ?
Elle ferma les yeux un instant, puis les rouvrit avec une détermination nouvelle.
— Je vais affronter la vérité. Je vais retrouver Jehan, quitte à subir sa vengeance. Je ne veux pas quitter ce monde sans comprendre. Mon temps ici est bientôt révolu.
Un long silence suivit ses paroles. Soleman, qui était resté immobile jusque-là, se leva lentement. Son expression, bien que marquée par la douleur, s’était adoucie.
— Quand le moment viendra, dit-il, sa voix calme mais empreinte d’une force tranquille, préviens-moi. Je t’accompagnerai jusqu’à ton dernier instant ici.
Les mots, bien que dénués de pardon explicite, portaient en eux une promesse : celle d’un soutien indéfectible, malgré tout ce qui s’était passé entre eux. Marie sentit ses jambes vaciller sous le poids de cette promesse. Elle hocha lentement la tête.
— Merci…
Puis, sans un mot de plus, elle quitta la pièce, le cœur encore lourd, mais empreint d’une détermination nouvelle. Alors qu’elle s’éloignait, ses pensées se tournèrent vers ce qui restait à accomplir avant son départ. La mélancolie la hantait, mais une flamme naissante de courage éclairait son chemin.
Il lui restait une dernière affaire à régler avant de disparaître pour de bon : les Guetteurs. Ces observateurs silencieux, ces scribes méticuleux, avaient suivi chaque étape de sa vie. Ils avaient noté ses victoires, ses amours, ses échecs et ses voyages. Pendant des siècles, elle avait accepté cette surveillance passive, consciente qu’elle ne pouvait se fondre complètement dans la masse. Elle avait laissé faire, presque résignée, comme si l’histoire de sa vie, consignées dans leurs cahiers, avait une valeur supérieure à sa propre existence. Mais maintenant, elle comprenait que ces traces étaient des chaînes. Pour disparaître véritablement, pour laisser la place à Aélis, elle devait effacer Marie.
Elle planifia soigneusement son geste. L’effacement ne pouvait être impulsif ; il devait être définitif. Elle avait passé des semaines à enquêter sur l’un de ses Guetteurs. Il s’appelait Pierre. Un homme ordinaire en apparence : la quarantaine, des cheveux poivre et sel, une allure discrète. Il vivait dans une maison modeste en périphérie de la ville, avec sa femme et ses deux enfants. À ses proches, il cachait l’existence des immortels, ses activités au sein des Guetteurs. Marie avait noté ses routines, ses déplacements, ses habitudes. Rien ne lui échappait.
Une nuit, elle décida que le moment était venu. Drapée dans un manteau sombre, elle attendit dans l’ombre près de son domicile. Pierre sortit à l’heure prévue, portant une mallette qu’il serrait contre lui comme un trésor. Il ne remarqua sa présence qu’au moment où elle se détacha de l’obscurité pour se planter devant lui. Il s’arrêta net, le regard figé par la surprise. Il tenta de masquer son trouble, mais le tremblement de ses doigts trahissait son angoisse.
— Bonsoir, Pierre, dit-elle d’une voix calme, presque douce.
Il se redressa, reprenant un semblant de contenance.
— Je crois que vous faites erreur, madame.
Elle esquissa un sourire sans chaleur, avançant d’un pas, réduisant l’espace entre eux.
— Non, Pierre. Je sais exactement qui tu es. Et toi, tu sais qui je suis.
Son ton était froid, implacable. Elle le regardait comme si elle sondait son âme. Il tenta une fois de plus de nier, mais elle le coupa d’un geste brusque de la main.
— Ne joue pas à ça avec moi. Je sais tout. Je sais ce que tu fais, ce que tu écris, ce que tu caches. Je suis immortelle, et tu es un Guetteur.
Pierre resta silencieux, figé comme une statue. Elle reprit, sa voix se durcissant à mesure qu’elle parlait.
— J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi. Tu vas récupérer tous les documents qui me concernent et me les ramener. Ici. Ce soir.
Il ouvrit la bouche pour protester, mais elle le coupa à nouveau, ses yeux lançant des éclairs.
— Je connais ta famille, Pierre. Ta femme, tes enfants. Je pourrais faire à ta maison ce que j’ai fait à celle de Jehan. Tu sais que j’en suis capable.
Le sang quitta son visage. Elle venait de toucher la corde sensible.
— Je... Je ne sais pas comment... balbutia-t-il. Ces archives sont précieuses, surveillées…
— Tu trouveras un moyen, répliqua-t-elle sèchement. Tu n’as pas le choix.
Elle lui tourna le dos et disparut dans l’obscurité, laissant derrière elle une menace pesante.
Il revint le soir même, comme elle l’avait exigé. Une pile de cahiers usés, des manuscrits jaunis, des feuilles volantes, des registres remplis d’une écriture serrée. Toute sa vie, couchée sur le papier, résumée en quelques objets fragiles. Il déposa le tout devant elle, son visage marqué par la fatigue et la peur. Marie ne lui accorda qu’un bref regard avant de sortir une bouteille d’alcool de sa poche. Elle arrosa les documents d’un geste méthodique, l’odeur âcre emplissant l’air.
— Vous ne pouvez pas faire ça, s’exclama Pierre, horrifié. C’est l’histoire, c’est votre histoire !
Elle sortit une allumette, l’alluma d’un geste calme et la laissa tomber sur la pile. Les flammes jaillirent, engloutissant les pages en une danse dévorante. Elle observa le feu, impassible, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des cendres noircies et inutilisables. Quand tout fut réduit en poussière, elle se retourna vers lui, le fixant avec une intensité glaciale.
— Marie n’a jamais existé.
Puis elle disparut dans la nuit, emportant avec elle ce qui restait de son passé.
En ce premier jour de printemps 1993, alors que les premières fleurs émergeaient timidement de la terre encore froide, Marie savait qu’il était temps de lui dire adieu. Elle l’avait su depuis longtemps, mais elle avait retardé cet instant autant qu’elle le pouvait, s’accrochant à l’illusion qu’en ne l’affrontant pas, il resterait une simple pensée, un murmure encore distant. S’y confronter le rendrait réel, irréversible. Pourtant, aujourd’hui, il n’y avait plus d’échappatoire.
Le poids de cette décision l’avait accompagnée depuis des semaines, s’insinuant dans chacun de ses gestes, dans ses nuits sans sommeil, dans ces silences où elle espérait encore trouver une raison d’attendre un peu plus. Mais elle ne pouvait plus fuir. Le voyage jusqu’à Qumrân serait long, jalonné de routes étroites qui parfois n’étaient que des pistes poussiéreuses serpentant entre collines et vallées. Elle ne pouvait se permettre d’arriver en retard ; le moment devait être parfait, précis.
Elle prévint Soleman, son fidèle compagnon d’éternité, que l’heure était venue. Sans un mot superflu, il prépara une voiture, veillant à ce qu’elle contienne tout le nécessaire pour plusieurs jours de route : provisions, couvertures, et un équipement simple mais fonctionnel pour traverser l’Europe jusqu’à leur destination. À l’heure convenue, il passa la chercher devant l’hôtel où elle s’était établie temporairement, dans une vie devenue volontairement nomade. Elle vivait sans attaches, dépouillée de tout ce qui la liait à ce monde, prête à quitter une temporalité qu’elle habitait depuis près de deux mille ans. Mais avant cela, il lui restait une dernière visite à faire.
Darius.
Assise dans la voiture que Soleman conduisait avec son calme habituel, Marie était silencieuse, perdue dans ses pensées. Les paysages défilaient autour d’eux, mais son esprit était ailleurs, revivant les moments passés avec Darius. Elle s’interrogeait sur la forme que prendraient leurs adieux. Serait-ce douloureux ? Solennel ? Ou simplement naturel, comme une page tournée dans un livre déjà écrit ?
Elle se souvenait de la première fois qu’elle avait franchi les portes de son église, attirée par les notes d’une mélodie qui s’échappaient dans la rue comme un appel. À l’époque, elle n’était pas encore immortelle, ignorante du monde auquel elle appartenait sans le savoir. Avec le recul, elle comprenait désormais ce que ses yeux ne pouvaient pas voir alors. Darius l’avait reconnue. Non pas pour l’immortelle qu’elle deviendrait, mais pour celle qu’elle avait été pour lui. Il avait reconnu Marie.
Cette révélation la bouleversait encore aujourd’hui. Comment avait-il pu cacher cela, jour après jour, en la prenant sous son aile comme une simple disciple ? Elle se souvenait de moments précis qui prenaient un tout autre sens désormais. L’étonnement discret dans ses yeux lorsqu’elle avait admis qu’elle ne savait pas jouer aux échecs. Sa réaction protectrice face à Alexandre, mêlant peur et détermination. Ce baiser volé dans l’église, une impulsion brisant leur équilibre, suivi d’une nuit qu’elle n’oublierait jamais. Les pièces du puzzle de leur relation, éparpillées par le temps, semblaient s’assembler lentement dans son esprit, formant une image complexe où le passé et le futur s’entremêlaient.
Était-ce un fardeau pour lui, de porter ce savoir ? Lui avait-il coûté de la regarder, jour après jour, en sachant ce qu’elle deviendrait, ce qu’elle signifierait pour lui ? Ou au contraire, était-ce une source de sérénité, une assurance que leurs chemins étaient liés par une force plus grande qu’eux-mêmes ? Ces questions tournaient en boucle dans son esprit, sans réponse définitive, seulement un mélange de gratitude et de tristesse.
Quand Soleman gara la voiture à quelques pas de l’église, elle sortit lentement, prenant le temps d’observer la façade familière. Elle inspira profondément, comme si l’air lourd de cette nuit particulière pouvait lui insuffler le courage nécessaire.
— Je ne sais pas combien de temps cela prendra, murmura-t-elle en se tournant vers son ami.
Il posa sur elle un regard calme, empreint de compréhension.
— Prends tout le temps qu’il te faudra. Je t’attendrai.
Elle acquiesça, incapable de formuler une réponse. Son regard s’accrocha un instant au sien, avant qu’elle ne tourne les talons pour s’avancer vers l’église. Chaque pas résonnait doucement sur les pavés, rythmé par le tambour sourd de son cœur.
La vibration familière de Darius l’accueillit avant même qu’elle ne pousse les lourdes portes. Habituellement douce et réconfortante, elle l’atteignit cette fois comme une gifle, un choc brutal qui lui fit comprendre que c’était la dernière fois qu’elle la ressentirait. Une chaleur qui se mêlait déjà à une douleur sourde, une perte inévitable. Elle ferma les yeux un instant, tentant de se recentrer. Une profonde inspiration. Puis une autre. Enfin, elle posa ses mains sur les poignées de la porte, rassemblant tout son courage. Elle les poussa lentement, entrant dans un sanctuaire où l’attendait le dernier chapitre d’une histoire vieille de plusieurs vies.
Il l’accueillit chaleureusement, comme toujours, d’une accolade qui semblait effacer des siècles d’épreuves. Son sourire illuminait son visage, une lumière douce et rassurante, ignorant tout du poids que portait Marie. Il croyait qu’elle revenait d’un voyage, insouciant de l’adieu imminent qui se préparait dans l’ombre de ses silences. Elle lut dans ses yeux une joie sincère, une affection si pure qu’elle se sentit crouler sous le poids de ce qu’elle allait devoir lui dire. La voix du prêtre, pleine d’enthousiasme, résonna dans la pièce :
— Heureux de te revoir. Alors, tes voyages ? Tu as vu tout ce que tu voulais ?
Elle hocha la tête, un sourire effacé accroché à ses lèvres tremblantes. Son cœur était un tambour sourd dans sa poitrine.
— Tu as reçu mes cartes postales ?
— Oui, regarde !
Il désigna un tableau en liège sur le mur, où les cartes qu’elle lui avait envoyées formaient une mosaïque de souvenirs. D’autres cartes, venues d’ailleurs, complétaient cette collection, comme un témoignage d’une vie pleine d’horizons.
— Il y a encore de la place pour les prochaines… Mais pas trop tôt, j’espère ? ajouta-t-il d’un ton malicieux, avec cette pointe d’humour tendre qu’elle connaissait si bien.
Cette légèreté, ce moment figé dans une bulle de normalité, lui percèrent le cœur. Une douleur sourde monta en elle, et, avant qu’elle ne puisse la contenir, ses yeux s’embrouillèrent de larmes. Elle détourna le regard, la gorge nouée.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il, la voix teintée d’inquiétude.
Elle inspira profondément, cherchant à dompter le chaos de ses émotions.
— Je ne peux pas rester longtemps, murmura-t-elle. En fait, je suis venue te demander quelque chose.
Il fronça légèrement les sourcils, attentif, et l’observa en silence. Elle retira lentement le bracelet de cuir qu’elle portait à son poignet depuis des siècles. Ce simple objet, offert par lui à une époque où il était encore le guerrier redouté qu’elle avait rencontré pour la première fois, représentait tout ce qu’ils avaient partagé. Elle caressa le cuir usé, un geste empreint de nostalgie, tandis que les souvenirs affluaient. Chaque marque racontait une histoire, chaque pli était un vestige d’un passé qu’elle n’aurait jamais voulu quitter. Ses mains tremblaient alors qu’elle tendait le bracelet à Darius. Elle le posa dans ses paumes ouvertes, refermant doucement ses mains sur cet héritage silencieux. Elle ne pouvait plus retenir ses larmes.
— Tu me le donneras… quand tu me reverras, murmura-t-elle d’une voix brisée.
Il regarda l’objet dans ses mains, puis leva les yeux vers elle. L’expression de son visage passa de l’interrogation à la compréhension. Jamais elle ne s’était séparée de ce bracelet, symbole de leur lien indéfectible. Il prit doucement son menton entre ses doigts, l’obligeant à croiser son regard. Ses yeux, si profonds, semblaient chercher à percer le voile de ses émotions.
— Marie… qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il d’une voix douce, empreinte d’une gravité nouvelle.
Elle détourna de nouveau les yeux, le sol devenant son refuge.
— Je dois partir, souffla-t-elle.
Il resta immobile un instant, absorbant ses paroles. Sa première pensée fut qu’elle avait prévu un combat qu’elle ne pensait pas pouvoir gagner.
— Partir… Combattre l’un d’entre nous ?
Elle secoua la tête, une ombre de sourire triste sur ses lèvres.
— Non, je ne prévois de combattre personne dans les jours qui viennent.
Un silence tomba entre eux, lourd, oppressant. Puis il se rapprocha d’elle, posant sur elle un regard rempli de douceur, mais alourdi par une inquiétude qu’il ne cherchait pas à masquer.
— Écoute, je vais annuler mes obligations de ce soir. On prendra tout le temps qu’il faut. Je ne peux pas te laisser comme ça.
Elle leva les yeux vers lui. La chaleur de son regard, ce mélange de compréhension et de force tranquille, ébranla les dernières défenses de son cœur. Elle sentit un sanglot monter en elle, étouffé, mais irrépressible. Il était tout ce qu’elle avait cherché dans les ténèbres du monde, un phare dans la tempête, et elle savait qu’elle ne le retrouverait plus dans cette vie. Son absence allait à nouveau creuser un gouffre dans son âme, un vide que rien, aucun immortel, aucun souvenir ne pourrait combler.
D’un geste empreint de douceur, il posa ses doigts sur ses joues pour essuyer une larme, son regard plongé dans le sien, débordant d’une inquiétude contenue. Elle sentit sa gorge se nouer davantage, incapable de soutenir la tendresse de cet échange. Alors, presque malgré elle, dans un élan du cœur, elle posa ses mains de part et d’autre de son visage, ses doigts effleurant la peau rugueuse de ses joues. Elle approcha lentement son visage du sien, guidée par une force irrésistible, et déposa un dernier baiser sur ses lèvres. Il se laissa faire, figé dans un mélange de surprise et d’émotion.
Le contact de leurs lèvres fut à la fois doux et dévastateur. En un instant, un éclair traversa son esprit, un flash d’une intensité telle qu’elle vacilla. Ce n’était pas seulement un baiser, mais un pont entre deux époques, deux vies entremêlées. Elle fut foudroyée par les souvenirs qui affluèrent en elle, aussi vifs et brûlants que le jour où elle avait osé tenter de l’embrasser pour la première fois, dix-huit siècles auparavant. En une fraction de seconde, elle revécut tout ce qu’ils avaient partagé, tout ce qu’elle avait partagé avec lui dans son passé, ce futur qui attendait encore Darius. Leur première rencontre, empreinte de méfiance et de curiosité. La complicité fragile mais sincère qui avait grandi entre eux, un fil ténu mais incassable. Ce bracelet en cuir qu’il lui avait offert, un geste presque banal mais chargé de symboles, qu’elle n’avait jamais quitté. Puis ses peurs, qu’il cachait derrière son apparente sagesse, ses doutes qu’il n’avait jamais formulés. Leur premier baiser. La nuit magique qui avait suivi, où le temps semblait suspendu, où rien d’autre n’existait qu’eux deux. Et enfin, la douleur atroce de sa perte, sa mort tragique dans l’enceinte même de cette église, un moment gravé à jamais dans son âme.
Les souvenirs étaient si vivants qu’elle en suffoquait. Elle sentit son cœur se briser une nouvelle fois sous le poids de cette révélation, mais quelque chose de plus profond encore émergea. Tout prit sens, d’un coup, comme si la dernière pièce d’un puzzle infini venait de s’emboîter. Dans un cri, elle se propulsa en arrière, rompant brutalement le contact. Elle tituba, choquée, et vit Darius, aussi effaré qu’elle, la fixer d’un regard abasourdi. Elle réalisa, à travers la stupeur dans ses yeux, qu’il avait vu. Une fois encore, malgré elle, elle lui avait partagé ces souvenirs qu’elle avait juré de garder enfouis. Mais cette fois, il avait compris.
Le souffle court, les larmes dévalant ses joues, elle balbutia, presque accusatrice :
– Tu savais !
Sa voix tremblait, oscillant entre la colère, le chagrin et l’incompréhension.
Darius porta une main tremblante à son front, ses pensées se bousculant. La vérité s’imposa à lui comme un coup de tonnerre. Elle vit son expression changer, son regard se troubler alors qu’il tentait de comprendre l’ampleur de ce qu’il venait de découvrir. Les visions de sa mort, les cauchemars qu’il avait évoqués, les allusions mystérieuses qu’il avait faites... Tout cela venait d’elle. C’était elle qui, en ce jour, dans cette église, lui avait transmis ces fragments du futur. Depuis leur rencontre, il avait vécu avec la connaissance implicite d’un destin scellé. Et pourtant, malgré tout, il avait choisi de se sacrifier pour elle.
– Tu savais, depuis le jour où l’on s’est rencontrés ici même… répéta-t-elle en secouant la tête, sa voix brisée par l’émotion.
Elle le regarda, et soudain, la gravité de leur lien lui parut écrasante. Le passé, le présent et le futur étaient enchaînés, immuables. Son sacrifice n’était pas un hasard. C’était un acte d’amour, un acte délibéré qu’il referait encore et encore, quel qu’en soit le prix. Elle se jeta dans ses bras, incapable de retenir ses larmes. Ses doigts agrippèrent son vêtement comme si elle craignait qu’il disparaisse. Entre deux sanglots, elle murmura :
– Oh Darius… Pardonne-moi !
Il l’accueillit contre lui, la serrant avec tendresse. Sa voix, posée et sereine, s’éleva comme une ancre dans la tempête :
– Non. Il n’y a rien à pardonner.
Elle se blottit davantage, cherchant dans sa chaleur un réconfort qu’elle savait éphémère. Il resta silencieux un moment, son regard perdu dans l’immensité de ce qu’il venait d’apprendre. Puis, doucement, il posa une question :
– C’est pour cela que tu dois partir ?
Elle hocha la tête, incapable de répondre autrement. Sa gorge était trop serrée pour parler. Après un moment, il recula légèrement. Ses doigts effleurèrent une mèche de cheveux qu’il repoussa derrière son oreille. Puis, d’un ton calme mais chargé d’une intensité déchirante, il murmura :
– Attends-moi.
Il se détourna, traversa la pièce, et saisit une feuille blanche. D’un geste ferme, il y écrivit en grosses lettres « Fermé pour la journée ». Il s’approcha de la porte de l’église, ouvrit, et fixa l’affichette à l’extérieur.
Quand il revint dans ses appartements, elle était là, assise sur le canapé, comme une ombre obstinée refusant de se dissiper. Dans ses mains, elle tenait encore le bracelet qu’elle lui avait rendu quelques instants plus tôt, ce modeste entrelacs de cuir devenu le témoin muet de leur adieu avorté. Ses doigts jouaient avec le bijou, hésitants, comme si s’en défaire était un acte trop définitif, un adieu qu’elle n’était pas prête à prononcer. Il poussa un léger soupir en la voyant ainsi, puis s’approcha pour s’asseoir à ses côtés. Il y avait dans son regard un mélange d’amusement et de perplexité, une tendresse mêlée à l’embarras, comme s’il cherchait les mots pour apaiser une enfant ayant commis une bêtise touchante et insignifiante. Mais cette fois, aucun mot léger ne pouvait effacer le poids qui pesait entre eux.
Le silence s’installa, dense mais curieusement apaisant. La pièce, faiblement éclairée par la lumière tamisée, semblait les isoler du reste du monde. Ils évitaient de se regarder, chacun absorbé par ses pensées, mais le lien qui les unissait semblait plus fort dans ce silence que dans les mots qu’ils auraient pu échanger. Ce fut Darius qui, finalement, rompit l’enchantement. Sa voix, douce comme une caresse, s’éleva dans la pénombre.
— Alors, dis-moi… d’où viens-tu vraiment ?
Marie leva les yeux vers lui, et le regard qu’elle lui offrit était empreint d’une tristesse insondable, un abîme de douleur contenue. Elle resta un moment silencieuse, cherchant les mots, pesant chaque syllabe avant de parler, comme si chaque vérité prononcée risquait de briser leur fragile équilibre.
— D’où je viens… Je viens de l’enfer, Darius, finit-elle par murmurer. Les hommes… ils sont devenus fous. Le Jeu a commencé, et il ne reste rien pour nous là-bas. Rien d’autre que la survie, à tout prix. Il me reste Methos, mais… pour combien de temps encore ?
À la mention de ce nom, Darius sentit un frisson imperceptible le parcourir. Une pièce du puzzle s’assembla enfin dans son esprit. Il comprit. Des siècles plus tôt, lorsqu’elle avait évité Methos, lorsqu’elle avait fui leur rencontre avec une précipitation qu’il n’avait pas su expliquer… c’était à cause de cela. Elle savait. Elle savait déjà à quel point Methos deviendrait important dans son futur, à quel point leur destin serait lié. Et elle avait eu peur. Non pas de lui, mais de ce qu’elle ne pouvait pas lui dire.
Elle détourna le regard, comme si prononcer ce nom faisait naître en elle une souffrance qu’elle ne pouvait supporter. Puis elle poursuivit, sa voix se brisant par moments sous le poids de l’émotion. Elle lui décrivit un monde qu’il aurait peine à reconnaître, un monde ravagé par l’avidité et la peur, où la lumière des âmes semblait avoir été consumée par les ténèbres. Ce monde ne ressemblait en rien à celui qu’il avait rêvé, à celui qu’il avait tenté d’embellir par sa sagesse et son renoncement. Peut-être, ajouta-t-elle, tout avait-il commencé à décliner quand lui, Darius, avec sa belle âme, avait quitté cette terre. Elle lui avoua ensuite sa tentative de changer le cours du temps. Elle avait cherché Horton, cet homme qui serait plus tard l’instigateur de tant d’horreurs. Elle l’avait trouvé, cet enfant, innocent encore, ignorant de l’avenir terrible qu’il allait sceller. Et elle n’avait pas pu. Elle n’avait pas pu le tuer. Elle esquissa un sourire amer, un sourire qui n’atteignit pas ses yeux.
— J’aurai au moins retenu cette leçon d’humanité, murmura-t-elle.
Darius l’écoutait avec une attention presque religieuse, absorbant chaque mot comme une prière. Lorsqu’elle eut fini, il posa doucement une main sur la sienne, comme pour ancrer ses paroles dans une réalité plus douce.
— Ne perds pas espoir, dit-il simplement.
Elle secoua la tête, presque avec colère.
— Mais quel espoir, Darius ?
Il lui sourit alors, ce sourire qui semblait contenir toute la sagesse du monde, toute la foi qu’il avait su garder même dans les heures les plus sombres.
— Le même que celui que tu m’as donné, quand rien n’allait plus. Celui qui annonçait des jours meilleurs.
— Ce n’est pas pareil, murmura-t-elle. Je savais, moi, que la peste allait finir par s’arrêter. A chaque fois, je savais que des jours meilleurs allaient venir.
— Mais moi je ne le savais pas, répondit-il doucement. Et c’est toi qui m’as donné cet espoir. En t’écoutant, j’ai cru, j’ai fait confiance. Et j’ai eu raison…
Elle sentit ses défenses vaciller sous le poids de ses mots. Il poursuivit, sa voix emplie de cette tendresse indéfectible qui semblait pouvoir la guérir de tout.
— Garde cette lumière en toi, Marie. Celle qui m’a guidé, moi, dans mes heures les plus sombres.
Elle hésita, puis finit par avouer ce qui la hantait depuis son retour dans ce passé qu’elle n’aurait jamais dû fouler.
— Je devrais peut-être rester ici. Tout serait plus simple.
Il fronça légèrement les sourcils, surpris.
— Et qu’est-ce qui t’en empêche ?
Elle prit une profonde inspiration avant de répondre, sa voix teintée de doute.
— Si je me trouve deux fois dans la même temporalité… il est possible que mon existence soit complètement annihilée. Je ne le sais pas avec certitude. J’ai retourné cette question dans ma tête des milliers de fois, mais je n’ai jamais trouvé de réponse.
Darius prit un instant pour réfléchir, son regard fixé sur elle comme s’il cherchait à lire au-delà de ses mots.
— Ça veut dire que je ne t’aurais jamais rencontrée ? demanda-t-il enfin, d’une voix plus grave, presque méditative.
Marie hocha lentement la tête, incapable de parler. Darius détourna légèrement les yeux, laissant son esprit vagabonder. Il imaginait une vie où Marie n’avait jamais croisé son chemin, où il n’avait jamais entendu sa voix, jamais partagé ses doutes, ses luttes, son regard sur le monde. Ce n’était pas qu’une simple absence. C’était un vide, imperceptible peut-être, mais profond.
— Je ne veux pas d’un monde où tu n’aurais jamais existé, finit-il par dire, et il n’y avait rien d’exagéré dans ces mots.
Il laissa cette vérité s’installer entre eux, puis reprit d’une voix plus posée.
— Je ne dis pas que je n’aurais pas trouvé mon chemin sans toi. Mais tu l’as éclairé d’une manière que personne d’autre ne l’aurait fait. Ce que j’ai appris à travers toi, ce que tu m’as apporté… Ce n’est pas quelque chose que je veux oublier.
Il la regarda avec une sincérité absolue.
— Si tu disparaissais, tout ce que tu as changé… ce que tu as laissé en moi… tout cela n’aurait jamais existé.
Son ton n’était pas une supplique, ni un reproche. C’était un constat. Une manière de lui dire qu’elle comptait, que ses choix, même imparfaits, avaient eu un impact.
— Et peut-être que ce que tu as changé en moi, ce que tu as laissé derrière toi… a plus d’importance que tu ne le crois.
Un silence s’étira, plus doux cette fois.
— Alors, quoi que tu ais fait, Marie, sache que tu as compté. Et que je t’en serai à jamais reconnaissant, peu importe ce qui nous attend.
Elle sentit ses larmes monter, mais cette fois, ce n’était pas de tristesse. C’était la force brute de ses sentiments, une gratitude et une douleur mêlées qu’aucun mot ne pouvait décrire. Elle le regarda, ses yeux se noyant dans les siens, une douceur lumineuse y éclatant comme une étoile dans l'obscurité. Ses doigts cherchèrent les siens, glissant doucement entre eux, comme si cet entrelacement était une ancre dans le tourbillon de leurs émotions. Ils restèrent ainsi, les mains unies, le silence devenant une mélodie silencieuse, un langage où chaque battement de cœur parlait plus fort que les mots. Darius approcha son visage du sien, lentement, comme pour savourer l’instant. Son front vint se poser contre le sien, et elle sentit la chaleur de sa peau, la douceur de ce contact qui abolissait toute distance. Ses lèvres effleurèrent doucement les contours de son visage, le frôlement d’un souffle, une caresse qui glissait sur son nez, ses joues, comme une promesse murmurée à fleur de peau. Chaque geste était empreint d’une douceur sacrée, comme s’il craignait de briser l’instant par une maladresse.
Leurs lèvres se trouvèrent finalement, dans un baiser qui débuta avec une infinie tendresse avant de se muer en une passion contenue, presque douloureuse par sa profondeur. Le temps sembla s’arrêter, l’église elle-même devenant le témoin muet de cet instant volé au monde. Elle sentait son cœur battre à un rythme effréné, une pulsation qui résonnait dans tout son être. Le souffle court, elle s’écarta légèrement, ses lèvres frémissant encore de leur échange, et dans un murmure empreint de supplication, elle prononça :
— Darius, fais-moi l’amour… Une dernière fois.
Il resta immobile un instant, ses yeux scrutant les siens, cherchant à comprendre la profondeur de sa demande. Puis, avec une lenteur presque solennelle, il se leva, le regard toujours ancré dans le sien. Il retira sa soutane d’un geste précis, presque cérémoniel, et alla la poser délicatement sur une chaise à l’écart, comme pour signifier que, pour cette nuit, il n’était plus prêtre, mais simplement un homme. Revenant vers elle, il lui tendit la main, une invitation silencieuse, un geste empli de douceur et de respect. Elle glissa sa main dans la sienne, se levant à son tour. Il l’attira contre lui, ses bras l’enveloppant avec précaution, et ses lèvres retrouvèrent les siennes, scellant cette union dans un baiser à la fois passionné et chargé d’émotion.
Ils laissèrent leurs gestes parler, chaque mouvement empreint d’une profondeur qui transcendait les mots. Ses mains effleuraient ses épaules, son dos, traçant des chemins invisibles sur sa peau, comme s’il voulait mémoriser chaque courbe, chaque frisson. Leurs regards se croisaient, et dans leurs yeux, on lisait tout : la douleur d’une séparation inévitable, la gratitude d’avoir partagé ces instants, et l’amour, pur et inaltérable, qui les liait malgré tout.
Cette nuit-là, derrière les portes closes de l’église, Darius mit de côté tout ce qu’il avait été pour répondre à son appel, offrant à cette femme qu’il chérissait un instant suspendu dans le temps, une étreinte où chaque souffle, chaque caresse, chaque murmure portait le poids d’un adieu et la beauté d’un amour éternel.
Lorsque le matin pointa à travers les vitraux, teintant la pièce d’une lumière douce et dorée, l’inévitable les rattrapa. Dans les appartements modestes du prêtre, le temps sembla suspendu. Le silence pesait lourd, mais il était aussi tendre, une toile d’émotions tissée entre eux. Marie, encore enveloppée dans les restes de leur nuit, s’avança vers la porte. Sa main trembla un instant avant qu’elle ne l’ouvre, laissant entrer un souffle d’air frais. Elle se retourna vers Darius, qui se tenait là, immobile, comme une figure intemporelle, gravant chaque détail d’elle dans sa mémoire.
Ils s’enlacèrent, leurs bras s’enroulant l’un autour de l’autre avec une intensité qui traduisait tout ce que les mots ne pouvaient pas dire. Ils restèrent ainsi, luttant contre le temps qui continuait de s’écouler sans pitié. Aucune parole ne brisa leur étreinte ; elles auraient été dérisoires face à l’immensité de ce moment. Mais dans ce silence, il y avait tout : la douleur de la séparation, la gratitude des souvenirs, et cet amour éternel qui ne nécessitait pas d’explication. Elle se détacha légèrement, juste assez pour plonger son regard dans le sien, et d’une voix basse mais ferme, elle fit un aveu qu’elle n’avait jamais osé lui partager. Un prénom qu’elle avait du mal à reconnaitre, mais pourtant familier.
— Je m’appelle Aélis.
Darius répéta son prénom comme une prière, un murmure empreint de douceur, ses lèvres formant chaque syllabe avec une lenteur sacrée.
— Aélis.
À cet instant, elle sentit un flot de souvenirs et d’émotions l’envahir. Elle repensa à cette question posée à Methos, il y avait une éternité : Peut-on aimer quelqu’un pour toujours ? Elle avait enfin sa réponse.
Se détachant peu à peu, elle prit les mains de Darius dans les siennes, les serrant avec une force qu’elle ne savait pas posséder. Elle leva les yeux vers lui une dernière fois et, d’une voix tremblante mais résolue, prononça ces mots :
— Adieu, Darius.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur ses lèvres, un baiser désespéré, empli de tout ce qu’elle aurait voulu lui dire, tout ce qu’ils auraient pu partager, mais qu’ils n’auraient jamais. Le goût salé de ses larmes se mêla à leurs lèvres, et lorsqu’elle se détacha, son cœur était lourd mais empli de certitude.
— Je t’aime. Pour toujours.
Puis, sans un regard en arrière, elle tourna les talons. Ses pas résonnèrent dans l’église vide, chaque écho semblant porter avec lui une part de son âme. Elle ouvrit la porte, et la lumière du jour inonda l’espace, dessinant une silhouette presque irréelle alors qu’elle disparaissait dans les rayons éclatants. Darius resta immobile, les yeux fixés sur elle jusqu’à ce qu’elle se fonde dans la lumière et disparaisse entièrement. Une larme roula sur sa joue, puis une autre, et bientôt, il ne chercha même plus à les contenir.
— À bientôt, Aélis, murmura-t-il, sa voix brisée mais comme une caresse.
Sur la route menant à Qumrân, le silence enveloppait l’habitacle comme une présence tangible. Aélis, encore prisonnière de l’intensité des souvenirs de la nuit qu’elle venait de partager avec Darius, s’était glissée dans la voiture sans un mot. Soleman, attentif à son état, n’avait pas cherché à briser ce silence. Il avait simplement démarré la voiture et pris la route, respectant cet espace intime où elle semblait communier avec son propre esprit. Les kilomètres défilèrent, emportant avec eux le paysage parisien. Elle fixait l’horizon, mais ses yeux voyaient au-delà, dans un ailleurs où le visage de Darius restait gravé. Soleman, concentré sur la route, jetait parfois un regard discret vers elle, prêt à intervenir si elle le souhaitait. Ce n’est qu’après plusieurs heures, alors que le soleil amorçait sa descente, qu’elle brisa enfin le silence.
— Il est au courant, dit-elle, sa voix douce mais chargée de mille non-dits, tandis que ses yeux continuaient de scruter les paysages alentours.
Soleman n’eut pas besoin de demander de qui elle parlait. Le nom de Darius flottait dans l’air comme une évidence. Il resta silencieux un moment, laissant ses mots s’installer, puis répondit avec prudence.
— Tu lui as tout dit ?
— Je n’en avais pas l’intention, murmura-t-elle, presque pour elle-même. Mais le destin en a décidé autrement.
Le silence retomba, mais cette fois, il était empreint de réflexion. Soleman sembla peser ses mots avant de répondre, comme si le poids de ses pensées méritait une expression mesurée.
— Je ne crois pas au destin, finit-il par dire, sa voix grave trahissant une conviction profonde.
Aélis tourna légèrement la tête vers lui, intriguée par cette déclaration. Soleman continua, les yeux fixés sur la route.
— Le destin, c’est une excuse que l’on se donne pour ne pas affronter nos choix. Les événements ne sont pas écrits à l’avance, Aélis. Ce que nous faisons, ce que nous décidons… c’est ça qui construit notre chemin. Dire que le destin décide pour nous, c’est abandonner notre responsabilité. Sa voix se fit plus douce, presque introspective.
— Je pense que les choses arrivent parce que nous les faisons arriver, même inconsciemment. Et parfois, ce sont nos peurs ou nos désirs cachés qui orientent nos actions, pas une force supérieure.
L’immortelle resta silencieuse un moment, laissant les paroles de son ami s’infiltrer dans ses pensées déjà tumultueuses. Elle voulait répondre, mais son esprit était trop embrouillé pour formuler quelque chose de précis. Elle regarda à nouveau le paysage défiler, les champs à perte de vue s'étendant comme une mer infinie.
— Et toi ? reprit-il après un instant, sa voix empreinte de douceur.
Elle ferma les yeux un instant, laissant les souvenirs revenir en vagues. Darius, Thalia, Aram, Jehan, Soleman et tant d’autres. Elle pensa à tout ce qu’elle avait essayé de changer, aux décisions qu’elle avait prises, à ce qu’elle avait perdu. Et malgré tout, la réalité semblait immuable, un chemin qu’elle n’avait pu dévier.
— Je ne sais pas, répondit-elle simplement, sa voix à peine audible.
Le reste du voyage se déroula dans un silence presque absolu, seulement ponctué par le ronronnement du moteur et les rares bruits de leurs respirations. Soleman respecta son besoin de solitude intérieure, se contentant de conduire. Les heures s'étirèrent comme une éternité. À travers la vitre, Aélis observa la transformation du paysage, les ombres s’étendant sur la campagne se faisant plus longues à mesure que le jour déclinait.
Elle repensa à Methos, à ses enseignements, à ses mots empreints de cynisme et de sagesse. Elle se demanda si lui aussi voyait le destin comme une illusion, ou s’il croyait, comme Darius à une époque, à un ordre supérieur. Chaque pensée ramenait son esprit vers cette question essentielle : aurait-elle vraiment pu changer les choses ? Ou le poids des millénaires, des choix fait par chaque humain, chaque immortel, était-il trop lourd pour être déplacé ?
Les étoiles commencèrent à apparaître, une à une, dans un ciel d’encre. Aélis, épuisée par le tourbillon de ses émotions, posa doucement sa tête contre la vitre froide, laissant son esprit dériver dans un mélange de souvenirs et de réflexions, tandis que Soleman continuait à tracer leur route vers Qumrân.
Sous le ciel étoilé, les deux immortels atteignirent le lieu qui marquerait son départ. Celui là même où elle avait commencé son voyage presque 20 siècles plus tôt. Le désert s’étendait à perte de vue, silencieux, comme figé dans un moment d’éternité. Aélis s’arrêta brusquement, levant les yeux vers l’infini du firmament avant de murmurer :
— C’est ici.
Ses mots résonnèrent doucement, comme une prière, dans l’air immobile. Soleman détourna le regard du chemin pour la fixer, une lueur de compréhension dans ses yeux sombres. Ils s’approchèrent l’un de l’autre, leurs mouvements empreints d’une gravité silencieuse, et s’enlacèrent. Leurs bras se refermèrent dans une étreinte à la fois forte et fragile, comme s’ils tentaient de suspendre le temps, de repousser l’inéluctable. Soleman sentit la chaleur du corps d’Aélis, l’intensité de sa résolution mêlée à la vulnérabilité qu’elle laissait enfin transparaître. Il voulait dire tant de choses, mais les mots restaient prisonniers de sa gorge, étouffés par l’émotion. Pour Aélis, ce moment semblait durer une éternité. Elle ressentait tout : la texture de la veste de Soleman contre sa peau, l’odeur du désert mélangée à celle familière de son ami, et surtout la force silencieuse de son soutien. Elle ferma les yeux, s’imprégnant de cet instant qu’elle savait être le dernier qu’ils partageraient. Enfin, lentement, ils se détachèrent, leurs regards se croisant, chargés de tout ce qu’ils ne parvenaient pas à exprimer.
Puis Aélis, dans un geste empreint d’une étrange sérénité, commença à retirer ses vêtements. Chaque pièce qu’elle posait soigneusement sur le sol semblait une offrande, un adieu symbolique à ce présent qu’elle s’apprêtait à quitter. Elle s’agenouilla sur le sol rocailleux, laissant la fraîcheur de la nuit caresser sa peau nue.
Sa main glissa doucement sur son poignet, effleurant la peau jusqu’à ce qu’une lueur discrète émerge : la lumière de la puce implantée, vibrant légèrement, signe de l’imminence du voyage. Elle leva les yeux vers Soleman une dernière fois.
— Adieu, mon ami, dit-elle d’une voix douce mais ferme, un sourire mélancolique éclairant son visage.
Ce dernier inclina la tête, ses traits empreints d’une tristesse qu’il ne tentait pas de dissimuler.
— Bon voyage, murmura-t-il. Et si le destin existe, je lui demanderai de veiller sur toi.
Elle hocha légèrement la tête, touchée par ses mots. Puis, dans un souffle, elle activa la puce.
Le monde bascula en un instant. La lumière disparut, dévorée par une obscurité dense, absolue. Une vibration étrange envahit son corps, comme si chaque atome d’elle-même se décomposait, chaque cellule se dissolvait dans une énergie pure. Le vent se leva, un souffle puissant, ancestral, qui semblait venir de toutes les directions à la fois, s’amplifiant jusqu’à devenir un rugissement. Et puis, plus rien. Plus de vent, plus de son, plus de lumière. Juste le vide, un néant si total qu’il défiait toute définition. Aélis sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, chaque battement semblant résonner dans cette infinité silencieuse. Elle était consciente de son corps et, paradoxalement, de son absence, comme si elle flottait entre deux états d’existence. Alors que ce vertige l’enveloppait, une dernière onde sembla traverser son être. L’obscurité s’épaissit encore, jusqu’à engloutir tout ce qu’elle était. Puis, elle disparut.